Déclaration de M. Bruno Le Maire, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur les conclusions du Conseil européen des 19 et 20 mars 2009 notamment sur le sommet du G20 de Londres, à l'Assemblée nationale le 25 mars 2009.

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Circonstance : Audition devant la commission chargée des affaires européennes de l'Assemblée nationale sur les conclusions du Conseil européen des 19 et 20 mars 2009, le 25 mars 2009

Texte intégral


Q - Considérez-vous que les conclusions du rapport de M. Jacques de Larosière sont suffisantes ? Ce rapport servira-t-il de base pour les travaux relatifs au renforcement de la surveillance prudentielle en Europe ? Une organisation européenne de régulation n'aurait-elle pas été préférable au choix fait par M. de Larosière ?
Par ailleurs, s'oriente-on vers une plus grande indépendance des agences de notation, qui ont souvent été jusqu'ici juge et partie ainsi que vers un meilleur contrôle des "hedge funds" ? L'Union européenne va-t-elle élaborer des propositions et lesquelles ?
Des progrès ont été notés, en matière de paradis fiscaux et de lutte contre l'évasion fiscale, concernant le Luxembourg, l'Autriche, la Belgique. Le gouvernement britannique, qui va tenir la plume des négociations en la matière, vous semble-t-il déterminé ?
Sous une Présidence tchèque affaiblie, comment l'Europe peut-elle faire pour prendre des décisions importantes relatives à la crise, au sommet de l'OTAN prévu les 3 et 4 avril, et au sommet qui doit se tenir le 5 avril à Prague entre les Etats-Unis et l'Union européenne ? Cette censure ne peut-elle aussi susciter de fortes inquiétudes quant à la ratification par le Sénat tchèque du Traité de Lisbonne ?
R - Vos interrogations, Monsieur le Président, correspondent aux questions essentielles qui se posent aujourd'hui.
Le principal enjeu du G20 de Londres, c'est bien la régulation financière. C'est sur cette question qu'il a été convoqué dans l'idée d'aboutir, comme l'a indiqué le président de la République, à des conclusions fortes et concrètes.
En terme de méthode, il convient, dans le règlement de la crise actuelle - le directeur général de l'Organisation mondiale du commerce, M. Pascal Lamy, l'a encore déclaré récemment dans la presse - de respecter des étapes. Nous devons nous débarrasser des actifs toxiques - c'est l'action la plus urgente, et nous avons commencé à la mener, notamment en apportant des garanties aux banques -, rebâtir ensuite le système financier, ce qui est l'objet même du G20, et élaborer et mettre en oeuvre les plans de relance qui s'imposent, cela sans modifier les calendriers : autrement nous n'obtiendrons pas au sommet du G20 les résultats espérés.
En matière de régulation financière, nous avons obtenu que l'Union européenne élabore une position commune, ce qui n'était pas gagné d'avance, loin de là. Cette position correspond très exactement aux termes de la lettre adressée par le président Nicolas Sarkozy et la chancelière Angela Merkel à la présidence de l'Union européenne il y a seulement quelques jours. Ces dirigeants ont pris l'initiative de demander une régulation financière nouvelle et forte, et obtenu gain de cause.
La position commune adoptée par le Conseil européen va très loin : le gouvernement britannique lui-même, sous l'impulsion du Premier ministre Gordon Brown, a pris des positions très courageuses, qui ne correspondent pas aux positions traditionnelles britanniques en matière de régulation financière. Entre les propos que m'ont tenus à Londres, voilà un mois et demi, les responsables britanniques, et les décisions du Conseil européen, Gordon Brown a accompli un chemin courageux en vue d'obtenir des résultats concrets au sommet du G20. Mais ce résultat est d'abord dû aux initiatives et aux propositions communes très nettes faites par la France et l'Allemagne sur l'ensemble de la régulation financière, qu'il s'agisse des agences de notation, de la suppression des paradis fiscaux, des fonds spéculatifs ou de la rémunération des dirigeants du secteur bancaire.
Concernant la position américaine, le Premier ministre, François Fillon, et la ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Christine Lagarde, étaient encore tout récemment à Washington. Ils en sont revenus avec le sentiment que l'administration américaine voulait elle aussi que le G20 de Londres aboutisse à des décisions concrètes. Nous progressons donc.
