Déclaration de M. François Bayrou, président du MoDem, sur la nécessité de promouvoir un "projet social européen", à Hérouville-Saint-Clair le 25 avril 2009.

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Circonstance : Quatrième convention thématique européenne sur le thème "Europe : l'urgence sociale", à Hérouville-Saint-Clair (Calvados), le 25 avril 2009

Texte intégral

Je suis très heureux de conclure ces travaux. Je vais le faire simplement et rapidement, mais je voudrais, avant de conclure, me joindre à ceux qui ont remercié les intervenants.
Tout à l'heure, les journalistes se précipitaient vers moi, en disant : « Pourquoi avez-vous choisi Hérouville Saint-Clair ? » Je leur ai dit : « J'ai choisi Hérouville Saint-Clair pour Rodolphe Thomas ! »
C'est en tout cas la première raison, parce que les réponses les plus simples sont les plus efficaces. J'ai choisi Hérouville Saint-Clair parce que Rodolphe Thomas en est le maire ; parce que j'ai beaucoup d'admiration pour l'énergie, la volonté, la fraîcheur, la générosité qu'il met dans sa manière de gouverner une commune tout à fait particulière, au profil tout à fait particulier, au visage exceptionnel ; et parce que son histoire en fait une des communes symboliques des mutations urbaines, des grands mouvements historiques que notre société a eu à vivre avec beaucoup de déracinements, transformés en « ré-enracinements ».
Je suis très heureux et très fier que Rodolphe, c'est-à-dire quelqu'un de notre famille, soit à la tête d'une commune aussi symbolique, qu'il ait été élu... -je le rappelle pour ceux que la petite histoire politique intéresse- c'était un miracle, et qu'il prenne le Conseil général en même temps, ce n'était pas un miracle, c'était un exploit !
C'est pour ces raisons que je suis heureux de remercier, avec vous, Rodolphe Thomas de sa présence ici.
Je suis très heureux d'avoir été auprès de ceux et celles qui vont former la liste qui portera nos couleurs dans cette élection. Vous me permettrez de dire à Corinne Lepage un mot particulier d'affection, de remerciement, de gratitude et d'optimisme pour la force qu'elle apporte à la tête de cette liste.
J'ai eu Olivier Henno au téléphone tout à l'heure, par SMS. Sa petite fille va mieux. Donc, c'est un soulagement, pour nous tous. Je lui ai transmis nos amitiés.
Vous me permettrez d'ajouter un mot pour tous les organisateurs de la rencontre, ceux que qui se cachent, qui portent la responsabilité de cette organisation.
Et, enfin, d'ajouter un mot en vous demandant de l'applaudir, celle qui a fait applaudir les autres, mais qui n'a pas été applaudie, elle-même : Marielle de Sarnez. Elle assure la coordination nationale de la campagne que nous menons. C'est un gros travail et, pour moi, en tout cas, c'est une grande sécurité de voir à quel point les choses sont bien faites.
Elle aussi vient de sortir un livre. Vivre autrement est le livre de Corine Lepage. Petit dictionnaire pour aimer l'Europe celui de Marielle de Sarnez. L'alternative celui de Jean-François Kahn et, si vous avez le temps, à partir de jeudi, vous trouverez aussi mon livre, Abus de pouvoir, chez Plon...
Une idée simple, qui servira de fil conducteur, est que nous considérons que c'est une faute que l'Europe ait été enfermée, depuis des années, sur la seule spécialisation d'organiser le marché, que l'Europe soit devenue pour les Français, uniquement une construction qui prend en compte l'économie, le financier, les règles d'échange, de circulation, de concurrence.
