Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, à France 2 le 18 février 2009, sur la situation sociale, la crise économique, le pouvoir d'achat et la relance économique.

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Média : France 2

Texte intégral


 
R. Sicard.- Vous serez tout à l'heure, avec les syndicats autour, de N. Sarkozy. Est-ce que vous n'avez pas le sentiment qu'avec la montée de la grogne sociale, les entreprises seront obligées de mettre la main à la poche, d'ouvrir le tiroir-caisse ?
 
Ecoutez, pour ouvrir le tiroir-caisse des entreprises, il faudrait que celui-ci soit plein, et je crois qu'il y a une erreur qui est faite très souvent dans les commentaires en ce moment, qui consiste à regarder l'économie sous l'angle exclusif des 40 entreprises du CAC 40. Il y a 1.200.000 entreprises en France, c'est un tissu dense, serré de TPE et de PME et de moyennes entreprises, et même grosses moyennes entreprises, si vous me permettez cette expression étrange, mais qui veut bien dire ce que ça veut dire. Et toutes ces entreprises-là sont aujourd'hui fragilisées par une crise d'une ampleur tout à fait exceptionnelle. Nous avons des inquiétudes réelles pour la fin du premier semestre, nous craignons de nombreuses faillites, de très nombreuses faillites. Et cet après-midi, j'ai bien l'intention de faire entendre la voix des entreprises et des chefs d'entreprise qui en bavent en ce moment, il faut le dire, ils en bavent. Ils sont à la recherche du client, ils ont l'oeil rivé sur le carnet de commandes, qui parfois s'effondre dans des proportions tout à fait catastrophiques.
 
Mais il y a des grandes entreprises, comme Total par exemple, qui font des profits ; est-ce que celles-là ne peuvent pas faire un geste ?
 
Eh bien, allons-y, prenons le cas de Total, quatorze milliards, quinze milliards de résultats nets...
 
C'est énorme...
 
C'est énorme, et c'est une excellente nouvelle, mais savez-vous que Total, chaque année, pour rester dans la course, pour rester compétitif, pour rester une entreprise leader à l'échelle de la planète, investit entre seize et dix-neuf milliards par an, c'est-à-dire que pour continuer à exister, Total doit mettre dans des projets, des travaux de recherche et de développement, plus que ce que Total gagne chaque année. Donc le choix que nous devons faire, c'est un choix collectif, c'est : voulons-nous garder des grandes entreprises qui vont tirer l'économie française vers le haut, ou souhaitons-nous courir le risque de les abattre, de les perdre ou de les voir partir à l'étranger ? Je ne crois pas que nous y gagnerions...
 
Pour vous, il n'y a pas de marge de manoeuvre pour les entreprises en matière... en tout cas, en matière de redistribution salariale.
 
Quelle doit être la priorité des priorités aujourd'hui ? C'est de ça dont nous allons parler aussi cet après-midi, c'est sauver les emplois. Pour sauver les emplois, il faut sauver les entreprises. Savez-vous que l'année dernière, il y a eu près de 57.000 dépôts de bilan, et ce qui est rarement dit, c'est que ces 57.000 dépôts de bilan d'entreprises, d'abord, se sont accélérés à la fin de l'année dernière, le dernier trimestre 2008, le mouvement continue, et ces dépôts de bilan correspondent à la disparition de 218.000 emplois. Donc, notre priorité, selon moi, je vais en tout cas le dire cet après-midi très clairement, c'est créer des conditions économiques, créer l'environnement qui permette d'éviter le plus possible cette catastrophe chez les TPE et les PME.
 
Mais ce que disent les syndicats, c'est qu'il faut aussi que les entreprises aient des clients, et qu'il faut donc relancer la consommation, augmenter le Smic. Vous, vous dites que ce n'est pas possible ?
 
Je ne suis pas aussi caricaturale - si vous me permettez - que ça. Je souhaite que la consommation tienne bon en France, mais...
 
Mais pour ça, il faut augmenter les salaires...
 
...Mais en économie, il y a certain ordre des facteurs qu'il faut savoir déclencher. La priorité, c'est maintenir l'investissement, si vous commencez par une relance par la consommation, on sait très bien que ça va encourager, stimuler d'abord les importations, et stimuler d'abord les importations, c'est stimuler ou relancer l'économie en Chine, en Asie ou en tout cas hors de France. Il faut donc se concentrer d'abord sur l'investissement en France. C'est cet investissement en France qui évitera la disparition d'emplois, et c'est parce qu'on évitera l'augmentation du chômage qu'on permettra de maintenir les salaires et le pouvoir d'achat, voire les faire croître.
 
Autrement dit, l'augmentation du Smic, que réclament beaucoup de syndicats, vous dites non ?
 
Je souhaite qu'il y ait une augmentation du Smic au 1er juillet, comme prévu...
 
