Texte intégral
Travailleuses, travailleurs,
Oui, je commence par ces mots, comme le fait Arlette depuis toujours et pour les mêmes raisons. En effet, nous nous adressons avant tout à celles et ceux de notre camp, aux exploités, à ceux qui n'ont pour vivre que leur force de travail. Cette classe, la nôtre, on a beau en nier jusqu'à l'existence, derrière les vocables de « classe moyenne » que Sarkozy utilise même pour parler des smicards. C'est cette classe sociale qui n'exploite personne mais qui fait marcher l'économie et qui fait vivre toute la société. C'est de son activité que vivent les grandes sociétés, industrielles ou commerciales, les banques et une légion de petites entreprises qui se développent dans les interstices du tissu économique.
Cette classe sociale des travailleurs est bien plus variée qu'au temps de Marx. Les progrès scientifiques et technologiques, le développement et la diversification de l'économie, ont fait surgir de nouvelles branches, des industries nouvelles. Mais les ouvriers sur chaînes dans l'industrie automobile ou les caissières de supermarchés, les travailleurs du bâtiment ou les cheminots, les ingénieurs ou les pilotes d'avions, les employés de banque ou les manoeuvres, les chimistes ou les informaticiens, ils ont tous en commun qu'ils sont exploités. Ils ne touchent qu'une partie de la valeur créée par le travail sous forme de salaire, le reste de cette valeur va grossir les profits de la classe bourgeoise. Ces travailleurs font partie de la même classe sociale que celles et ceux qui, sans être exploités par un patron privé, n'ont que leur salaire pour vivre et qui, contrairement à tant de riches parasites, mènent une activité utile, voire indispensable à la société : les infirmières, les enseignants, les postiers et, dans l'ensemble, les salariés des services publics.
Au-delà de tous les changements, de toute la diversification survenus depuis Marx, la société reste donc divisée en deux classes fondamentales antagonistes : la bourgeoisie et le prolétariat, même si ce mot est passé de mode.
Dans la société qui est la nôtre, la société capitaliste, les moyens de production, les usines, les mines, les banques, les grandes entreprises industrielles, appartiennent aux capitalistes. C'est cette classe numériquement minoritaire qui, en dominant l'économie, domine la vie sociale et la vie politique. C'est sa vision du monde qui est répercutée par la télévision, par la radio, par la presse, par les grands moyens d'information qui sont en général sa propriété, et qui est même enseignée à l'école.
C'est au nom de la propriété privée que la classe capitaliste s'approprie et concentre entre ses mains une part importante du travail social, ne laissant aux salariés que le minimum nécessaire pour vivre et se reproduire. Mais c'est aussi au nom de la propriété privée que les différents capitalistes se mènent, par la concurrence, une guerre permanente, chacun cherchant à réaliser le maximum de profit.
L'économie capitaliste est une économie qui reproduit sans cesse et aggrave les inégalités sociales, concentrant les richesses à un pôle et développant la pauvreté à l'autre. C'est une économie qui produit en fonction du marché, c'est-à-dire uniquement en fonction de la consommation solvable. Elle ne produit que pour ceux qui paient. C'est aussi une économie dont le fonctionnement est chaotique, irrationnel, imprévisible car chaque capitaliste décide de ce qu'il produit, comment, en fonction de ses seuls intérêts, sans que quiconque organise, réglemente, coordonne la production globale.
La bourgeoisie, et l'ordre économique dont elle est porteuse, le capitalisme, a une longue histoire. L'économie capitaliste s'est imposée, d'abord dans quelques pays d'Europe occidentale, l'Angleterre bien sûr, mais aussi la France, les Pays-Bas ou l'Allemagne. Au fil du temps cependant, les régions les plus reculées de la planète ont été intégrées dans ce système, de gré ou de force.
La bourgeoisie n'a été révolutionnaire qu'à ses débuts et dans ses régions d'origine d'Europe occidentale et d'Amérique. Et, encore, jusqu'à un certain point, tant que ses intérêts de classe n'étaient pas menacés par en bas, par cette classe ouvrière que sa propre économie renforçait sans cesse.
Cela fait au bas mot un siècle et demi que, parti à la conquête du monde, le capitalisme ne supprime plus ce qui reste des anciennes formes d'oppression, même les plus archaïques. Il s'accommode des castes en Indes, des antagonismes ethniques, voire de l'esclavage, en Afrique et d'infinies variétés de formes d'oppression, notamment de la femme, un peu partout. Bien des pays pauvres ont donc été intégrés dans l'économie capitaliste mondiale avec des scories d'anciens systèmes d'oppression que le capitalisme ne s'est même pas donné la peine de supprimer, quand il ne les a pas ressuscités et, en tout cas, confortés.
Mais à tout cela, il a ajouté l'esclavage salarial et la loi du profit qui, aujourd'hui, dominent et conditionnent toutes les autres formes d'exploitation et d'oppression.
Cela fait près d'un siècle et demi que le monde entier est devenu capitaliste.
Aujourd'hui, il n'y a plus aucune région de la planète où la vie des hommes ne soit pas entièrement dépendante de l'économie capitaliste, directement ou indirectement. Le capitalisme est un système mondial. Les États-Unis, la France, les grands pays industriels, sont capitalistes. Et sont aussi capitalistes non seulement le Brésil et l'Inde, mais tout autant Haïti, le Mali ou le Zimbabwe.
Les pays pauvres ne sont pas simplement en retard par rapport aux pays riches. La richesse des grands pays impérialistes, comme les États-Unis ou la France, et la misère, l'arriération économique, de la majorité pauvre de la planète sont l'expression d'une même intégration dans le même système capitaliste mondial qui a creusé, consolidé et aggravé sans cesse la dépendance des pays sous-développés par rapport aux pays impérialistes.
Au long de son histoire, le capitalisme a évolué. La domination de la bourgeoisie a reposé, dès ses débuts, sur « l'exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale ». Son histoire depuis ses débuts est une succession de pillages, de guerres, de crimes, du trafic des esclaves au travail des enfants dans les usines de textile de la révolution industrielle, du massacre de peuples entiers à la conquête des colonies. Malgré tout cela, le capitalisme a représenté à ses origines un progrès formidable pour l'humanité. Pour reprendre l'expression de Marx dans le Manifeste Communiste : « la bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire. Et il expliquait : « C'est elle qui, la première, a fait voir ce dont est capable l'activité humaine : elle a créé de tout autres merveilles que les pyramides d'Egypte, les aqueducs romains, les cathédrales gothiques ; elle a mené à bien de tout autres expéditions que les invasions et les croisades ». Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. La concurrence, qui a été le principal ressort du progrès capitaliste, a abouti à la concentration et à la centralisation du processus capitaliste. Le capitalisme est devenu l'impérialisme. Pour reprendre une expression de Trotsky, « de la concurrence (...) qui avait été le ressort créateur du capitalisme et sa justification historique sort irrévocablement le monopole malfaisant, parasitaire, réactionnaire ».
Ce sont ces monopoles, les groupes financiers et industriels qui dominent aujourd'hui l'économie mondiale. Périodiquement, les adversaires des idées communistes prétendent que cette concentration même des capitaux permettaient une régulation du fonctionnement du capitalisme et la disparition des crises.
On voit aujourd'hui qu'il n'en est rien. Aux dires même des dirigeants du monde capitaliste, la crise actuelle est une des plus graves que l'économie capitaliste ait connues depuis la grande crise qui a suivi l'effondrement de la Bourse de New York en 1929.
Même pendant ses périodes d'expansion, le capitalisme représente un énorme gâchis pour la société. Même pendant ses périodes d'expansion, il privilégie la production de biens inutiles, voire nuisibles par rapport aux besoins fondamentaux, parce que le capitalisme n'a que faire des besoins de ceux qui n'ont pas d'argent pour acheter. Il est significatif que, depuis bien des années, les deux commerces qui arrivent en tête du commerce mondial capitaliste du point de vue du chiffre d'affaire réalisé l'un légalement et l'autre illégalement sont le commerce des armes et celui des drogues. Même pendant ses périodes d'expansion, l'économie capitaliste maintient hors de la production des millions de personnes transformées en chômeurs alors que leur travail pourrait satisfaire des besoins non satisfaits.
Même dans ces périodes d'expansion et même dans les pays impérialistes où l'économie concentre ses plus grandes richesses, elle condamne une partie de la population à la misère matérielle et morale, à la régression, aux cités-dortoirs, quand ce n'est pas aux taudis, aux drogues et à la criminalité.
Même en période d'expansion, le capitalisme creuse l'écart entre les plus riches et les plus pauvres de la société, en même temps qu'il creuse l'écart entre les pays riches et les pays pauvres.
Mais les crises portent tout cela à son paroxysme. Les crises partielles qui se sont succédé tout au long de l'année 2008, la crise alimentaire, la crise pétrolière, la crise immobilière aux États-Unis relayées par la crise financière mondiale ont conflué en une crise économique globale qui est en train de se traduire partout dans le monde par une chute importante de la production, par des fermetures d'entreprises, par des licenciements, par un accroissement brutal du chômage et de la pauvreté.
Cette crise est loin d'être terminée et, pourtant, son bilan est déjà catastrophique. Catastrophique sur le plan matériel, catastrophique sur le plan humain.
Combien de morts dans les pays pauvres au début de 2008 du fait de la crise alimentaire, conséquence elle-même de la spéculation effrénée, expression de la crise financière alors en train de s'annoncer ?