C'est une faute selon nous, parce que je n'oublie pas que nous sommes la famille des fondateurs, ceux qui ont fait naître et porté le « Projet européen », qu'entre Robert Schumann et moi il n'y a après tout que deux générations de dirigeants. Je n'oublie pas que cette famille, et spécialement celle de Schumann et de Jean Monnet, les deux sensibilités se sont retrouvées ici. Et je n'oublie pas non plus que pour nous, l'Union européenne, au début ce n'était pas une construction économique : au début, c'était une construction pour défendre des valeurs )cela a été abordé notamment pour le charbon et l'acier- en direction des plus faibles.
Quelqu'un tout à l'heure l'a rappelé. J'ai trouvé cela intéressant. Ce n'est qu'après un certain nombre de difficultés que l'on est retombés sur l'Union économique et le Marché commun, mais ce n'était pas la première intention des fondateurs.
Je pense qu'il est temps de revenir à la première intention des fondateurs, en disant : l'Europe, ce n'est pas seulement une construction économique, c'est la défense d'un modèle de société dans le monde.
Au coeur du modèle de société que l'Union européenne porte et doit porter dans le monde, il y a le « projet social européen »
Je n'aurais peut-être pas dit cela de la même manière, il y a quelques années. Il y a quelques années, j'aurais peut-être été comme tout le monde (je ne le crois pas mais enfin, peut-être...) emporté par la dynamique qui semblait inépuisable dans tout ce qui était l'économie. C'était cela, la seule idée que tout le monde avait, mais les temps que nous vivons nous apprennent quelque chose : quand l'économie ne s'occupe que d'économie, on court tout droit vers la crise. Quand les politiques ne s'occupent que d'économie, on va droit dans le mur.
La crise que chacun d'entre nous ressent dans sa famille, dans ses inquiétudes, dans l'emploi des enfants, vient de ce que les considérations uniquement économiques et financières l'ont emporté sur toutes les autres.
Au coeur de cette crise il y a, me semble-t-il, précisément la question du projet politique que les peuples portent, le projet politique que nous portons, le projet politique qu'ont porté les autres peuples. Et ceci est pour moi, aujourd'hui, une heure de vérité.
Je veux résumer à ma manière ce que nous avons vécu, cela a été évoqué par plusieurs des intervenants, et moi je considère que c'est essentiel. Au fond, dans le monde de la globalisation, deux projets se sont affrontés depuis vingt-cinq ans. L'un paraissait avoir gagné, presque tout gagné, et l'autre paraissait en situation de défense, et aujourd'hui, selon moi, les choses se sont renversées.
Nous tous, nous avions vécu, depuis longtemps, avec une idée qui dominait tout notre engagement politique, démocratique, syndical pour les uns, civique pour les autres, associatif pour les troisièmes, qui était la grande idée en tout cas du monde occidental et qui était celle-ci : le progrès technique va peu à peu effacer les inégalités. C'est avec cela que l'on vivait.
Chacun en avait sa conception. Je pourrais même soutenir que, même à Moscou, on vivait avec cette idée, avant la chute du mur de Berlin, avec des défauts et des dérives énormes, mais gravissimes. Tout l'occident vivait avec cette idée que l'on allait faire des découvertes, que ces découvertes allaient être appliquées dans l'industrie, dans la technique, que l'on serait de plus en plus riche, que plus on serait riche, moins il y aurait de pauvres et qu'au fond, tout cela peu à peu allait nous mettre à flot et que l'on arriverait à une société juste.
Ceci est l'histoire même de l'occident démocratique, en tout cas. Il y en avait qui disaient que c'est le marché qui ferait cela. D'autres affirmaient que c'était l'État qui le ferait. Le troisième affirmait que c'était le Parti unique qui le ferait et cela créait évidemment des querelles et de graves affrontements, mais au fond, tout le monde vivait avec cette idée que le progrès allait peut à peu corriger, effacer, les inégalités.
Il y a eu une rupture, et le mot n'est pas tout à fait choisi au hasard. Ce mot de rupture a été le slogan de la dernière élection présidentielle par le candidat qui a été élu. Ce n'est pas tout à fait par hasard, car il y a eu une rupture en occident, il y a à peu près vingt ou vingt-cinq ans : c'est toute l'époque Thatcher et Reagan. Mais derrière, il y avait des économistes, des esprits puissants qui ont, tout d'un coup, sans le dire, changé brutalement les choses, et nous en recevons les dégâts dans la figure tous les jours.
