Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée du développement numérique, à France 2 le 24 avril 2009, sur les dangers potentiels du téléphone portable et du numérique.

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Média : France 2

Texte intégral

R. Sicard.- Vous étiez hier à ce qu'on appelle "le Grenelle des ondes", qui devait voir quels sont les dangers liés au téléphone portable, au Wifi, entre toutes les ondes qui nous entourent. On a l'impression qu'on est dans le flou le plus total dans ce domaine et qu'on ne sait pas mesurer les risques réels ou pas réels ?
 
On est dans une situation d'insatisfaction partagée, qui peut paradoxalement être la base pour s'en sortir vers le haut. C'est la raison pour laquelle, début février quand j'ai vu toutes ces décisions de justice qui tombaient pour demander le démontage des antennes, j'ai proposé qu'on fasse ce Grenelle des ondes. Actuellement, personne n'est content ; le consommateur est inquiet de plus en plus, consommateur-citoyen, il y a de la mobilisation, et en même temps il est consommateur de téléphonie mobile. Les élus sont vraiment en première ligne, ils sont pris en tenaille entre la demande de couverture des zones blanches et ces associations qui se mobilisent fortement contre les antennes. Et puis les opérateurs ont des obligations de couverture avec éventuellement des sanctions financières à la clé, et en même temps des décisions de justice qui leur demandent le démontage d'antennes. Donc personne n'est satisfait, et je me dis que c'est une opportunité pour faire évoluer les choses.
 
Personne n'est satisfait et personne ne sait quel est le danger réel. Est-ce qu'aujourd'hui, depuis hier par exemple, vous en savez un tout petit plus ? Est-ce que ce sont les antennes qui sont dangereuses, est-ce le téléphone qui est dangereux, est-ce le Wifi par Internet qui est dangereux, on ne sait pas tout ça ?
 
Ce qui est certain c'est qu'il y a beaucoup d'études scientifiques qui ont été faites, qui tendent à dire que, s'il y a un risque, une incertitude, elle porte plutôt sur le téléphone lui-même que sur les antennes.
 
Sur son utilisation ?
 
Oui, sur l'utilisation intensive. Et c'est la raison pour laquelle je me suis beaucoup mobilisée pour que dans le projet de lui Grenelle II, il y ait des restrictions à l'utilisation du téléphone portable par les enfants. Il est prévu l'interdiction possible des téléphones portables pour les moins de 6 ans, et surtout l'interdiction de la publicité mettant en avant des enfants de moins de 12 ans. Simplement, doit-on aller plus loin en matière de téléphonie, même de téléphone ? Est-ce qu'il faut faire quelque chose sur les antennes ? Ce qui est certain c'est que ça fait assez longtemps que notre système réglementaire a été construit, la téléphonie s'est beaucoup développée depuis, et finalement on n'a jamais mis tout le monde autour de la table pour réussir. Je me dis que paradoxalement la situation actuelle, dont personne n'est satisfait, peut être une opportunité. Ca fait des années que je dépose des propositions de loi, comme parlementaire, ou que je me suis battue comme secrétaire à l'Ecologie, pour qu'on puisse regarder de face le sujet. Et je crois le Grenelle des ondes est l'occasion de le faire.
 
Et est-ce que le Wifi et l'Internet sans fil ça représente un danger, par exemple si on a la bande dans sa chambre ou si on travaille dans un milieu où il y a le Wi-fi tout le temps ?
 
Il y a énormément d'équipements qui émettent des ondes. Il y a aussi le micro-onde, il y a aussi l'écran télé...
 
La radio...
 
La radio, il y a le baby phone, toutes ces choses-là émettent des ondes. On peut parler de tous ces différents équipements autour de la table-ronde du Grenelle des antennes, qui durera le temps qu'il faudra pour pouvoir trouver un accord et sortir par le haut.
 
Vous êtes chargée de l'Economie numérique au Gouvernement. Aujourd'hui, N. Sarkozy présente un plan pour l'emploi des jeunes. Cette économie numérique, on a l'impression qu'elle est un petit peu absente de tous les plans de relance, de toutes les tentatives de redonner du dynamisme à l'emploi. Comment cela se fait-il ?
 
Non, l'économie numérique est présente mais c'est vrai que...
 
Elle n'est pas mise en avant en tout cas.
 
Oui, elle ne fait pas l'objet de la communication première. Par exemple, dans le plan relance en quelque sorte de base qui a été lancé cet hiver, il y a plusieurs dizaines de millions d'euros pour l'équipement en numérique des écoles ; on a trop peu communiqué dessus. Il y a...
 
Mais ce n'est pas beaucoup par rapport aux 26 milliards du plan.
 
Non, mais par exemple il y a l'obligation qui est faite, que tous les nouveaux logements qui sont construits avec l'argent du plan de relance soient pré-équipés en fibre optique, ce qui est une façon d'amorcer l'équipement en fibre optique. Et c'est vrai que c'est quelque chose qui n'est pas forcément prévu. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas aller plus loin, et j'ai fait des propositions qui ne sont pas encore arbitrées, conjointement avec P. Devedjian, pour qu'on puisse avoir un volet numérique spécifique dans le plan de relance.
 
"Pas arbitrées", ça veut dire mises à la poubelle ou ça veut dire qu'elles ont une chance d'aboutir ?
 