Pour ce qui est des points de divergence subsistants, relatifs notamment aux agences de notation et aux fonds spéculatifs, nous disposons encore de quelques jours pour rapprocher nos positions avant que les chefs d'Etat se rencontrent et tranchent à leur niveau.
L'Union européenne n'a pas à rougir des efforts qu'elle a fournis en faveur de la relance. Elle a déjà engagé plus de 400 milliards d'euros pour la période 2009-2010 au titre des plans de relance. Si, ce qui me paraît légitime, on comptabilise au sein de ce montant les stabilisateurs automatiques, ce dernier représente plus de 3 % du produit intérieur brut européen. Le Conseil européen a également trouvé un accord sur les cinq milliards d'euros de plan de relance de la Commission, au titre des projets d'infrastructure. Je crois donc réellement que les Européens ont fait le nécessaire. L'urgence aujourd'hui est évidemment de débloquer à la fois les projets et les fonds, de sorte que les décisions prises se traduisent par des investissements concrets sur le terrain.
Le rapport Larosière a été retenu comme base par l'Union européenne pour la mise en oeuvre de la supervision bancaire en Europe. C'est un bon rapport. Il fixe un objectif précis et indique les moyens concrets d'y parvenir. La France et l'Allemagne ont obtenu non seulement que le rapport Larosière devienne la base de la supervision bancaire en Europe, mais aussi qu'un calendrier de sa mise en oeuvre soit établi. Les conclusions du Conseil européen comportent donc bien un tel calendrier : les décisions législatives devront être prises avant la fin de l'année 2009. C'est un progrès significatif.
En matière de supervision, l'alternative était entre la mise en place, à côté de la banque centrale européenne (BCE), d'une supervision européenne autonome, qui aurait constitué en la création ex nihilo d'un nouvel organe, et - ce que proposait le rapport Larosière - la coordination des supervisions nationales, en liaison avec la BCE. Pour en avoir discuté avec le président de la Banque centrale et plusieurs ministres des Finances européens, je pense que la proposition Larosière est à la fois la plus efficace et la plus réaliste - et à l'échelle européenne, on est efficace si l'on est réaliste. Le dispositif ainsi créé répond au défi actuel, la mesure des flux de capitaux interbancaires à travers l'Union européenne, grâce aux échanges d'informations et à la coopération entre les organes de supervision nationaux. Que le rapport Larosière soit pris comme base de travail n'était pas non plus gagné d'avance, loin de là.
La situation du gouvernement de la République tchèque est une question absolument majeure. Les événements politiques intervenus dans ce pays suscitent deux inquiétudes, concernant à la fois le bon déroulement de la présidence tchèque et la ratification du Traité de Lisbonne. Les engagements pris par le gouvernement tchèque en ces deux matières doivent être tenus.
Concernant le premier point, nous avons besoin, dans la crise économique et financière grave que nous affrontons, de la Présidence tchèque de l'Union européenne jusqu'au dernier jour de son mandat. Nous comptons sur elle pour assumer l'intégralité de son rôle dans les semaines et les mois à venir, lors des échéances majeures que constituent les sommets qui se tiendront d'ici l'été prochain, notamment le prochain Conseil européen.
Quant à l'engagement pris par le gouvernement tchèque sur la ratification du traité de Lisbonne, il doit être tenu, quelle que soit la situation politique intérieure du pays. Avec tous ses partenaires, et notamment l'Allemagne, la France ne ménagera aucun effort pour que cette ratification ait lieu dans les meilleurs délais. Nous avons besoin aujourd'hui d'institutions plus lisibles pour le citoyen, plus efficaces. Elles figurent dans le Traité de Lisbonne. Ce traité est un enjeu essentiel.
Enfin, de longs débats ont été consacrés à la décision prise par le président de la République envers l'OTAN. Le prochain sommet de l'Organisation sera important. En ma qualité de responsable des Affaires européennes, je m'engagerai pour que, dans les mois et les années à venir, nous continuions, comme cela a été le cas sous la Présidence française de l'Union européenne, à renforcer la défense européenne. Etre dans l'OTAN nous donne, je crois, plus de marge de manoeuvre, plus de liberté encore pour construire une défense européenne solide et autonome. J'ai découvert agréablement, hier en Suède, que pour ses dirigeants, le renforcement de la politique européenne de sécurité et de défense devra être l'une des priorités de la prochaine Présidence suédoise. Les dirigeants suédois sont très attachés à la construction d'une défense européenne autonome. Ils pourront évidemment compter sur tout notre soutien dans cette perspective.
