Texte intégral
Quel est, en matière de Défense, l'état de la coopération entre la Tunisie et la France ?
Il existe deux raisons à mon déplacement en Tunisie. Il y a la mission mémorielle «anciens combattants» et il y a un autre aspect, qui justifie ma rencontre avec le ministre de la Défense tunisien, Kamel Morjane, et qui consiste à faire un point sur la coopération militaire entre la Tunisie et la France. Aussi loin que remonte ma mémoire, la coopération militaire entre les deux pays a toujours été bonne. Elle porte sur plusieurs questions. Elle tient d'abord, sur un plan bilatéral, en des relations d'état-major régulièrement suivies. Ces relations se traduisent par des échanges d'officiers dans le cadre de la formation, y compris de la formation supérieure. Dorénavant, les échanges fonctionneront, dans les deux sens puisqu'il y aura également un officier français, dès cette année, qui sera pendant cinq mois en formation en Tunisie. C'est le premier d'une longue série à l'école d'Etat-major tunisienne. Ces échanges créent un état d'esprit et un climat de confiance entre les deux Etats. Ensuite, il y a des échanges opérationnels à travers des participations à des exercices communs, terre, mer et air. Et puis, il y a une coopération en matière d'armement. Nous sommes un partenaire parmi d'autres de la Tunisie. Par exemple, nous avons des coopérations en matière de systèmes de renseignement, ou en matière de rénovation des hélicoptères.
Vous avez évoqué la coopération en matière de formation. Je crois savoir que vous avez visité un centre à Béja...
Effectivement, il y a une coopération dans le cadre de Centres militaires de formation professionnelle. J'ai visité celui de Béja, qui est remarquable et auquel nous avons apporté notre concours. Il est installé dans un bâtiment militaire et est adossé sur une formation militaire, la 2ème Brigade Blindée. Cette formation s'ouvre à des jeunes Tunisiens et Tunisiennes, et ce pour différents niveaux de formation : le Certificat d'aptitude professionnelle (CAP) qui est une formation aux techniques de base, le Brevet Professionnel voire un accès au Brevet de technicien supérieur (BTS). Ces jeunes gens sont, soit des jeunes militaires, ou ayant fait leur service militaire, soit des civils. Ce sont des formations dans plusieurs domaines, tels que l'électronique, le bâtiment ou la soudure. Elles permettent à tous ces jeunes de trouver aisément du travail. A Gafsa, un projet de centre de même nature est prévu et il est souhaité que la coopération militaire française s'implique également. Les discussions sont en cours et les deux parties y sont, évidemment, favorables.
Le Président Nicolas Sarkozy a exprimé sa volonté de réintégrer le commandement militaire de l'Otan. Cette annonce pose plusieurs questions en filigrane... D'abord, ne craignez-vous pas que cette intégration se fasse au détriment de l'Europe de la Défense ?
Définitivement, non. Pendant la présidence française de l'Union, nous avons sillonné, avec le ministre de la Défense Hervé Morin, un certain nombre de pays, dont les anciens pays de l'Est ou du Sud de l'Europe. Parmi les 27 Etats membres de l'Union Européenne, 21 sont déjà partie prenante de l'OTAN. La France, pour sa part, n'est jamais sortie de l'OTAN. Elle a toujours joué, au sein de l'Alliance, un rôle important avant même cette annonce de réintégration du commandement militaire. Ce rapprochement, évoqué au Sommet de l'OTAN de Bucarest, en avril dernier, par Nicolas Sarkozy, était perçu par ces pays européens comme extrêmement rassurant. Aujourd'hui, ils ont le sentiment qu'en s'impliquant davantage dans l'Europe de la Défense, chose assez nouvelle pour certains mais dont ils pressentent l'importance, ils ne s'éloigneraient pas de cette sécurité que constitue la participation à l'OTAN. De plus, dans ce même sommet, le président américain de l'époque, George Bush, avait dit qu'il était très souhaitable pour l'OTAN que l'Europe de la Défense se renforce car nous étions de plus en plus souvent solidaires dans des missions de citoyenneté dans le monde. Tout cela a créé un état d'esprit de complémentarité. L'Europe de la Défense, depuis dix années, a beaucoup progressé. Nous sommes davantage présents ensemble sur les théâtres extérieurs, sous commandement européen. Nous avançons sur la capacité de développement des armements nécessaires à toute défense. Notre principal objectif est de maîtriser un certain nombre de domaines, comme par exemple le renseignement...Savoir ce qui ce passe exactement dans tels théâtres de conflit avant de prendre une décision et ne pas être tributaire du seul renseignement de telle superpuissance. Je pense qu'avec ce nouvel état d'esprit de complémentarité avec l'OTAN, nous allons continuer à conforter l'Europe de la Défense et à la renforcer.
