Interview de M. Eric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à France Info le 30 avril 2009, sur la polémique sur le "délit de solidarité" avec les immigrés clandestins, les reconduites à la frontière et les régularisations.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.-  La question du jour on la pose ce matin à E. Besson, bonjour !  Bonjour !  Merci d'être en direct avec nous sur France Info pour évoquer le  délit de solidarité ; le PS dit qu'il existe, et vous, E. Besson ? 
 
Eh bien, moi, depuis trois mois, vous pouvez en porter témoignage,  j'affirme qu'il n'existe pas et au moment où va commencer cet après-midi  le débat à l'Assemblée nationale, j'affirme que finalement  personne à ce jour n'a pu apporter le moindre début de preuve ; on me  disait il y a trois mois : "vous allez voir, on va vous fournir une liste de  condamnations, on va prouver", j'ai même entendu que le ministre  ment. Cet après-midi, débute le débat à l'Assemblée nationale, personne  n'a pu apporter la moindre preuve. Et la seule liste qui existe, qui a été  utilisée d'ailleurs chez vos confrères d'Europe 1 hier par J.-M. Ayrault,  de façon surprenante, racontant n'importe quoi, parce que se basant sur  une... 
 
C'est la liste du GISTI. 
 
Liste du GISTI. 
 
Alors le GISTI maintient effectivement ce matin, son président, S.  Maugendre, dit qu'effectivement il y a une première liste mais  qu'elle n'est pas exhaustive. Je vous propose de l'écouter tout de  suite et puis vous réagirez derrière. 
 
S. Maugendre (président du GISTI) : Nous avons fait un travail de  recherche, de juristes, et nous avons publié sur notre site un certain  nombre de décisions de Cours d'appel qui condamne des personnes qui  ont tout simplement hébergé des personnes en situation irrégulière sur  le territoire français. Je renvoie simplement à la lecture de cette  décision. Ce n'est pas compliqué, les décisions sont in extenso. Il suffit  de les lire et on s'aperçoit qu'encore une fois monsieur Besson se  trompe. 
 
Alors, E. Besson, vous les avez lu, vous vous trompez, comme dit le  GISTI ? 
 
Non, je crois que le GISTI avait déjà une faible crédibilité en la matière,  ce que j'avais affirmé, et là il est totalement décrédibilisé. Je renvoie vos  auditeurs au site officiel de mon ministère, le ministère de  l'Immigration, et ils trouveront le détail et l'analyse. 
 
Il y a quand même des gens qui témoignent pour dire  qu'effectivement... 
 
Oui, mais les faits sont les faits. Ce sont des jugements, aucune de ces  personnes n'était militant associatif ou bénévole, j'ai sous les yeux les  éléments. Pour quatre de ces cas, il y avait des contreparties  commerciales et parfois même des faveurs sexuelles qui étaient  demandées en contrepartie de l'hébergement ; il y a d'autres infractions  qui se sont ajoutées, pour l'hébergement, pour les fraudes à l'état civil,  pour l'escroquerie etc. etc. Cette liste est une liste qui ne tient pas la  route. Le GISTI ce n'est pas très important, sa crédibilité était faible. Ce  qui est plus grave, c'est que le président du groupe socialiste à  l'Assemblée, qui ne travaille pas, qui ne connaît pas ses dossiers,  s'appuie sur cette liste pour justifier l'affirmation qu'il existerait en  France un délit de solidarité. Puis-je vous dire que ce n'est pas une  affaire nouvelle. En 1998, N. Mamère, député des Verts à l'époque,  disait à J.-P. Chevènement : "il y a un délit d'humanité ". C'était les  mêmes mots, c'était les mêmes thèses. J.-P. Chevènement avait  démonté l'argument, onze ans après, le serpent de mer ressurgit. 
 
Donc vous maintenez : il n'y a toujours pas de condamnation alors  qu'il y a des gens qui eux disent : on a été condamné, on a été  poursuivi. 
 
Mais vous savez, le vrai et le faux, ça existe dans tous les domaines. 
 
