Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, dans "Valeurs actuelles" du 16 octobre 2008, sur la crise économique et financière, le poids des charges sociales et la formation professionnelle.

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Média : Valeurs actuelles

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Comment évaluez-vous la crise ?
La crise est très grave. Son impact sur l'économie, qu'on appelle économie réelle, à mon avis de manière abusive, car la finance fait partie de l'économie réelle, sera très grand et est déjà perceptible aujourd'hui. On le voit dans la préparation des budgets 2009 des entreprises, qui impliquent des réductions de dépenses, des reports d'investissements et,pour certains, des diminutions d'effectifs. Dès le printemps, nous avions lancé un avis de tempête. Chacun sait que dans une tempête, les plus fragiles sont les plus vulnérables. Or, la France est plus fragile que nos partenaires européens. Parce qu'elle n'a pas encore mené à bien les réformes qui s'imposaient et parce qu'elle est beaucoup plus endettée que les autres. C'est donc très sérieux.
Néanmoins, n'oublions pas que l'économie est cyclique. Nous avons toujours tendance à extrapoler des tendances passagères sur la durée. Nous sommes dans une phase baissière. Mais un autre cycle suivra, haussier celui-là. La crise ne sera pas éternelle. L'essentiel est donc d'abord de tenir bon dans les points bas.
Surtout, n'oublions pas que les chefs d'entreprise savent faire face aux difficultés, savent penser l'adaptation. Nos gouvernants, nos parlementaires et nos élus locaux doivent comprendre que, s'il y a un avenir après la crise, c'est grâce aux seules entreprises. Ils doivent faire taire leurs querelles partisanes, leur patriotisme de boutique et coopérer avec nous dans un vaste effort de pédagogie de l'économie, pour expliquer par exemple ce qu'un taux de prélèvements obligatoires trop lourd a de pénalisant pour les entreprises dans de pareilles circonstances.
Le gouvernement dit que les impôts baissent et vous lui répondez que les prélèvements augmentent. Où est la vérité ?
Le taux des prélèvements obligatoires sur les entreprises est le plus élevé du monde après la Suède: 15% du PIB, contre 9 % en Allemagne. N'allons pas chercher plus loin la raison du déficit de notre commerce extérieur, alors que l'Allemagne accumule les excédents, ou l'écart du taux de croissance entre les deux pays. On ne peut pas produire à un prix compétitif quand il faut supporter dès le départ un tel écart de charges. C'est une donnée objective tirée des statistiques officielles françaises et européennes.
Le président Nicolas Sarkozy l'a d'ailleurs bien compris. L'effort sur le plan fiscal est réel. La réforme de la taxe professionnelle aura un vrai impact en 2008.Mais tout cela risque d'être anéanti par l'aggravation des charges sociales si le PLFSS [projet de loi de financement de la Sécurité sociale] est voté en l'état. Ainsi, la décision, portée à la connaissance des partenaires sociaux par François Fillon en juillet, d'augmenter de 0,3% les cotisations retraite est déplorable. Elle ne supprimera pas le déficit de la branche retraite mais aggravera le poids des charges sur les entreprises. Ce serait encore pire si, comme le dit la rumeur, cette hausse des cotisations passait à la charge exclusive des entreprises. Jusqu'à maintenant, la cotisation vieillesse a toujours été partagée entre salariés et employeurs.
Il faut tout de même réduire les déficits...
Bien sûr, mais en faisant des économies. Où faire des économies, et comment rendre le système à tous égards performant? Je suis persuadée qu'on y parviendra en améliorant la gestion. Il en va ainsi pour la réforme des hôpitaux annoncée par Nicolas Sarkozy. J'ai l'intime conviction que l'on peut améliorer la performance de gestion tout en améliorant la qualité des soins.
Quant au régime des retraites, la juste réponse est connue. Ce n'est pas en alourdissant les cotisations qu'on le sauvera mais en repoussant l'âge légal de départ à la retraite. François Mitterrand l'a abaissé à 60ans à partir de 1983. Précisément au moment où l'espérance de vie commençait à augmenter significativement. Depuis, la vie n'a cessé de s'allonger et nous persistons à partir à 60 ans ! Nous sommes le seul pays à n'avoir pas remis en question l'âge de départ à la retraite.