Q - (Concernant les étapes de lutte contre la crise)
Q - (Au sujet de la lutte contre le chômage à l'échelle européenne)
R - Je me suis sans doute mal fait comprendre s'agissant des étapes de la lutte contre la crise. Je voulais dire que pour mettre au point des instruments efficaces, il faut éviter de mélanger les ordres du jour des sommets internationaux et de traiter de tout lors de la même réunion.
Le traitement des actifs toxiques forme cependant selon moi une priorité absolue. Autrement, il sera impossible de rebâtir le système financier. Il était convenu que le G20 de Londres se concentrerait sur la régulation financière. Nous estimons qu'il faut maintenir cette priorité. Cela n'exclut pas des gestes de solidarité envers un certain nombre d'Etats, comme le doublement des fonds du FMI ; nous avons annoncé que nous y étions prêts. Mais il faut faire attention à ce que le débat au G20 de Londres ne passe pas de la régulation financière à l'évaluation et à la multiplication des plans de relance mondiaux ; sinon, le risque est de ne pas aboutir du tout. Enfin, si les plans de relance ont en effet été engagés à l'échelle nationale, l'objectif désormais est de les coordonner entre eux. Penchons-nous d'abord sur leur mise en oeuvre, sur leurs effets sur le terrain, avant de consacrer de nouveau une réunion internationale à un accroissement des dépenses et des investissements dans ce cadre.
Il est vrai que l'élaboration des propositions législatives prend du temps. Mais le traitement de ce type de question, y compris à l'échelle nationale, en a toujours demandé. En son temps, le règlement de la gestion des actifs toxiques du Crédit lyonnais avait requis plusieurs mois, voire plusieurs années pour son apurement définitif. Il n'est pas anormal que plusieurs années soient nécessaires pour traiter à l'échelle mondiale une situation où toutes les banques sont chargées d'actifs toxiques très difficiles à évaluer. Nous sommes cependant prêts à fournir tous les efforts nécessaires pour que les décisions législatives soient prises le plus vite possible, qu'il s'agisse des actifs toxiques, des bilans des banques ou des mesures de régulation financière.
Il faudra être très exigeant sur les conclusions du sommet du G20 : elles doivent être très concrètes. Nous souhaitons qu'y soient prises des décisions fortes et fondatrices sur la régulation financière et la rénovation du capitalisme financier. Mais ce n'est que le début d'un processus qui devra comporter d'autres exercices, destinés à s'assurer que les décisions prises, ainsi que celles qui pourront ensuite se révéler nécessaires, seront bien mises en oeuvre.
Sur l'emploi, un sommet sera tenu le 7 mai. Il prendra la forme d'une réunion de la Commission européenne, de la Présidence tchèque et des partenaires sociaux. Cependant, l'Union européenne a-t-elle les moyens de prendre des mesures fortes et immédiates en matière de lutte contre le chômage et l'emploi ? Elle n'a, selon moi, pas été armée pour cela ; l'action est conduite encore à l'échelle nationale.
L'Union a des capacités d'action, par l'intermédiaire du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEM) - nous avons demandé la simplification de ses règles de fonctionnement pour que les fonds puissent être débloqués plus simplement et plus rapidement -, des fonds structurels et du Fonds social européen, dont la France bénéficie à hauteur de 4 milliards d'euros pour la période allant de 2007 à 2013. Cependant, au-delà, l'Union européenne n'est pas armée pour prendre des décisions susceptibles d'avoir un impact immédiat et concret sur le niveau de l'emploi dans les différents Etats membres. Ne créons donc pas de faux espoirs. Utilisons les dispositifs existants, simplifions-les lorsque cela est possible, et tentons de discerner ce qui pourra créer de l'emploi en Europe sur le long terme.
Notre conviction est que, pour que l'Europe reparte du bon pied après la crise, il faut investir davantage en matière d'innovation et de recherche. J'ai donc proposé que les critères de dépense publique dans ces deux domaines soient désormais des critères obligatoires et non plus simplement indicatifs.
La révision de la stratégie de Lisbonne va s'engager sous la Présidence suédoise et sera l'un des objectifs majeurs de la Présidence espagnole. Je souhaite qu'elle ne porte pas seulement sur les principes et les grandes orientations, mais aussi sur la méthode, de façon à s'assurer que le plus d'argent public possible soit affecté à la recherche, à l'innovation et à la formation ; c'est ainsi que seront garantis les emplois de demain dans l'Union européenne.