Ils mentent. 
 
Comme je ne veux pas l'affirmer aussi catégoriquement, ils se trompent  lourdement. Mais il y a un moment où quand on se trompe lourdement,  c'est une faute grave. Mais c'est une association, ce n'est pas un parti  politique, donc la querelle avec le GISTI ne m'intéresse pas. Ce qui est  plus grave, je vous le redis, c'est que J.-M. Ayrault utilise cette liste. 
 
On va sortir de cette querelle justement, E. Besson, et on va en  venir au fond, c'est-à-dire à la proposition que va faire le PS cet  après-midi, sur justement une modification de ce fameux article qui  visiblement pose problème, l'article L622-1 du code de l'entrée et  du séjour des étrangers et du droit d'asile, puisque c'est bien de ça  qu'il s'agit, pour qu'on puisse faire demain la différence tout  simplement entre un passeur qui fait de l'argent sur le dos des sans-papiers  et une personne qui donne un coup de main, qui héberge ou  qui nourrit. 
 
D'abord le fait qu'en soixante-cinq ans pas une personne en France,  bénévole humanitaire, personne particulier ayant aidé une personne en  situation de détresse, que personne n'ait été condamné en soixante-cinq  ans sur la base de cet article, s'il n'était pas passeur ou participant à une  filière clandestine, devrait suffire à le montrer. Mais allons au fond... 
 
Anticipons ! 
 
C'est d'ailleurs la thèse du député Goldberg ; il dit : finalement, oui  aujourd'hui il n'y a pas de problème, on ne sait jamais dans un  gouvernement à l'avenir, ce qui est surprenant pour un projet de loi.  Mais allons au fond, est-ce qu'il suffirait de dire "sans but lucratif" ? Je  vais prendre un exemple trivial : si moi je vais dans les quartiers et que  je distribue, par exemple, de la drogue, par philanthropie, par  conviction, que la drogue c'est bon pour les jeunes et que je ne perçois  aucune rémunération et donc que je n'ai pas un but lucratif, est-ce que  pour autant c'est un délit ou non ? La réponse est oui, c'est un délit.  Deuxièmement, en France, nous avons la loi de création des  associations la plus libérale d'Europe ; vous et moi nous pouvons à  deux créer une association. Si des passeurs créent une association de loi  1901, si la proposition des socialistes était adoptée, deux passeurs  créent une association de loi 1901, ils se mettent à l'abri. C'est sur cette  base que J.-P. Chevènement, en 1998, avait refusé de modifier l'article  622-1 dont nous parlons. 
 
Donc en aidant un passeur : même combat, même panier. 
 
Tout dépend de ce que vous appelez un aidant. Si un aidant c'est un  trafiquant au sens de la police, oui, bien sûr. Si c'est un bénévole  humanitaire, non seulement nous ne les pourchasserons pas, mais nous  les aidons. L'Etat héberge des étrangers en situation irrégulière et l'Etat  donne de l'argent, beaucoup d'argent, aux associations qui aident les  étrangers en situation irrégulière. 
 
E. Besson, à Nîmes, hier, un bébé de quatre mois a été placé en  centre de rétention avec l'ensemble de sa famille, son père, sa mère,  l'un venait de Russie, l'autre d'Azerbaïdjan, son petit frère aussi de  neuf ans ; les associations parlent ce matin de brutalités policières. 
 
Aucune, aucune, je me suis renseigné parce que j'ai vu les dépêches  hier soir sur le sujet. L'histoire est simple : c'est une famille russe de  quatre personnes ; deux parents, deux enfants... 
 
Qui vit ici depuis 2005. 
 