Ils ont dit : « Jusqu'à maintenant, on a cru que le progrès allait corriger les inégalités, eh bien mesdames et messieurs, c'est exactement le contraire : il faut des inégalités pour qu'il y ait du progrès ! ». Et ils ont renversé la proposition.
Au lieu d'avoir un monde politique qui se dirigeait tout entier vers la correction des inégalités, on a eu un monde politique qui, tout d'un coup -cela a commencé avec ces politiques-là puis cela a gagné peu à peu- a considéré que les inégalités, ce n'était pas si grave, et que même il en fallait pour que les choses aillent mieux.
Je pourrais vous faire toute la théorie de cette histoire, mais ce n'est pas cela qui m'intéresse. Ce qui m'intéresse, c'est que ce modèle inégalitaire, ce modèle que j'appelle « des inégalités croissantes » alors que l'on avait avant les inégalités décroissantes, peu à peu, a mis la main sur la globalisation.
Aux États-Unis, le fossé entre pauvres et riches s'est creusé de manière considérable, les riches devenant de plus en plus riches, les pauvres stagnant et même reculant. Aux États-Unis, le coût du travail non qualifié a baissé sur les vingt dernières années, notamment parce qu'on s'est servi de l'immigration pour faire baisser le coût du travail, et les riches sont devenus infiniment plus riches. Aux États-Unis, sur les vingt dernières années, le 1 pour cent le plus riche de la population qui possédait 20 pour cent de la richesse américaine -c'était déjà beaucoup il y a vingt ans- possède aujourd'hui plus de 40 pour cent de la richesse américaine !
1 pour cent... pour 40 pour cent de la richesse du pays ! Accroissement des inégalités...
On pourrait expliquer aussi de quelle manière cela a favorisé la crise dans laquelle nous sommes parce que, comme cela a été dit par quelqu'un d'entre nous, comme les gens ne gagnaient pas assez, il fallait du crédit pour leur permettre d'avoir un niveau de vie convenable. On a favorisé le crédit à grande échelle jusqu'au jour où il a fallu payer, et on s'est retrouvé dans la crise des subprimes dans laquelle on était.
Pour porter son projet social, l'Europe doit défendre le modèle « républicain » contre le modèle « des inégalités croissantes »
En face de cela, il y avait un modèle qui tenait bon. C'était le nôtre, c'est-à-dire le modèle dit « républicain » en France, le modèle pour lequel le projet social est très important. La solidarité est très importante.
Ce qui est frappant à l'heure qu'il est et qui à mon avis fait une partie de la question politique nationale et, pour nous, une question essentielle de la politique européenne, c'est que tout d'un coup, tous ceux qui avaient choisi le modèle inégalitaire se tournent vers le modèle solidaire qui est le nôtre se disent qu'après tout, cette affaire, cela ne marchait pas si mal, et même dans la crise on s'aperçoit, tout d'un coup, que ce modèle résiste mieux que l'autre.
Les amortisseurs sociaux dont tout le monde parle font que l'on n'est pas tout à fait abandonné quand les choses vont mal, et même on arrive à résister mieux et même il y a moins d'angoisse. Il y a un certain nombre de contributions de grands économistes, de grands sociologues, en particulier américains, qui disent : mais ce modèle-là, s'il vous plaît, examinons-le parce que il dit peut-être quelque chose de notre avenir...
Le modèle inégalitaire s'effondre, le modèle solidaire tout d'un coup montre des vertus que personne ne lui connaissait
Je fais une toute petite incidente pour dire que c'est le moment précis où, en France, le pouvoir a choisi... (rires...) d'abandonner l'un -c'était sa rupture- pour aller du côté de l'autre, mais ce n'est pas notre sujet aujourd'hui, cela le sera dans les jours et les années qui viennent naturellement. (applaudissements...)