Q - Malgré les efforts de l'axe franco-allemand, les événements en République tchèque ne créent-ils pas un risque de ralentissement de ce calendrier ?
R - C'est justement parce qu'un risque réel existe que nous voulons, avec nos autres partenaires européens, mettre tout notre poids dans la balance pour la ratification dans les meilleurs délais possibles du Traité de Lisbonne. Nous refusons toute forme de "détricotage" des engagements politiques qui ont été pris, y compris de ceux portant sur le calendrier.
La République tchèque s'est engagée de façon formelle à ratifier le Traité de Lisbonne dans les mois précédant son entrée en fonction à la Présidence de l'Union européenne. Un premier vote a eu lieu. Un second doit intervenir au Sénat. M. Alexandr Vondra, vice-Premier ministre tchèque des Affaires européennes, a annoncé voilà quelques heures que les autorités tchèques feraient leur maximum pour que ce vote ait lieu. C'est la première maille qui ne doit pas se défaire.
Un deuxième rendez-vous important est le Conseil européen de juin. Les garanties offertes à l'Irlande doivent y être formalisées sous forme juridique, de façon qu'elle puisse organiser un nouveau référendum. Les autorités irlandaises ont annoncé que celui-ci devrait se tenir en septembre ou octobre 2009. Cet engagement politique est à l'origine du travail de formalisation des garanties qui seront offertes à l'Irlande, travail qui est conduit d'arrache-pied par la Commission et le Conseil.
On voit bien que si nous ne sommes pas stricts sur les engagements politiques, tout l'édifice en sera fragilisé, ce que nous refusons.
Q - (Au sujet de l'axe franco-allemand)
Q - Pouvez-vous nous éclairer sur la façon dont le Conseil européen abordera le sommet de Copenhague en décembre 2009 ? Comment les Européens une fois élaborés leurs propres engagements, engageront-ils les pays en voie de développement dans la négociation de l'après-Kyoto ?
Q - (A propos du président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso et sa candidature à sa propre succession)
R - Je tiens à souligner à quel point le fait que la France et l'Allemagne travaillent la main dans la main change le rapport de force, et nous permet d'avoir gain de cause concernant notamment la régulation financière et les paradis fiscaux. Lorsque la France et l'Allemagne sont d'accord, le fait que les deux principaux pourvoyeurs de fonds, en cas de difficultés financières d'un Etat, parlent d'une seule voix permet à l'action de progresser, par exemple dans les discussions avec les Etats comme le Luxembourg et l'Autriche où le secret bancaire est pratiqué - de façon du reste différenciée. Cette action commune n'empêche d'ailleurs pas d'autres Etats de s'y joindre, ainsi qu'on l'a vu lors du dernier Conseil européen lorsque le Royaume-Uni s'est joint à nous pour défendre la même position en matière de régulation financière.
Pour ce qui est du réchauffement climatique, il était important que le Conseil européen réaffirme ses principaux objectifs de lutte en la matière : une augmentation de la température moyenne mondiale inférieure à deux degrés, une réduction de 30 % des émissions, sous réserve d'un accord avec l'ensemble des parties. Tout va se jouer pendant les réunions qui se tiendront prochainement à Berlin et au Conseil européen de juin. Mais la difficulté viendra moins des Européens que de leur capacité à être unis pour convaincre les autres principaux émetteurs de CO2 de la nécessité de faire du sommet de Copenhague un grand succès international.
Les modalités de reconduction du président Barroso ne tiennent pas, de notre point de vue, d'une question de personne, mais de principe. Les élections européennes auront lieu le 7 juin. Un Conseil européen s'ensuivra, à la mi-juin, avant que le nouveau Parlement européen ne se réunisse. On sait qu'il dispose d'un pouvoir sur la désignation du président et des membres de la Commission européenne, conformément à l'exigence démocratique fixée à l'Union européenne.
La question est de savoir si nous acceptons que ne soit désigné entre le 15 juin et le 15 juillet que le seul président de la Commission, en attendant de savoir si cette dernière sera désignée selon le régime du Traité de Nice ou celui du Traité de Lisbonne. En effet, à cette époque, nous ne saurons pas encore quel traité régira l'Union européenne. Or, selon que l'un ou l'autre de ces deux traités s'applique, la composition de la Commission n'est pas la même : sous le régime du Traité de Nice, son effectif est réduit tandis que sous celui du Traité de Lisbonne, du fait des nouveaux engagements pris en perspective de la tenue du nouveau référendum irlandais à l'automne, le nombre de commissaires serait rigoureusement équivalent à celui des Etats membres de l'Union.
