Texte intégral
Q - Cest une nouvelle version de lantagonisme entre humanitaire et politique, accueillir des réfugiés permettrait de soulager leur douleur mais cela serait aussi entériner les plans de Slobodan Milosevic. Charles Josselin, ministre délégué à la Coopération est avec nous pour nous expliquer la position du gouvernement.
Michel Tubiana, vice-président de la Ligue des Droits de lHomme est avec nous. Dans un instant, très concrètement nous verrons aussi ce que peut signifier cette zone humanitaire protégée quon évoque de plus en plus ; on verra quelles ont été les dernières expériences menées au Rwanda, en Iraq ou en Bosnie. Dabord, on va se poser une question simple : quel est le sentiment des réfugiés eux-mêmes.
On avait cru comprendre que la France fermait la porte aux réfugiés ; Lionel Jospin a, à lAssemblée, annoncé que cette porte était au moins entrouverte. Pouvez-vous nous dire exactement ce que cela signifie ? Pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur par exemple ? Combien de réfugiés êtes-vous prêt à accepter en France ?
R - Laissez-moi dabord vous dire combien japprécie ce qua dit votre correspondant spécial à linstant. Cest exactement le sentiment que jai eu moi-même en rencontrant ces réfugiés. Plusieurs dentre eux, comme on la dit aussi, se sont mis en mouvement sous la brutalité de M.Milosevic et de ses sbires depuis déjà plusieurs mois et leur ambition nest pas de partir ailleurs :
cest de rentrer chez eux.
La question qui se pose à la France, comme aux alliés dailleurs qui sont entrés dans cette affaire, est de savoir si nous les aidons à rentrer chez eux, quitte à les aider à vivre pendant quelque temps près de chez eux ou si, déjà, nous essayons de les disperser aux quatre coins du monde. Je crois que cest important de répondre déjà à cette première question.
Les départs presque obligés auxquels on a procédés en Macédoine, il y a quelques heures, en direction de la Turquie ont révélé des images atroces, de femmes, denfants qui refusent de partir. Je crois quil ne faut pas que nous soyons dans cette situation. Quelle est la position de la France ? Je me garderai bien de quantifier, car il faudrait que je puisse répondre à la question :
quels sont les Kosovars qui, par exemple, veulent rejoindre leur famille en France, parce quils y ont des attaches familiales. Il est évident quà ceux-là la porte est ouverte : sils en font la demande, nous avons un dispositif législatif qui le permet. Nous disons aussi à ceux qui sont blessés, handicapés, qui réclament des soins spécifiques, que nous sommes prêts à les accueillir.
Q - Cela veut dire que vous raisonnez, a priori, en centaines de personnes ou en milliers de personnes, voire en dizaines de milliers comme lAllemagne, qui parle de 40 000 personnes ?
R - Non. Je crois que cest plutôt en milliers de personnes quil faut sans doute raisonner...
Q - Autour de 5 000 personnes
R - Nous ne raisonnons pas exactement de manière quantitative si vous voulez. On est quand même là pour aider à régler les problèmes que les réfugiés nous posent et pas ceux quon voudrait, à lavance régler, pour nous-mêmes en quelque sorte. Il est clair que parmi ceux-là, je le répète - et je pense notamment à ceux qui sont aujourdhui stockés à la frontière macédonienne - il faudra que la communauté internationale accepte den recevoir un certain nombre. Je mets quiconque au défi de pouvoir quantifier. Nous disons aux Macédoniens que nous sommes prêts à les aider, à accueillir des réfugiés au moins pour une certaine période, le temps dy voir plus clair sur le plan diplomatique, - ne faisons pas comme si les perspectives diplomatiques étaient absentes -, le temps dapprécier ce quils veulent les réfugiés. Comment va-t-on faire le tri ? On nous met un peu au défi.
Q - Imaginons quil y ait un grand nombre de ces réfugiés qui manifestent le désir de venir en France. Allez-vous fermer la porte au bout dun certain quota ?
R - Il faut dabord que nous puissions évaluer la demande. Le Haut commissariat aux réfugiés - dont cest normalement le métier - doit apprécier ceux qui ont le plus de chance dêtre mieux accueillis, ceux qui, par exemple, ont des attaches familiales. Jen connais qui pourrait sans doute mieux trouver leur place dans certains camps de transit quon va organiser. Jen connais surtout davantage qui peuvent être accueillis dans les familles albanaises dAlbanie ou de Macédoine que jai rencontrées et qui font preuve de générosité. Voilà la réponse que fait la France. On na pas le droit de dire que la France serait fermée. Lionel Jospin sest, tout à lheure, exprimé : la France est ouverte, mais elle est ouverte en fonction de ce que veulent les réfugiés du Kosovo.
