Texte intégral
Je suis très heureuse de vous retrouver pour la présentation de la Semaine de la langue française qui aura lieu du 16 au 23 mars. Elle va mobiliser cette année encore de très nombreux acteurs de notre vie culturelle sur tout le territoire et dans les centres et instituts culturels français à l'étranger.
Il y a une passion française bien réelle pour la langue, une passion profondément enracinée dans l'histoire, qui a fait d'elle un élément constitutif de notre identité. « La langue française est le produit en même temps que le document le plus parfait de notre tradition nationale », écrivait Paul Claudel. Cette passion est partagée bien au-delà de nos frontières, comme en témoignent les nombreux artistes et écrivains étrangers qui ont choisi de vivre en France mais aussi de s'exprimer dans notre langue. Je pense bien sûr à Atiq Rahimi, qui nous fait le plaisir d'être présent aujourd'hui parmi nous. Vous avez remporté le Goncourt 2008 pour votre très beau roman Syngué Sabour, que vous avez choisi d'écrire en français. Ce choix est un honneur pour notre langue et pour notre pays.
Cette passion de la langue française est aussi due, à mon sens, à une certaine idée de la langue propre à notre pays, je dirais une idée française de la langue. Cette idée est que la langue n'est pas un simple outil de communication destiné à faciliter les échanges, à permettre une circulation efficace des informations et des produits. Si tel était le cas, les langues seraient de simple codes interchangeables, et nous pourrions alors nous contenter d'un idiome unique, limité à l'expression des besoins nécessaires.
Nous pensons au contraire qu'une langue porte un point de vue sur le monde, et qu'à ce titre, elle est aussi, et peut-être d'abord, l'expression d'une culture, d'une histoire, d'une civilisation. En ce sens, chaque langue est unique, chaque locuteur en est le dépositaire. On a beaucoup dénoncé en France les dangers d'une « marchandisation » de la culture. Il en est de même avec la langue: notre conception de la langue n'est pas exclusivement utilitaire, elle est fondamentalement culturelle.
C'est tout le sens du combat que nous portons en faveur de la diversité linguistique. Combat qui a été au coeur de la présidence française de l'Union européenne, avec l'organisation des Etats généraux du multilinguisme.
C'est tout le sens également du rattachement de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France à ce ministère. J'ai d'ailleurs veillé, dans le cadre de la réforme du ministère, à conforter son statut et son autorité, en la plaçant directement à mes côtés, et à en renforcer le caractère interministériel, qui correspond à son histoire et à sa vocation profonde.
C'est enfin le sens de la politique que nous menons pour garantir à tous nos concitoyens un droit à l'expression et à l'information en langue française. Il n'y a rien de rétrograde dans cette exigence, mais au contraire une volonté de faire de la langue française un facteur essentiel de la cohésion sociale, dont notre pays a plus que jamais besoin. Nous connaissons tous le mot d'Albert Camus : « J'ai une patrie, la langue française » !
Pour mettre en valeur nos monuments, nous les ouvrons au public à chaque rentrée, pour mettre en valeur nos musées, nous leur dédions une Nuit chaque année. Comment mettre en valeur la langue, que nous pensons bien connaître, puisque nous la pratiquons au quotidien ? En invitant nos concitoyens à l'explorer, à la redécouvrir pendant une semaine au début du printemps. Sans programme préétabli, mais avec une règle du jeu, qui a déjà fait ses preuves : 10 mots proposés au public chaque année, pour apprendre, pour jouer, pour échanger.
Cette année, ils témoignent chacun à leur manière de la capacité de la langue française à exprimer l'avenir, tout en illustrant la complexité des nouveaux enjeux auxquels nous devons répondre. 10 mots pour dire demain, ses promesses et ses défis !
Conserver, vouloir rendre pérenne, est-ce nécessairement renoncer à transformer ? Notre envie d'ailleurs est-elle compatible avec notre besoin d'enracinement ? A l'heure où tout est accessible d'un simple clic, que signifie désirer ? Peut-on exprimer une vision du monde dans une société en perpétuel changement ? Autant de questions auxquelles renvoient les dix mots de la Semaine. Les manifestations organisées dans ce cadre -qui résultent d'ailleurs pour l'essentiel d'initiatives privées -, ne prétendent pas apporter des réponses figées, uniques, mais laissent à chacun le soin d'élaborer les siennes.