La présence militaire française dans le monde sera-t-elle redéfinie avec la réintégration dans le commandement militaire de l'OTAN ?
Soyons clairs. Comme vous le savez, les pays membres du commandement intégré gardent leur totale liberté d'appréciation et de décision de s'engager ou de ne pas s'engager dans une opération. Il y a une totale liberté quant à la présence extérieure et quant au degré d'engagement. Je prends un exemple : les Allemands sont en Afghanistan. Ils ont un engagement important en nombre d'hommes, mais ils sont prudents sur le terrain en termes de risques encourus, pour des raisons évidentes. D'autre part, nous sommes d'ores et déjà très impliqués. Nous sommes le 5ème contributeur, nous assurons pour le compte de l'OTAN des commandements. Qu'est-ce qui va changer ? Nous serons présents en amont dans le processus, en amont de la conception, de la préparation des opérations et non pas, simplement dans l'exécution, et ceci, même en assurant le commandement de certaines opérations. Je dirais que nous aurons des responsabilités qui seront une contrepartie à nos engagements financiers à travers cette présence dans le commandement militaire. Ceci est un sujet distinct de notre présence militaire dans le monde.
Vous avez cité le cas allemand. Cependant, l'Allemagne a «utilisé» cette liberté pour limiter sa présence en Afghanistan, ce qui n'est pas le cas des orientations françaises car le Président Sarkozy a choisi de renforcer la présence française en Afghanistan...
Ceci est la preuve que nous avons une liberté totale de décision de faire ou de ne pas faire, sans être dans le commandement militaire. Le fait d'être dans le commandement ne nous aurait pas empêchés, par exemple, d'avoir pris la décision que nous avions prise de ne pas aller en Irak.
S'agissant de l'Afghanistan, la France a porté son effectif à 3.000 hommes. Bien entendu, c'est moins que certains Etats mais c'est important à notre échelle. Aujourd'hui la position de la France, réaffirmée il y a quelques jours par le ministre de la Défense, Hervé Morin, c'est qu'on en reste là. J'ai été en Afghanistan il y a un mois pour voir nos soldats, postés dans les endroits les plus sensibles, et nos officiers engagés dans «l'afghanisation de la Défense». Non seulement, nos missions sont difficiles et dangereuses, car nous sortons des campements et des casernes, mais elles sont appréciées par les autorités afghanes et nos alliés, car considérées comme efficaces. Mais je le répète, pour l'instant, il n'est pas question de renforcer notre contingent en Afghanistan.
Qu'en sera-t-il de la présence française en Afrique ?
La France va continuer à y jouer un rôle particulier. Dans un cadre bilatéral, la France se désengage de Licorne en Côte d'Ivoire car il n'y a pas de raisons d'être dans un pays qui se rapproche de la paix. Nous allons garder certains éléments Epervier au Tchad, parce que c'est une condition de paix et de sécurité dans la région, ainsi que nos forces positionnées vraisemblablement à Libreville, en Afrique Centrale et bien entendu à Djibouti. L'unique changement est dans la manière de concevoir notre présence. Le Président Sarkozy a, dans son discours du Cap, décidé de rendre plus transparente notre présence. D'abord, vis-à-vis des pays concernés. De plus, dorénavant, les accords de défense seront votés par notre Parlement et rendus publics.
Auparavant, c'était les lendemains de la colonisation. Le regard que nous portons sur ces Etats, n'est sûrement pas contredit et remis en cause par ce rapprochement à l'OTAN. Au contraire, l'OTAN est demandeur de la connaissance qu'a la France du continent africain. L'expertise française, la connaissance du terrain, le rapport à la population, le travail que nous faisons pour former les soldats de maintien de la paix de l'ONU, de plus en plus des Africains...L'expérience de l'armée française est reconnue.