Q - Mais dans tous les cas, ces réfugiés qui seraient accueillis en France, auraient vocation, dans votre esprit, à repartir.
R - Bien sûr, puisque cest ce quils veulent. Si parmi eux, certains veulent rester, nous verrons dans quelles conditions ils peuvent sintégrer à la société française. Mais cela cest un autre débat.
(...)
Je voudrais simplement faire observer que largument du Pr Tubiana, faisant référence aux besoins de les éloigner des lieux des combats, ne me paraît pas tout à fait opérationnel, en loccurrence, car les combats en question se sont des coups de main portés contre les familles, à Pristina et dans les villages des environs. Il ny a aucun danger à être dans un camp de transit ou de rassemblement auprès de la frontière, dès lors quil est du côté macédonien ou albanais. Cest simplement la remarque que je voulais faire. Pour autant, je suis heureux que la position française soit mieux comprise aujourdhui quelle ne létait hier.
Q - Vous parlez du retour nécessaire des réfugiés chez eux mais, actuellement, on nen prend pas le chemin. Cela signifie-t-il, pour prolonger votre réflexion, que vous envisagez dautres formes dactions, par exemple, une intervention terrestre, pour assurer ce retour ?
R - Je ne préjuge pas de la suite des événements, quil sagisse du plan militaire ou diplomatique.
Q - Mais rien nest exclu.
R - Ce que nous avons dit cest quil nétait pas question que M. Milosevic gagne cette bataille quil a engagée contre les Kosovars, en procédant à lépuration ethnique et en les déportant comme nous en avons eu la preuve ces jours-ci.
Q - Donc on réfléchit...
R - Quand le ministre de lInformation de M. Milosevic dit quon ne sest jamais attaqué aux civils, quelles étaient les personnes, quels étaient les milliers de personnes que jai rencontrées à la frontière, sinon des civils, qui étaient chez eux, quand les brutes sont arrivés, les ont dépouillées, pillées et obligées à partir. Jajoute que lorsquon sarrête, quon prend lengagement, du côté yougoslave à arrêter les actions militaires et policières, je voudrais savoir si on est prêt aussi à arrêter les actions des groupes paramilitaires qui, à labri des soldats et des policiers de Milosevic terminent en quelque sorte le travail, et souvent assassinent...
Q - Cela, je comprends...
R - Cest la question quon ne peut pas ne pas se poser.
Q - Je comprends que, pour vous, la proposition de cessez-le-feu de Belgrade na aucune valeur.
R - Ce nest pas à moi den décider. Le Premier ministre fera certainement part de sa propre analyse de cette proposition. Il y a ce soir à Matignon un comité restreint, demain il y aura un Conseil restreint autour du président de la République ; cest à ce moment-là je pense que la France fera connaître sa décision. Mais je vois déjà les réserves qui vont naître par rapport à une proposition venant dun pouvoir qui a déjà tellement maltraité et méprisé les engagements quil avait pris.
Q - Justement, on va évoquer une autre perspective pour ces réfugiés. De François Leotard à Paul Quiles, en passant par les Verts, pour ne parler que de la France, celle dune zone humanitaire protégée imposée par des troupes au sol, de lONU, des Casques bleus, donc une force de paix et non de guerre : 30 à 40 000 personnes peut-être dit-on. Donc, qui ne demanderait pas un accord explicite des Serbes. Alors est-ce possible tout simplement, y a-t-il des précédents ? Les comparaisons sont difficiles. Mais voyons ce que nous enseignent trois cas récents : Bosnie, Iraq, Rwanda..
Il faut rappeler quil ne sagissait pas dépuration ethnique, les Iraquiens ne sopposaient pas forcément au retour des Kurdes. M. le Ministre, est-ce quun plan, une zone humanitaire de ce type est envisageable ou pas ?
R - Dabord vous lavez dit vous même, toute comparaison...
Q - Est difficile...
R -... Est incertaine. Il est évident que nous allons prendre en compte les expériences plus ou moins réussies auxquelles vous avez fait allusion. Il sagit surtout pour les Nations unies de rentrer en quelque sorte, davantage encore dans la partie. Cest ce que Lionel Jospin espérait dailleurs dans son intervention à lAssemblée nationale tout à lheure : les Nations unies y compris les Russes, qui ont certainement un rôle important à jouer dans la recherche dune solution, à la fois diplomatique et humanitaire en loccurrence. Je crois quil ne faut pas écarter a priori une telle solution. On a vu quelle nétait pas toujours une garantie de succès.
Q - Mais il faut aller dans ce sens...
