Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à LCI le 6 mars 2009, sur la poursuite des négociations sur le statut des enseignants chercheurs et l'autonomie universitaire.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


 
 
C. Barbier.- Vous êtes en train de réécrire votre décret, en négociation, sur le statut des enseignants-chercheurs. Normalement, on sort de la crise aujourd'hui, vous l'espérez vraiment ?
 
Je crois que sur cette question du statut des enseignants-chercheurs, il faut progresser par le dialogue, et je crois qu'on trouvera les voies de passage pour rassurer les enseignants-chercheurs, les universitaires, pour leur donner les garanties que l'autonomie pour eux ça va bien se passer par le dialogue et pas par le blocage.
 
Est-ce que c'est aujourd'hui, vendredi, que vous pouvez espérer un appel à la fin du mouvement ?
 
En tout cas, nous nous donnons tous les moyens avec les organisations syndicales représentatives, de trouver la voie de passage qui, dans le plus large consensus, parce que c'est mon objectif, le plus large consensus, nous permettra de rétablir la confiance. Parce que, ce qui s'exprime dans la rue, et c'est très perceptible, c'est une forme de défiance. Alors, une forme de défiance vis-à-vis d'un pouvoir politique qui a délaissé l'université depuis 40 ans, et dont les preuves d'amour et l'engagement vis-à-vis de l'université aujourd'hui, qui est un engagement totalement inédit, il n'est pas encore totalement perceptible ou en tout cas pas complètement crédible, parce que depuis 40 ans, les politiques ne sont pas occupés de l'université. Mais il y a aussi une défiance plus sourde, qui est une défiance à l'intérieur de l'université, entre les universitaires eux-mêmes, entre les disciplines, entre les composantes de l'université et les présidents de l'université, etc. Et cette défiance-là, il faut que le statut, le nouveau statut des enseignants-chercheurs permette de fixer des règles et un cadre protecteur qui permettent de la dissiper.
 
Il ne reste quand même pas grand-chose de votre réforme initiale, c'est-à-dire, de la première version de ce statut des enseignants-chercheurs ?
 
Je crois qu'il en reste beaucoup de choses qui sont essentielles pour moi. La première chose, c'est la souplesse. Vous savez que le statut date de 1984, et il ne prenait pas du tout en compte toutes les activités des enseignants-chercheurs. On parlait simplement de "la présence devant les élèves". Or, aujourd'hui il y a le tutorat, il y a l'Internet, il y a la formation professionnelle. Donc, la souplesse. L'évaluation ; l'évaluation nationale par les paires de toutes les activités des enseignants-chercheurs, ça c'est vraiment, j'allais dire, un grand changement...
 
Alors justement, ça devait être une évaluation locale...
 
...Et puis, et puis... pardon, un grand plan de revalorisation des carrières, que les universités n'ont pas encore perçu mais qui va être rendu possible, si nous adoptons ce décret.
 
Sur l'évaluation, ce sont les présidents qui devaient avoir la main, chacun dans son université. Maintenant, non, ça sera une évaluation nationale, on n'a rien changé ?
 
Non, non, non. L'évaluation n'a jamais été locale dans le décret. Il y avait une disposition transitoire qui a généré des malentendus, on a cru que l'évaluation pouvait être locale. Il n'y a jamais eu d'évaluation locale dans les faits. L'évaluation peut être nationale, mais aujourd'hui elle n'est pas nationale. Aujourd'hui, un enseignant-chercheur, en tout cas sur ses travaux de recherche et ses activités d'enseignement, activités d'enseignement : zéro évaluation aujourd'hui ; activité de recherche : des évaluations seulement si les enseignants-chercheurs demandent une promotion.
 
Sur la promotion, justement, des enseignants-chercheurs, c'est l'un des débats d'aujourd'hui, est-ce qu'elle sera décidée au niveau local, par le président de l'université, il donne une promotion, ou est-ce qu'elle sera décidée au niveau national ?
 
C'est aujourd'hui le point de désaccord qu'il reste à voir. Sur cette question des promotions, il faut revenir à ce que le statut doit apporter. Le statut doit apporter davantage de transparence, davantage de garantie contre le localisme, contre les mauvaises pratiques, et il doit en même temps montrer que nous faisons confiance aux universités pour faire des promotions de bonne qualité. Donc, il faut trouver...
 
C'est-à-dire, les présidents donnent une promotion mais ça doit être validé pour vérifier que ce n'est pas du népotisme ?
 
Aujourd'hui, tout est ouvert. Il y a une négociation ce matin dans mon ministère, et ce n'est pas à moi de préempter les résultats de cette négociation.
 
Tout est ouvert, y compris ce que réclament certains, c'est-à-dire, on revient en arrière, on met un terme à la loi sur l'autonomie, on renonce au principe d'autonomie que vous avez fait voter ?
 
Non, mais parce que...
 
Certains le réclament !
 
Mais le statut des enseignants-chercheurs c'est une étape supplémentaire après l'autonomie.
 
Est-ce qu'on remonte le temps ou non ?
 