Qui vit ici depuis trois ans, qui a demandé l'asile politique. En France,  on a un organisme indépendant, ce n'est pas le Gouvernement qui  décide d'accorder ou non l'asile, c'est ce qu'on appelle l'OFPRA,  l'office spécialisé. L'OFPRA a dit que les conditions pour l'asile  n'étaient pas réunies, alors que nous sommes en France le pays le plus  généreux en matière d'asile. Ils ont fait appel, la Cour d'appel a décidé  que non ils ne pouvaient pas demander et obtenir cet asile. Donc ils ont  l'obligation de quitter le territoire. En France, on a des centres de  rétention qui peuvent accueillir des familles. Je suis partisan qu'on ne  sépare pas les étrangers de leurs enfants lorsqu'ils doivent quitter le  territoire. Donc vous dites il y a un bébé ; oui, parce que nous  conservons en France les enfants avec les familles. Deuxièmement, ce  centre de rétention a en plus un centre de puéricultrie (sic)... 
 
De puériculture. 
 
De puériculture, voilà, excusez-moi, qui permettait de les accueillir  dans toutes les conditions de dignité requises. Donc ce n'est pas  agréable parce qu'ils doivent être reconduits à la frontière, mais ça n'est  pas choquant. La préfecture du Gard s'en est expliquée très simplement  hier. 
 
Il nous reste deux petites minutes, E. Besson, deux questions,  puisqu'on parle justement de violences et de brutalités. Le rapport  de la Commission nationale de déontologie et de la sécurité a mis en  avant les violences et violations faites par la police envers  notamment des étrangers expulsables, ça s'est passé à Mayotte, ça  s'est passé en Guyane ; qu'est-ce que vous allez faire, est-ce que  vous allez y aller ? 
 
Alors je vais aller à Mayotte, pas pour ces raisons, mais pour les  questions de fond qui se posent et que vous connaissez. Le rapport lui-même  - je ne le connais pas encore puisqu'il ne m'a pas été remis, il a  été remis à ma collègue ministre de l'Intérieur, M. Alliot-Marie - sachez  simplement qu'en France, on est dans un Etat de droit. Chaque année, il  y a des enquêtes qui sont faites sur d'éventuelles exactions policières. Il  y a des sanctions qui sont prises... 
 
Quand on prend des enfants et qu'on les attribue à des adultes qui  ne sont pas leurs parents, c'est normal, c'est tolérable ? 
 
Je ne sais pas répondre de façon générale, il peut y avoir des erreurs, ça  arrive dans tous les pays, mais nous sommes un pays démocratique et  républicain, lorsqu'il y a erreur, il y a enquête et il y a inspection. Mais  la police en France est très largement républicaine, fait bien son travail  et je crois que ça mériterait de ne pas être caricaturé. 
 
E. Besson, on parle souvent des reconduites à la frontière, on fait  état de statistiques en fin d'année, de quotas atteints ou pas. Et les  régularisations alors, on n'en parle pas ou très peu, ce serait quand  même un bon signe peut-être à envoyer aux associations et aux  personnes qui ont un dossier en cours que d'en parler. Vous avez  un chiffre à nous donner, ce serait bien. 
 
Vous avez raison. Chiffre pour chiffre, pourquoi ne rappellerions-nous  pas que nous recevons chaque année, légalement, sur notre territoire  200 000 personnes. 200 000 étrangers viennent au titre au long séjour. 
 
Et combien sont régularisés ? 
 
Je ne peux pas vous le dire et je vais même aller au-delà, je ne le  souhaite pas. 
 
Pour quelle raison ? 
 
Parce que c'est simple : il y a un signal que nous envoyons, il y a une  règle : en France, on vient - et on vient largement, parce que la France  est généreuse contrairement à ce qu'on entend - régulièrement, en  obtenant un titre de séjour parce que le titre de séjour c'est la clé de  l'intégration ; il faut la langue, l'emploi et le travail. Et le contre-signal,  ce serait de dire : mais finalement nous régularisons largement. Toutes  les régularisations dites massives - France, Espagne, etc. - se sont  soldées par des échecs colossaux, au sens où, après, il y a eu afflux  d'immigration clandestine. Donc je ne souhaite pas communiquer sur  ce chiffre. Tous les autres, je peux vous les donner sans aucune  difficulté. 
 
Merci, E. Besson, d'avoir été en direct sur France Info. 
 
Merci à vous ! 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 30 avril 2009