La France participera également dans un cadre multilatéral. J'ai participé, il y a deux mois, à une réunion de l'Union Africaine à Addis-Abeba, dans laquelle nous avons évoqué une opération multilatérale européenne, permettant aux Etats africains d'anticiper les crises et d'éviter qu'elles ne se reproduisent. Nous pourrons valoriser auprès de nos partenaires de l'OTAN l'expertise française pour une bonne cause, à savoir le développement de l'Afrique.
Autant intégrer le commandement militaire dans les années 60, avant la chute du mur de Berlin, était compréhensible au regard de la situation géopolitique d'alors, autant aujourd'hui, il est difficile d'entrevoir le rôle de cette alliance militaire. Quel est l'ennemi de l'OTAN ?
Les menaces ont changé. Vous avez cité l'exemple de pays, voire de continents où l'on voit apparaître les nouvelles menaces de notre temps. Prenons l'exemple, et ce n'est pas le seul, de la lutte contre le terrorisme et de ses ramifications. Nous voyons ce qui se passe en Afghanistan et dans la région, dans des Etats tels que le Pakistan. Ça n'est pas évident pour une démocratie de se battre loin de chez soi...Il faut notamment expliquer cela à nos opinions.
Mais si l'on devait abandonner ces pays, ces territoires, nous en ferions des terreaux du terrorisme. La réponse à ces menaces est multiforme mais la coopération est obligatoire. Malgré nos désaccords, il y a des sujets qui nous unissent, des valeurs universelles, une volonté de développement pour chacun. Il est vrai qu'il n'existe pas un chef du terrorisme international, monsieur Untel, pour s'énoncer. L'OTAN est un instrument, un outil parmi d'autres. L'Alliance n'est pas les Nations-Unies. Aussi, elle n'a pas vocation à partir en guerre contre qui que ce soit. L'état d'esprit, aujourd'hui, des pays qui s'unissent est plutôt de préserver ou de recouvrer la paix, et de limiter les menaces qui peuvent remettre en cause nos démocraties et nos valeurs.
Après la récente offensive israélienne sur Gaza et l'éventuelle formation d'un gouvernement de droite (si ce n'est d'extrême droite) qui serait dirigé par Benyamin Netanyahou, l'Union Pour la Méditerranée (UPM) est-elle encore d'actualité ?
Plus que jamais. On ne peut nier que ces évènements auxquels vous faites allusion aient freiné le processus. L'«Union Pour la Méditerranée» (UPM) doit avoir en son sein tous les Etats du pourtour méditerranéen, y compris Israël et la Palestine. Plusieurs réunions multilatérales n'ont pas pu se tenir durant cette période, mais le processus continue à se mettre en place. Je pense au Secrétariat Général à Barcelone, ou à l'identification de projet entrant dans les six thèmes retenus.
Ensuite, l'UPM, a créé un climat de relations régulières et de dialogue politique. Deux pays fortement promoteurs de l'UPM, à savoir l'Egypte et la France, ont joué un rôle important dans la perspective du cessez-le-feu et dans l'idée de renouer le dialogue. J'ai pu voir à quel point le Président Sarkozy s'est démené et je me demande si l'initiative prise avec l'Egypte aurait eu la même force s'il n'y avait pas eu le climat créé par l'UPM ?
Enfin, ce processus est irréversible parce qu'il évoque des questions importantes. Cependant, la question du processus politique pour la paix dans cette région du monde est primordiale.
Mais ça n'arrêtera pas le processus. Les six thématiques générales et prioritaires, définies à Marseille en novembre dernier, sont actuellement sous l'égide du Conseiller du Président Nicolas Sarkozy, Henri Guaino. Ce ne sont pas des sujets «géostratégiques» dans le sens abstrait du terme. Ce sont des questions concrètes qui concernent les populations en devenir, leur prospérité. Il y aura des temps d'arrêt, c'est incontestable... mais ça va repartir.
Le processus de l'UPM devrait donc se poursuivre malgré un gouvernement de droite en Israël ?