Le sujet aujourd'hui, c'est que nous considérons que l'Europe a la responsabilité de défendre le modèle de société qui est le sien et de placer la solidarité, la vocation sociale au coeur du projet européen.
Tout au long de l'après-midi, on a vu que cela pouvait concerner les conditions de travail, la réflexion sur les salaires, le logement, la lutte contre l'exclusion. Tous ces sujets qui ont été abordés tout au cours de l'après-midi tiennent, d'une manière ou d'une autre, au projet de société européen, au modèle solidaire contre le modèle inégalitaire.
Voilà la question politique qui est posée et voilà la raison pour laquelle nous avons consacré un de nos colloques -le plus important puisqu'il a eu lieu à Hérouville Saint-Clair- au choix social dont nous voulons faire le coeur du projet européen.
Donc, c'est un grand changement et, ce grand changement, je vous propose qu'on le porte dans ces élections européennes. Je ne vais pas entrer dans le détail. Je vais vous dire les grandes lignes de ce que nous croyons nécessaire pour cela.
Nous avons besoin que l'Europe s'adresse au reste du monde d'une voix forte
Depuis le début de cette histoire, c'est-à-dire depuis cinquante ans, cette famille pense que quand il y a une grande crise universelle, le seul moyen d'apporter des réponses pour un pays comme la France, c'est de le faire dans le cadre d'une union que j'appelle « coopérative », qui est l'union des pays européens. Car l'Europe est un modèle, le premier mais il y en aura d'autres : je suis persuadé qu'il y aura un jour une Union africaine, une Union d'Amérique du Sud, je suis persuadé qu'il y aura un jour une Union des pays d'Asie. Je suis persuadé qu'il y aura des unions comme cela qui vont apparaître pour équilibrer les très grandes puissances de la planète face aux États-Unis, face à la Chine, face à l'Inde. Il y aura des unions « régionales » et l'Union européenne est la première expérience de ces unions-là.
Premièrement, nous avons besoin d'une union comme la nôtre pour nous adresser au monde lorsque les crises sont universelles. Je crois que les Français en ont désormais pleinement conscience... Je vous invite à regarder des études d'opinion (j'attache assez peu d'importance aux sondages, y compris quand ils sont bons, mais je regarde principalement les études comme celle que Robert (Rochefort) a tout à l'heure évoquée) : il y a une étude extrêmement intéressante qui est sortie il y a quelques semaines, qui demandait : « dans la crise qu'est-ce qui peut vous aider ? »
Les gens ont apporté deux réponses, l'une et l'autre extrêmement censées et, je trouve, extrêmement justes et qui dépassaient de loin toutes les autres propositions qui leur étaient faites. Ils disaient : « dans la crise, ce qui peut nous aider, c'est premièrement nous-mêmes, nos propres forces, notre famille, nos voisins, nos proches, et deuxièmement l'Europe ». Et ils laissaient très très loin de côté tous ce que pourtant l'on met en scène tous les jours sur les écrans : c'est-à-dire dire le gouvernement, le Président de la République, l'action des puissants.
C'est une conscience nouvelle. On aurait posé cette question, avant la crise, on n'aurait pas du tout eu ce type de réponse. A l'époque, l'Europe était ressentie uniquement comme une contrainte, comme tout à l'heure cela a été rappelé, et je crois que pour un certain nombre de gens, cette Europe ressentie comme une contrainte est devenue une Europe dont on voudrait qu'elle agisse.
Nous avons besoin que l'Europe soit transparente et compréhensible
Nous sommes là pour dire que l'Europe doit agir et agir en particulier sur le plan social, mais si l'Europe doit agir, alors il faut qu'elle change sur un point fondamental, il faut qu'elle devienne compréhensible par les gens.