En conséquence, désigner en juin ou juillet le président de la Commission, de quelque nationalité qu'il soit, c'est donner l'assurance à un Etat, quel que soit le régime juridique sous lequel sera placée la Commission, qu'un commissaire sera l'un de ses ressortissants, sachant que le président de la Commission qui sera investi, après avoir été choisi par le Conseil européen et confirmé par le Parlement européen, est nommé pour cinq ans.
Si, à la suite du référendum irlandais, le Traité de Lisbonne n'entre pas en vigueur, il y aura moins de commissaires que d'Etats. Aussi, négocier la composition de la Commission avec des Etats dont l'un est assuré d'y disposer d'un ressortissant, et pas les autres, pose un vrai problème de principe.
Même si les commissaires ne représentent pas l'Etat dont ils sont membres, tous les pays sont attentifs à ce que l'un de leurs nationaux soit commissaire. La France elle-même y fait attention. Cela paraît légitime.
Pour ces raisons, le président de la République a proposé, tout en apportant son soutien à l'action que conduit le président José Manuel Barroso à la tête de la Commission, que les décisions soient reportées après le référendum irlandais. Cela paraît plus sage : la décision prise le sera en pleine connaissance du régime juridique applicable à l'Union européenne.
Q - Quels résultats concrets attendez-vous du G20 en matière de paradis fiscaux, quelle en est votre définition ?
Q - Le G20 est-il une structure appelée à se pérenniser, ou un organe de circonstance qui a vocation à disparaître après la crise ?
Q - Quelles actions concrètes sont-elles envisagées pour faire vivre l'Union pour la Méditerranée ?
R - L'objectif est la suppression de tous les paradis fiscaux. S'il n'en subsiste ne serait-ce qu'un seul, les dispositions prises à l'échelle internationale n'auront pas d'efficacité.
La définition est celle élaborée, de façon très rigoureuse, par l'OCDE.
Nous sommes en discussion avec la Grande-Bretagne sur ce qui peut être considéré comme des paradis fiscaux non pas en Grande-Bretagne même, mais autour de la Grande-Bretagne.
L'instrument de la suppression des paradis fiscaux est une liste, accompagnée de sanctions. Les réfractaires à la coopération en vue de la suppression des paradis fiscaux figureront sur cette liste, et seront passibles de sanctions, définies également par l'OCDE. Pour un établissement bancaire installé dans un grand pays d'Europe et qui aura créé des filiales dans un paradis fiscal, de façon à capter un certain nombre de grandes fortunes, la sanction sera une taxation de ses transactions financières avec ces filiales de quinze à soixante fois plus élevée que pour celles effectuées avec des pays qui ne sont pas des paradis fiscaux. Cette mesure dissuasive a déjà fait preuve de son efficacité auprès de pays comme le Luxembourg, qui a fait le nécessaire.
Le G20 est un format intéressant, utile, qui permet d'éviter de donner le sentiment d'un club trop restreint d'Etats riches et d'associer directement aux décisions des pays aujourd'hui en développement, comme l'Inde et le Brésil, qui seront conduits à jouer un rôle majeur sur la scène internationale.
Si l'UPM est peu présente dans les conclusions du dernier Conseil européen, c'est d'abord parce que le partenariat oriental était directement à l'ordre du jour de la réunion. La question de la relance de l'Union pour la Méditerranée ne mérite pas moins d'être posée. C'est à mon avis un très beau projet. Pour relancer l'UPM, il ne faut pas attendre une stabilisation politique du Proche-Orient. L'attente risque d'être longue. La seule façon d'avancer, c'est de développer des projets très concrets. Nous y travaillons, en essayant de laisser de côté autant que possible les questions politiques ne pouvant pas être traitées dans des délais rapprochés.
Le développement de partenariats et unions connexes à l'Union européenne, vers le Sud ou l'Est, est de notre intérêt. La question de l'élargissement est devenue de plus en plus difficile. Plutôt que d'offrir systématiquement la même perspective d'adhésion, ce qui ne correspond ni à l'intérêt de l'Union dans l'actualité d'aujourd'hui, ni à l'intérêt ou à l'envie d'Etats non-membres, il faut imaginer d'autres formes de coopérations qui, à la fois, soient efficaces, évitent de fragiliser l'Union européenne de l'intérieur et répondent aux attentes économiques et financières de ces Etats.