Combien de familles pauvres expulsées de leur logement par la crise immobilière dans le pays le plus riche du monde, les États-Unis ?
Combien de travailleurs des pays industriels acculés à la pauvreté par les licenciements ?
L'économie capitaliste est dans une impasse. Ses têtes pensantes n'ont pas trouvé un autre moyen de la sauver que les interventions des États en pour défendre les intérêts de la grande bourgeoisie.
Il n'est pratiquement pas possible aujourd'hui de compter la quantité de milliards de dollars ou d'euros déversés dans l'économie pour venir en aide aux banquiers et aux industriels en difficultés, d'autant que le bluff ou les gestes psychologiques s'ajoutent aux sommes réellement distribuées.
Les chiffres cités n'ont même plus de signification, mais ce qui est sûr c'est que les sommes versées aux capitalistes sont colossales et elles sont détournées de la protection sociale, des services publics, des retraites, de la construction d'écoles, d'hôpitaux, de logements sociaux. Le rôle de l'État dans le sauvetage du capitalisme en faillite, au sens littéral du terme, souligne le caractère de plus en plus parasitaire du capitalisme.
De la même façon que la noblesse, pendant ses dernières décennies d'existence, s'agglutinait à la cour de Versailles pour y être entretenue par le roi, la classe bourgeoise s'agglutine autour de l'État pour être entretenue. les pertes des banques sont étatisées alors que les profits, eux, demeurent privés. Les porte-parole de la bourgeoisie traitent d'« assistés » les travailleurs rejetés de la production par la folie du système. Mais c'est le capitalisme qui est assisté. Mais il y a une autre leçon à tirer des interventions massives des États pour voler au secours d'une classe capitaliste incapable de gérer les forces productives modernes qui la dépassent. Même avant la crise, cette économie capitaliste, porteuse de l'idée du « chacun pour soi », ne pouvait fonctionner sans une dose importante d'intervention de l'État. Pour mieux servir les intérêts généraux de la bourgeoisie, l'Etat est obligé d'échapper dans une certaine mesure à la logique du profit individuel et à ses impératifs. Sans l'État, il n'y aurait pas en France d'éducation, de routes, de chemin de fer, de réseau électrique, ni d'aménagement du territoire ou d'urbanisme, et le capitalisme ne pourrait exister.
Au moment de la brusque aggravation de la crise financière, les dirigeants politiques les plus réactionnaires de la bourgeoisie, genre Bush ou Sarkozy, se sont brusquement mis à proclamer les vertus de l'intervention étatique.
Cela n'est pas vraiment nouveau : dans les années trente, pendant la crise, sous des formes différentes, aussi bien l'Allemagne d'Hitler que les États-Unis du président démocrate Roosevelt avaient massivement eu recours à l'étatisme. Et, pendant la guerre, tous les autres États impérialistes en faisaient autant.
Quand dans les années 1950, les États-Unis se sont vus distancer par l'Union soviétique dans la course à l'espace, les dirigeants politiques du pays n'ont pas fait appel à la bonne volonté de capitalistes individuels, ils ne s'en sont pas remis à la concurrence, ni au marché : ils ont créé la NASA, une institution étatique. Sans la NASA, les États-Unis, malgré leur développement économique nettement supérieur à celui de l'Union soviétique, auraient perdu la course à l'espace.
Si l'Union soviétique a été en tête, c'était grâce à son économie centralisée, ce que n'avaient pas les Etats-Unis. Faute d'une telle centralisation, c'est l'État fédéral qui a du apporter la coordination nécessaire à l'entreprise. Sur la base de la seule concurrence et de la course au profit privé, il aurait été impossible de progresser dans la conquête de l'espace.
En faisant appel à l'Etat, le marché rend en quelque sorte hommage à la centralisation et à la planification. C'est l'hommage du vice à la vertu ! C'est l'aveu que la production capitaliste a besoin d'une coordination. La nécessité d'une planification rationnelle suinte par tous les pores de l'économie qui continue, cependant, à fonctionner sous commandement privé et pour produire du profit privé. La bourgeoisie n'est plus capable de gérer les forces productives modernes. Cette incapacité n'est pas due à l'incapacité des hommes, mais à l'incapacité de tout le système économique qui arrive « au bout du rouleau ».
Et, en fait, il y a dans l'étatisme de la bourgeoisie comme une expression déformée, grotesque, de ce sur quoi est fondé aussi notre programme communiste. Car, au fond, la première phase, sinon du communisme, du moins du cheminement vers le communisme, ce sera que toutes les grandes entreprises, toutes les banques, expropriées par la classe ouvrière, deviennent des services publics, c'est-à-dire qu'elles soient, dans la mesure où elles seront nécessaires, coordonnées par un plan en vue de produire non pas du profit privé, mais pour satisfaire les besoins de la société.
Oui, alors même que la bourgeoisie devient de plus en plus parasitaire, vivant de finances, d'activités usuraires, entretenue par l'État, l'économie, elle, continue à tisser des liens à l'échelle nationale et internationale qui rendront plus facile le passage à une économie communiste.
C'est le capitalisme qui a fait surgir des multinationales gigantesques dont les activités se déploient dans des dizaines de pays, internationalisant le vie économique à un degré jamais connu auparavant.
C'est le capitalisme qui a tissé des liens économiques entre les différents pays d'Europe au point que l'économie étouffe dans des frontières nationales dépassées et que la nécessité de détruire ces frontières s'est imposée à la bourgeoisie elle-même sans pour autant qu'elle ose supprimer les États nationaux à son service.
En somme, en même temps qu'elle développe et élargit ses contradictions à l'échelle de la planète, l'économie capitaliste accumule les moyens qui rendent de plus en plus accessible la mise en place d'une organisation économique rationnelle à l'échelle du monde.
L'un des apports fondamentaux de Marx aux idées socialistes a été de comprendre tout ce qui, au sein même de la société capitaliste, annonçait l'avenir communiste de la société. Ce ne sont pas les communistes, mais le capitalisme lui-même qui a fait que la production moderne nécessite la coordination de milliers, de centaines de milliers de personnes. C'est le capitalisme lui-même qui a fait que la production est de fait socialisée, collectivisée, depuis longtemps. Elle l'est à une échelle de plus en plus vaste à notre époque. Elle l'est à l'échelle du monde. Mais ce travail socialisé reste soumis aux intérêts privés et c'est une des contradictions les plus graves du capitalisme de notre époque.
Même les dirigeants les plus réactionnaires n'osent plus présenter le capitalisme réel comme ils le faisaient il y a vingt ans lors de l'éclatement de l'Union soviétique, proclamé alors comme la fin de l'« utopie communiste ». Mais croire que le capitalisme peut se développer sans heurt, sans accroc, sans crise c'est cela l'utopie. Aujourd'hui, même chez les dirigeants du monde capitaliste il est à la mode de parler d'insuffisance de régulation, de moralisation et d'étatisme. Dans leurs discours, revient cependant comme un leitmotiv l'idée que la fin de l'Union soviétique et le retour vers le capitalisme des États qui en sont issus signifient l'échec du communisme. La bourgeoisie, ses économistes, ses politiciens, ses journalistes, présentent la dislocation de l'Union soviétique, non pas comme l'effondrement d'un régime, mais surtout comme l'effondrement d'un système économique. Et, plus encore, comme l'échec des idées communistes, comme la preuve qu'il est vain de tenter d'organiser l'économie sur d'autres bases que le capitalisme, la propriété privée des moyens de production et la course au profit. C'est un mensonge grossier et ce qui se passe dans le monde entier le montre.
L'effondrement de l'Union soviétique a été provoqué par une contre-révolution politique et sociale, et pas par l'échec de l'économie planifiée. Le capitalisme n'a pas montré sa supériorité par rapport à l'économie mise en place par la révolution ouvrière de 1917. Il a seulement aspiré et absorbé la couche privilégiée dominante de la société soviétique.
Parlons-en, donc, du bilan de l'économie soviétique !
Comme Arlette Laguiller l'a rappelé tout à l'heure, le courant politique dont nous nous réclamons, le courant trotskyste est né dans le combat contre la bureaucratisation de l'Union soviétique et contre le stalinisme. Contrairement au PCF, nous n'avons jamais présenté l'Union soviétique de Staline, de Krouchtchev ou de Brejnev comme une société communiste. Nous avons toujours dit qu'une société dominée par une bureaucratie s'imposant par la dictature et survivant en parasite de l'économie de l'Union soviétique ne pouvait pas être une société communiste.
Mais, en revanche, nous assumons pleinement le bilan de l'économie soviétique, telle qu'elle s'est développée sur les bases jetées par la première révolution ouvrière victorieuse malgré les insuffisances et les déformations de la planification dues à la domination de la bureaucratie. L'Union soviétique a été le premier pays où le prolétariat, après avoir pris le pouvoir politique et après avoir aboli complètement la propriété féodale et la propriété bourgeoise, a été confronté au problème de gérer l'économie, de surcroît dans un pays arriéré mais immense.
Les dirigeants de la révolution n'avaient pas l'intention de bâtir une société communiste dans le cadre d'un seul pays.