R - ... Si lONU et en particulier lensemble des acteurs essentiels, - je pense aux Russes en particulier -, semploient à la recherche dune telle solution, pourquoi pas.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 avril 1999)
Michel Tubiana, vice-président de la Ligue des Droits de lHomme est avec nous. Dans un instant, très concrètement nous verrons aussi ce que peut signifier cette zone humanitaire protégée quon évoque de plus en plus ; on verra quelles ont été les dernières expériences menées au Rwanda, en Iraq ou en Bosnie. Dabord, on va se poser une question simple : quel est le sentiment des réfugiés eux-mêmes.
On avait cru comprendre que la France fermait la porte aux réfugiés ; Lionel Jospin a, à lAssemblée, annoncé que cette porte était au moins entrouverte. Pouvez-vous nous dire exactement ce que cela signifie ? Pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur par exemple ? Combien de réfugiés êtes-vous prêt à accepter en France ?
R - Laissez-moi dabord vous dire combien japprécie ce qua dit votre correspondant spécial à linstant. Cest exactement le sentiment que jai eu moi-même en rencontrant ces réfugiés. Plusieurs dentre eux, comme on la dit aussi, se sont mis en mouvement sous la brutalité de M.Milosevic et de ses sbires depuis déjà plusieurs mois et leur ambition nest pas de partir ailleurs :
cest de rentrer chez eux.
La question qui se pose à la France, comme aux alliés dailleurs qui sont entrés dans cette affaire, est de savoir si nous les aidons à rentrer chez eux, quitte à les aider à vivre pendant quelque temps près de chez eux ou si, déjà, nous essayons de les disperser aux quatre coins du monde. Je crois que cest important de répondre déjà à cette première question.
Les départs presque obligés auxquels on a procédés en Macédoine, il y a quelques heures, en direction de la Turquie ont révélé des images atroces, de femmes, denfants qui refusent de partir. Je crois quil ne faut pas que nous soyons dans cette situation. Quelle est la position de la France ? Je me garderai bien de quantifier, car il faudrait que je puisse répondre à la question :
quels sont les Kosovars qui, par exemple, veulent rejoindre leur famille en France, parce quils y ont des attaches familiales. Il est évident quà ceux-là la porte est ouverte : sils en font la demande, nous avons un dispositif législatif qui le permet. Nous disons aussi à ceux qui sont blessés, handicapés, qui réclament des soins spécifiques, que nous sommes prêts à les accueillir.
Q - Cela veut dire que vous raisonnez, a priori, en centaines de personnes ou en milliers de personnes, voire en dizaines de milliers comme lAllemagne, qui parle de 40 000 personnes ?
R - Non. Je crois que cest plutôt en milliers de personnes quil faut sans doute raisonner...
Q - Autour de 5 000 personnes
R - Nous ne raisonnons pas exactement de manière quantitative si vous voulez. On est quand même là pour aider à régler les problèmes que les réfugiés nous posent et pas ceux quon voudrait, à lavance régler, pour nous-mêmes en quelque sorte. Il est clair que parmi ceux-là, je le répète - et je pense notamment à ceux qui sont aujourdhui stockés à la frontière macédonienne - il faudra que la communauté internationale accepte den recevoir un certain nombre. Je mets quiconque au défi de pouvoir quantifier. Nous disons aux Macédoniens que nous sommes prêts à les aider, à accueillir des réfugiés au moins pour une certaine période, le temps dy voir plus clair sur le plan diplomatique, - ne faisons pas comme si les perspectives diplomatiques étaient absentes -, le temps dapprécier ce quils veulent les réfugiés. Comment va-t-on faire le tri ? On nous met un peu au défi.
Q - Imaginons quil y ait un grand nombre de ces réfugiés qui manifestent le désir de venir en France. Allez-vous fermer la porte au bout dun certain quota ?
R - Il faut dabord que nous puissions évaluer la demande. Le Haut commissariat aux réfugiés - dont cest normalement le métier - doit apprécier ceux qui ont le plus de chance dêtre mieux accueillis, ceux qui, par exemple, ont des attaches familiales. Jen connais qui pourrait sans doute mieux trouver leur place dans certains camps de transit quon va organiser. Jen connais surtout davantage qui peuvent être accueillis dans les familles albanaises dAlbanie ou de Macédoine que jai rencontrées et qui font preuve de générosité. Voilà la réponse que fait la France. On na pas le droit de dire que la France serait fermée. Lionel Jospin sest, tout à lheure, exprimé : la France est ouverte, mais elle est ouverte en fonction de ce que veulent les réfugiés du Kosovo.
Q - Mais dans tous les cas, ces réfugiés qui seraient accueillis en France, auraient vocation, dans votre esprit, à repartir.
