Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, à Europe 1 le 19 mars 2009, sur la journée d'action des partenaires sociaux, les manifestations et la polémique avec les syndicats.

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Média : Europe 1

Texte intégral

 
 
 
J.-P. Elkabbach.- C'est une belle journée pour défiler, la météo prévoit aussi un réchauffement du climat... social aussi. Le Medef va servir de cible, tout à l'heure, aux manifestants. En accusant la CGT de "démagogie" et de "légèreté", est-ce que vous avez mis de l'huile sur le feu, et pourquoi l'avez-vous fait ?
 
Il me semble que ce que j'ai dit a été légèrement déformé. Qu'est-ce que j'ai dit ? J'ai dit, premièrement, qu'une journée comme celle qui s'annonce aujourd'hui a un coût, un coût direct parce que c'est une journée de non travail ou de travail très perturbé. Un coût indirect, parce que pour la réputation et l'attractivité de la France, c'est tout à fait catastrophique.
 
Donc la journée joue contre les intérêts de la France ?
 
Joue contre l'économie de la France, cela ne fait aucun doute. J'étais hier à Londres, au sommet du G20 des entreprises, avec G. Brown, et tous les représentants des économies des pays membres du G20 me disaient, "mais que se passe-t-il en France ?".
 
Oui, mais vous avez dit, "c'est une journée qui crée des illusions et c'est de la démagogie".
 
J'ai dit surtout qu'il faut trouver des solutions face à la crise et que j'étais très étonnée de voir que certaines centrales syndicales refusaient les propositions que je formule depuis maintenant plusieurs semaines...
 
Restons sur ce que vous avez dit, qui a provoqué un tollé...
 
Mais c'est ce que j'ai dit !
 
Vous avez vu que vous avez fait l'unanimité contre vous, vous étiez à Londres, je ne sais pas si vous avez entendu ce qui revient. Le numéro 1 du PS, M. Aubry, trouve vos propos sur la CGT "indécents et même indignes" ; pour F. Chérèque, ils sont "insupportables". B. Thibault disait hier matin que vous faites preuve d'"un archaïsme d'un autre temps". Pourquoi ?
 
Je pense que c'est tout à fait étonnant de voir qu'en France, quand on dit des évidences, elles ne veulent pas être entendues. Je vous redis ce que j'ai dit avant-hier : j'ai dit que j'étais très surprise d'entendre certaines centrales syndicales refuser les propositions que je formule depuis le 5 février, cela fait donc un mois et demi de discussions entre nous, entre organisations syndicale et organisations patronales, pour que nous mettions sur la table toutes les idées, toutes les propositions de chacun, de chacune de ces organisations pour préserver l'emploi, faire tout pour en créer de nouveau, bref, faire face aux mutations économiques. Je fais cette proposition, je la renouvelle chez vous ce matin, J.-P. Elkabbach, et je ne comprends pas que les organisations syndicales ne saisissent pas cette offre pour dire "très bien formidable, voyons-nous vite". N'est-ce pas étrange de ne pas répondre à cela ?
 
Ce matin, vous n'avez pas employé le mot "démagogie", est-ce que cela veut dire que vous retirez et regrettez vos propos ?
 
Je ne retire absolument rien et il y a...
 
Ils n'ont pas dépassé votre pensée ?
 
Pas du tout. Il y a une forme de démagogie à ne pas vouloir répondre d'abord à cette proposition, à faire comme si elle n'existait pas. Il y a une forme démagogie à dire "nous défendons les emplois", comme si, nous, les chefs d'entreprise, nous ne voulions pas aussi plus que tout défendre les emplois, comme si pour chaque patron de PME, aujourd'hui en France, il n'y a pas un lien indissociable entre la survie de l'entreprise et les emplois dans l'entreprise. Et il y a de la démagogie, effectivement, à ne pas vouloir aussi regarder ses propres responsabilités. J'ai évoqué très clairement et je le refais bien volontiers avec vous ce matin sur Europe 1, la situation dramatique du port de Marseille. Il faut bien comprendre que l'attitude de la CGT sur le port de Marseille, depuis des années, ce n'est pas simplement depuis quelques semaines, mais aussi depuis quelques semaines...
 
Mais pourquoi le dire aujourd'hui alors qu'il y a une manifestation, des défilés et du mécontentement, de l'angoisse chez les salariés, qu'il faut peut-être protéger et aider dans une période de crise ?
 
Eh bien c'est parce que nous pensons cela aussi, que nous voulons vite, vite, ouvrir les discussions. Ce que j'ai dit sur le port de Marseille, je l'ai dit de nombreuses fois depuis deux ans, trois ans. Mais évidemment, il y a une caisse de résonance peut-être plus particulière, mais je crois qu'il ne faut pas avoir de gêne à dire certaines vérités.
 
Est-ce qu'aujourd'hui, parmi les vérités, vous pouvez dire que les chefs d'entreprise craignent des accès de violence provoqués par le désespoir et l'angoisse ?
 
