Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur la situation des entreprises de presse écrite et sur les mesures prises pour leur venir en aide, Paris le 14 mai 2009.

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Circonstance : Assemblée générale des Papiers de presse à Paris le 14 mai 2009

Texte intégral

Madame la Ministre, chère Christine,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Avant toute chose, je voudrais saluer la mémoire de Jean Gelamur, décédé en juillet dernier. C'était un homme de conviction, aussi rigoureux que chaleureux. Il a été le défenseur de la presse d'opinion et des quotidiens à faibles ressources publicitaires. Et il a fait beaucoup pour fédérer les éditeurs de quotidiens au sein de la Société des producteurs de papiers de presse (SPPP).
Avec la Compagnie française des papiers de presse, cette société joue un rôle central dans l'approvisionnement et la distribution du papier à la presse française. Editeurs, imprimeurs, publicitaires, familles de presse, vous êtes engagés aux côtés des pouvoirs publics au sein d'un système coopératif dont la mission est noble : il s'agit de garantir l'indépendance de l'approvisionnement de la presse et de réguler le marché des papiers pour la publication en France.
La force de négociation que vous avez acquise comme interface entre les éditeurs et les producteurs de matières de premières vous permet d'être les défenseurs d'un « juste prix » au profit de l'ensemble de la filière. Je rends hommage à Jean-Claude Brognaux pour son action modernisatrice et son dynamisme face aux mutations et aux difficultés du secteur.
Vous êtes bien placés pour savoir à quel point la crise actuelle est violente. Alors que la consommation mondiale de papier était repartie à la hausse depuis 2006, elle a rechuté de 2,3 % en 2008.
Les papiers de presse connaissent eux aussi une baisse sensible. Le secteur est frappé par la réduction des recettes publicitaires qui'a entraîné la disparition de certains titres de presse à l'étranger. Les premiers résultats de 2009 confirment hélas cette tendance.
On peut dire que la France s'en tire un peu moins mal que ses partenaires : la consommation de papiers magazines recule de 4 %, mais celle de papier journal croît heureusement de 2,9 %.
Et puis vous êtes par ailleurs les fournisseurs d'une industrie structurellement en crise. Toutes les presses du monde sont confrontées au choc des médias numériques, à l'atomisation du marché publicitaire, à l'éclatement de la demande, à l'émergence de la gratuité.
On connaît les handicaps spécifiques à la presse française : des coûts d'impression supérieurs à la moyenne européenne, un système de distribution peu adapté aux exigences du marché et, certainement, une insuffisante valorisation du métier de vendeur par rapport aux autres pays.
Devant ce constat, il fallait agir du moins si on croit à la nécessité de maintenir une presse vivante et pluraliste. Je lisais hier que la classe politique américaine commence à s'émouvoir face aux fermetures en chaîne de journaux aux Etats-Unis. Un sénateur démocrate du Maryland vient de déposer un projet de loi comportant des allègements fiscaux. Mais il semble qu'au pays du laisser faire, le Gouvernement fédéral ne soit pas prêt à intervenir.
Avec les Etats généraux de la presse, la France a fait un choix volontariste.
Pour la première fois, l'ensemble des acteurs la filière ont pu exprimer leurs craintes, poser les diagnostics et s'engager vers un avenir commun. Beaucoup d'entre vous y ont été associés.
Le Livre Vert qui en découle n'est pas une simple liste de mesures.
L'originalité de ce document, c'est qu'il clarifie pour la première fois les responsabilités de chacun. D'un côté le Président de la République a voulu confirmer l'attachement qui est le notre au pluralisme et veiller à la santé de la presse, de l'autre, il revient aux professionnels du secteur de se mobiliser.
En réponse à la crise, le Gouvernement a, pour sa part, lancé un plan exceptionnel d'aide à la presse écrite de 200 Meuros par an sur une période de 3 ans. 150,7 millions d'euros viennent d'être inscrits en loi de finances rectificative.
Le Service d'information du gouvernement a renforcé le soutien qu'il apporte déjà à la presse écrite par ses achats d'espaces publicitaires. Vous l'avez déjà remarqué en ouvrant votre journal du matin.
Je tiens à préciser - si cela était nécessaire ! - que c'est sans incidence sur l'indépendance de la presse. L'Etat se comporte ici comme un simple annonceur. L'objectif final de ses campagnes publicitaires reste de toucher le public le plus large. Aussi, nous choisirons toujours le support le plus adéquat, en privilégiant la presse autant que cela est possible. Autre précision : cet effort se fait par redéploiement des dépenses de communication de l'Etat, et non en les augmentant. Vous savez que je suis extrêmement attaché à ce que les dépenses de l'Etat n'augmentent pas.
Conforter les recettes de la presse, c'est aussi éviter les manques à gagner importants dont nous menace le projet de directive sur les annonces judiciaires et légales. La commission européenne souhaite, et c'est légitime, permettre aux entreprises de passer par des procédures dématérialisées.
Or pour la presse, surtout hebdomadaire régionale, ces annonces sont une part significative du chiffre d'affaires.
C'est pourquoi, dans les négociations communautaires en cours, la France s'oppose fermement à toute modification du droit qui ne maintiendrait pas la faculté pour les Etats membres de prévoir des frais additionnels, résultats d'obligations de publication complémentaires. Il faut tenir bon, et peut-être que la presse s'organisera pour être porteuse des annonces en ligne.
Au-delà de ces mesures d'urgence, le gouvernement veut accompagner la presse pur répondre à quatre objectifs stratégiques.