Je me garderais de faire des pronostics. Mais ce gouvernement, quel qu'il soit, devra s'impliquer, tant la demande et la pression sont fortes, dans le processus UPM. Dans l'Histoire, y compris dans l'histoire de cette région, les progrès ne sont pas forcément venus des dirigeants dont on attendait le plus. C'est un grand classique. Ceux qui paraissent le plus éloignés d'un processus, le mettent finalement en oeuvre. J'ai mon opinion et des sympathies mais, connaissant le Monde arabe et la société israélienne, je me garderais de porter un jugement a priori, sur une question aussi sensible. Attendons de voir...
Le Ministre de la Défense a récemment congédié Aymeric Chauprade, un enseignant à l'Ecole militaire à Paris, pour avoir exposé dans son ouvrage, «Chronique du choc des civilisations», les «théories du complot ». Existerait-il en France une «vérité d'Etat» à laquelle doivent se conformer les enseignants sous peine d'être licenciés ?
S'il y a un pays qui accepte la controverse, c'est bien la France. Le monde universitaire français est l'un des plus libres au monde dans son expression, sans que ça ne mette en cause d'aucune manière le statut des chercheurs. Mais il existe des sujets sur lesquels on ne plaisante pas. Je pense notamment aux opinions négationnistes. On peut tout dire dans une conversation mais on ne peut, au nom d'un certain goût de la controverse, du haut de sa chaire et de sa fonction universitaire, donner prise à des fables dont on peut se demander si elles relèvent d'une manipulation ou d'une totale naïveté...On peut tenir ce genre de propos dans le Café du Commerce, mais nous ne sommes pas obligés, au ministère de la Défense, de garder l'enseignant et de continuer à le rémunérer. Il s'agit, en l'espèce, de questions qui ont trait à l'intégrité et à la sécurité d'un pays allié. Il faut marquer la limite. Il peut continuer à dire ce qu'il veut mais il ne le fera plus dans le cadre de son enseignement. Il n'encourt aucune sanction pénale ou autre. Nous avons simplement mis fin à un contrat et je crois qu'il faut l'assumer tranquillement. Mais, si nous n'étions pas dans le climat de liberté d'expression dans lequel nous sommes, cette polémique n'aurait pas lieu d'être.
source http://www.ambassadefrance-tn.org, le 7 avril 2009
Il existe deux raisons à mon déplacement en Tunisie. Il y a la mission mémorielle «anciens combattants» et il y a un autre aspect, qui justifie ma rencontre avec le ministre de la Défense tunisien, Kamel Morjane, et qui consiste à faire un point sur la coopération militaire entre la Tunisie et la France. Aussi loin que remonte ma mémoire, la coopération militaire entre les deux pays a toujours été bonne. Elle porte sur plusieurs questions. Elle tient d'abord, sur un plan bilatéral, en des relations d'état-major régulièrement suivies. Ces relations se traduisent par des échanges d'officiers dans le cadre de la formation, y compris de la formation supérieure. Dorénavant, les échanges fonctionneront, dans les deux sens puisqu'il y aura également un officier français, dès cette année, qui sera pendant cinq mois en formation en Tunisie. C'est le premier d'une longue série à l'école d'Etat-major tunisienne. Ces échanges créent un état d'esprit et un climat de confiance entre les deux Etats. Ensuite, il y a des échanges opérationnels à travers des participations à des exercices communs, terre, mer et air. Et puis, il y a une coopération en matière d'armement. Nous sommes un partenaire parmi d'autres de la Tunisie. Par exemple, nous avons des coopérations en matière de systèmes de renseignement, ou en matière de rénovation des hélicoptères.
Vous avez évoqué la coopération en matière de formation. Je crois savoir que vous avez visité un centre à Béja...
Effectivement, il y a une coopération dans le cadre de Centres militaires de formation professionnelle. J'ai visité celui de Béja, qui est remarquable et auquel nous avons apporté notre concours. Il est installé dans un bâtiment militaire et est adossé sur une formation militaire, la 2ème Brigade Blindée. Cette formation s'ouvre à des jeunes Tunisiens et Tunisiennes, et ce pour différents niveaux de formation : le Certificat d'aptitude professionnelle (CAP) qui est une formation aux techniques de base, le Brevet Professionnel voire un accès au Brevet de technicien supérieur (BTS). Ces jeunes gens sont, soit des jeunes militaires, ou ayant fait leur service militaire, soit des civils. Ce sont des formations dans plusieurs domaines, tels que l'électronique, le bâtiment ou la soudure. Elles permettent à tous ces jeunes de trouver aisément du travail. A Gafsa, un projet de centre de même nature est prévu et il est souhaité que la coopération militaire française s'implique également. Les discussions sont en cours et les deux parties y sont, évidemment, favorables.