R - Bien sûr, puisque cest ce quils veulent. Si parmi eux, certains veulent rester, nous verrons dans quelles conditions ils peuvent sintégrer à la société française. Mais cela cest un autre débat.
(...)
Je voudrais simplement faire observer que largument du Pr Tubiana, faisant référence aux besoins de les éloigner des lieux des combats, ne me paraît pas tout à fait opérationnel, en loccurrence, car les combats en question se sont des coups de main portés contre les familles, à Pristina et dans les villages des environs. Il ny a aucun danger à être dans un camp de transit ou de rassemblement auprès de la frontière, dès lors quil est du côté macédonien ou albanais. Cest simplement la remarque que je voulais faire. Pour autant, je suis heureux que la position française soit mieux comprise aujourdhui quelle ne létait hier.
Q - Vous parlez du retour nécessaire des réfugiés chez eux mais, actuellement, on nen prend pas le chemin. Cela signifie-t-il, pour prolonger votre réflexion, que vous envisagez dautres formes dactions, par exemple, une intervention terrestre, pour assurer ce retour ?
R - Je ne préjuge pas de la suite des événements, quil sagisse du plan militaire ou diplomatique.
Q - Mais rien nest exclu.
R - Ce que nous avons dit cest quil nétait pas question que M. Milosevic gagne cette bataille quil a engagée contre les Kosovars, en procédant à lépuration ethnique et en les déportant comme nous en avons eu la preuve ces jours-ci.
Q - Donc on réfléchit...
R - Quand le ministre de lInformation de M. Milosevic dit quon ne sest jamais attaqué aux civils, quelles étaient les personnes, quels étaient les milliers de personnes que jai rencontrées à la frontière, sinon des civils, qui étaient chez eux, quand les brutes sont arrivés, les ont dépouillées, pillées et obligées à partir. Jajoute que lorsquon sarrête, quon prend lengagement, du côté yougoslave à arrêter les actions militaires et policières, je voudrais savoir si on est prêt aussi à arrêter les actions des groupes paramilitaires qui, à labri des soldats et des policiers de Milosevic terminent en quelque sorte le travail, et souvent assassinent...
Q - Cela, je comprends...
R - Cest la question quon ne peut pas ne pas se poser.
Q - Je comprends que, pour vous, la proposition de cessez-le-feu de Belgrade na aucune valeur.
R - Ce nest pas à moi den décider. Le Premier ministre fera certainement part de sa propre analyse de cette proposition. Il y a ce soir à Matignon un comité restreint, demain il y aura un Conseil restreint autour du président de la République ; cest à ce moment-là je pense que la France fera connaître sa décision. Mais je vois déjà les réserves qui vont naître par rapport à une proposition venant dun pouvoir qui a déjà tellement maltraité et méprisé les engagements quil avait pris.
Q - Justement, on va évoquer une autre perspective pour ces réfugiés. De François Leotard à Paul Quiles, en passant par les Verts, pour ne parler que de la France, celle dune zone humanitaire protégée imposée par des troupes au sol, de lONU, des Casques bleus, donc une force de paix et non de guerre : 30 à 40 000 personnes peut-être dit-on. Donc, qui ne demanderait pas un accord explicite des Serbes. Alors est-ce possible tout simplement, y a-t-il des précédents ? Les comparaisons sont difficiles. Mais voyons ce que nous enseignent trois cas récents : Bosnie, Iraq, Rwanda..
Il faut rappeler quil ne sagissait pas dépuration ethnique, les Iraquiens ne sopposaient pas forcément au retour des Kurdes. M. le Ministre, est-ce quun plan, une zone humanitaire de ce type est envisageable ou pas ?
R - Dabord vous lavez dit vous même, toute comparaison...
Q - Est difficile...
R -... Est incertaine. Il est évident que nous allons prendre en compte les expériences plus ou moins réussies auxquelles vous avez fait allusion. Il sagit surtout pour les Nations unies de rentrer en quelque sorte, davantage encore dans la partie. Cest ce que Lionel Jospin espérait dailleurs dans son intervention à lAssemblée nationale tout à lheure : les Nations unies y compris les Russes, qui ont certainement un rôle important à jouer dans la recherche dune solution, à la fois diplomatique et humanitaire en loccurrence. Je crois quil ne faut pas écarter a priori une telle solution. On a vu quelle nétait pas toujours une garantie de succès.
Q - Mais il faut aller dans ce sens...
R - ... Si lONU et en particulier lensemble des acteurs essentiels, - je pense aux Russes en particulier -, semploient à la recherche dune telle solution, pourquoi pas.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 avril 1999)