J'ai été frappé tout à l'heure, un intervenant de la CFTC du Nord a déclaré : « j'ai applaudi quand quelqu'un a dit à la tribune que l'on n'y comprenait rien, que cela demandait des efforts considérable pour se faire entendre dans l'ensemble européen, pour pénétrer les arcanes et le labyrinthe de Bruxelles, pour savoir où on peut toucher tout cela, savoir comment cela marche ».
Je vous assure, vous sortez dans la rue et vous demandez aux gens, même les plus avertis, comment se prennent les décisions au sein de l'Union européenne, et même dans une salle comme celle que nous avons ce soir, une salle aussi brillante, avertie, compétente, animée de vocation -en un mot une salle Hérouvillaise...- je ne suis pas sûr que l'on aurait des réponses majoritairement éclairées !...
Si l'on croit que l'Europe doit jouer un rôle déterminant dans la défense de notre projet de société, alors il faut qu'elle devienne accessible aux citoyens, compréhensible par les gens, simple dans son usage.
Alors, nous faisons deux propositions qui ne coûtent pas un centime, ni l'une ni l'autre, et qui ne demandent pas de changer les Traités :
Nous allons défendre l'idée qu'aucune décision européenne ne devrait être prise sans que les citoyens européens aient été avertis, trois mois à l'avance, qu'elle était en cours de préparation, de manière que tout le monde puisse saisir son association, son député européen, sa députée européenne ou bien tel ou tel de ses représentants, pour faire entendre sa voix dans les décisions qui se préparent.
Cela ne coûte rien. Ainsi si tout d'un coup on vous dit qu'il y a une directive en préparation sur le temps de travail, les syndicats, la fédération CFTC du Nord et quelques autres vont s'en saisir en disant « il faut que l'on défende quelque chose pour nous dans cette affaire-là ».
Et, deuxième orientation qui ne coûte pas un centime : nous exigerons, par l'intermédiaire de nos élus, qu'aucune décision européenne ne puisse être prise sans qu'il y ait eu une délibération publique, notamment des représentants des gouvernements.
Parce qu'en France, et j'imagine peut-être dans d'autres pays, on assiste à un jeu depuis longtemps qui consiste à dire : « Ah mes pauvres amis... » (c'est le gouvernement qui parle, vous voyez ce que je veux dire, je joue le rôle...) « ...mes pauvres amis, Bruxelles nous impose de.... »
La vérité est qu'il n'y a aucune décision qui se prenne à Bruxelles sans que le gouvernement français ait dit « oui » !
Eh bien il faut et il suffit, comme l'on dit en géométrie, que l'on fasse en sorte que toutes les délibérations où l'on vote soient publiques et filmées, accessibles sur Internet de manière que chacun sache, quand une décision est prise, ce qu'a voté son représentant.
Cela ne coûte rien et cela rend tout d'un coup l'Europe compréhensible par tout le monde. Par exemple quand un ministre de l'agriculture dit : ah, sur la pêche,... les quotas... on ne peut pas faire autrement... Eh bien , il a voté oui !!! Je le dis spécialement, Corinne, dans cette région. Si on l'avait filmé sur Internet, on pourrait lui opposer !
Cela ne coûte rien, c'est simple et cela veut dire que cela devient une démocratie.
Je le dis parce que si, comme nous le voulons, comme c'est l'objet de cette table ronde aujourd'hui, le social devienne un sujet européen, alors il faut que les citoyens puissent participer à son élaboration.
Voilà la première idée que je voulais défendre devant vous : le social au coeur de l'Europe et, pour cela, il faut que l'Europe devienne accessible au citoyen.