Le Président Nicolas Sarkozy a exprimé sa volonté de réintégrer le commandement militaire de l'Otan. Cette annonce pose plusieurs questions en filigrane... D'abord, ne craignez-vous pas que cette intégration se fasse au détriment de l'Europe de la Défense ?
Définitivement, non. Pendant la présidence française de l'Union, nous avons sillonné, avec le ministre de la Défense Hervé Morin, un certain nombre de pays, dont les anciens pays de l'Est ou du Sud de l'Europe. Parmi les 27 Etats membres de l'Union Européenne, 21 sont déjà partie prenante de l'OTAN. La France, pour sa part, n'est jamais sortie de l'OTAN. Elle a toujours joué, au sein de l'Alliance, un rôle important avant même cette annonce de réintégration du commandement militaire. Ce rapprochement, évoqué au Sommet de l'OTAN de Bucarest, en avril dernier, par Nicolas Sarkozy, était perçu par ces pays européens comme extrêmement rassurant. Aujourd'hui, ils ont le sentiment qu'en s'impliquant davantage dans l'Europe de la Défense, chose assez nouvelle pour certains mais dont ils pressentent l'importance, ils ne s'éloigneraient pas de cette sécurité que constitue la participation à l'OTAN. De plus, dans ce même sommet, le président américain de l'époque, George Bush, avait dit qu'il était très souhaitable pour l'OTAN que l'Europe de la Défense se renforce car nous étions de plus en plus souvent solidaires dans des missions de citoyenneté dans le monde. Tout cela a créé un état d'esprit de complémentarité. L'Europe de la Défense, depuis dix années, a beaucoup progressé. Nous sommes davantage présents ensemble sur les théâtres extérieurs, sous commandement européen. Nous avançons sur la capacité de développement des armements nécessaires à toute défense. Notre principal objectif est de maîtriser un certain nombre de domaines, comme par exemple le renseignement...Savoir ce qui ce passe exactement dans tels théâtres de conflit avant de prendre une décision et ne pas être tributaire du seul renseignement de telle superpuissance. Je pense qu'avec ce nouvel état d'esprit de complémentarité avec l'OTAN, nous allons continuer à conforter l'Europe de la Défense et à la renforcer.
La présence militaire française dans le monde sera-t-elle redéfinie avec la réintégration dans le commandement militaire de l'OTAN ?
Soyons clairs. Comme vous le savez, les pays membres du commandement intégré gardent leur totale liberté d'appréciation et de décision de s'engager ou de ne pas s'engager dans une opération. Il y a une totale liberté quant à la présence extérieure et quant au degré d'engagement. Je prends un exemple : les Allemands sont en Afghanistan. Ils ont un engagement important en nombre d'hommes, mais ils sont prudents sur le terrain en termes de risques encourus, pour des raisons évidentes. D'autre part, nous sommes d'ores et déjà très impliqués. Nous sommes le 5ème contributeur, nous assurons pour le compte de l'OTAN des commandements. Qu'est-ce qui va changer ? Nous serons présents en amont dans le processus, en amont de la conception, de la préparation des opérations et non pas, simplement dans l'exécution, et ceci, même en assurant le commandement de certaines opérations. Je dirais que nous aurons des responsabilités qui seront une contrepartie à nos engagements financiers à travers cette présence dans le commandement militaire. Ceci est un sujet distinct de notre présence militaire dans le monde.
Vous avez cité le cas allemand. Cependant, l'Allemagne a «utilisé» cette liberté pour limiter sa présence en Afghanistan, ce qui n'est pas le cas des orientations françaises car le Président Sarkozy a choisi de renforcer la présence française en Afghanistan...
Ceci est la preuve que nous avons une liberté totale de décision de faire ou de ne pas faire, sans être dans le commandement militaire. Le fait d'être dans le commandement ne nous aurait pas empêchés, par exemple, d'avoir pris la décision que nous avions prise de ne pas aller en Irak.