Q - (A propos de la tarification de l'énergie pour les entreprises)
Q - (Au sujet de la future régulation des instances bancaires et financières internationales)
R - Le gouvernement est sensibilisé à cette question, que vous avez fort bien résumée. Pour des raisons de choix politiques énergétiques, l'approche de la France est très différente de celle de la Commission européenne. Bien que nous essayions de rapprocher les positions, le curseur n'est pas encore tout à fait où nous le souhaiterions.
Je partage également votre analyse sur le premier point. Je suis en effet convaincu que nous sommes entrés dans un monde nouveau. J'ai en outre la conviction très forte que nous devons changer d'Europe. L'Europe qui fixe des principes généraux, qui n'arrive pas à s'accorder sur des sujets d'intérêt immédiat pour ses concitoyens, qui ne leur est pas compréhensible, doit être dépassée. L'Europe qui considère que chacun de ses membres devrait consacrer 3 % de son PIB à la recherche, mais qui ne vérifie ni ne sanctionne quand les objectifs ne sont pas atteints, ne peut plus durer. Il faut en finir avec l'Europe qui veut répandre partout la concurrence, mais interdit les coopérations, notamment dans le domaine industriel. Faute de coopérations entre les grandes industries française, allemande, britannique, italienne, l'industrie européenne disparaîtra.
Si nous voulons des moteurs du futur à la fois techniquement fonctionnels et économiquement compétitifs, il faut que les constructeurs se mettent d'accord ; autrement, chacun saura élaborer une batterie électrique, mais aucun ne saura construire seul celle qui à la fois pèsera 500 grammes au lieu 15 kilos et coûtera non pas 5 000 euros mais 400 euros par voiture. Il nous faut donc, du point de vue industriel, passer de la concurrence pure et dure à la coopération entre les secteurs industriels européens. Pour toutes ces raisons, parmi d'autres, nous devons changer d'Europe, d'objectifs, de fonctionnement, de vision.
Les acteurs économiques, et surtout financiers, ne l'ont en effet pas compris. Le G20 est l'occasion de faire passer ce message politique, faute de quoi nous risquons d'entrer dans des temps extraordinairement difficiles.
La question des fonds spéculatifs est probablement l'une des plus difficiles à régler. Les acteurs de ces fonds estiment que leurs taux de rentabilité doivent rester très largement au-dessus de 15 %, que c'est la vitalité du secteur financier qui est en cause, et qu'il n'y a aucune raison d'y revenir. Le président de la République a dit très clairement que la France n'était pas favorable à cette démarche, et qu'elle souhaitait une réorganisation du secteur, de façon que les taux de rentabilité soient plus raisonnables et donc plus sûrs pour l'ensemble des citoyens et le système financier. S'institue alors un lien tout à fait direct entre les choix techniques extrêmement complexes en cours de préparation, sur laquelle Mme Christine Lagarde travaille tous les jours d'arrache-pied, et la vision politique de long terme. Quels que soient les discours politiques, laisser passer la possibilité de maintien de taux de rentabilité trop important ou de ratios prudentiels de 1 à 15 ou de 1 à 20 au lieu de 1 à 3 ou de 1 à 4, nous maintiendra dans le même monde, alors que telle ne sera pas la volonté de nos citoyens.
Q - (Concernant le fonds européen d'ajustement à la mondialisation)
Q - Par ailleurs, êtes-vous confiant, s'agissant du G20, quant à l'adoption d'une position européenne commune concernant les points principaux qui y seront évoqués - je pense notamment aux normes comptables, aux systèmes de régulation, aux paradis fiscaux ou encore aux "hedge funds"? La position britannique, en particulier, sera-t-elle identique à la position franco-allemande ?
Q - Enfin, pensez-vous que le Traité de Lisbonne sera ratifié par la République tchèque, et comment expliquez-vous le fait que les autres pays européens ne se soient pas mobilisés pour que le vote ait eu lieu rapidement, d'autant que ce pays préside l'Union européenne ?