Il y a pourtant eu des réformes du régime des retraites...
C'est vrai. Notamment la réforme des régimes spéciaux, qui a été un acte courageux. La durée de cotisations a été allongée, mais la grande réforme n'est pas encore aboutie, si bien que depuis le rapport de Michel Rocard en 1991, tous les deux ans, on reparle de réforme, ce qui a un effet anxiogène sur notre pays. Chacun sait que si l'âge légal de départ à la retraite était porté à 63ans, il n'y aurait plus de problème. Ce qui serait essentiel. Car cette épée de Damoclès est très dommageable au moral de notre pays.
Encore faudrait-il que les entreprises veuillent bien garder les seniors ou en recruter...
Si les entreprises ont été aussi réticentes à recruter des seniors, c'est parce que de 1987 à 2007, pendant vingt ans, la contribution Delalande les pénalisait lorsqu'elles se séparaient d'un collaborateur âgé de plus de 50 ans. Qu'on ne vienne pas nous reprocher, à nous, entreprises, les effets pervers d'un dispositif imaginé par le législateur ! Sachez aussi que dans tous les pays, on observe une corrélation étroite entre l'âge légal du départ à la retraite et le recrutement des seniors. Je recruterai plus volontiers un collaborateur de 58 ans si je sais qu'il partira à 63 ans plutôt qu'à 60, et que nous avons donc cinq ans de collaboration devant nous.
Malgré tout, certaines entreprises ont poussé au départ les seniors pour rajeunir leurs effectifs et alléger leur masse salariale...
Certaines entreprises ont pu avoir cette politique. Mais j'attends toujours que les syndicats, qui ont été les premiers à réclamer les préretraites, fassent leur mea-culpa.
Vous déplorez le poids des charges. Mais ne bénéficiez-vous pas d'allégements de charges considérables sur les bas salaires, qui pèsent lourdement sur notre déficit, comme le rappelait dans "Valeurs actuelles" le premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin ?
Plutôt que d'allégements de charges, je préfère parler de réduction du coût du travail sur les salaires les plus modestes. Sachant que même avec cette réduction, qui représente 16,3 milliards d'euros, le coût du travail en France reste supérieur au coût observé en Allemagne. Imaginez ce que ce serait si on revenait sur une réduction du coût du travail qui ne fait que limiter les dégâts !
Que pensez-vous de l'argument selon lequel ces allégements ne font qu'encourager l'emploi d'une main-d'oeuvre peu qualifiée alors que la compétitivité se joue sur la qualification ?
Souvenez- vous du rapport sur les aides publiques publié en février 2006 par le Conseil d'orientation pour l'emploi, présidé à l'époque par Raymond Soubie [aujourd'hui conseiller chargé de la stratégie sociale et de l'organisation des conférences sociales à l'Élysée]. Il montrait que la suppression totale des allégements de cotisations sociales sur les bas salaires aboutirait à détruire environ 800 000 emplois en quelques années.
Philippe Séguin suggérait de consacrer plutôt ces sommes à la formation professionnelle...
Cela reviendrait à faire porter par les entreprises l'échec de l'Éducation nationale. Chaque année, 150 000 jeunes sortent du système sans aucun diplôme. Pensons à la formation initiale avant la formation professionnelle.
Le gouvernement suggérait que l'augmentation des cotisations vieillesse soit compensée par une baisse des cotisations chômage. Pensez-vous qu'un accord sur ce point soit possible à l'Unedic ?
J'ai dès le début dit à François Fillon qu'on ne pouvait pas compter d'emblée sur une baisse du chômage. L'Unedic est en situation de grand déséquilibre et la crise nous conduit à réévaluer tous les paramètres pour voir ce qu'il sera possible de faire et ce qui ne le sera pas. L'absence de croissance l'an prochain ne nous laissera malheureusement guère de marge de manoeuvre.
Ne craignez-vous pas qu'avec la crise ne surgisse une sorte de lutte des classes entre le petit patronat et les grandes entreprises, notamment les banques qui ne leur prêteraient plus d'argent?