Non, non, ça veut dire qu'elles sont discutées en ce moment même. Ce que je propose, c'est qu'on travaille à la fois sur l'infrastructure, par exemple sur le développement de la fibre optique pour avoir des meilleurs accès Internet, mais aussi en même temps, sur la compétitivité des acteurs. On a une bonne industrie du logiciel, comment peut-on la porter un peu mieux dans la période de crise. Et puis ce qui est important, ce n'est pas seulement les autoroutes de l'information, les infrastructures, Internet, c'est aussi que, entre guillemets, "les voitures qui roulent dessus" soient construites chez nous. Il ne faut pas que l'Internet serve à amener chez nous finalement que des produits qui servent à la croissance ailleurs. Et donc...
 
Qu'est-ce que nous on peut fabriquer ?
 
Oui, quels sont les services, quels sont les contenus ? La bonne nouvelle c'est que, sur les services de l'Internet, sur les contenus, on n'est pas mauvais. On est même bons.
 
Par exemple ?
 
Par exemple, on a une bonne industrie du logiciel, on a une bonne industrie du commerce en ligne, on est très créatif en matière de jeux vidéo, en matière d'animation sur Internet.
 
Et ça c'est créateurs d'emplois ?
 
Bien sûr que c'est créateur d'emplois. La difficulté c'est, comme c'est une industrie nouvelle, c'est assez mal documenté, c'est-à-dire que, on sait par exemple que l'économie numérique participe de 25 à 30 % de la croissance mondiale. En revanche, on n'a pas encore les éléments pour dire précisément : bon, 1 million d'euros investis de telle manière dans l'économie numérique, ça donne tant d'emplois. Et ça, je suis en train de le documenter pour pouvoir défendre mes propositions dans le cadre du plan de relance.
 
Vous rentrez des Etats-Unis, qu'avez-vous pu observer là-bas ? Est-ce que les Américains par exemple sont en avance sur nous ?
 
On aurait tort de croire que les Américains sont véritablement en avance sur nous en matière d'Internet. Par exemple, ils sont en retard en matière d'infrastructures, en matière d'accès à l'Internet. Dans la Silicon Valley, qui est l'Eldorado de l'Internet, les accès à Internet sont très mauvais, par endroit ils sont bien plus mauvais qu'en France, et ils le savent d'ailleurs, ils voient, ils regardent ce qui se passe en France avec un certain intérêt sur le sujet. En revanche, ils ont quelque chose d'absolument formidable, c'est qu'ils ont réussi à créer ce qu'on pourrait appeler "un écosystème", à réunir dans les mêmes lieux tous les ingrédients pour transformer l'innovation en croissance, et donc ils ont quelques géants de l'Internet. Ca ne veut pas dire...
 
Ils ont par exemple Google ?
 
Ils ont Google, ils ont Facebook, ils ont Apple...
 
Ca, on ne l'a pas chez nous.
 
Ca on n'a pas, non, c'est vrai.
 
Et ça leur rapporte de l'argent.
 
Et ça leur rapporte de l'argent avec un petit bémol qui est qu'une grande part des nouvelles boîtes de l'Internet cherche encore son modèle économique. Google et Facebook l'ont un peu trouvé, il y en a beaucoup d'autres qui sont en recherche. Actuellement, le monde de l'Internet est un monde qui vit un conflit entre plusieurs types de modèles économiques. Il y a l'Internet gratuit, l'Internet complètement ouvert, l'Internet...
 
Ou celui qu'on croit gratuit ?
 
C'est ça, c'est-à-dire qu'il y a l'Internet qui est vraiment gratuit, il existe, et puis il y a l'Internet un peu fermé, où on paye, du genre Apple, et entre les deux, il y a cet Internet qu'on croit gratuit qui est celui de Google, celui de Facebook, où en fait on paye en dévoilant des données personnelles, parfois très sensibles, du genre de celles que les Français ne voulaient pas voir enregistrées dans un fichier comme Edvige, donc, du genre de celles que les Français ne veulent pas dévoiler à l'Etat mais qu'ils sont prêts à dévoiler sur Facebook où elles sont utilisées à des fins de marketing pour faire de la publicité ciblée. Je ne dis pas que c'est forcément un problème, je dis qu'il faut au moins en être conscient, parce que, par exemple sur la page d'un profile Facebook on vous demande : votre religion, on vous demande votre orientation sexuelle, on vous demande éventuellement votre numéro de téléphone portable. Et vous avez l'impression après que le service est gratuit. Il faut être conscient qu'il n'est pas gratuit en fait, c'est aussi parce que vous l'avez donné que le service se finance sur la publicité, qui est de la publicité très ciblée.
 
A propos de Facebook, vous avez, vous, annoncé votre grossesse sur Facebook. Pourquoi sur Facebook ?
 
Parce que c'est un sujet personnel, très personnel, et en même temps, il y a un moment où il faut le dire parce que par définition ça finit par se voir, et ça se voit de plus en plus, et je me suis dit que Facebook c'était cet espace à la fois un petit peu plus personnel, un petit peu direct - on maîtrise ce qu'on écrit, on l'écrit soi-même - et en même temps qui permettait de parler de ce genre de choses.
 
Il y a une autre femme ministre qui a été enceinte, c'est R. Dati, elle est très attaquée notamment sur la campagne des européennes. Est-ce que vous avez l'impression que les attaques dont elle fait l'objet sont excessives ?
 
 Je dois dire que je trouve ça systématique. A chaque fois que R. Dati bouge une oreille, dans un sens ou dans l'autre, ça devient un sujet et je trouve que c'est excessif. Je trouve qu'il faut aussi un peu la laisser vivre. En l'occurrence, je crois que c'était une espèce de ""quizz"" amusant, un meeting sous la forme d'un "quizz" un peu original, et on en fait tout un gâteau. Pourquoi ?
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 24 avril 2009