R - Concernant le fonds européen d'ajustement à la mondialisation, le gouvernement est favorable à une notion plus extensive du licenciement. Restera à convaincre ceux de nos partenaires qui en ont une vision plus restrictive. On peut cependant se féliciter déjà du fait que la proposition de règlement réduise de 1 000 à 500 le seuil des licenciements conditionnant la mobilisation du fonds. Cela participe de la simplification de la "tuyauterie".
Tout ce qui peut permettre de rendre le fonds plus efficace et très réactif en cas de problème grave de licenciements dans un endroit ou dans un autre de l'Union européenne sera soutenu par le gouvernement français.
Pour ce qui est du G20, les débats très intenses que nous avons eus entre partenaires depuis le début de l'année ont permis de parvenir à une position commune forte, y compris de la part des Britanniques qui ont notamment accepté de modifier leurs normes comptables, ce qui n'était jamais arrivé dans leur histoire - j'ai salué à cet égard le courage du Premier ministre Gordon Brown.
Pour ce qui est de la République tchèque, nous attendons, je le répète, qu'elle tienne les engagements qu'elle a pris concernant la ratification du Traité de Lisbonne. Cependant, la majorité actuelle tchèque, est dans son ensemble plutôt hostile à la ratification, contrairement à son opposition qui, elle, y est très largement favorable. Aussi la première a-t-elle l'impression qu'elle ferait un cadeau à cette dernière en ratifiant le traité. C'est pourquoi nous avons expliqué, tant le président de la République au Premier ministre Mirek Topolanek que moi-même, à plusieurs reprises, au vice-Premier ministre tchèque des Affaires européennes, qu'il s'agit en l'occurrence d'un enjeu européen majeur qui doit, comme toujours dans ce cas, l'emporter sur toute autre considération.
Q - Dans cette période de crise, la zone euro reste une zone de stabilité. N'avez-vous pas le sentiment que les turbulences actuelles font évoluer les positions des uns et des autres quant à leur éventuelle adoption de l'euro ?
Q - Concernant la date d'élection du président de la Commission, ne faut-il pas voir derrière la position française une volonté de faire pression sur les Irlandais, lesquels veulent être assurés d'avoir un commissaire ?
R - On ne peut commencer à fragmenter les décisions. C'est un problème de principe. Si chacun des Vingt-sept défend en la matière, et c'est bien légitime, son intérêt national, tout en ayant en tête l'intérêt européen, car les deux ne sont pas contradictoires mais complémentaires, le fait que l'un d'eux aurait déjà pu tirer son épingle du jeu ne pourrait que soulever une difficulté. Parier sur la mise en place du traité de Lisbonne me paraît à cet égard audacieux.
Quant à l'euro, qui a en effet été un gage de stabilité considérable pour les Etats membres de la zone, il suffit de voyager dans les pays qui ont vocation à intégrer l'euro le moment venu pour se rendre compte de leur différence de situation : si ces Etats rencontrent en effet les mêmes difficultés économiques que les nôtres, leur monnaie a perdu parfois plus d'un tiers de sa valeur. Tel est le cas de la Hongrie qui connaît non seulement des difficultés d'emploi, mais également un appauvrissement des ménages en raison de la perte de valeur de la monnaie.
Afin d'adopter l'euro, un Etat doit notamment répondre à deux conditions, l'une relative au calendrier d'entrée - qui comprend d'abord l'ouverture des négociations, puis le respect des marges normales de fluctuation prévues par le mécanisme de taux de change II pendant deux ans au moins -, l'autre à cinq critères tenant respectivement à la dette, au déficit public, à l'inflation, aux taux d'intérêt et à la stabilité des changes.
Il convient d'être ouvert sur le premier point en fixant une perspective temporelle qui soit crédible et réaliste, ne serait-ce que pour permettre aux Etats concernés de faire passer des réformes extraordinairement difficiles auprès de leur opinion publique. Le respect des cinq critères nécessite en effet des efforts considérables en matière notamment de finances publiques. S'il convient de ne pas modifier les critères afin de ne pas affaiblir la zone euro en lui faisant perdre l'avantage d'être stable, au moins faut-il, dans ces conditions, offrir des perspectives en termes d'échéance.
Conserver en l'état ces critères signifie en effet, selon le ministre des Finances hongrois, par exemple, qu'une partie de la fonction publique hongroise doive disparaître et que les salaires de ceux qui resteront soient gelés pendant un certain nombre d'années. Une telle décision serait politiquement intenable sans au minimum une perspective d'ouverture des négociations à échéance rapprochée.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mars 2009