Mais restés isolés après le reflux de la vague révolutionnaire dans d'autres pays, notamment dans un pays industriellement développé comme l'Allemagne, les dirigeants de l'Union soviétique durent faire fonctionner l'économie et la développer sur de tout autres bases que l'économie capitaliste, sans bourgeoisie, sans propriété privée des moyens de production, sans marché, sans concurrence et sans course au profit. Ils durent le faire dans des conditions particulièrement difficiles s'agissant certes d'un très grand pays, avec une multitude de ressources, mais aussi très pauvre, sous-développé sur le plan matériel comme sur le plan culturel. De plus, la révolution connut un cours différent de ce qu'avaient espéré les communistes véritables. Car la révolution restant isolée, au pouvoir des soviets, c'est-à-dire des conseils ouvriers et à la démocratie ouvrière, succéda le pouvoir d'une bureaucratie anti-ouvrière.
Eh bien, malgré ces conditions difficiles et, contrairement aux mensonges répétés depuis, des livres scolaires jusqu'aux plus grands médias, l'Union soviétique n'a certainement pas eu à rougir de la comparaison.
Cette Russie révolutionnaire, arriérée au départ, dévastée et épuisée par les guerres et les commotions révolutionnaires, mit près de dix ans pour se remettre au niveau économique où elle était en 1913, juste avant la guerre. Cela fut déjà une performance car elle y est parvenue malgré les interventions hostiles du monde capitaliste entier. Puis, entre 1926 et 1938, c'est-à-dire en douze ans, sa production industrielle a été multipliée par huit alors que, pendant cette même période, l'économie capitaliste s'était effondrée dans la crise, y compris dans ses citadelles américaine et allemande.
Cette période de croissance sans précédent ne fut que momentanément interrompue par la Deuxième Guerre mondiale, par l'invasion des troupes nazies, mais pas définitivement arrêtée. Pendant la guerre, l'Union soviétique fut capable de tenir tête à une des principales puissances capitalistes européennes, l'Allemagne, et, finalement, de l'emporter. Ce ne fut pas seulement une question de courage ou une question de motivation. Cela comptât, bien sûr et ô combien, mais la guerre fut aussi une confrontation économique.
Combien de chars, combien de canons, les économies des deux pays en guerre pouvaient produire, et, donc, combien de tonnes d'acier ? Eh bien, malgré l'aveuglement de Staline, qui s'est laissé surprendre par l'attaque de Hitler, malgré la désorganisation de l'armée soviétique consécutive aux procès politiques qui l'avaient décapitée, l'Union soviétique et son économie, tout autant que son armée, sortirent victorieuses de la confrontation.
Et la guerre finie, l'Union soviétique continua sur un cours ascendant son développement industriel au point que, de pays sous-développé du départ, comparable à l'Inde ou au Brésil, elle devint dans les années 1960 la deuxième puissance industrielle du monde. Une puissance industrielle capable, je l'ai dit tout à l'heure, de se confronter dans la course à l'espace avec la principale puissance impérialiste du monde, les États-Unis, et d'être en tête pendant une bonne dizaine d'années. Sa production globale resta, certes, de loin inférieure à celle des États-Unis. Mais, alors qu'elle n'en représentait que 28 % en 1937, elle en représentait la moitié en 1972.
Cela se fit sous la dictature mais, contrairement à ce que racontent bien des commentateurs aussi stupides que malveillants, ce n'est pas la dictature qui permit ces progrès fulgurants. Sinon, de Mobutu à Duvalier, de Bongo aux dictatures militaires d'Argentine et du Brésil, on aurait dû en voir, des pays qui se développent ! Non, la dictature et les prélèvements de la bureaucratie furent des handicaps, et pas un avantage. La raison fondamentale du développement était l'étatisation, la concentration des moyens de production, la planification et le contrôle par l'État du commerce extérieur.
Alors, bien sûr, ils étaient révoltants, ces magasins spéciaux où les bureaucrates pouvaient trouver tout ce dont ils avaient besoin, y compris des produits importés, alors que la consommation de la population était réduite au strict minimum !
Mais ces prélèvements honteux de la bureaucratie que représentaient-ils à côté des prélèvements assumés au grand jour, à côté des dépenses de luxe les plus extravagantes et du train de vie des Bettencourt, Arnault et autres milliardaires ? Et pour douloureuse qu'ait été la gabegie bureaucratique pour l'économie soviétique, son coût social était sans comparaison avec ce que coûtent à la société l'immense gâchis de la course au profit, des rivalités économiques, la financiarisation de l'économie, le chômage de masse, sans même parler des crises financières.
Il faut aussi ajouter que, pour négligés qu'aient été les besoins des classes laborieuses par rapport à la bureaucratie, le progrès de leur niveau de vie n'était certainement pas inférieur à celui des masses populaires de pays au degré de développement comparable. Et, même sous l'angle de la consommation de masse, l'Union soviétique des années 1930 puis des années 1950 et 1960, ne souffrirait pas de la comparaison avec d'autres pays comparables comme le Brésil ou l'Inde. Et ce d'autant plus si l'on tient compte non seulement des salaires individuels mais aussi de l'accès de tous à la santé, à l'alphabétisation, à la scolarisation y compris jusqu'au niveau universitaire.
Alors oui, malgré toutes les conséquences néfastes de l'isolement économique, malgré les méthodes bureaucratiques, malgré le parasitisme de la bureaucratie, l'économie soviétique, basée sur la propriété étatique et la planification, avait progressé plus fortement pendant un bon demi-siècle que n'importe lequel des pays bourgeois.
Alors, bien sûr, contrairement aux vantardises de certains chefs de la bureaucratie, en pleine euphorie de la conquête de l'espace, l'Union soviétique ne réussit jamais à rattraper les États-Unis. Mais faut-il le redire, il y avait au départ un écart considérable dans les degrés de développement de ces deux pays. De plus, les États-Unis se sont développés pour une large part en pillant le restant du monde capitaliste, à commencer par les pays pauvres.
A infiniment plus forte raison, l'Union soviétique n'a pas réalisé le communisme. Mais, en revanche, grâce à l'organisation économique dont les fondements avaient été jetés par la révolution prolétarienne, comme je l'ai dit tout à l'heure, l'Union soviétique sous-développée était devenue la deuxième puissance industrielle du monde.
Trotsky affirmait, dans la Révolution Trahie : « Si la révolution d'Octobre n'avait apporté que cette accélération d'allure, elle serait déjà justifiée du point de vue historique ... » quand bien même « le prolétariat russe a fait la révolution en vue de fins beaucoup plus élevées ».
Et j'ajouterais que l'on peut choisir n'importe quelle période de dix ans dans l'histoire de l'Union soviétique et la comparer avec les dix ans qui ont suivi son écroulement, la comparaison est éloquente ! Pendant les dix premières années du retour vers le capitalisme engagé par les dirigeants de la bureaucratie, l'effondrement de l'économie de la Russie apparaît dans les chiffres : la production nationale a reculé de 50 %, et jusqu'à la démographie qui a diminué régulièrement d'un ou deux millions de personnes par an ! Et, dans les autres États de l'ex-Union soviétique, plus pauvres, cela a été pire.
Mais telle est la puissance de la propagande du monde capitaliste que ce recul catastrophique, cet appauvrissement considérable du pays, ont été transfigurés en une marche triomphante vers le bien-être à l'occidentale et vers la liberté ! Comme si l'enrichissement de quelques millions de bureaucrates et de nouveaux bourgeois par le pillage de la propriété collective ou l'invasion de la Côte-d'Azur ou de stations de sports d'hiver huppées par des milliardaires russes étaient le signe du développement du pays. Et comme si la liberté pouvait se résumer au régime tout à la fois policier et mafieux de Poutine !
Alors, en Union soviétique, ce n'est pas l'économie soviétique qui a fait faillite. Ce qui a fait faillite, c'est le pouvoir de la bureaucratie attirée par les charmes du capitalisme. Quoi qu'on nous en dise, l'économie de marché capitaliste développe moins bien l'économie, moins rationnellement, que l'Union soviétique ne l'a fait malgré son retard et ses handicaps.
La dégénérescence de l'Union soviétique a été la dégénérescence de l'appareil étatique mis en place par le prolétariat. Mais, même déformés par les besoins propres à la bureaucratie, l'étatisme, la planification, ont résisté à l'épreuve. Comme l'écrivait Trotsky dans la Révolution Trahie : « Il n'y a plus lieu de discuter avec MM. Les économistes bourgeois : le socialisme a démontré son droit à la victoire, non dans les pages du Capital, mais dans une arène économique qui couvre le sixième de la surface du globe ; non dans un langage de la dialectique, mais dans celui du fer, du ciment et de l'électricité ».
Et, même sur le plan du régime politique, il faut rappeler que les années pendant lesquelles a émergé le pouvoir de Staline ont été les années pendant lesquelles apparut Hitler en Allemagne, un des pays les plus développés et les plus civilisés du capitalisme. Sans parler des innombrables autres dictatures.
Alors oui, tout dans l'histoire récente nous conforte dans la conviction que le capitalisme a fait son temps et qu'il doit céder la place à une forme d'organisation économique et sociale supérieure.
Le capitalisme n'est pas seulement injuste, il est aussi anachronique et il constitue un frein devant tout essor de la civilisation humaine. Mais une organisation sociale peut se maintenir bien au-delà de sa légitimité historique. Depuis la révolution russe et la vague révolutionnaire qui l'a suivie, faisant espérer la défaite du capitalisme, il s'est passé près d'un siècle. L'humanité a payé ce retard historique par la grande dépression de 1929, par le nazisme en Allemagne, par la Deuxième Guerre mondiale mais aussi par le stalinisme. Elle le paye depuis la Deuxième Guerre mondiale par un développement économique aussi cahoteux qu'inégalitaire. Elle le paie par les guerres innombrables menées par les grandes puissances impérialistes pour maintenir leur mainmise sur les richesses d'une région, directement ou par fantoches interposés. Elle le paie par l'incapacité de l'humanité à mettre fin à la sous-alimentation et aux famines dans le monde, alors pourtant que les moyens matériels pour y parvenir existent largement. Elle le paie par le fait que, même dans les pays les plus riches, on peut crever de froid dans la rue car on ne construit pas le nombre de logements accessibles qu'il faut, alors même que les bras qui existent pour le faire sont condamnés au chômage.
