Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, dans "Le Figaro" du 27 mars 1999, sur la participation de la France dans les forces de l'OTAN pour la destruction d'objectifs militaires serbes en vue d'obtenir un règlement politique dans la crise au Kosovo.

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Texte intégral

Alain Richard « Notre Détermination est totale «
Le ministre de la Défense affirme que la France a « des objectifs clairs et un impératif de préservation de la population civile « .
Le ministre de la Défense, Alain Richard, est intervenu hier devant les députés de la commission de la défense, ouverte pour la première fois de son histoire à la presse. Selon, lui, la crise du Kosovo « se place dans un contexte de renforcement politique de lEurope et à un « moment déterminant de la construction européenne « . Il a assuré que le contrôle opérationnel des forces françaises, engagées dans le dispositif de lOtan, « reste à la disposition du chef de lEtat à travers lEtat-Major des Armées « et quil navait relevé aucun dysfonctionnement à ce sujet depuis le début des opérations. Alain Richard a répondu hier aux questions du Figaro.
LE FIGARO : Quels sont, du point de vue français, les buts exacts de la campagne aérienne ?
Alain RICHARD : Je ne distingue pas de buts - du point de vue français « . Nous agissons en coalition pour surmonter lattitude de M. Milosevic face à une action jugée nécessaire par la communauté internationale. Ce dispositif combine des exigences exprimées par le Groupe de contact, appuyées par lUnion européenne, endossées par le Conseil de sécurité de lONU, avec la menace de lusage de la force par lAlliance atlantique. Dans toutes ces enceintes, la France agit aux côtés de ses partenaires et alliés. Cest ensemble que nous avons conçu ce système et défini les objectifs. Pour la France comme pour ses partenaires, lobjectif de la campagne aérienne est de réduire puis de paralyser le potentiel offensif des forces serbes et leur capacité à sen prendre aux populations civiles. Cette démarche serait interrompue si M. Milosevic revenait à la table de négociations pour compléter les accords de Rambouillet.
La France sest elle fixé des limites dans son action ?
Nous sommes dans laction, avec des objectifs clairs et un impératif de préservation de la population civile, Laction doit atteindre les objectifs définis.
Le général Clark a parlé de « détruire toutes les forces serbes « , Javier Solana a évoqué le renversement de Milosevic. Partagez-vous ces objectifs ?
Nous sommes dans une situation où il faut être précis. M. Solana na évoqué le renversement de M. Milosevic que pour préciser quil ne sagissait pas dun objectif militaire. Quant aux propos du général Clark, ils visaient à décrire une approche graduée et envisageaient une destruction des forces dans certaines hypothèses. Les objectifs que jai décrits plus haut sont partagés par tous.
Quatre avions français seulement ont participé aux premiers raids. Cette participation « symbolique « nest-elle pas le signe dun enthousiasme modéré ?
La participation de la France au dispositif est de plus 40 aéronefs sur un dispositif total de 400 engagés par lAlliance. Ces appareils entrent en action à tour de rôle selon les missions à accomplir. Je me garderai de parler denthousiasme sagissant dune opération engageant nos forces dans une action coercitive avec les risques que cela représente. En revanche, notre détermination est totale et personne nest tenté de la qualifier de symbolique
Ne commencez-vous pas - comme il semble que cela soit le cas en Italie et en Allemagne - à avoir quelques réticences devant la radicalisation de lopération ?
Premièrement, cette opération nest pas en voie de « radicalisation « . Elle se déroule comme prévu et se poursuivra autant que nécessaire selon un processus graduel. Deuxièmement, vous pouvez être sûr que les autorités françaises sont décidées à obtenir le résultat politique que nous souhaitons. Cette action est indispensable pour ne pas laisser le dernier mot à loppression aveugle. Nous devrons, dans cette crise, avoir les nerfs solides et montrer notre détermination en nous souvenant de nos objectifs et des valeurs qui les fondent.
LEurope, une nouvelle fois incapable dassurer seule sa sécurité, nest-elle pas obligée de suivre jusquau bout les Etats Unis ?
Parlons plutôt des capacités dont lEurope a fait preuve durant cette crise, notamment en comparant à ce qui sétait passé pour la Bosnie. Nous parlons cette fois dune même voix, en partageant les mêmes objectifs. Cest ce qui a permis à lEurope de jouer pleinement son rôle dans le processus politique. Sagissant de la mise en oeuvre militaire, nous utilisons lAlliance parce quelle fonctionne. Et les Etats-Unis partagent notre effort parce que nous avons pris nos décisions. Vous savez que nous travaillons depuis Saint-Malo à nous doter dautres outils dans ou en dehors de lAlliance ou à côté delle Et la capacité des Européens à se comporter avec responsabilité dans cette crise sera déterminante pour la suite de notre démarche. Nous ne montrerons pas notre crédibilité collective, seulement dans les réflexions communes, mais face à lépreuve.
Si les frappes nont pas le résultat escompté, envisagez vous denvoyer des troupes au sol ?
Lenvoi de troupes au sol nest envisagé que dans le cadre de la mise en oeuvre dun accord politique. Et ceux qui sinterrogent sur lefficacité des frappes devraient se rappeler de deux faits. Dabord, la force armée est essentielle au pouvoir de M. Milosevic, il ne peut pas se permettre de la voir compromise. Ensuite, le conflit bosniaque a montré que, face à une puissance militaire déterminée, il sinclinait politiquement.
Comment empêcher les Serbes daccentuer leur répression au Kosovo.
Certainement pas en laissant M. Milosevic poursuivre ses agissements. Je vous lai dit, notre objectif est de réduire sa capacité à nuire à sa propre population au Kosovo. Sil revient à la table de négociations conclure les accords, ce sera encore mieux. Ne loublions pas, notre objectif demeure naturellement celui-là.
Propos recueillis par Arnaud de LA GRANGE
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 29 mars 1999)