Vous l'aurez sans doute observé, chacun de ces mots trouve également un écho particulier dans la sphère culturelle, dans les missions de ce ministère qui célèbre cette année ses cinquante ans. Pérenne renvoie à l'effort que l'humanité ne cesse de conduire pour constituer un patrimoine et lui permettre d'échapper à l'oubli. Désirer, transformer, vision sont autant de termes pour désigner quelques-unes des caractéristiques de toute création artistique. Capteur, clic compatible nous introduisent dans l'univers des nouvelles technologies, des médias et des industries culturelles. Porteur de grands espoirs pour l'humanité, génome est emprunté à la culture scientifique. Quant à clair de Terre, il nous rappelle, sur un mode poétique, que la fascination de l'ailleurs reste intacte et inspire tout artiste.
Cette édition de la Semaine est donc particulièrement riche en développements. Les milliers de projets auxquels elle donne lieu en France comme hors de nos frontières prouvent qu'il s'agit d'un rendez-vous auquel le public est très attaché.
Nos partenaires ne s'y sont d'ailleurs pas trompés et je voudrais remercier ici tous ceux qui ont décidé de nous accompagner dans cette aventure. Le ministère de l'Education nationale, qui cette année encore organise un concours scolaire, qui sera primé à l'Académie française. France Télévisions, qui diffusera des pastilles audiovisuelles sur toutes ses chaînes. RFI, qui consacrera à la Semaine une série d'émissions, et TV5-Monde, qui a fait brillamment le choix de l'innovation en proposant un site consacré aux dix mots sur la téléphonie mobile. Le groupe l'Express, qui mettra en scène nos dix mots sur le stand du « Camion des mots ». Les dictionnaires Le Robert, enfin, dont l'expertise nous éclaire et dont la fidélité nous touche.
Je n'oublie pas non plus qu'avec le concours du ministère des Affaires étrangères et européennes, dont je salue les représentants, la langue française sera fêtée partout à l'étranger. Et je me réjouis que nos partenaires de la francophonie nous accompagnent dans cette aventure.
Le temps est venu maintenant pour moi de passer la parole aux personnalités qui ont bien voulu « parrainer » un des dix mots. Par ce geste, elles témoignent de leur attachement à notre langue et permettent à cette opération de toucher un plus vaste public encore. Qu'elles en soient très chaleureusement remerciées.
Parmi elles, des écrivains, bien sûr, mais aussi des journalistes, des animateurs, des stylistes, une comédienne, un musicien, un chef cuisinier...
Le terme « ailleurs » a été choisi par trois grands voyageurs : Sapho, qui embrasse et exalte cet « ailleurs » dans ses chansons ; Atiq Rahimi, qui nous le fait découvrir dans ses romans et ses films ; et Titouan Lamazou, qui l'explore et le croque avec talent dans ses magnifiques carnets de voyage.
Samuel Etienne a noté qu'il n'y a qu'un pas - en l'occurrence une lettre à déplacer - de « capteur » à « capture ».
Le « clair de terre » a inspiré Nicolas Sirkis - pour sa musicalité et sa poésie sans doute. Ainsi que Nora Arnezeder, à qui il a rappelé certaine lumière sur un tournage.
Pierre Assouline a éprouvé la frayeur de l'homme de plume et de lettres face à la machine, en se mesurant au mot « clic ».
Guy Martin a vu derrière le mot « compatible » d'infinis plaisirs et surprises pour le palais, et Hervé Di Rosa pour la vue.
Nathalie Garçon et Patrick Poivre d'Arvor déclinent le verbe « désirer » au masculin et au féminin, dans la mode et la littérature.
Jean Metellus déroule pour nous la mystérieuse chaîne du génome.
Le terme « pérenne » a été choisi par Périhane Cochin pour ses promesses et ses contradictions.
Anne Valerie Hash, qui a révolutionné la mode en décidant un jour qu'un pantalon pourrait devenir robe, a choisi le mot « transformer ». Tout comme Isabelle Giordano, qui aime son énergie. Ainsi qu'Orlan, artiste de la métamorphose.
Enfin, Bernard Werber a disséqué le mot « vision » avec une précision d'entomologiste pour en dévoiler les multiples significations.
Merci à vous tous d'avoir joué le jeu et de lancer ainsi avec éclat cette Semaine dédiée à notre langue.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 13 mars 2009