Mais cet ordre social même dépassé, devenu anachronique, ne disparaîtra que s'il y a une force révolutionnaire pour le faire disparaître. Les marxistes ont toujours considéré que la force révolutionnaire capable de détruire le capitalisme ne peut être que la classe ouvrière ou, si l'on veut, la classe salariale dans toute sa diversité.
Il n'y a pas lieu de s'étonner que cette classe sociale dont dépend en dernier ressort l'avenir de l'humanité n'apparaisse pas révolutionnaire en permanence. Les périodes révolutionnaires, c'est-à-dire lorsque la classe dominante ne croit plus en son propre avenir et lorsqu'il y a une classe nouvelle qui est prête à prendre sa place, sont extrêmement rares. Il n'y en eut guère que deux ou trois au XIXème siècle, et autant au XXème.
Mais c'est précisément dans ces périodes-là qu'il faut que la classe porteuse d'avenir soit prête à assumer son rôle. Et le prolétariat ne pourra l'assumer que s'il dispose d'un parti révolutionnaire. Il y a soixante-dix ans déjà, Trotsky avait écrit que « la crise de l'humanité se réduit à la crise de la direction prolétarienne ».
Les partis qui ont joué ce rôle à différentes époques historiques, les partis socialistes à la fin du XIXème siècle et au début du XXème, ou les partis communistes pendant les quelques années qui ont suivi la révolution russe et avant que le stalinisme les transforme en instruments de la bureaucratie russe, ne jouent plus ce rôle depuis très longtemps. De partis ouvriers ayant pour objectif l'émancipation sociale, ils se sont transformés en instruments de la bourgeoisie, en défenseurs du capitalisme au sein de la classe ouvrière. C'est cela qui a permis à la bourgeoisie de prolonger son règne.
Mais, si on peut retarder la marche de l'histoire, on ne peut pas l'arrêter. Le communisme n'est pas une utopie qui peut disparaître. Sa nécessité résulte de la marche même du capitalisme.
Débarrassée de la domination de la bourgeoisie, du carcan de la propriété privée et des dégâts de la course au profit, l'économie connaîtra une nouvelle période d'essor, mais un essor maîtrisé. Pour reprendre encore une expression de Trotsky, « l'abolition de la propriété privée des moyens de production est la première condition de l'économie planifiée, c'est-à-dire l'introduction de la raison dans les relations humaines... ».
Malgré leurs limites, les progrès économiques de l'Union soviétique donnent une idée de ce que l'organisation planifiée, étatisée, de la production pourrait réaliser si elle était appliquée non pas dans un pays pauvre mais dans les pays industriels développés. A commencer par les États-Unis avec les formidables possibilités matérielles concentrées sur leur sol, avec le contrôle de cette classe ouvrière nombreuse et cultivée.
Le prolétariat au pouvoir développera la production mais en la maîtrisant. L'économie sous le contrôle démocratique du prolétariat produira pour satisfaire les besoins de la population, mais rien que pour cela. Elle développera la production mais en respectant la nature. Comme Karl Marx l'a expliqué dans Le Capital, je cite « La société elle-même n'est pas propriétaire de la Terre. Il n'y a que des usufruitiers qui doivent l'administrer en bons pères de famille, afin de transmettre aux générations futures un bien amélioré ».
La révolution ouvrière supprimera les frontières nationales et toutes les barrières matérielles ou morales qu'elles impliquent. Le prolétariat dirigeant l'économie arrêtera immédiatement les productions nuisibles. En particulier l'industrie d'armement, qui concentre aujourd'hui bien souvent le meilleur des connaissances scientifiques et technologiques, pourrait être reconvertie à des technologies de pointe. Il cherchera à réduire l'inégalité criante entre les parties développées et les parties sous-développées de la planète.
La socialisation des moyens de production ne signifie pas seulement la fin de la concurrence, des rivalités économiques. Elle signifiera plus encore la mise en commun du savoir et des progrès de l'ensemble de l'humanité. Un des aspects les plus révoltants de la concurrence est que, même dans les domaines les plus indispensables, les groupes capitalistes gardent jalousement les fruits des recherches de leurs ingénieurs et de leurs chercheurs. Rien que cela constitue un frein considérable au progrès scientifique et technique.
Le prolétariat fera cependant bon usage des conditions de production et de centralisation créées par le capitalisme. Les moyens techniques et organisationnels mis en place par les grands trusts pour coordonner les activités de leurs entreprises à l'échelle du monde ne leur servent aujourd'hui qu'à réaliser, les uns contre les autres, des gains supplémentaires et toujours au détriment de la population. Mais ils peuvent être mis au service d'une autre rationalité, celle qui vise à satisfaire au mieux les besoins des hommes.
Les progrès scientifiques et techniques hérités du capitalisme, les satellites pour surveiller la végétation et prévoir les récoltes, les moyens de communication puissants qui servent aujourd'hui à la spéculation boursière, seront mis au service de la planification à l'échelle de la planète, dans les domaines où c'est à cette échelle qu'il faut planifier.
Mais cette planification sera en même temps extrêmement souple. Et s'il faut une collaboration à l'échelle de la planète pour combattre le réchauffement ou le trou de la couche d'ozone, ou encore pour prévoir les grandes catastrophes naturelles, une très large part de la production agricole ou industrielle pourra être planifiée à une échelle plus petite, régionale ou locale, sous le contrôle le plus direct de la population.
Et la hausse de la productivité que tout cela engendrera dans une économie débarrassée de la course au profit permettra de réduire le temps de travail et de faire en sorte que les hommes puissent se consacrer à d'autres choses qu'à la production de biens matériels nécessaires pour vivre. L'éducation, la culture sous toutes ses formes, pourront connaître alors un essor comme jamais dans l'histoire de l'humanité.
C'est alors qu'on pourra dire que l'humanité est en train de sortir de la barbarie.
Alors oui, le communisme se fraiera un chemin. C'est inscrit dans l'évolution de l'économie comme de la société. Il le fera au travers des hommes car ce sont les hommes qui font leur propre histoire. Et lorsque la classe ouvrière aura conscience de cette nécessité, lorsque celle-ci aura collectivement repris confiance en elle-même, elle fera surgir inévitablement en son sein des femmes et des hommes qui feront de l'activité pour l'émancipation de leur classe, la raison d'être de leur vie.
Mais alors il faudra qu'il y ait des militants qui transmettent une tradition politique et organisationnelle. Des militants qui ne confondent pas les succès électoraux avec la révolution sociale, l'anticapitalisme avec la destruction du pouvoir politique et économique de la bourgeoisie. Des militants qui ne confondent pas la critique de quelques aspects néfastes du capitalisme avec la nécessité de créer les conditions d'une autre organisation de la société, le communisme.
Le capitalisme génère tant d'injustices, tant de formes d'oppression, tant de nuisances, dans le domaine social et écologique, qu'il y a la place pour une multitude de partis protestataires.
Mais ce qui manque, c'est un parti dont l'objectif ultime soit la conquête du pouvoir par la classe ouvrière, non pas à l'intérieur des institutions de la bourgeoisie mais, au contraire, par la destruction de ces institutions et leur remplacement par des organes démocratiques du pouvoir des travailleurs eux-mêmes. Comme l'ont été dans le passé la Commune de Paris, en France, ou les conseils ouvriers, les « soviets », en Russie.
De telles situations signifient que les luttes sociales, que la lutte des classes, ont pris un caractère aigu, entraînant la majeure partie des classes exploitées et ébranlant toute la société.
Il faudra alors un parti qui soit déterminé capable d'aller jusqu'au bout, soudé autour du programme communiste, afin de permettre à la classe ouvrière de prendre et d'exercer démocratiquement le pouvoir.
Ce parti reste encore à construire, à grandir et à aguerrir dans les luttes quotidiennes de la classe ouvrière. Il lui faudra, dans ces luttes, mériter la confiance des travailleurs les plus combatifs. Il faudra qu'il soit capable de mener ces luttes petites et grandes sans perdre son objectif ultime.
Ce parti, un véritable parti communiste révolutionnaire, ne cherchera pas à être majoritaire ou même influent dans les institutions de la bourgeoisie. Mais il faudra qu'il soit à la hauteur lorsque viendront les secousses révolutionnaires.
Voilà, camarades, les objectifs qui sont les nôtres. Nous sommes communistes parce que nous avons la conviction profonde que le capitalisme ne peut pas être l'avenir de l'humanité et que toute l'évolution pousse dans le sens d'une organisation économique et sociale supérieure, le communisme.
Et, parce que nous avons confiance dans les capacités de la classe ouvrière, nous avons la conviction que, tôt ou tard, elle fera surgir de ses rangs des femmes et des hommes décidés à consacrer leur vie à l'émancipation de l'humanité.
C'est à cet avenir-là que nous consacrons toute notre activité militante et l'activité de toutes celles et de tous ceux qui sont décidés à nous rejoindre !
Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 19 février 2009
Oui, je commence par ces mots, comme le fait Arlette depuis toujours et pour les mêmes raisons. En effet, nous nous adressons avant tout à celles et ceux de notre camp, aux exploités, à ceux qui n'ont pour vivre que leur force de travail. Cette classe, la nôtre, on a beau en nier jusqu'à l'existence, derrière les vocables de « classe moyenne » que Sarkozy utilise même pour parler des smicards. C'est cette classe sociale qui n'exploite personne mais qui fait marcher l'économie et qui fait vivre toute la société. C'est de son activité que vivent les grandes sociétés, industrielles ou commerciales, les banques et une légion de petites entreprises qui se développent dans les interstices du tissu économique.
Cette classe sociale des travailleurs est bien plus variée qu'au temps de Marx. Les progrès scientifiques et technologiques, le développement et la diversification de l'économie, ont fait surgir de nouvelles branches, des industries nouvelles. Mais les ouvriers sur chaînes dans l'industrie automobile ou les caissières de supermarchés, les travailleurs du bâtiment ou les cheminots, les ingénieurs ou les pilotes d'avions, les employés de banque ou les manoeuvres, les chimistes ou les informaticiens, ils ont tous en commun qu'ils sont exploités. Ils ne touchent qu'une partie de la valeur créée par le travail sous forme de salaire, le reste de cette valeur va grossir les profits de la classe bourgeoise. Ces travailleurs font partie de la même classe sociale que celles et ceux qui, sans être exploités par un patron privé, n'ont que leur salaire pour vivre et qui, contrairement à tant de riches parasites, mènent une activité utile, voire indispensable à la société : les infirmières, les enseignants, les postiers et, dans l'ensemble, les salariés des services publics.
Au-delà de tous les changements, de toute la diversification survenus depuis Marx, la société reste donc divisée en deux classes fondamentales antagonistes : la bourgeoisie et le prolétariat, même si ce mot est passé de mode.
Dans la société qui est la nôtre, la société capitaliste, les moyens de production, les usines, les mines, les banques, les grandes entreprises industrielles, appartiennent aux capitalistes. C'est cette classe numériquement minoritaire qui, en dominant l'économie, domine la vie sociale et la vie politique. C'est sa vision du monde qui est répercutée par la télévision, par la radio, par la presse, par les grands moyens d'information qui sont en général sa propriété, et qui est même enseignée à l'école.
C'est au nom de la propriété privée que la classe capitaliste s'approprie et concentre entre ses mains une part importante du travail social, ne laissant aux salariés que le minimum nécessaire pour vivre et se reproduire. Mais c'est aussi au nom de la propriété privée que les différents capitalistes se mènent, par la concurrence, une guerre permanente, chacun cherchant à réaliser le maximum de profit.
L'économie capitaliste est une économie qui reproduit sans cesse et aggrave les inégalités sociales, concentrant les richesses à un pôle et développant la pauvreté à l'autre. C'est une économie qui produit en fonction du marché, c'est-à-dire uniquement en fonction de la consommation solvable. Elle ne produit que pour ceux qui paient. C'est aussi une économie dont le fonctionnement est chaotique, irrationnel, imprévisible car chaque capitaliste décide de ce qu'il produit, comment, en fonction de ses seuls intérêts, sans que quiconque organise, réglemente, coordonne la production globale.
La bourgeoisie, et l'ordre économique dont elle est porteuse, le capitalisme, a une longue histoire. L'économie capitaliste s'est imposée, d'abord dans quelques pays d'Europe occidentale, l'Angleterre bien sûr, mais aussi la France, les Pays-Bas ou l'Allemagne. Au fil du temps cependant, les régions les plus reculées de la planète ont été intégrées dans ce système, de gré ou de force.
La bourgeoisie n'a été révolutionnaire qu'à ses débuts et dans ses régions d'origine d'Europe occidentale et d'Amérique. Et, encore, jusqu'à un certain point, tant que ses intérêts de classe n'étaient pas menacés par en bas, par cette classe ouvrière que sa propre économie renforçait sans cesse.
Cela fait au bas mot un siècle et demi que, parti à la conquête du monde, le capitalisme ne supprime plus ce qui reste des anciennes formes d'oppression, même les plus archaïques. Il s'accommode des castes en Indes, des antagonismes ethniques, voire de l'esclavage, en Afrique et d'infinies variétés de formes d'oppression, notamment de la femme, un peu partout. Bien des pays pauvres ont donc été intégrés dans l'économie capitaliste mondiale avec des scories d'anciens systèmes d'oppression que le capitalisme ne s'est même pas donné la peine de supprimer, quand il ne les a pas ressuscités et, en tout cas, confortés.
Mais à tout cela, il a ajouté l'esclavage salarial et la loi du profit qui, aujourd'hui, dominent et conditionnent toutes les autres formes d'exploitation et d'oppression.
Cela fait près d'un siècle et demi que le monde entier est devenu capitaliste.
Aujourd'hui, il n'y a plus aucune région de la planète où la vie des hommes ne soit pas entièrement dépendante de l'économie capitaliste, directement ou indirectement. Le capitalisme est un système mondial. Les États-Unis, la France, les grands pays industriels, sont capitalistes. Et sont aussi capitalistes non seulement le Brésil et l'Inde, mais tout autant Haïti, le Mali ou le Zimbabwe.
Les pays pauvres ne sont pas simplement en retard par rapport aux pays riches. La richesse des grands pays impérialistes, comme les États-Unis ou la France, et la misère, l'arriération économique, de la majorité pauvre de la planète sont l'expression d'une même intégration dans le même système capitaliste mondial qui a creusé, consolidé et aggravé sans cesse la dépendance des pays sous-développés par rapport aux pays impérialistes.
Au long de son histoire, le capitalisme a évolué. La domination de la bourgeoisie a reposé, dès ses débuts, sur « l'exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale ». Son histoire depuis ses débuts est une succession de pillages, de guerres, de crimes, du trafic des esclaves au travail des enfants dans les usines de textile de la révolution industrielle, du massacre de peuples entiers à la conquête des colonies. Malgré tout cela, le capitalisme a représenté à ses origines un progrès formidable pour l'humanité. Pour reprendre l'expression de Marx dans le Manifeste Communiste : « la bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire. Et il expliquait : « C'est elle qui, la première, a fait voir ce dont est capable l'activité humaine : elle a créé de tout autres merveilles que les pyramides d'Egypte, les aqueducs romains, les cathédrales gothiques ; elle a mené à bien de tout autres expéditions que les invasions et les croisades ». Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. La concurrence, qui a été le principal ressort du progrès capitaliste, a abouti à la concentration et à la centralisation du processus capitaliste. Le capitalisme est devenu l'impérialisme. Pour reprendre une expression de Trotsky, « de la concurrence (...) qui avait été le ressort créateur du capitalisme et sa justification historique sort irrévocablement le monopole malfaisant, parasitaire, réactionnaire ».
Ce sont ces monopoles, les groupes financiers et industriels qui dominent aujourd'hui l'économie mondiale. Périodiquement, les adversaires des idées communistes prétendent que cette concentration même des capitaux permettaient une régulation du fonctionnement du capitalisme et la disparition des crises.
On voit aujourd'hui qu'il n'en est rien. Aux dires même des dirigeants du monde capitaliste, la crise actuelle est une des plus graves que l'économie capitaliste ait connues depuis la grande crise qui a suivi l'effondrement de la Bourse de New York en 1929.
Même pendant ses périodes d'expansion, le capitalisme représente un énorme gâchis pour la société. Même pendant ses périodes d'expansion, il privilégie la production de biens inutiles, voire nuisibles par rapport aux besoins fondamentaux, parce que le capitalisme n'a que faire des besoins de ceux qui n'ont pas d'argent pour acheter. Il est significatif que, depuis bien des années, les deux commerces qui arrivent en tête du commerce mondial capitaliste du point de vue du chiffre d'affaire réalisé l'un légalement et l'autre illégalement sont le commerce des armes et celui des drogues. Même pendant ses périodes d'expansion, l'économie capitaliste maintient hors de la production des millions de personnes transformées en chômeurs alors que leur travail pourrait satisfaire des besoins non satisfaits.
Même dans ces périodes d'expansion et même dans les pays impérialistes où l'économie concentre ses plus grandes richesses, elle condamne une partie de la population à la misère matérielle et morale, à la régression, aux cités-dortoirs, quand ce n'est pas aux taudis, aux drogues et à la criminalité.
Même en période d'expansion, le capitalisme creuse l'écart entre les plus riches et les plus pauvres de la société, en même temps qu'il creuse l'écart entre les pays riches et les pays pauvres.
Mais les crises portent tout cela à son paroxysme. Les crises partielles qui se sont succédé tout au long de l'année 2008, la crise alimentaire, la crise pétrolière, la crise immobilière aux États-Unis relayées par la crise financière mondiale ont conflué en une crise économique globale qui est en train de se traduire partout dans le monde par une chute importante de la production, par des fermetures d'entreprises, par des licenciements, par un accroissement brutal du chômage et de la pauvreté.
Cette crise est loin d'être terminée et, pourtant, son bilan est déjà catastrophique. Catastrophique sur le plan matériel, catastrophique sur le plan humain.
Combien de morts dans les pays pauvres au début de 2008 du fait de la crise alimentaire, conséquence elle-même de la spéculation effrénée, expression de la crise financière alors en train de s'annoncer ?
