Interview de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, à Radio Classique le 3 mars 2009, sur l'impact des mesures de protection de l'environnement sur le développement économique, l'économie verte, ainsi que sur le lancement du Grenelle de la mer.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

J.-L. Hees.- Vous êtes notre nouvelle secrétaire d'Etat à l'Ecologie. Je me demandais comment on abordait ce genre de fonction, vu la période. On vient de l'entendre, il y a une crise qui est assez gigantesque et je me demandais si l'écologie, le souci écologique pouvait résister dans un gouvernement quand il faut, par exemple, faire face au danger du chômage. Est-ce qu'on réussit à garder le cap du Grenelle ?
 
Au contraire, je pense qu'il est plutôt conforté, parce que la crise que l'on vit c'est une crise de la logique financière à tous crins, où ce qui est prédominant c'est la recherche du gain à tous crins, et on s'est vraiment éloigné des fondamentaux et des principes de base, des principes d'équilibre. Et au contraire, il est plutôt conforté, d'une part parce qu'on avait fait le Grenelle avant cette crise, avant de rentrer dans cette crise. Et le Grenelle, si on y pense bien, c'est quand même le premier vrai grand plan de développement, le premier grand plan de développement en Europe. Vous savez qu'on programme 440 milliards d'investissements jusqu'en 2020, ça fait 550.000 emplois supplémentaires. Et puis dans le cadre du plan de relance une très grosse partie va justement à l'investissement écologique. On met grosso modo cinq milliards sur les quatorze milliards d'investissements, parce que les autres ce sont des mesures de crédit pour les entreprises. Donc, au contraire, c'est conforté parce que les principes que l'on porte sont confortés malheureusement par cette crise.
 
Alors, c'est un peu difficile à dire comme ça, mais au fond la crise, c'est peut-être une chance, en tout cas c'est ce que semble dire quelqu'un comme Obama, par exemple.
 
Absolument !
 
Je crois que les Etats-Unis vont mettre 150 milliards de dollars en cinq ans, ce qui est énorme.
 
Absolument ! C'est ce qu'il dit, c'est ce qu'on dit d'ailleurs, il faut changer le modèle de développement, il faut arrêter... On ne parle pas uniquement de Grenelle. Ce qu'a voulu le président de la République, c'est vraiment modifier les fondements économiques et sociaux de notre société. On parle beaucoup des différentes mesures qui ont été prises, on ne parle pas suffisamment des principes, et notamment ce premier principe qui est celui de l'inversion de la charge de la preuve. Auparavant, quand vous faisiez une route et qu'il y avait sur cette route un espace naturel tout à fait particulier, grosso modo on demandait, "est-ce que c'est vraiment intéressant de le protéger ?". Maintenant, c'est l'inverse, on se demande, "est-ce que c'est vraiment intéressant de faire une route ?". C'est ça l'inversion de la charge de la preuve : c'est aux projets non écologiques de prouver leur intérêt. Il y a des tas de principes qui ont été posés dans le cadre du Grenelle et qui doivent complètement restructurer notre société. C'est pour ça que la réflexion qui est menée actuellement sur le PIB par Stiglitz et Amartya Sen, est une réflexion fondamentale. Il faut sortir de cette logique où la recherche financière, l'aspect financier domine sur les fondamentaux.
 
Mais je vais poser une autre question : est-ce que l'écologie ça peut rapporter des sous ? C'est trivial un peu comme question mais...
 
Mais bien sûr ! D'ailleurs, la plupart des grands pays, pays européens et les Etats-Unis - aujourd'hui encore au stade de déclarations, mais des déclarations très fortes -, tablent bien sur le développement durable et sur l'écologie pour sortir de crise et pour créer un nouveau modèle de développement et de croissance. Quand on parlait du Grenelle de l'environnement à très court terme, c'est un point de PIB. A l'inverse, si on ne le fait pas - et ça c'est peut-être aussi important - si on ne le fait pas, les risques économiques sont extrêmement lourds.
 
Oui, mais le temps politique n'est pas tout à fait le même que celui de la planète et du développement durable. A chaque fois qu'on prend une mesure, finalement, on touche un intérêt soit économique, soit industriel. Je pense au mercure par exemple, je sais qu'il y a un chantier dans l'Isère, enfin où on s'inquiète des taux de mercure dans la région, alors il faut sauver l'emploi, il y a des usines, il y a de gens qui ont besoin de travailler, de poursuivre leur activité. Comment on fait ? Ou les ampoules basse tension, il y a du mercure dedans, il y a toujours un problème comme ça.
 
Il y a toujours un problème et il faut s'inscrire dans le long terme. Là, vous évoquez deux cas particuliers.
 
Mais c'est le mécanisme qui m'intéresse...
 
Je voudrais quand même rassurer : dans les ampoules basse consommation, il y a 0,003 gramme de mercure.
 