C'est-à-dire pas de coup de pouce ?
 
Et je souhaite surtout que nous comprenions tous que le Smic doit, pour être augmenté, répondre à des critères tout à fait objectifs. Il y en a au moins deux : c'est l'évolution de la productivité dans notre pays, et puis l'inflation. Il n'y a pas aujourd'hui, en tout cas dans ce qui s'est passé depuis quelques mois si vous voulez, de déclenchement possible, compte tenu de ces deux critères objectifs. Je crois qu'il faut attendre le 1er juillet. Il ne faut jamais oublier que dans des industries de main d'oeuvre ou dans des entreprises de service de main d'oeuvre, une augmentation un peu trop rapide par rapport au respect de ces deux critères du Smic, peut provoquer des difficultés très, très grandes dans les entreprises, et donc une aggravation en réalité de la situation pour ces salariés eux-mêmes.
 
A propos des profits, N. Sarkozy proposait l'autre jour de les diviser en trois parties : un tiers pour les actionnaires, un tiers pour les salariés, un tiers pour l'investissement ; ça vous parait une bonne idée, une mauvaise idée ?
 
C'est une idée qui a l'air très jolie comme ça, sur le papier, elle a le mérite d'être très simple. Mais je crois que c'est ce qu'on appelle une fausse bonne idée. D'abord, quelle est la réalité pour la quasi-totalité des entreprises, deux tiers, trois tiers... ? Vous voyez, on finit par faire des mauvaises arithmétiques avec ces principes qui sont des fausses bonnes idées. En réalité, deux tiers des profits sont d'abord utilisés à l'investissement, voire même plus - c'est ce que je vous expliquais pour Total. L'autre chose qu'il faut bien voir, c'est que dans beaucoup, beaucoup de cas, l'actionnaire - qui est bien souvent le patron de l'entreprise - ne se verse pas de dividende. Et quand on regarde sur l'ensemble de l'économie française, chaque année, les actionnaires mettent plus de capital dans l'entreprise qu'ils ne reçoivent de revenus de ce capital. Il faut faire attention, on a besoin pour avancer d'actionnaires, si on se coupe...
 
Il ne faut pas décourager les actionnaires ?
 
Ce serait une catastrophe. Plus d'actionnaires, un découragement ou un appauvrissement des actionnaires, c'est plus d'entreprises ; plus d'entreprises, c'est plus d'emplois, etc. L'autre chose qu'il faut bien dire, c'est qu'il y a des principes absolument fondamentaux sur lesquels il n'est pas question de revenir, c'est que seul l'actionnaire peut décider du montant de distribution des dividendes. C'est inhérent...
 
Ce n'est pas l'Etat ?
 
C'est inhérent au droit de propriété. Et d'ailleurs l'Etat, quand il est lui-même actionnaire, décide tout seul du montant des dividendes qu'il souhaite recevoir. Regardez dans le cas d'EDF, entreprise publique, EDF a décidé, sur ses comptes de 2008, donc c'est l'actionnaire, l'Etat, de verser 70 % des profits en dividendes, 70 %...
 
Tout à l'heure, ce sont les syndicats français et le patronat français qui vont se rencontrer. Est-ce que ça vous parait suffisant, est-ce qu'il ne faut pas une rencontre européenne, puisque la crise, elle est européenne et mondiale ?
 
Mais je crois que vous avez tout à fait raison. Ce serait, je crois, entretenir une forme d'illusion de penser qu'on ne peut faire un diagnostic que franco-français, et donc trouver que des solutions franco-françaises. Moi, je souhaite et je propose qu'il y ait une rencontre à l'échelle européenne, entre les syndicats européens et le patronat européen, et pourquoi pas, les représentants des gouvernements européens, car tout ce que l'on peut faire pour coordonner, harmoniser la réponse à la crise, c'est autant de temps de gagné pour sortir de la crise.
 
Un mot sur la Guadeloupe : est-ce que la situation vous inquiète ?
 
Elle est tout à fait tragique, tragique ! C'est vraiment très, très malheureux de voir la Guadeloupe dans cet état aujourd'hui. Il faut bien voir qu'il y a une...
 
...C'est dû à quoi selon vous ?
 
Il y a une responsabilité de l'Etat qui est immense, quand je dis une responsabilité de l'Etat, ce n'est pas l'Etat aujourd'hui, c'est l'Etat depuis plusieurs décennies, et chacun sait, enfin, tous ceux qui ont regardé, travaillé sur le dossier, qu'il faut repenser le modèle ou les modèles économiques guadeloupéens ou antillais. Nous, nous appelons à des états généraux ou à un grand forum, des assises de l'économie guadeloupéenne pour remettre à plat et définir un nouveau mode de fonctionnement.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 février 2009