Interview de M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, à Europe 1 le 6 avril 2009, sur sa gestion de la crise en Guadeloupe.

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Média : Europe 1

Texte intégral

M.-O. Fogiel.- On va parler de vous, on va essayer de décrypter un peu ce qui se passe derrière les grandes phrases politiques. Un mot de politique pour commencer, vous l'avez entendu tout à l'heure, E. Domota n'ira pas aux états généraux de l'Outre-mer, il menace de nouvelles violences en Guadeloupe, une menace d'un conflit qui pourrait redémarrer. Il dit que le Gouvernement serait sur le point de modifier l'accord conclu le 5 mars, la clause qui met à la charge des employeurs, d'ici trois ans les fameux 200 euros d'augmentation. Cette clause devrait disparaître. Que dites-vous ce matin sur Europe 1 à E. Domota ?
 
Je lui dis d'ailleurs que c'est dommage qu'il ne veuille pas participer aux états généraux, parce que les états généraux, c'est justement après les manifestations de la concertation. Mais lui, il choisit...
 
Il a raison de s'inquiéter sur cette clause qui devrait disparaître ?
 
La marginalisation... c'est le ministre du Travail qui a en responsabilité l'extension de cet accord. L'important, je crois, pour tous ceux qui ont suivi ce conflit, c'est que dès cette année, les mesures s'appliquent. Qu'est-ce qui se passera dans trois ans ? Honnêtement, qui peut savoir quel sera l'état de l'économie, y compris aux Antilles ?
 
Donc, ce matin, en tout cas, vous ne le rassurez pas sur dans trois ans ? Ça, vous dites : on ne sait pas, ça reste ouvert ?
 
Il faut qu'il y ait un travail qui se fasse et c'est la responsabilité du ministre du Travail. Je dis que l'accord sera un accord qui sera respecté et que les salariés doivent ne pas avoir de craint,e parce que ce qui a été signé sera respecté, ce qui a d'ailleurs été signé par le patronat, pas par l'Etat, puisque c'est un accord interprofessionnel.
 
On en revient à vous et on va reparler politique après. Ça a été une période compliquée : "huit kilos de moins, des migraines persistantes, des cernes creusés, voilà le résultat d'un an de Sarkozy sur le secrétaire d'Etat à l'Outre-mer", selon Le Point. Aujourd'hui vous avez repris ces kilos ?
 
Pas totalement, mais une perte de poids ce n'est jamais mauvais quand on est en surcharge pondérale.
 
Mais franchement ?
 
C'est une façon de faire un régime. Quand on a un travail extrêmement astreignant - je travaillais presque 20 heures par jour pendant les dix jours où j'étais sur place - ; vous avez des tensions fortes, des inquiétudes. Mon angoisse profonde, c'était qu'on n'aille pas à des drames, parce que j'ai le souvenir aux Antilles des précédentes années où il y a eu des morts.
 
Mais est-ce que vous vous êtes senti "lâché" ? Parce que il y a une phrase et je voudrais qu'on prenne le temps de la décrypter, vous avez dit, là-bas, en arrivant : "je partirai quand ce sera fini", vous avez dit ça, et puis immédiatement, on vous a demandé de revenir, et on a même dit - C. Guéant l'a dit au Point -, que vous n'aviez même plus "la fraîcheur physique et le recul pour suivre des négociations". Franchement, quand on se prend ça dans la figure et qu'on est là-bas, et qu'on est au front, on vit comment, d'un point de vue humain pas d'un point de vue de langue de bois politique ?
 
D'abord, ce n'est pas agréable, ce sont des moments difficiles. Quand on a une épreuve professionnelle, ce sont toujours des moments difficiles et ceux qui ont connu des épreuves professionnelles, quand elles sont en plus sous la loupe des médias, ça renvoie à des images qui ne sont pas faciles. Quand on reste...
 
Mais on se dit quoi : c'est terrible, on est lâché, alors qu'ils sont là-bas, ils ne voient même pas ce qu'on est en train de vivre ici ?
 
Non, sincèrement d'abord, la réalité profonde était moins forte que celle qu'a bien voulue être traduite dans les journaux, et ensuite on se dit : "il faut garder le sens de l'essentiel". Voilà ! Il y a une tempête, il y a un navire qui est dans la tempête, il faut le ramener au port tous ensemble, c'est ce que l'on a fini par faire.
 
Ça, vous l'avez déjà dit il y a quelques semaines sur Europe 1. Mais...
 
Mais je l'ai déjà dit parce que c'est vrai.
 