Je ne vois pas de trace de ressentiment des PME contre les grandes entreprises. La crise crée plutôt une solidarité. C'est aussi la qualité du Medef que de savoir rassembler dans ses instances grands groupes et plus petites entreprises.
Je ne vois pas non plus que les banques aient cessé de prêter de l'argent. Elles font leur métier, les entreprises aussi, et le volume du crédit est resté très important durant ces mois de crise.
Si amertume il y a, dans les entreprises françaises comme dans les banques, c'est plutôt contre les Américains, car elles se savent victimes d'erreurs spécifiquement américaines.
Les Français n'avaient pas commis de telles erreurs ?
Non. Au contraire. Nos banquiers ont ainsi été les premiers à mettre en garde contre les dangers représentés par les nouvelles normes comptables imposées par les États-Unis. Michel Pébereau avait dénoncé leur caractère procyclique. Quand tout va bien, elles ont un effet euphorisant. Quand le cycle se retourne, elles ont un effet déprimant. C'est exactement ce qui s'est passé.
Autre erreur des Américains : l'absence de coordination avec l'Europe. À aucun moment, nous n'avons entendu les Américains nous dire : «Allô l'Europe, ici les États-Unis. Nous avons un problème. » Ils ont choisi de laisser tomber Lehman Brothers sans concertation.
Face à ce désordre, nous avons décidé d'organiser une réunion des patronats du monde occidental pour adopter une position commune.
Dans cette crise, certains sont plus égaux que d'autres. Votre tentative pour moraliser les rémunérations des grands patrons vise-t-elle à calmer l'irritation de ceux qui voient fondre leurs économies tandis que d'autres s'enrichissent ?
Non, nous avions commencé à réfléchir sur les rémunérations bien avant la crise et annoncé au mois de mai la publication de nos recommandations pour octobre.
Nous avons mené cette démarche parce que le vrai libéralisme a une dimension éthique. Nous ne pensons pas que la liberté puisse aller sans responsabilité. Il ne suffit pas de laisser aux acteurs le plus de liberté possible pour qu'ils puissent inventer, créer, agir, c'est une condition nécessaire mais pas suffisante. Il faut aussi les inciter à un sens aigu des responsabilités. Les banquiers américains, qui ont vendu des crédits à des emprunteurs insolvables, sont tout sauf des libéraux.
L'Association française des entreprises privées [qui réunit les entreprises du Cac 40] et le Medef ont donc posé des règles d'autodiscipline. Elles sont une base indispensable en attendant la définition d'un cadre plus vaste. Les dirigeants des grandes entreprises se comparent en effet sur un marché mondial. Les règles de rémunérations ne sauraient donc être définies au niveau des États, elles doivent être mondiales.
Le marché n'est donc pas responsable de la crise...
Je suis stupéfaite de l'inversion des responsabilités. L'économie de marché demande depuis toujours des règles partagées par tous, car un marché sans règles n'est pas un marché. Ainsi les règles de l'OMC négociées dans le cycle de Doha nous apparaissent-elles fondamentales.
Ce que je déplore, c'est qu'en traitant cela comme la dernière de leurs préoccupations, en ne pensant à intervenir qu'à l'intérieur de leurs frontières, les États n'ont pas joué leur rôle, et par cette absence ont provoqué la crise. En revanche, quand Nicolas Sarkozy appelle à un nouveau Bretton Woods, qui s'attelle à la question des monnaies et au fonctionnement du système monétaire international, nous l'approuvons.
Que les États jouent tout leur rôle, mais rien que leur rôle, qu'ils nous fournissent le meilleur cadre possible, et qu'ensuite ils nous laissent travailler et tout ira bien !
Donc, vive le marché quand même ?
L'économie de marché a créé toutes les richesses de ces dernières décennies. C'est à elle que nous devons le franchissement du seuil de pauvreté par plus d'un milliard d'êtres humains dans les pays émergents. Laissons-la continuer à produire tous ses effets.
Source http://www.medef-ain.com, le 20 janvier 2009