Bon, ça va ! On ouvre les fenêtres si ça casse, c'est ça ?
 
Voilà, il faut ouvrir les fenêtres, effectivement, si ça casse. On a structuré tout notre modèle de société sur le pétrole, c'est l'alpha et l'oméga de notre modèle de société. Il faut savoir que tout le monde est d'accord pour dire qu'en 2030 le baril sera entre 150 et 300 dollars. C'est énorme ! On a vaguement atteint ces chiffres-là l'année dernière, ça a créé de grosses difficultés dans la plupart des secteurs. Donc, là, on investit pour l'avenir. L'enjeu, c'est 2020 et ensuite 2050, grosso modo, notre perspective d'investissement. C'est pour ça que le Grenelle c'est vraiment une feuille de route, c'est une stratégie pour l'ensemble de la Nation. Donc on ne va pas dire du jour au lendemain, "on arrête tout, on fait table rase", ce n'est pas possible, ça sert à rien. En plus, regardez, il y a 60 % des Français qui tous les jours utilisent leur voiture pour aller travailler. On va pas leur dire demain, "écoutez, on va tripler le prix de l'essence, et puis vous verrez bien ce qu'il en sera, vous trouverez d'autres solutions", non, c'est pas comme ça que ça se passe. On crée des voitures qui consomment beaucoup moins, qui ne consomment plus d'essence, qui consomment de l'électricité, et on les met sur le marché et l'Etat commande pour que le prix de ces voitures baisse, et comme ça le particulier peut s'y retrouver.
 
Alors, je prends un autre exemple. C'est le processus qui m'intéresse parce que, par exemple, le Gouvernement vient de lancer l'éco prêt, donc c'est une bonne idée, jusqu'à 30.000 euros, on peut avoir un prêt à taux zéro si on améliore les performances de sa maison - chauffage, isolation, etc. Mais on me dit qu'il y a des lobbies, ici et là, et par exemple il y a le lobby des gens qui fabriquent des radiateurs électriques. Donc, ceux-là, ils viennent vous voir, ils vous disent, "non, c'est pas possible, nous on peut pas faire ça", même si c'est écologiquement une aberration le radiateur électrique ?
 
Bien sûr qu'il y a toujours des lobbies, mais on est tous des lobbies. On peut considérer que le milieu de la presse est un lobby, le milieu... On a tous nos intérêts, si c'est ça être un lobby. Donc c'est normal que les uns et les autres réagissent. Moi, ça ne me choque absolument pas, on est là au contraire pour discuter. Ceux qui font du chauffage électrique, ils vont se reconvertir dans les pompes à chaleur et on va laisser le temps pour que ça se fasse. Sur le chauffage électrique, c'est un autre sujet puisque ça touche notamment les normes de construction que l'on veut pour 2012. Ces normes de construction, on voudrait qu'elles soient grosso modo à 50 KWh du mètre carré. Cela veut dire que par rapport à la situation actuelle, on diviserait quasiment par trois la consommation d'énergie dans le neuf. Donc, d'ici là, qu'est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire que le particulier verra sa facture divisée par trois.
 
Est-ce qu'on va y arriver ? Je crois que c'est à l'horizon 2020 - parce que je me perds un peu dans tous les chiffres -, où on doit réduire en gros notre consommation d'un tiers, non, c'est ça ?
 
Oui, alors les progrès sont quand même fulgurants. Quand on a commencé le débat du Grenelle sur les bâtiments, tout le monde nous disait, - moi j'avais d'autres fonctions -, "ce n'est pas possible". Nous, à l'Ademe, on avait fait des démonstrateurs, on avait fait des recherches, on avait vu que c'était possible. Dans un bâtiment, dans une maison, prenons ce fameux éco prêt à taux zéro dont vous parliez tout à l'heure, on a fait une estimation sur une maison classique de 100 m², du côté d'Angers - puisque la localisation compte beaucoup -, où on fait plus de 27.000 euros de travaux en faisant de l'isolation par l'extérieur, en changeant les fenêtres, en changeant la chaudière. Donc 27.000 euros de travaux, donc on rentre dans l'enveloppe de l'éco prêt à taux zéro. On réduit de 67 % la facture d'énergie, donc on réduit évidemment d'autant la consommation d'énergie et les émissions de CO2. Donc, vous voyez, c'est possible, c'est techniquement possible. Prenons les voitures, c'est un autre exemple : avec le bonus-malus, on a aujourd'hui des taux d'émission de gaz à effet de serre sur les véhicules neufs vendus qui sont de 140 grammes de CO2. Cela ne vous dira rien dans l'absolu, mais pour vous donner simplement une base, nous étions il y a moins d'un an à 148 grammes, on a gagné 8 grammes. Or, pour gagner 8 grammes, il nous avait fallu plus de dix ans auparavant, et nos amis Européens ils sont à 160 grammes en moyenne. Donc, simplement, voilà, pour vous dire que c'est possible. On a les ressources techniques, c'est souvent un problème de volonté, c'est un problème de comportement, et c'est un problème de croyance dans ce qu'on fait.
 