...sur la réalité du moment, vous êtes là-bas, vous dite "je ne partirai pas tant que ce n'est pas fini", et puis finalement, on vous dit : "vous êtes gentil, mais vous revenez tout de suite parce que vous faites n'importe quoi là-bas". Comment on le vit ?
 
D'abord, on ne m'a dit ça comme ça, c'est la façon dont ça a été traduit, et puis je suis parti, je suis revenu 48 heures après ; donc ça a été un court passage de retour pour aller expliquer, justifier, et...
 
Mais vous l'avez vécu comme un désaveu ?
 
...pour ramener des mesures qui étaient des mesures qui étaient attendues. Cela a été vécu comme un désaveu, j'ai lu dans tous les journaux que c'était un désaveu. Dans les conversations que j'ai eues avec le Premier ministre, dans les contacts que j'ai eux avec l'Elysée il n'y avait pas de désaveu, il y avait simplement la volonté...
 
Guéant dit : "il n'y a pas la fraîcheur physique et le recul pour suivre ces négociations". C'est quand même une accusation lourde !
 
C'est C. Guéant qui a dit ça, et c'est vrai qu'après 23 heures de négociations, vous n'avez pas forcément "la fraîcheur physique". Mais cela n'a pas empêché qu'on suive les choses jusqu'au bout, cela n'a pas empêché que les discussions qui ont eu lieu se sont fondées sur la base des propositions que j'ai faites et que j'avais fait.
 
Alors justement comment vous avez vécu ça justement, puisqu'il a fallu du temps pour que, finalement, on en arrive à ce que vous aviez accordé ; on vous a reproché de l'avoir accordé trop vite, et puis finalement, résultat des courses, quelques semaines après, on arrive exactement sur ce que vous aviez conclu. Vous vous êtes dit quoi ? "Voyez, les p'tits gars en Métropole, il fallait me laisser sur le terrain, tranquille" ?
 
Je me suis dit que G. Mollet avait raison, lorsqu' il disait, je crois, "à un moment, c'est après coup que j'ai compris combien j'étais intelligent", c'est une phrase comme ça qui revient.
 
Mais ce qu'on vous a dit au Gouvernement, on vous a dit : finalement, vous aviez peut-être plus que la fraîcheur physique qu'on imaginait, vous étiez peut-être plus intelligent, mais on ne l'avait pas compris vu d'ici ?
 
Je crois qu'il y avait beaucoup de malentendu entre la situation telle qu'elle était sur place et la situation telle qu'elle était vécue ici. Je crois aussi qu'il n'y a pas eu de faille de confiance, il n'y a pas eu de rupture de confiance, il y avait à bâtir une solution qui était extrêmement compliquée. Je note d'ailleurs que cela a pris encore beaucoup de semaines pour y arriver. Si c'était si simple, il aurait suffit de claquer dans ses doigts pour retrouver cette solution, et effectivement, peut-être que ces allers et retours étaient nécessaires pour faire plus de pédagogie. En tout cas, j'ai eu le fil complet, permanent avec des responsables du Gouvernement. Je vais même vous faire un aveu : si ça n'avait pas été le cas je ne serais plus là en tant que ministre pour commenter ...
 
Est-ce que ça a failli se passer, est-ce que avez failli être "débarqué" ?
 
Je ne sais pas, il faut demander à ceux qui ont cette responsabilité.
 
Non, ça, on ne peut pas le croire, que vous ne savez pas !
 
Je peux vous dire que j'ai dit au Premier ministre que s'il estimait que ma présence au Gouvernement pouvait, par mon départ, régler les problèmes, j'étais prêt à assumer.
 
Et ça s'est posé ça ? Est-ce que à un moment donné, il y a eu une réunion où on s'est dit : ...
 
Je ne le crois pas.
 
...on va appuyer sur "le bouton Jégo" comme fusible ?
 
Non, je ne le pense pas parce que les arguments qui étaient avancés, parce que l'analyse qui était celle de celui qui est en charge de ces questions au Gouvernement était aussi précieuse pour bâtir la solution, et que cette solution, elle s'est bien bâtie sur ce que j'avais ramené de mon expérience pendant dix jours sur le terrain et sur la compréhension que j'avais eue de ces dix jours. D'ailleurs aujourd'hui je note -moi, je suis retourné aux Antilles une semaine -, je note que tant le patronat - ce qui est un paradoxe parce que je n'ai pas été forcément tendre avec le patronat -, que les syndicats, que la population, considèrent que l'Etat avait le bon positionnement et avait la bonne attitude.
 