Honnêtement, non. Nous avons énormément de contacts, de réunions entre chefs d'entreprise de terrain via tous nos Medef territoriaux et les fédérations professionnelles ; ça se passe plutôt bien, plutôt d'une manière solidaire dans la plupart des entreprises aujourd'hui en France. Il y a quelques cas spectaculaires et très douloureux, très douloureux. Moi, je pense que ce qui se passe par exemple pour Continental ou pour Amora, c'est effrayant pour les familles des salariés de ces entreprises. C'est tout à fait tragique. Raison de plus pour avoir un dialogue social le plus construit possible.
 
En attendant, les syndicats prévoient, aujourd'hui, que la grève va gagner aussi et davantage le secteur privé.
 
Oui, ils le disent. On verra ce soir. Mais je pense qu'il y a de nombreuses tentatives, je dirais même parfois, de déstabilisation. Moi, je répète ce que viens de vous dire. Globalement, dans les entreprises, toutes les informations qui nous remontent, c'est que ça se passe plutôt bien, et dans un esprit d'équipe, face à des situations où, en vérité, quelles sont les priorités dans les entreprises aujourd'hui ? Le carnet de commandes, le carnet de commandes, le carnet de commandes, et avoir accès au crédit.
 
Aujourd'hui, l'exécutif ne veut pas d'un nouveau sommet social comme celui du 18 février, auquel vous aviez participé. Est-ce que vous demandez, vous, une autre rencontre, un autre sommet social à l'Elysée pour traiter les problèmes, et peut-être de nouvelles mesures, alors que F. Fillon dit : "pas d'enveloppe supplémentaire, ça crée de la dette supplémentaire" ?
 
Je crois que la priorité, aujourd'hui, c'est d'ouvrir les discussions que je propose d'entamer avec les organisations syndicales sur les mutations économiques, comment nous y faisons face, en se donnant comme objectif d'améliorer le fonctionnement du marché du travail pour limiter les pertes d'emplois...
 
Mais quand vous dites qu'il faut assouplir la possibilité de licencier pour les chefs d'entreprise...
 
Eh bien figurez-vous que je n'ai jamais dit cela. C'est extraordinaire ! Cela fait partie, effectivement, des mauvais tam-tams médiatiques que certains essayent d'entretenir et de faire perdurer. J'ai dit : "mettons toutes nos idées sur la table, et si, notamment, en matière de licenciement économique, il y a des modalités à trouver, à imaginer pour les sécuriser - pour les sécuriser ! -, tant du côté des salariés que du côté des employeurs, examinons-les". S'il n'y en a pas, c'est tout ; ce n'est pas quelque chose que nous allons imposer.
 
Dans une période si dure, un conflit patronat-syndicats est sans doute risqué. Qui peut vous rabibocher aujourd'hui ? F. Fillon, R. Soubie, B. Hortefeux, qui ?
 
Il y a beaucoup de jeu de rôles dans cette affaire, et la situation n'est absolument pas tendue comme on pourrait le croire à la lecture des dépêches de l'AFP. Nous nous parlons.
 
Entre nous, il n'y a pas que ça...
 
Figurez-vous que, au cours des derniers jours, il m'est arrivé plus d'une fois d'avoir des conversations téléphoniques avec des numéros un actuellement en train de se préparer à défiler, mais avec des numéros un des organisations syndicales.
 
C. Lagarde et B. Hortefeux vous ont demandé de leur expliquer, avant le 31 mars, comment le Medef va encadrer les salaires des patrons qui utilisent le chômage partiel ou qui licencient. Comment allez-vous leur répondre ?
 
Tout d'abord, j'ai essayé de comprendre cette demande, parce qu'elle nous laisse perplexes. Et j'ai notamment cherché à savoir qui était concerné. De quels patrons parlons-nous ? Et on m'a répondu qu'il s'agissait de regarder la situation de tous ceux qui sont mandataires sociaux, qu'il s'agisse d'entreprises cotées ou d'entreprises non cotées, qu'il s'agisse de grandes entreprises ou de PME.
 
Et votre réponse sera ?
 
Eh bien, il faut dire que nous, nous avons, nous Medef, une autorité morale, mais pas plus que ça. Et nous n'avons pas les moyens, ni même le désir d'imposer quelque chose qui dépend de la relation contractuelle entre le mandataire social et son entreprise, via les décisions du conseil d'administration.
 
Mais le Gouvernement va vous taper dessus, comme d'habitude. Enfin, pas comme d'habitude, comme il semble que, depuis quelques mois, il ait envie de le faire. Cible des syndicats et cible du Gouvernement, le Medef !
 
Est-ce que nous, patrons de PME, patrons de grandes entreprises françaises, nous avons une responsabilité dans cette crise ? Non, aucune. Alors, je crois qu'il est important que chacun intègre ça et qu'on se dise que, arrêtons de désigner des boucs émissaires et essayons de travailler tous ensemble dans la même direction.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 mars 2009