"Yes, we can ?"
 
... Yes, we can !
 
Si j'ai bien compris, c'est ça l'idée. Les téléphones portables, vous souhaitez, vous, qu'on fasse très attention aux enfants de moins de six ans, et puis même un peu après pour respecter un principe de précaution. Mais donc, pareil, là, les fabricants de téléphone viennent pas vous dire, "madame la ministre, vu l'époque..."
 
Si les fabricants de téléphone viennent m'expliquer qu'il faut que des enfants de moins de six ans aient absolument un téléphone portable, là je m'inquiéterais beaucoup sur les valeurs de notre société. En quoi est-ce qu'un enfant de moins de six ans a besoin d'un téléphone portable ? Moi, j'ai des enfants de moins de six ans, ça ne m'a même pas traversé l'esprit. Si c'est pour avoir un petit dispositif de sécurité ou pour être sûr, un dispositif d'alerte ce n'est pas nécessairement un téléphone portable. Donc je vois pas l'intérêt pour eux d'avoir un téléphone portable, et à l'inverse il y avait une étude de l'Agence française de sécurité sanitaire, qui date de 2005, qui dit très clairement qu'on n'a pas suffisamment d'études scientifiques aujourd'hui pour trancher dans un sens ou dans l'autre sur les dangers du téléphone portable. Et donc, elle recommandait la prudence pour les enfants. Donc, c'est un principe de prudence, et un peu de rationalité, un enfant de moins de six ans, je ne suis pas sûre qu'il ait vraiment besoin d'un téléphone portable. Alors, à l'inverse, après il y a les moins de 12 ans, c'est l'autre catégorie. A 12 ans, pour moi, on est adolescent, on a déjà une grande forme d'autonomie. Pour ces enfants-là, ce qu'il faut, ce sont des oreillettes que l'on utilise à chaque fois qu'on a notre téléphone, parce que le principe c'est d'éloigner le téléphone de l'oreille tout simplement, c'est en ça qu'il est moins dangereux. Si on peut intégrer ces oreillettes et faire qu'on ne puisse pas utiliser le téléphone sans oreillette, on a trouvé la solution.
 
J'imagine tout de même que vous avez de longues journées à votre ministère parce que ça touche, enfin le secrétariat d'Etat à l'Ecologie.
 
Ça touche à tout, oui...
 
Il y a, je crois - on emploie le mot "Grenelle" à peu près pour... on le met à toutes les sauces -, il y a un Grenelle de la mer, non, qui est lancé. Donc, ça, ce sont des dossiers extrêmement rudes, quand on voit le malaise des pêcheurs. Et j'en reviens à la question de départ : est-ce que l'opinion est prête à accepter cette logique qui concerne le long terme quand il faut payer le fuel, les dettes du bateau, et qu'il faut pêcher ?
 
Le Grenelle de la mer, il a été lancé parce que pendant le Grenelle, il y avait déjà eu des réflexions sur la mer, et tous les acteurs autour de la table se sont dit qu'il faut aller beaucoup plus loin. La France est un pays extraordinaire, mais alors on ne le sait pas suffisamment, on a le deuxième domaine maritime mondial. Grâce à l'Outre-mer, on a trente frontières avec des pays étrangers, on a 20 % des atolls mondiaux. On est vraiment une réserve de biodiversité extraordinaire. Alors, les pêcheurs, eux, leur intérêt c'est très simple, c'est qu'il puisse continuer à vivre, c'est qu'ils puissent continuer à pêcher. Et l'autre jour, justement, je voyais un pêcheur d'huîtres qui me disait, "mais moi, au contraire, j'ai tout intérêt à ce que vous faites pour protéger ma ressource". Il n'y a pas d'antinomie entre l'un et l'autre. C'était la même question avec les agriculteurs : au début du Grenelle, "on a dit "ouh la la", c'est totalement impossible, vous n'y arriverez pas". Au contraire, je ne sais pas si vous êtes allé au Salon de l'agriculture, il est marqué développement durable.
 
Trop tard, l'année prochaine...
 
Mais c'est un public que j'adore moi, les agriculteurs - j'en viens, c'est pour ça. Et au contraire, c'était les premiers à dire qu'on peut réduire les produits dangereux, les produits dits phytosanitaires, donc les engrais et les pesticides, on peut passer à un autre modèle de développement de l'agriculture, et on a y a intérêt parce qu'il faut, ne serait-ce que protéger notre patrimoine, le sol, pour pouvoir durablement faire de l'agriculture.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 mars 2009