Est-ce que finalement, quand on se retourne sur tout ça, ce n'est pas une bonne opération pour Y Jégo ? Selon l'Institut TNS Média Intelligence, vous avez "le" membre du Gouvernement le plus médiatisé en comptabilisant 1484 UBM" - ce sont les unités de bruit médiatique ; Le Figaro rappelle qu'il s'agit d'une mesure d'impact d'une personnalité. Finalement, on connaissait peu Y. Jégo avant, et aujourd'hui on vous connaît, et puis finalement, vous n'avez pas perdu trop de plumes que ça ? Ça a été pas mal cette opération pour vous ?
 
J'ai perdu du poids, vous l'avez dit, ce n'est pas si mauvais quand on est en surcharge pondérale, et...
 
Et pour le reste ? Votre cote a-t-elle monté auprès de N. Sarkozy, par exemple ?
 
Je connais, je soutiens N. Sarkozy depuis longtemps et ce ne sont pas les unités de bruit médiatique qui font que la cote d'un ministre monte ou diminue.
 
Un peu quand même, on a vu dans le casting du Gouvernement que ça comptait quand même, le fait qu'il y ait une part comme ça médiatique autour de ses ministres, ce n'est pas simplement sur la compétence, ça fait partie d'un boulot ?
 
C'est aussi la qualité du travail, la reconnaissance qui en est de l'extérieur, et c'est aussi, pardon de reprendre cette image, mais ceux qui amènent le bateau à bon port sans casse, c'est aussi ceux dont...
 
Donc, ça a été une bonne opération pour vous. Quand est-ce que vous l'avez eu au téléphone la dernière fois, ou vu, N. Sarkozy ?
 
C'est sans doute une bonne opération pour moi si on considère du point de vue médiatique, mais je ne voudrais pas que ceux qui nous écoutent pensent que j'ai organisé tout ça moi-même pour faire ma promotion.
 
Quand est-ce que vous l'avez eu la dernière fois au téléphone N. Sarkozy ou vu ?
 
Je le vois toutes les semaines, N. Sarkozy, au Conseil des ministres ; on a l'occasion de beaucoup échanger sur ce sujet.
 
Et il vous a dit quoi : "bravo pour la façon vous avez géré la crise ?" Et puis, cette rumeur autour de C. Kelly, membre du CSA, ancienne journaliste de LCI qui était supposée vous remplacer était infondée ?
 
L'Elysée a dit les choses, je pense d'ailleurs que pour l'Outre-mer...si vous nommez un ministre qui est originaire des Antilles ça peut vous poser des problèmes culturels avec l'Océan indien ou avec le Pacifique, donc, les ministres d'Outre-mer sont souvent des ministres qui ne sont pas originaires d'un territoire ou d'un autre, même s'il peut y avoir des Ultramarins dans le Gouvernement, L. Bertrand était ministre du Tourisme...
 
Donc, vous dites : C. Kelly, "bienvenue, mais ne touche pas à ma place" ?
 
En tout cas je l'ai eue au téléphone le jour où cette rumeur s'est emballée, elle m'a dit elle-même qu'elle n'était pas demandeur, elle est membre du CSA, ce qui est une responsabilité importante, et ...
 
Vous, vous voulez rester à l'Outre-mer ?
 
J'aimerais, j'aimerais parce que j'ai commencé des choses passionnantes, parce que je crois que j'ai mieux compris le fonctionnement des Outre-mer, et puis je pense qu'il faut aider l'outremer à passer dans le XXIème siècle. Donc, si la confiance m'est accordée, j'aimerais aller au bout de ce qu'on a commencé, notamment cette loi qu'on va voter cette semaine au Parlement, et...
 
Et les états généraux, le 15 avril.
 
...commencer à changer le modèle, donc j'ai envie d'aller au bout, oui.
 
Pour terminer, donc il y a ces états généraux. On termine par E. Domota. Est-ce qu'aujourd'hui vous trouvez que c'est un interlocuteur légitime, ou il a un peu des airs d'agitateurs de Strasbourg, vous le considérez plutôt comme un extrémiste qui cherche à semer le chaos ?
 
Je crois qu'il y avait là une chance pour lui, c'était de rentrer après la manifestation dans la phase de discussion, il choisit la marginalisation, il préfère le LKP à la Guadeloupe, parce que, en l'occurrence, c'est l'avenir de la Guadeloupe, on va discuter, je le regrette et je trouve qu'effectivement, ce n'est pas forcément le chemin que j'aurais espéré qu'il prenne. Je pensais qu'il aurait le souci de l'intérêt général.
 
C'est un extrémiste ?
 
...Et je m'aperçois qu'il a plutôt le souci de l'intérêt de son syndicat, c'est un peu dommage.
 
C'est un extrémiste ?
 
Il a des positions extrêmes sur certains sujets, mais il n'a pas tort sur tout.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 avril 2009