Combien de familles pauvres expulsées de leur logement par la crise immobilière dans le pays le plus riche du monde, les États-Unis ?
Combien de travailleurs des pays industriels acculés à la pauvreté par les licenciements ?
L'économie capitaliste est dans une impasse. Ses têtes pensantes n'ont pas trouvé un autre moyen de la sauver que les interventions des États en pour défendre les intérêts de la grande bourgeoisie.
Il n'est pratiquement pas possible aujourd'hui de compter la quantité de milliards de dollars ou d'euros déversés dans l'économie pour venir en aide aux banquiers et aux industriels en difficultés, d'autant que le bluff ou les gestes psychologiques s'ajoutent aux sommes réellement distribuées.
Les chiffres cités n'ont même plus de signification, mais ce qui est sûr c'est que les sommes versées aux capitalistes sont colossales et elles sont détournées de la protection sociale, des services publics, des retraites, de la construction d'écoles, d'hôpitaux, de logements sociaux. Le rôle de l'État dans le sauvetage du capitalisme en faillite, au sens littéral du terme, souligne le caractère de plus en plus parasitaire du capitalisme.
De la même façon que la noblesse, pendant ses dernières décennies d'existence, s'agglutinait à la cour de Versailles pour y être entretenue par le roi, la classe bourgeoise s'agglutine autour de l'État pour être entretenue. les pertes des banques sont étatisées alors que les profits, eux, demeurent privés. Les porte-parole de la bourgeoisie traitent d'« assistés » les travailleurs rejetés de la production par la folie du système. Mais c'est le capitalisme qui est assisté. Mais il y a une autre leçon à tirer des interventions massives des États pour voler au secours d'une classe capitaliste incapable de gérer les forces productives modernes qui la dépassent. Même avant la crise, cette économie capitaliste, porteuse de l'idée du « chacun pour soi », ne pouvait fonctionner sans une dose importante d'intervention de l'État. Pour mieux servir les intérêts généraux de la bourgeoisie, l'Etat est obligé d'échapper dans une certaine mesure à la logique du profit individuel et à ses impératifs. Sans l'État, il n'y aurait pas en France d'éducation, de routes, de chemin de fer, de réseau électrique, ni d'aménagement du territoire ou d'urbanisme, et le capitalisme ne pourrait exister.
Au moment de la brusque aggravation de la crise financière, les dirigeants politiques les plus réactionnaires de la bourgeoisie, genre Bush ou Sarkozy, se sont brusquement mis à proclamer les vertus de l'intervention étatique.
Cela n'est pas vraiment nouveau : dans les années trente, pendant la crise, sous des formes différentes, aussi bien l'Allemagne d'Hitler que les États-Unis du président démocrate Roosevelt avaient massivement eu recours à l'étatisme. Et, pendant la guerre, tous les autres États impérialistes en faisaient autant.
Quand dans les années 1950, les États-Unis se sont vus distancer par l'Union soviétique dans la course à l'espace, les dirigeants politiques du pays n'ont pas fait appel à la bonne volonté de capitalistes individuels, ils ne s'en sont pas remis à la concurrence, ni au marché : ils ont créé la NASA, une institution étatique. Sans la NASA, les États-Unis, malgré leur développement économique nettement supérieur à celui de l'Union soviétique, auraient perdu la course à l'espace.
Si l'Union soviétique a été en tête, c'était grâce à son économie centralisée, ce que n'avaient pas les Etats-Unis. Faute d'une telle centralisation, c'est l'État fédéral qui a du apporter la coordination nécessaire à l'entreprise. Sur la base de la seule concurrence et de la course au profit privé, il aurait été impossible de progresser dans la conquête de l'espace.
En faisant appel à l'Etat, le marché rend en quelque sorte hommage à la centralisation et à la planification. C'est l'hommage du vice à la vertu ! C'est l'aveu que la production capitaliste a besoin d'une coordination. La nécessité d'une planification rationnelle suinte par tous les pores de l'économie qui continue, cependant, à fonctionner sous commandement privé et pour produire du profit privé. La bourgeoisie n'est plus capable de gérer les forces productives modernes. Cette incapacité n'est pas due à l'incapacité des hommes, mais à l'incapacité de tout le système économique qui arrive « au bout du rouleau ».
Et, en fait, il y a dans l'étatisme de la bourgeoisie comme une expression déformée, grotesque, de ce sur quoi est fondé aussi notre programme communiste. Car, au fond, la première phase, sinon du communisme, du moins du cheminement vers le communisme, ce sera que toutes les grandes entreprises, toutes les banques, expropriées par la classe ouvrière, deviennent des services publics, c'est-à-dire qu'elles soient, dans la mesure où elles seront nécessaires, coordonnées par un plan en vue de produire non pas du profit privé, mais pour satisfaire les besoins de la société.
Oui, alors même que la bourgeoisie devient de plus en plus parasitaire, vivant de finances, d'activités usuraires, entretenue par l'État, l'économie, elle, continue à tisser des liens à l'échelle nationale et internationale qui rendront plus facile le passage à une économie communiste.
C'est le capitalisme qui a fait surgir des multinationales gigantesques dont les activités se déploient dans des dizaines de pays, internationalisant le vie économique à un degré jamais connu auparavant.
C'est le capitalisme qui a tissé des liens économiques entre les différents pays d'Europe au point que l'économie étouffe dans des frontières nationales dépassées et que la nécessité de détruire ces frontières s'est imposée à la bourgeoisie elle-même sans pour autant qu'elle ose supprimer les États nationaux à son service.
En somme, en même temps qu'elle développe et élargit ses contradictions à l'échelle de la planète, l'économie capitaliste accumule les moyens qui rendent de plus en plus accessible la mise en place d'une organisation économique rationnelle à l'échelle du monde.
L'un des apports fondamentaux de Marx aux idées socialistes a été de comprendre tout ce qui, au sein même de la société capitaliste, annonçait l'avenir communiste de la société. Ce ne sont pas les communistes, mais le capitalisme lui-même qui a fait que la production moderne nécessite la coordination de milliers, de centaines de milliers de personnes. C'est le capitalisme lui-même qui a fait que la production est de fait socialisée, collectivisée, depuis longtemps. Elle l'est à une échelle de plus en plus vaste à notre époque. Elle l'est à l'échelle du monde. Mais ce travail socialisé reste soumis aux intérêts privés et c'est une des contradictions les plus graves du capitalisme de notre époque.
Même les dirigeants les plus réactionnaires n'osent plus présenter le capitalisme réel comme ils le faisaient il y a vingt ans lors de l'éclatement de l'Union soviétique, proclamé alors comme la fin de l'« utopie communiste ». Mais croire que le capitalisme peut se développer sans heurt, sans accroc, sans crise c'est cela l'utopie. Aujourd'hui, même chez les dirigeants du monde capitaliste il est à la mode de parler d'insuffisance de régulation, de moralisation et d'étatisme. Dans leurs discours, revient cependant comme un leitmotiv l'idée que la fin de l'Union soviétique et le retour vers le capitalisme des États qui en sont issus signifient l'échec du communisme. La bourgeoisie, ses économistes, ses politiciens, ses journalistes, présentent la dislocation de l'Union soviétique, non pas comme l'effondrement d'un régime, mais surtout comme l'effondrement d'un système économique. Et, plus encore, comme l'échec des idées communistes, comme la preuve qu'il est vain de tenter d'organiser l'économie sur d'autres bases que le capitalisme, la propriété privée des moyens de production et la course au profit. C'est un mensonge grossier et ce qui se passe dans le monde entier le montre.
L'effondrement de l'Union soviétique a été provoqué par une contre-révolution politique et sociale, et pas par l'échec de l'économie planifiée. Le capitalisme n'a pas montré sa supériorité par rapport à l'économie mise en place par la révolution ouvrière de 1917. Il a seulement aspiré et absorbé la couche privilégiée dominante de la société soviétique.
Parlons-en, donc, du bilan de l'économie soviétique !
Comme Arlette Laguiller l'a rappelé tout à l'heure, le courant politique dont nous nous réclamons, le courant trotskyste est né dans le combat contre la bureaucratisation de l'Union soviétique et contre le stalinisme. Contrairement au PCF, nous n'avons jamais présenté l'Union soviétique de Staline, de Krouchtchev ou de Brejnev comme une société communiste. Nous avons toujours dit qu'une société dominée par une bureaucratie s'imposant par la dictature et survivant en parasite de l'économie de l'Union soviétique ne pouvait pas être une société communiste.
Mais, en revanche, nous assumons pleinement le bilan de l'économie soviétique, telle qu'elle s'est développée sur les bases jetées par la première révolution ouvrière victorieuse malgré les insuffisances et les déformations de la planification dues à la domination de la bureaucratie. L'Union soviétique a été le premier pays où le prolétariat, après avoir pris le pouvoir politique et après avoir aboli complètement la propriété féodale et la propriété bourgeoise, a été confronté au problème de gérer l'économie, de surcroît dans un pays arriéré mais immense.
Les dirigeants de la révolution n'avaient pas l'intention de bâtir une société communiste dans le cadre d'un seul pays.