S'agissant de l'Afghanistan, la France a porté son effectif à 3.000 hommes. Bien entendu, c'est moins que certains Etats mais c'est important à notre échelle. Aujourd'hui la position de la France, réaffirmée il y a quelques jours par le ministre de la Défense, Hervé Morin, c'est qu'on en reste là. J'ai été en Afghanistan il y a un mois pour voir nos soldats, postés dans les endroits les plus sensibles, et nos officiers engagés dans «l'afghanisation de la Défense». Non seulement, nos missions sont difficiles et dangereuses, car nous sortons des campements et des casernes, mais elles sont appréciées par les autorités afghanes et nos alliés, car considérées comme efficaces. Mais je le répète, pour l'instant, il n'est pas question de renforcer notre contingent en Afghanistan.
Qu'en sera-t-il de la présence française en Afrique ?
La France va continuer à y jouer un rôle particulier. Dans un cadre bilatéral, la France se désengage de Licorne en Côte d'Ivoire car il n'y a pas de raisons d'être dans un pays qui se rapproche de la paix. Nous allons garder certains éléments Epervier au Tchad, parce que c'est une condition de paix et de sécurité dans la région, ainsi que nos forces positionnées vraisemblablement à Libreville, en Afrique Centrale et bien entendu à Djibouti. L'unique changement est dans la manière de concevoir notre présence. Le Président Sarkozy a, dans son discours du Cap, décidé de rendre plus transparente notre présence. D'abord, vis-à-vis des pays concernés. De plus, dorénavant, les accords de défense seront votés par notre Parlement et rendus publics.
Auparavant, c'était les lendemains de la colonisation. Le regard que nous portons sur ces Etats, n'est sûrement pas contredit et remis en cause par ce rapprochement à l'OTAN. Au contraire, l'OTAN est demandeur de la connaissance qu'a la France du continent africain. L'expertise française, la connaissance du terrain, le rapport à la population, le travail que nous faisons pour former les soldats de maintien de la paix de l'ONU, de plus en plus des Africains...L'expérience de l'armée française est reconnue.
La France participera également dans un cadre multilatéral. J'ai participé, il y a deux mois, à une réunion de l'Union Africaine à Addis-Abeba, dans laquelle nous avons évoqué une opération multilatérale européenne, permettant aux Etats africains d'anticiper les crises et d'éviter qu'elles ne se reproduisent. Nous pourrons valoriser auprès de nos partenaires de l'OTAN l'expertise française pour une bonne cause, à savoir le développement de l'Afrique.
Autant intégrer le commandement militaire dans les années 60, avant la chute du mur de Berlin, était compréhensible au regard de la situation géopolitique d'alors, autant aujourd'hui, il est difficile d'entrevoir le rôle de cette alliance militaire. Quel est l'ennemi de l'OTAN ?
Les menaces ont changé. Vous avez cité l'exemple de pays, voire de continents où l'on voit apparaître les nouvelles menaces de notre temps. Prenons l'exemple, et ce n'est pas le seul, de la lutte contre le terrorisme et de ses ramifications. Nous voyons ce qui se passe en Afghanistan et dans la région, dans des Etats tels que le Pakistan. Ça n'est pas évident pour une démocratie de se battre loin de chez soi...Il faut notamment expliquer cela à nos opinions.
Mais si l'on devait abandonner ces pays, ces territoires, nous en ferions des terreaux du terrorisme. La réponse à ces menaces est multiforme mais la coopération est obligatoire. Malgré nos désaccords, il y a des sujets qui nous unissent, des valeurs universelles, une volonté de développement pour chacun. Il est vrai qu'il n'existe pas un chef du terrorisme international, monsieur Untel, pour s'énoncer. L'OTAN est un instrument, un outil parmi d'autres. L'Alliance n'est pas les Nations-Unies. Aussi, elle n'a pas vocation à partir en guerre contre qui que ce soit. L'état d'esprit, aujourd'hui, des pays qui s'unissent est plutôt de préserver ou de recouvrer la paix, et de limiter les menaces qui peuvent remettre en cause nos démocraties et nos valeurs.