L'Europe doit s'engager dans une méthode des convergences en matière sociale
Le sujet social est un sujet très délicat pour l'Europe, pour les raisons qui ont été dix fois expliquées ici et que je reprends à ma manière. Le sujet social est un sujet très difficile pour l'Europe, pas seulement pour des raisons de compétence. Cela peut toujours se changer... Mais nos pays ont des niveaux de protection sociale, d'exigence sociale, de minima sociaux extrêmement différents, et personne ne peut imaginer que les pays à haut niveau de protection sociale vont abandonner leur protection sociale pour s'aligner sur les pays à bas niveau ; et personne évidemment ne peut soutenir l'idée qu'il faut que la Roumanie s'aligne d'un coup sur les salaires et la protection sociale française ou un certain nombre de pays qui sont plus en difficulté, parce que cela les étranglerait.
Donc l'alignement -on dit « harmonisation » en termes européens c'est plus élégant- sur les mêmes normes est impossible.
J'avais eu ce débat, peut-être certains s'en souviennent, entre les deux tours de la présidentielle, un petit débat dont on a très peu parlé à l'époque avec Ségolène Royal.. Elle disait « il faut un SMIC européen ». Je lui dis « c'est une idée intéressante, mais voulez-vous me dire à quel niveau ? ». Elle dit « cela, on verra ». Je lui dis « Non ! S'il faut un SMIC européen, il faut savoir à quel niveau on le met. »
Il n'y a pas un français qui voterait un SMIC européen au-dessous du niveau français et il n'y a pas un roumain ou polonais qui voterait un SMIC au niveau du SMIC français, et donc ceci est une contrainte. Personne n'est prêt à aligner brutalement les choses et, cependant, selon nous, on ne peut pas ne rien faire. Donc la méthode que nous choisirons et que nous défendrons dans cette élection -elle a été évoquée plusieurs fois à la tribune- est la méthode des convergences en matière sociale.
Je veux expliquer de quoi il s'agit. Les problèmes que nous rencontrons dans le domaine social, on les a rencontrés dans le domaine monétaire dans la création de l'Euro. Évidemment, les conditions étaient extrêmement difficiles.
On s'est donné dix ans pour que les choix ou les disciplines monétaires des uns rencontrent peu à peu les disciplines monétaires des autres. Et, vous vous souvenez, on a fait un système de convergence que l'on appelé le SME (système monétaire européen). Il y avait le serpent monétaire parce qu'on acceptait qu'il y ait des divergences, mes ces divergences devaient être enfermées à l'intérieur d'un plus ou moins 10 pour cent.
Un certain nombre de techniques que l'on connaît bien peuvent parfaitement nous inspirer lorsqu'il s'agit de réfléchir à la technique d'une convergence sociale. Cela signifie que l'on se fixe un horizon, peut-être dix ans, peut-être douze (je dis douze ans car il faut deux ans pour y réfléchir et dix ans après pour que la convergence joue), un horizon dans lequel on se fixe comme objectif de rapprocher peu à peu en direction des mieux disant-sociaux, pas en direction du bas. Peu à peu, se servir de la prospérité dont on espère que nous la retrouverons pour effacer les inégalités, y compris à l'intérieur des inégalités européennes.
Autrement dit, un projet solidaire, un projet de convergence sociale qui fasse que l'Europe, au lieu d'être l'observateur incapable des diversités ou des divergences en son sein, devienne tout d'un coup un lieu de dynamique sociale, que l'on puisse faire avancer les choses dans la direction d'une harmonisation sociale c'est-à-dire d'un projet de société européen.
Convergence sur mettons douze ans : deux années pour la réflexion, et après dix années pour essayer de faire entrer dans la réalité cette amélioration de la situation sociale de l'ensemble de l'Europe. Cela a une signification qui a été, elle aussi, évoquée à la tribune et sur laquelle je m'arrête une minute. Cela signifie que l'on considère, dans cette famille démocratique que nous représentons ici, que le social est un « plus » pour l'économie, et pas un « moins ».
Peut-être vous souviendrez-vous, j'avais défendu cette idée dans la campagne présidentielle déjà en appelant notre projet « social-économie », en un seul mot, pour montrer que social était une dimension de l'économie, quelque chose qui devait nous permettre de jouer les atouts de notre société dans la grande compétition du monde.