Mais restés isolés après le reflux de la vague révolutionnaire dans d'autres pays, notamment dans un pays industriellement développé comme l'Allemagne, les dirigeants de l'Union soviétique durent faire fonctionner l'économie et la développer sur de tout autres bases que l'économie capitaliste, sans bourgeoisie, sans propriété privée des moyens de production, sans marché, sans concurrence et sans course au profit. Ils durent le faire dans des conditions particulièrement difficiles s'agissant certes d'un très grand pays, avec une multitude de ressources, mais aussi très pauvre, sous-développé sur le plan matériel comme sur le plan culturel. De plus, la révolution connut un cours différent de ce qu'avaient espéré les communistes véritables. Car la révolution restant isolée, au pouvoir des soviets, c'est-à-dire des conseils ouvriers et à la démocratie ouvrière, succéda le pouvoir d'une bureaucratie anti-ouvrière.
Eh bien, malgré ces conditions difficiles et, contrairement aux mensonges répétés depuis, des livres scolaires jusqu'aux plus grands médias, l'Union soviétique n'a certainement pas eu à rougir de la comparaison.
Cette Russie révolutionnaire, arriérée au départ, dévastée et épuisée par les guerres et les commotions révolutionnaires, mit près de dix ans pour se remettre au niveau économique où elle était en 1913, juste avant la guerre. Cela fut déjà une performance car elle y est parvenue malgré les interventions hostiles du monde capitaliste entier. Puis, entre 1926 et 1938, c'est-à-dire en douze ans, sa production industrielle a été multipliée par huit alors que, pendant cette même période, l'économie capitaliste s'était effondrée dans la crise, y compris dans ses citadelles américaine et allemande.
Cette période de croissance sans précédent ne fut que momentanément interrompue par la Deuxième Guerre mondiale, par l'invasion des troupes nazies, mais pas définitivement arrêtée. Pendant la guerre, l'Union soviétique fut capable de tenir tête à une des principales puissances capitalistes européennes, l'Allemagne, et, finalement, de l'emporter. Ce ne fut pas seulement une question de courage ou une question de motivation. Cela comptât, bien sûr et ô combien, mais la guerre fut aussi une confrontation économique.
Combien de chars, combien de canons, les économies des deux pays en guerre pouvaient produire, et, donc, combien de tonnes d'acier ? Eh bien, malgré l'aveuglement de Staline, qui s'est laissé surprendre par l'attaque de Hitler, malgré la désorganisation de l'armée soviétique consécutive aux procès politiques qui l'avaient décapitée, l'Union soviétique et son économie, tout autant que son armée, sortirent victorieuses de la confrontation.
Et la guerre finie, l'Union soviétique continua sur un cours ascendant son développement industriel au point que, de pays sous-développé du départ, comparable à l'Inde ou au Brésil, elle devint dans les années 1960 la deuxième puissance industrielle du monde. Une puissance industrielle capable, je l'ai dit tout à l'heure, de se confronter dans la course à l'espace avec la principale puissance impérialiste du monde, les États-Unis, et d'être en tête pendant une bonne dizaine d'années. Sa production globale resta, certes, de loin inférieure à celle des États-Unis. Mais, alors qu'elle n'en représentait que 28 % en 1937, elle en représentait la moitié en 1972.
Cela se fit sous la dictature mais, contrairement à ce que racontent bien des commentateurs aussi stupides que malveillants, ce n'est pas la dictature qui permit ces progrès fulgurants. Sinon, de Mobutu à Duvalier, de Bongo aux dictatures militaires d'Argentine et du Brésil, on aurait dû en voir, des pays qui se développent ! Non, la dictature et les prélèvements de la bureaucratie furent des handicaps, et pas un avantage. La raison fondamentale du développement était l'étatisation, la concentration des moyens de production, la planification et le contrôle par l'État du commerce extérieur.
Alors, bien sûr, ils étaient révoltants, ces magasins spéciaux où les bureaucrates pouvaient trouver tout ce dont ils avaient besoin, y compris des produits importés, alors que la consommation de la population était réduite au strict minimum !
Mais ces prélèvements honteux de la bureaucratie que représentaient-ils à côté des prélèvements assumés au grand jour, à côté des dépenses de luxe les plus extravagantes et du train de vie des Bettencourt, Arnault et autres milliardaires ? Et pour douloureuse qu'ait été la gabegie bureaucratique pour l'économie soviétique, son coût social était sans comparaison avec ce que coûtent à la société l'immense gâchis de la course au profit, des rivalités économiques, la financiarisation de l'économie, le chômage de masse, sans même parler des crises financières.
Il faut aussi ajouter que, pour négligés qu'aient été les besoins des classes laborieuses par rapport à la bureaucratie, le progrès de leur niveau de vie n'était certainement pas inférieur à celui des masses populaires de pays au degré de développement comparable. Et, même sous l'angle de la consommation de masse, l'Union soviétique des années 1930 puis des années 1950 et 1960, ne souffrirait pas de la comparaison avec d'autres pays comparables comme le Brésil ou l'Inde. Et ce d'autant plus si l'on tient compte non seulement des salaires individuels mais aussi de l'accès de tous à la santé, à l'alphabétisation, à la scolarisation y compris jusqu'au niveau universitaire.
Alors oui, malgré toutes les conséquences néfastes de l'isolement économique, malgré les méthodes bureaucratiques, malgré le parasitisme de la bureaucratie, l'économie soviétique, basée sur la propriété étatique et la planification, avait progressé plus fortement pendant un bon demi-siècle que n'importe lequel des pays bourgeois.
Alors, bien sûr, contrairement aux vantardises de certains chefs de la bureaucratie, en pleine euphorie de la conquête de l'espace, l'Union soviétique ne réussit jamais à rattraper les États-Unis. Mais faut-il le redire, il y avait au départ un écart considérable dans les degrés de développement de ces deux pays. De plus, les États-Unis se sont développés pour une large part en pillant le restant du monde capitaliste, à commencer par les pays pauvres.
A infiniment plus forte raison, l'Union soviétique n'a pas réalisé le communisme. Mais, en revanche, grâce à l'organisation économique dont les fondements avaient été jetés par la révolution prolétarienne, comme je l'ai dit tout à l'heure, l'Union soviétique sous-développée était devenue la deuxième puissance industrielle du monde.
Trotsky affirmait, dans la Révolution Trahie : « Si la révolution d'Octobre n'avait apporté que cette accélération d'allure, elle serait déjà justifiée du point de vue historique ... » quand bien même « le prolétariat russe a fait la révolution en vue de fins beaucoup plus élevées ».
Et j'ajouterais que l'on peut choisir n'importe quelle période de dix ans dans l'histoire de l'Union soviétique et la comparer avec les dix ans qui ont suivi son écroulement, la comparaison est éloquente ! Pendant les dix premières années du retour vers le capitalisme engagé par les dirigeants de la bureaucratie, l'effondrement de l'économie de la Russie apparaît dans les chiffres : la production nationale a reculé de 50 %, et jusqu'à la démographie qui a diminué régulièrement d'un ou deux millions de personnes par an ! Et, dans les autres États de l'ex-Union soviétique, plus pauvres, cela a été pire.
Mais telle est la puissance de la propagande du monde capitaliste que ce recul catastrophique, cet appauvrissement considérable du pays, ont été transfigurés en une marche triomphante vers le bien-être à l'occidentale et vers la liberté ! Comme si l'enrichissement de quelques millions de bureaucrates et de nouveaux bourgeois par le pillage de la propriété collective ou l'invasion de la Côte-d'Azur ou de stations de sports d'hiver huppées par des milliardaires russes étaient le signe du développement du pays. Et comme si la liberté pouvait se résumer au régime tout à la fois policier et mafieux de Poutine !
Alors, en Union soviétique, ce n'est pas l'économie soviétique qui a fait faillite. Ce qui a fait faillite, c'est le pouvoir de la bureaucratie attirée par les charmes du capitalisme. Quoi qu'on nous en dise, l'économie de marché capitaliste développe moins bien l'économie, moins rationnellement, que l'Union soviétique ne l'a fait malgré son retard et ses handicaps.
La dégénérescence de l'Union soviétique a été la dégénérescence de l'appareil étatique mis en place par le prolétariat. Mais, même déformés par les besoins propres à la bureaucratie, l'étatisme, la planification, ont résisté à l'épreuve. Comme l'écrivait Trotsky dans la Révolution Trahie : « Il n'y a plus lieu de discuter avec MM. Les économistes bourgeois : le socialisme a démontré son droit à la victoire, non dans les pages du Capital, mais dans une arène économique qui couvre le sixième de la surface du globe ; non dans un langage de la dialectique, mais dans celui du fer, du ciment et de l'électricité ».
Et, même sur le plan du régime politique, il faut rappeler que les années pendant lesquelles a émergé le pouvoir de Staline ont été les années pendant lesquelles apparut Hitler en Allemagne, un des pays les plus développés et les plus civilisés du capitalisme. Sans parler des innombrables autres dictatures.
Alors oui, tout dans l'histoire récente nous conforte dans la conviction que le capitalisme a fait son temps et qu'il doit céder la place à une forme d'organisation économique et sociale supérieure.
Le capitalisme n'est pas seulement injuste, il est aussi anachronique et il constitue un frein devant tout essor de la civilisation humaine. Mais une organisation sociale peut se maintenir bien au-delà de sa légitimité historique. Depuis la révolution russe et la vague révolutionnaire qui l'a suivie, faisant espérer la défaite du capitalisme, il s'est passé près d'un siècle. L'humanité a payé ce retard historique par la grande dépression de 1929, par le nazisme en Allemagne, par la Deuxième Guerre mondiale mais aussi par le stalinisme. Elle le paye depuis la Deuxième Guerre mondiale par un développement économique aussi cahoteux qu'inégalitaire. Elle le paie par les guerres innombrables menées par les grandes puissances impérialistes pour maintenir leur mainmise sur les richesses d'une région, directement ou par fantoches interposés. Elle le paie par l'incapacité de l'humanité à mettre fin à la sous-alimentation et aux famines dans le monde, alors pourtant que les moyens matériels pour y parvenir existent largement. Elle le paie par le fait que, même dans les pays les plus riches, on peut crever de froid dans la rue car on ne construit pas le nombre de logements accessibles qu'il faut, alors même que les bras qui existent pour le faire sont condamnés au chômage.