Parce que, parce que, une bonne université, c'est une université qui, face à la richesse humaine de ses universitaires, leur donne des carrières épanouissantes, leur donne des perspectives, et les met aux bons endroits, là où les étudiants en ont besoin, là où les laboratoires en ont besoin. Donc, ça veut dore, ça veut dire... Et puis qui tient compte de leurs projets personnels, leurs projets professionnels. Donc, ça veut dire que le statut c'est un plus par rapport à l'autonomie. Et j'ajoute que, quand on fait l'autonomie, il faut donner avec le statut national des garanties parce que les universitaires ont un principe d'indépendance, qui est un principe constitutionnel.
 
L'autonomie, le principe d'autonomie, n'est pas négociable ?
 
Mais l'autonomie est dans les faits. Il y a 20 universités autonomes aujourd'hui. Qui s'en est rendu compte ? ! Si on ne s'en est pas rendu compte c'est que ça marche, c'est qu'on a fait les efforts d'accompagnement nécessaires pour que ça fonctionne. Et aujourd'hui, les 20 universités autonomes, vous n'entendez pas, ni leurs personnels, ni leurs enseignants-chercheurs se plaindre de comment ça se passe.
 
Pas de suppressions de postes en 2010, ni en 2011, sans doute pas en 1012 à cause de la présidentielle. Enfin bref, malgré la baisse démographique, la réforme de l'Etat et la baisse des dépenses publiques, c'est fini pour l'enseignement supérieur, plus d'efforts ?
 
Il faut savoir que l'enseignement supérieur a toujours été traité à part depuis 2007. Pourquoi ? C'est parce que depuis 40 ans, on avait fait... on avait délaissé l'université, donc il y avait un manque de moyens, humains et financiers dans l'université. En 2008, on a été sanctuarisés, on a eu tous nos postes remplacés ; en 2009, il y a eu, là encore, une exception pour l'enseignement supérieur, puisqu'on n'a pas remplacé un emploi sur douze au lieu de un sur deux. Pour 2010 et 2011, je crois que l'ampleur des réformes, autonomie, plan pour la réussite des étudiants en licence, plan pour la masterisation, la formation des maître à bac + 5, plan campus, tout ce qui est réforme que nous faisons à l'université occasionne un surcroît de travail qui justifie qu'on sanctuarise. Et j'ajoute que - et j'ajoute ! que des suppressions de postes en même temps qu'on change de statut, ça risquait de compromettre la réforme parce que les universitaires pensaient que le statut, le nouveau, était là pour avaliser et permettre des suppressions de postes, ce qui n'est évidemment n'est pas le cas.
 
Pour que la réforme passe, faut-il aussi reporter le fait de confier aux universités la formation des enseignants du second degré qui sortent des UIFM. Acceptez-vous de repousser ça ?
 
Les UIFM sont dans un processus de très grande réforme. Cette réforme, c'est leur intégration à l'université.
 
On peut peut-être prendre deux ans de plus ?
 
Cette réforme elle se fait bien. Aujourd'hui, les UIFM trouvent toute leur place dans l'université et sont en train de travailler sur ce que va être la formation des enseignants, du primaire et du secondaire au XXIème siècle, c'est-à-dire, une formation à bac +5, c'est très important, parce que pour nos élèves, dans les écoles, avoir un maître qui est formé à bac + 5 ce n'est pas la même chose qu'avoir un maître qui est formé à bac + 3.
 
En quelques mots, parce que le temps passe, le comité Balladur a rendu ses travaux sur la refonte des territoires. N. Sarkozy repousse toute décision sur le "Grand Paris". C'est de la lâcheté ou de la sagesse ?
 
Je ne doute pas de la volonté du président de la République de faire aboutir son projet de "Grand Paris". Pourquoi ? Parce que le "Grand Paris" c'est surmonter la barrière du périphérique et que ça c'est très important. Mais pour moi, je l'ai dit, le "Grand Paris" c'est toute l'Ile-de-France. On ne peut pas oublier la Grande couronne, et j'ajoute qu'il faut sans doute, je l'ai dit à E. Balladur, aller plus loin que ce qu'il propose, parce qu'il faut résolument simplifier les échelons administratifs en Ile-de-France, c'est ça qui nous empêche de décider, c'est ça qui fait qu'on met 25 ans parfois pour prolonger une ligne de métro.
 
Les Hauts-de-Seine, derrière P. Devedjian et J. Sarkozy, souhaitent Paris-Métropole, c'est-à-dire le "Grand Paris" vu par B. Delanoë ! C'est un coup de poignard dans le dos ça ?
 
Mais je crois que ce que ça montre, c'est que le statu quo est impossible, il faut avancer. Il faut avancer vers des structures qui permettent, je l'ai dit, de dépasser la frontière du périphérique, parce que quand on est à Neuilly, quand on est à Saint-Mandé on est "grand Parisien", c'est vrai. Mais il ne faut pas oublier la Grande couronne et je le dis. Quand on est à Vélizy, quand on est à Cergy, quand on est à Meaux, on est aussi "grand Parisien".
 