Nous voulons défendre un modèle nouveau de la « concurrence équitable », contre ceux du protectionnisme et du libre-échange
Je termine avec un troisième sujet en posant une question dont je sais qu'elle est délicate, mais qu'à mon avis nous ne pourrons pas éluder.
On ne peut pas avoir une haute exigence sociale et pas non plus une haute exigence environnementale dans un ensemble comme l'ensemble européen et, en même temps, ne pas réfléchir aux contraintes que font peser, sur cet ensemble, la concurrence de pays qui ne respectent aucune exigence sociale et aucune exigence environnementale. Et donc, l'idée que nous défendrons, c'est qu'il faut qu'en peu d'années on approche de l'idée d'une concurrence équitable sur le plan social et sur le plan environnemental.
Si nous avons un projet à défendre, nous ne pouvons pas accepter l'idée que nous l'imposions aux produits que nous fabriquons ou aux services que nous offrons, tout en restant totalement indifférents au fait que des produits et des services de la même gamme ne prennent aucunement en compte ces contraintes-là.
Alors, évidemment, cela pose de très grandes questions. Je ne suis pas en train de vous dire que c'est une affaire facile à traiter, parce que cela pose toute la question du protectionnisme.
L'idée que je voudrais défendre devant vous, c'est que ce n'est pas du protectionnisme. Le protectionnisme, cela consiste à imposer aux autres des contraintes que l'on se refuse à soi-même : J'impose aux autres des droits de douane alors que mes produits ne les acquittent pas.
Là, ce n'est pas du tout du protectionnisme puisque nous ne cherchons pas à imposer aux autres des contraintes que nous nous refusons à nous-mêmes. C'est exactement le contraire. Nous allons peu à peu vers l'idée qu'il faut que les autres acceptent progressivement des contraintes que nous nous imposons nous-mêmes à 100 pour cent.
Autrement dit, il y a la recherche de l'équité, d'une concurrence équitable et pas du protectionnisme qui lui, en effet, est un jeu faussé.
Cette idée c'est une idée nouvelle car, pour l'instant, il y a d'un côté ceux qui disent : « Il faut du protectionnisme » et nous pensons que c'est une fausse idée et, de l'autre, ceux qui disent : « Il faut uniquement du libre-échange ». Nous considérons qu'il y a dans ce projet qui consiste à réfléchir, à faire que progressivement les contraintes que nous nous imposons à nous-mêmes, les autres n'en soit pas totalement exonérés... Je cite l'exemple des fruits et légumes. Si nous avons chez nous, à juste titre, des règles qui nous empêchent de nous servir d'un certain nombre de pesticides lorsqu'il s'agit de produire des cerises, mais que les cerises venues de telle autre partie du monde peuvent utiliser autant de pesticides qu'ils le veulent, il y a quelque chose de profondément déséquilibré, de dangereux pour nos consommateurs et une contrainte franchement injuste que l'on donne à nos propres producteurs de fruits.
Je pense nécessaire que nous intégrions, dans notre réflexion sur modèle social européen, cette idée : le modèle social Européen n'est pas exposé à des concurrences injustes.
On va vers une équité pour que nos producteurs de biens et de services, eux aussi, soient dans des circonstances ou leurs chances sont préservées et non pas bradées.
Question délicate, question importante, vous verrez qu'elle débouche elle aussi sur quelque chose de simple, qui est un plan de convergence à long terme. Forcément, vous n'allez pas dire du jour au lendemain : mesdames et messieurs nos concurrents, excusez-nous, on vous impose exactement le même niveau de SMIC que celui que nous avons en France ! Il y a là quelque chose qui n'irait pas dans le bon sens.
