Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, dans "Le Journal du Dimanche " du 28 mars 1999, sur l'engagement militaire de la France au Kosovo et sur les objectifs des frappes de l'OTAN.

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Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Q - Que pensez-vous de la réaction des Français qui, selon le sondage Ipsos/JDD, approuvent à 57 % lintervention de lOTAN ?
R - Je suis heureux de constater que les Français ont compris et approuvent. Il ny a pas de raison que le soutien de lopinion aille samenuisant, dès lors que nous continuons à expliquer à chaque étape ce que nous faisons.
Q - Précisément, comment justifiez-vous lengagement de la France dans le conflit en Yougoslavie ?
R - Lengagement de la France décidé par le président de la République et le Premier ministre, se justifie par lextrême gravité de la tragédie du Kosovo - il est intolérable de laisser se reproduire en Europe de telles scènes de barbarie - et les risques de déstabilisation régionale quelle entraîne. Comme leurs alliés, les autorités françaises ont décidé de donner un coup darrêt. Le recours aux moyens militaires se justifie dans la mesure où tous les moyens politiques ont été épuisés, et où de très nombreuses occasions ont été données aux autorités yougoslaves depuis au moins un an dentrer dans une vraie négociation politique. Enfin je rappelle que ces actions tirent leur légitimité de lautorité du Conseil de sécurité, qui a adopté les résolutions 1199 et 1203 dès lautomne dernier.
Q - Que doit faire exactement Slobodan Milosevic pour que les frappes aériennes de lOTAN cessent ?
R - Faire ce quil aurait été bien inspiré de faire avant : accepter de rechercher la solution au problème du Kosovo dans le cadre des accords du Rambouillet. Des accords qui ont été dabord élaborés au sein du Groupe de contact (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Allemagne, Russie, Italie) puis présentés aux deux parties à Rambouillet et qui comportent un volet politique fondé sur une autonomie substantielle du Kosovo pendant une période intérimaire de trois ans à lissue de laquelle on ferait le point et on verrait comment on organise la suite. Cest un accord équitable parce quil concilie le maintien de la souveraineté de la Yougoslavie et laspiration légitime des Kosovars à la sécurité et à une autonomie substantielle. Slobodan Milosevic peut donner à tout moment le signal raisonnable et réaliste que le monde attend de lui.
Q - Combien de temps les frappes de lOTAN vont-elles durer ?
R - La réponse est plutôt en termes dobjectifs quen termes de temps. Il sagit en priorité de réduire, et si possible de casser, la capacité de répression de larmée yougoslave. Je rappelle que nous ne sommes évidemment pas en guerre avec la Serbie ou avec le peuple serbe. Notre but est daffaiblir un appareil répressif.
Q - Au quatrième jour des raids aériens de lOTAN, Milosevic na toujours pas bougé.
Considérez-vous quil y a un véritable risque dembrasement régional ?
R - Dabord, je ne pense pas quil y ait de danger dembrasement du fait de cette intervention. En ce qui concerne la région, il y a bien entendu des risques, mais ce sont des risques qui existaient avant et qui nont pas pris naissance avec lintervention de lOTAN. Ils découlent, tout au contraire, de labsence de solution au Kosovo et de lengrenage détestable que nous avons vu : massacres, répression, provocations... Lintervention de lOTAN vise à donner un coup darrêt à cette dégradation constante. Les frappes ne sont pas un fin en soi mais un moyen inévitable, à un moment donné. Lobjectif demeure une solution politique : il faut penser à la suite.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mars 1999)