Et quand on est à Compiègne, est-ce que vous êtes pour que l'Oise rejoigne l'Ile-de-France ?
 
C'est une question difficile, parce que je ne suis pas pour une région tentaculaire. Mon souci c'est quand même d'avoir une région qui soit gérable. 11,5 millions d'habitants, c'est déjà beaucoup.
 
Justement, pour que ça soit une question tranchée, si elle est difficile, est-ce qu'il faut faire des référendums locaux dans les départements, les régions qui seront concernées par des mouvements ?
 
En tout cas sur la région Ile-de-France, ce qui est évident c'est qu'on ne peut pas faire un référendum sans une question claire à poser. Donc, mettons-nous d'abord d'accord sur la question qu'on leur pose.
 
Et un référendum national, pour parler de toute la refonte des territoires, ça pourrait être envisagé ?
 
Non, ça je pense que c'est tout à fait utopique, pour la bonne et simple raison que je chacun voit sa situation locale, et je crois qu'il faut vraiment que ce soit localement et en fonction des spécificités du territoire qu'on décide.
 
Compte tenu de vos difficultés face aux enseignants-chercheurs comme ministre, n'auriez-vous pas dû renoncer à votre candidature à la candidature pour les régionales en Ile-de-France ?
 
Je crois que cette élection a lieu en mars 2010, et donc je ne crois pas qu'elle interfère avec mes responsabilités.
 
La primaire elle est maintenant, donc vous n'avez donc pas vraiment pu faire campagne dans un état d'esprit serein ?
 
Cette primaire ça fait six mois qu'elle dure, j'ai fait 120 déplacements dans toute l'Ile-de-France, j'ai rencontré des dizaines de milliers de militants, donc on ne peut pas dire que je n'ai pas fait campagne. Cette campagne a commencé le 20 août. En revanche, ce que les militants comprennent très bien, c'est que j'ai mis entre parenthèses cette campagne des primaires pour m'occuper du dossier de la réforme essentielle que le président de la République m'a confiée. Mais les militants veulent des ministres qui réforment, les militants veulent des ministres au combat, et je crois qu'il savent exactement quelles sont mes priorités. Je ne ferai pas passer, j'allais dire, mes intérêts personnels électoraux avant les intérêts nationaux de la réforme de l'université, bien entendu que non.
 
Pendant que vous suspendiez votre campagne, R. Karoutchi a continué la sienne. Vous êtes distancée, désormais, vous pensez ?
 
Mais je crois là encore qu'il y a une notion du temps, il y a une gestion des priorités. Aucun militant d'Ile-de-France - je reçois des centaines de mails de soutien - aucun militant d'Ile-de-France ne me reproche de faire aujourd'hui, de mettre toute mon énergie à trouver des voies de passage pour faire avancer la réforme de l'université.
 
Demain vous avez un débat télévisé face à R. Karoutchi. La division ne va-t-elle pas finir par affaiblir l'UMP pour le combat final contre la gauche ?
 
De toutes les façons, cette primaire est là pour donner un nouvel élan, un élan parce que ces 120 réunions que j'ai faites, ces déplacements, ça nous a enrichie. Enrichie du vécu de tous les Franciliens et de leurs problèmes, et le débat de demain est un débat projet contre projet, donc c'est un débat là encore qui va enrichir notre future campagne. De toutes les façons, nous ferons équipe.
 
Projet contre projet, équipes, mais enfin il y a des coups bas quand même. Que répondez-vous aux karoutchistes qui vous traitent de "versaillaise catholique" ?
 
Je ne vais pas m'excuser d'être ce que je suis, je ne vais pas m'en excuser, mais je leur dis : en politique, on est ce qu'on fait, on est les réformes que l'on porte, on est les convictions que l'on fait vitre, on est les combats que l'on mène, c'est là-dessus que les militants jugeront.
 
R. Karoutchi a relancé sa campagne par un livre en révélant son homosexualité. Vous aviez, vous, comme députée, abordé ce sujet, vous étiez en charge de la famille à l'Assemblée nationale. Est-ce que vous êtes par exemple aujourd'hui pour que le statut de beaux-parents soit étendu aux couples homosexuels ?
 
Vous savez que pour moi c'est l'intérêt de l'enfant qui prime et en tant que présidente de la mission famille, c'est moi qui avais proposé la première un statut du beau-parent. Pourquoi ? Alors d'abord j'ajoute que ce statut du beau-parent il n'est pas seulement pour les couples homosexuels, il est pour tous les couples et il ne peut trouver sa place que s'il y a un accord des parents biologiques, je le dis parce que le statut du beau-parent ce n'est pas substituer un beau-parent à un parent biologique, à un vrai père ou à une vraie mère. Mais en revanche, quand un couple de même sexe élève un enfant, si jamais il arrive quelque chose au parent biologique, au parent légal, qu'est-ce qui arrive à l'enfant, qui va s'en occuper ? Et là, je crois que il faut qu'on ait une loi qui protège l'enfant.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 mars 2009