Après la récente offensive israélienne sur Gaza et l'éventuelle formation d'un gouvernement de droite (si ce n'est d'extrême droite) qui serait dirigé par Benyamin Netanyahou, l'Union Pour la Méditerranée (UPM) est-elle encore d'actualité ?
Plus que jamais. On ne peut nier que ces évènements auxquels vous faites allusion aient freiné le processus. L'«Union Pour la Méditerranée» (UPM) doit avoir en son sein tous les Etats du pourtour méditerranéen, y compris Israël et la Palestine. Plusieurs réunions multilatérales n'ont pas pu se tenir durant cette période, mais le processus continue à se mettre en place. Je pense au Secrétariat Général à Barcelone, ou à l'identification de projet entrant dans les six thèmes retenus.
Ensuite, l'UPM, a créé un climat de relations régulières et de dialogue politique. Deux pays fortement promoteurs de l'UPM, à savoir l'Egypte et la France, ont joué un rôle important dans la perspective du cessez-le-feu et dans l'idée de renouer le dialogue. J'ai pu voir à quel point le Président Sarkozy s'est démené et je me demande si l'initiative prise avec l'Egypte aurait eu la même force s'il n'y avait pas eu le climat créé par l'UPM ?
Enfin, ce processus est irréversible parce qu'il évoque des questions importantes. Cependant, la question du processus politique pour la paix dans cette région du monde est primordiale.
Mais ça n'arrêtera pas le processus. Les six thématiques générales et prioritaires, définies à Marseille en novembre dernier, sont actuellement sous l'égide du Conseiller du Président Nicolas Sarkozy, Henri Guaino. Ce ne sont pas des sujets «géostratégiques» dans le sens abstrait du terme. Ce sont des questions concrètes qui concernent les populations en devenir, leur prospérité. Il y aura des temps d'arrêt, c'est incontestable... mais ça va repartir.
Le processus de l'UPM devrait donc se poursuivre malgré un gouvernement de droite en Israël ?
Je me garderais de faire des pronostics. Mais ce gouvernement, quel qu'il soit, devra s'impliquer, tant la demande et la pression sont fortes, dans le processus UPM. Dans l'Histoire, y compris dans l'histoire de cette région, les progrès ne sont pas forcément venus des dirigeants dont on attendait le plus. C'est un grand classique. Ceux qui paraissent le plus éloignés d'un processus, le mettent finalement en oeuvre. J'ai mon opinion et des sympathies mais, connaissant le Monde arabe et la société israélienne, je me garderais de porter un jugement a priori, sur une question aussi sensible. Attendons de voir...
Le Ministre de la Défense a récemment congédié Aymeric Chauprade, un enseignant à l'Ecole militaire à Paris, pour avoir exposé dans son ouvrage, «Chronique du choc des civilisations», les «théories du complot ». Existerait-il en France une «vérité d'Etat» à laquelle doivent se conformer les enseignants sous peine d'être licenciés ?
S'il y a un pays qui accepte la controverse, c'est bien la France. Le monde universitaire français est l'un des plus libres au monde dans son expression, sans que ça ne mette en cause d'aucune manière le statut des chercheurs. Mais il existe des sujets sur lesquels on ne plaisante pas. Je pense notamment aux opinions négationnistes. On peut tout dire dans une conversation mais on ne peut, au nom d'un certain goût de la controverse, du haut de sa chaire et de sa fonction universitaire, donner prise à des fables dont on peut se demander si elles relèvent d'une manipulation ou d'une totale naïveté...On peut tenir ce genre de propos dans le Café du Commerce, mais nous ne sommes pas obligés, au ministère de la Défense, de garder l'enseignant et de continuer à le rémunérer. Il s'agit, en l'espèce, de questions qui ont trait à l'intégrité et à la sécurité d'un pays allié. Il faut marquer la limite. Il peut continuer à dire ce qu'il veut mais il ne le fera plus dans le cadre de son enseignement. Il n'encourt aucune sanction pénale ou autre. Nous avons simplement mis fin à un contrat et je crois qu'il faut l'assumer tranquillement. Mais, si nous n'étions pas dans le climat de liberté d'expression dans lequel nous sommes, cette polémique n'aurait pas lieu d'être.
source http://www.ambassadefrance-tn.org, le 7 avril 2009