Nous avons le devoir de protéger et aider les pays d'Afrique à retrouver leur autonomie agricole et industrielle, en luttant contre les politiques « colonialistes »
Je veux finir sur une dernière idée qui n'apparaît habituellement pas dans la réflexion sur un projet social, mais je voudrais qu'on l'y ajoute. En réalité, dans le modèle solidaire que nous voulons défendre, il y a une question que nous n'avons pas le droit d'ignorer, c'est le déséquilibre dans le monde entre les peuples pauvres et les peuples riches. Il y a quelque chose qui est impossible à supporter, et je pense notamment à l'Afrique.
Si nous ne pensons pas différemment les échanges dans le monde, alors nous abandonnons ces peuples à leur propre malheur, à leur immense désespérance. Et alors, pour l'Afrique, pour un continent entier dans un aussi grave abandon, alors je pense que oui, pour eux il faut des mesures protectionnistes.
Nous Européens nous, peuples d'Europe, après la guerre de 40, quand il s'est agit de nous reconstruire, nous avons pris des mesures simples, nous avons mis des frontières, des droits de douane autour de nous, et nous avons fait un Plan Marschall avec liberté de circulation des biens à l'intérieur du Marché commun, et mis des barrières assez fortes pour que notre industrie se reconstruise ainsi que notre agriculture.
On a fait une Politique Agricole Commune dont le but était de réserver aux producteurs européens le marché européen.
On parle franchement, alors excusez-moi d'être direct mais après tout il n'y a pas de honte à cela : je considère que l'on doit faire la même chose pour les producteurs africains. L'objectif que l'on doit se fixer ce n'est pas, comme on est en train de le faire aujourd'hui, de leur réserver des marchés de niche dans lesquels ils se spécialisent et, le jour où le marché se casse la figure, ils disparaissent... C'est de reconstruire leur agriculture et leur industrie, en particulier leur agriculture car les pauvres les plus pauvres, ce sont les paysans qui n'arrivent pas à manger à leur faim. Je suis pour que l'on protège les régions les plus fragiles du monde pour les rendre autonomes en matière de production agricole et de production industrielle.
Ce que nous avons fait après la guerre pour les pays européens, eh bien je considère comme un devoir que nous le fassions aujourd'hui pour eux, au lieu de continuer ce qu'il faut bien appeler des politiques « colonialistes » consistant à aller leur piquer leur matière première, en particulier l'uranium, trois points de suspension...
J'ai vu un certain nombre de choses dans les déplacements récents du président de la République sur ce sujet, qui doivent nous donner à penser... Mais on reviendra sur cette question qui n'est pas anodine à mes yeux : on va leur piquer leurs matières premières, on les transformera chez nous et on leur renverra des produits finis, c'est-à-dire qu'ils sont absolument exploités et ruinés. Ceci est absolument impossible, surtout dans la période de crise que nous sommes en train de vivre.
J'ajoute cela au volet social qui est le nôtre.
Voilà des idées simples exprimées, et qui vont nous servir en tout cas de marque de fabrique, d'identité dans le grand débat européen que certains voudraient bien ne pas voir naître, que certains voudraient bien continuer à mettre sous l'éteignoir, sous le boisseau, que surtout on n'en parle pas, que surtout il n'y ait pas de participation.
Surtout... C'est pourquoi, moins on en parle, mieux on se porte. C'est pourquoi on ne compose même pas les listes pour éviter que cela devienne un sujet, mais ne vous y trompez pas, c'est l'intérêt conjoint des deux formations provisoirement et institutionnellement « dominantes ».
Ils veulent qu'il y ait le moins de participation possible parce qu'ils estiment qu'ils ont, eux, des électorats qui votent automatiquement pour eux et que cela les arrangera d'avoir de meilleurs scores que ce qu'ils obtiendraient autrement.
Notre intérêt est exactement le contraire. Nous voulons que le débat ait lieu, nous voulons de la participation, nous présentons de bons candidats pour qu'ils deviennent de bons parlementaires européens.
Nous voulons porter un projet de société qui est, en même temps, un projet européen. Je vous remercie.