Mais cet ordre social même dépassé, devenu anachronique, ne disparaîtra que s'il y a une force révolutionnaire pour le faire disparaître. Les marxistes ont toujours considéré que la force révolutionnaire capable de détruire le capitalisme ne peut être que la classe ouvrière ou, si l'on veut, la classe salariale dans toute sa diversité.
Il n'y a pas lieu de s'étonner que cette classe sociale dont dépend en dernier ressort l'avenir de l'humanité n'apparaisse pas révolutionnaire en permanence. Les périodes révolutionnaires, c'est-à-dire lorsque la classe dominante ne croit plus en son propre avenir et lorsqu'il y a une classe nouvelle qui est prête à prendre sa place, sont extrêmement rares. Il n'y en eut guère que deux ou trois au XIXème siècle, et autant au XXème.
Mais c'est précisément dans ces périodes-là qu'il faut que la classe porteuse d'avenir soit prête à assumer son rôle. Et le prolétariat ne pourra l'assumer que s'il dispose d'un parti révolutionnaire. Il y a soixante-dix ans déjà, Trotsky avait écrit que « la crise de l'humanité se réduit à la crise de la direction prolétarienne ».
Les partis qui ont joué ce rôle à différentes époques historiques, les partis socialistes à la fin du XIXème siècle et au début du XXème, ou les partis communistes pendant les quelques années qui ont suivi la révolution russe et avant que le stalinisme les transforme en instruments de la bureaucratie russe, ne jouent plus ce rôle depuis très longtemps. De partis ouvriers ayant pour objectif l'émancipation sociale, ils se sont transformés en instruments de la bourgeoisie, en défenseurs du capitalisme au sein de la classe ouvrière. C'est cela qui a permis à la bourgeoisie de prolonger son règne.
Mais, si on peut retarder la marche de l'histoire, on ne peut pas l'arrêter. Le communisme n'est pas une utopie qui peut disparaître. Sa nécessité résulte de la marche même du capitalisme.
Débarrassée de la domination de la bourgeoisie, du carcan de la propriété privée et des dégâts de la course au profit, l'économie connaîtra une nouvelle période d'essor, mais un essor maîtrisé. Pour reprendre encore une expression de Trotsky, « l'abolition de la propriété privée des moyens de production est la première condition de l'économie planifiée, c'est-à-dire l'introduction de la raison dans les relations humaines... ».
Malgré leurs limites, les progrès économiques de l'Union soviétique donnent une idée de ce que l'organisation planifiée, étatisée, de la production pourrait réaliser si elle était appliquée non pas dans un pays pauvre mais dans les pays industriels développés. A commencer par les États-Unis avec les formidables possibilités matérielles concentrées sur leur sol, avec le contrôle de cette classe ouvrière nombreuse et cultivée.
Le prolétariat au pouvoir développera la production mais en la maîtrisant. L'économie sous le contrôle démocratique du prolétariat produira pour satisfaire les besoins de la population, mais rien que pour cela. Elle développera la production mais en respectant la nature. Comme Karl Marx l'a expliqué dans Le Capital, je cite « La société elle-même n'est pas propriétaire de la Terre. Il n'y a que des usufruitiers qui doivent l'administrer en bons pères de famille, afin de transmettre aux générations futures un bien amélioré ».
La révolution ouvrière supprimera les frontières nationales et toutes les barrières matérielles ou morales qu'elles impliquent. Le prolétariat dirigeant l'économie arrêtera immédiatement les productions nuisibles. En particulier l'industrie d'armement, qui concentre aujourd'hui bien souvent le meilleur des connaissances scientifiques et technologiques, pourrait être reconvertie à des technologies de pointe. Il cherchera à réduire l'inégalité criante entre les parties développées et les parties sous-développées de la planète.
La socialisation des moyens de production ne signifie pas seulement la fin de la concurrence, des rivalités économiques. Elle signifiera plus encore la mise en commun du savoir et des progrès de l'ensemble de l'humanité. Un des aspects les plus révoltants de la concurrence est que, même dans les domaines les plus indispensables, les groupes capitalistes gardent jalousement les fruits des recherches de leurs ingénieurs et de leurs chercheurs. Rien que cela constitue un frein considérable au progrès scientifique et technique.
Le prolétariat fera cependant bon usage des conditions de production et de centralisation créées par le capitalisme. Les moyens techniques et organisationnels mis en place par les grands trusts pour coordonner les activités de leurs entreprises à l'échelle du monde ne leur servent aujourd'hui qu'à réaliser, les uns contre les autres, des gains supplémentaires et toujours au détriment de la population. Mais ils peuvent être mis au service d'une autre rationalité, celle qui vise à satisfaire au mieux les besoins des hommes.
Les progrès scientifiques et techniques hérités du capitalisme, les satellites pour surveiller la végétation et prévoir les récoltes, les moyens de communication puissants qui servent aujourd'hui à la spéculation boursière, seront mis au service de la planification à l'échelle de la planète, dans les domaines où c'est à cette échelle qu'il faut planifier.
Mais cette planification sera en même temps extrêmement souple. Et s'il faut une collaboration à l'échelle de la planète pour combattre le réchauffement ou le trou de la couche d'ozone, ou encore pour prévoir les grandes catastrophes naturelles, une très large part de la production agricole ou industrielle pourra être planifiée à une échelle plus petite, régionale ou locale, sous le contrôle le plus direct de la population.
Et la hausse de la productivité que tout cela engendrera dans une économie débarrassée de la course au profit permettra de réduire le temps de travail et de faire en sorte que les hommes puissent se consacrer à d'autres choses qu'à la production de biens matériels nécessaires pour vivre. L'éducation, la culture sous toutes ses formes, pourront connaître alors un essor comme jamais dans l'histoire de l'humanité.
C'est alors qu'on pourra dire que l'humanité est en train de sortir de la barbarie.
Alors oui, le communisme se fraiera un chemin. C'est inscrit dans l'évolution de l'économie comme de la société. Il le fera au travers des hommes car ce sont les hommes qui font leur propre histoire. Et lorsque la classe ouvrière aura conscience de cette nécessité, lorsque celle-ci aura collectivement repris confiance en elle-même, elle fera surgir inévitablement en son sein des femmes et des hommes qui feront de l'activité pour l'émancipation de leur classe, la raison d'être de leur vie.
Mais alors il faudra qu'il y ait des militants qui transmettent une tradition politique et organisationnelle. Des militants qui ne confondent pas les succès électoraux avec la révolution sociale, l'anticapitalisme avec la destruction du pouvoir politique et économique de la bourgeoisie. Des militants qui ne confondent pas la critique de quelques aspects néfastes du capitalisme avec la nécessité de créer les conditions d'une autre organisation de la société, le communisme.
Le capitalisme génère tant d'injustices, tant de formes d'oppression, tant de nuisances, dans le domaine social et écologique, qu'il y a la place pour une multitude de partis protestataires.
Mais ce qui manque, c'est un parti dont l'objectif ultime soit la conquête du pouvoir par la classe ouvrière, non pas à l'intérieur des institutions de la bourgeoisie mais, au contraire, par la destruction de ces institutions et leur remplacement par des organes démocratiques du pouvoir des travailleurs eux-mêmes. Comme l'ont été dans le passé la Commune de Paris, en France, ou les conseils ouvriers, les « soviets », en Russie.
De telles situations signifient que les luttes sociales, que la lutte des classes, ont pris un caractère aigu, entraînant la majeure partie des classes exploitées et ébranlant toute la société.
Il faudra alors un parti qui soit déterminé capable d'aller jusqu'au bout, soudé autour du programme communiste, afin de permettre à la classe ouvrière de prendre et d'exercer démocratiquement le pouvoir.
Ce parti reste encore à construire, à grandir et à aguerrir dans les luttes quotidiennes de la classe ouvrière. Il lui faudra, dans ces luttes, mériter la confiance des travailleurs les plus combatifs. Il faudra qu'il soit capable de mener ces luttes petites et grandes sans perdre son objectif ultime.
Ce parti, un véritable parti communiste révolutionnaire, ne cherchera pas à être majoritaire ou même influent dans les institutions de la bourgeoisie. Mais il faudra qu'il soit à la hauteur lorsque viendront les secousses révolutionnaires.
Voilà, camarades, les objectifs qui sont les nôtres. Nous sommes communistes parce que nous avons la conviction profonde que le capitalisme ne peut pas être l'avenir de l'humanité et que toute l'évolution pousse dans le sens d'une organisation économique et sociale supérieure, le communisme.
Et, parce que nous avons confiance dans les capacités de la classe ouvrière, nous avons la conviction que, tôt ou tard, elle fera surgir de ses rangs des femmes et des hommes décidés à consacrer leur vie à l'émancipation de l'humanité.
C'est à cet avenir-là que nous consacrons toute notre activité militante et l'activité de toutes celles et de tous ceux qui sont décidés à nous rejoindre !
Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 19 février 2009