La priorité des priorités, c'est l'amélioration de la distribution. 13 Meuros seront consacrés à la modernisation et à l'informatisation des points de vente. Nous lèverons les obstacles, qu'ils soient techniques ou administratifs, qui corsètent le réseau. Par exemple, il est incroyable, en 2009, de ne pas pouvoir « acheter la presse en faisant ses courses » comme le résume parfaitement Rémy Pflimlin.
Tout comme il est essentiel de disposer du journal pour son café du matin si on le souhaite. Le portage à domicile est la clé de votre essor. Voilà pourquoi l'aide au portage a presque été décuplée, passant de 8 à 70 millions d'euros.
Les éditeurs percevront, pour chaque exemplaire porté, une aide conséquente qui leur permettra d'installer durablement ce mode de distribution. Quant aux porteurs, ils seront exonérés de charges. Notre but est simple : rendre les journaux accessibles à tous, partout, et à tout moment.
Deuxième objectif : la réduction des coûts de production et d'investissement. Elle conditionne la survie des entreprises de presse et de leur adaptation aux besoins des lecteurs. Je ne crois pas que la presse soit condamnée à ne pas être rentable ! Il y a encore de vraies marges de manoeuvre dans les imprimeries : dans la mutualisation, dans le panachage « labeur » / « presse », et bien sûr dans le « contrat social », sur lequel les NMPP nous ouvrent la voie. L'État accompagnera toutes les négociations qui s'engageront et apportera si nécessaire son soutien aux efforts de restructuration.
Déjà, le fonds d'aide au développement des services en ligne des entreprises de presse verra sa dotation passer de 500.000 euros à 20 millions d'euros dès 2009. C'est quarante fois plus ! Pour préparer l'avenir, nous mettons le paquet sur la presse en ligne. Nous portons le fonds d'aide aux SEL au même niveau que l'aide à la modernisation industrielle. Car plus la presse en ligne sera forte, mieux la presse papier se portera..
Troisième axe : endiguer la sous-capitalisation des entreprises de presse. Il faut briser le cercle vicieux : « absence d'investissement dans les nouveaux contenus, donc entreprises de presse moins attrayantes, donc chute du lectorat, donc dégradation du chiffre d'affaires ».
La solution, ce sont les fonds propres. Par exemple via un meilleur accès au mécénat. Or le mécénat était jusqu'ici limité à des prises de participation capitalistique minoritaires. Or, nous savons bien que les entreprises de presse préfèrent des dons en numéraire et non en capital.
C'est pourquoi nous venons d'adapter le rescrit fiscal pour que les subventions et prêts bonifiés puissent bénéficier du régime du mécénat.
Et puis il faut perpétuer le désir d'informer et d'être informé. Le Président de la République a souhaité faire de l'éducation citoyenne à la lecture de la presse écrite payante un impératif.
Nous sommes face à une vraie désaffection des jeunes à l'égard du journal. Aucun d'entre nous ne peut s'y résoudre..C'est une bonne idée que d'offrir un abonnement gratuit à chaque jeune l'année de ses 18 ans. L'Etat accompagnera les éditeurs à hauteur de 5 Meuros.
J'insiste sur le mot accompagnement : cette mesure doit être vue comme une incitation à innover dans des contenus éditoriaux réellement attrayants pour les jeunes lecteurs.
Mesdames et Messieurs,
Cela fait seulement deux mois que le Président de la République a clôturé les états généraux.
Nous avons, je le crois, travaillé à un rythme rarement égalé, notamment pour les mesures législatives, puisque plus de la moitié des engagements ont été mis en oeuvre. Ce sont - outre les mesures que j'évoquais à l'instant - les dispositions de la loi « Création et internet » sur les droits d'auteur des journalistes et le statut d'éditeur de presse en ligne.
Ce sera bientôt la tenue d'une conférence nationale sur les métiers du journalisme. Et puis ce sera le décret pour exonérer les diffuseurs des cotisations sociales à hauteur de 30 %, l'adaptation de l'aide à la modernisation des points de vente, et la création d'un organisme de veille et de recherche.
Nous mettrons un point d'honneur à faire notre part du chemin. Je suis convaincu qu'ainsi, la presse fera le sien. Le Livre Vert a été très clair : les problèmes de la presse, ce sont aussi des problèmes de contenu, de déontologie, de confiance, d'une profession divisée qui n'a pas toujours su régler ses querelles internes.
La presse a pris des engagements et elle devra les respecter. Et l'Etat, pour sa part, poursuivra son soutien.
Alors, j'entends parfois dire ici ou là que les mesures décidées aux Etats généraux seraient déjà « obsolètes » : parce que la crise est plus grave que prévu, parce que partout dans le monde l'information bascule du print vers le web, parce qu'essayer de sauver le papier en multipliant les aides, ce serait comme investir dans les diligences au moment de l'apparition de l'automobile.
Je veux répondre simplement à ces critiques. D'abord, oui, la crise est plus profonde que prévu pour la presse. Rétrospectivement, il est heureux que nous ayons fait les Etats généraux !
C'est autant de mesures qui permettent à vos entreprises de garder la tête hors de l'eau en ces temps difficiles, et de dégager un peu de temps pour vous adapter. Je note que beaucoup de pays développés ont observé ce qui a été fait en France et s'inspirent de notre méthode.
Ensuite, je crois qu'il ne faut pas avoir une approche trop éthérée de la presse. La presse, c'est bien sûr le pluralisme. Mais ce sont aussi des entreprises, des emplois, des savoirs faire.
Et ma responsabilité, c'est d'aider ces entreprises à ne pas mettre la clé sous la porte, à trouver les moyens de s'adapter. On me dit que nous subventionnons des titres qui sont de toutes façons condamnés à disparaître. Moi je crois que nous subventionnons le pluralisme, et personnellement j'en suis fier. En cette période de crise, c'est le devoir de l'Etat. C'est le devoir de la démocratie. Et cela doit aller de pair avec la préparation de l'avenir.
Je terminerai en vous disant ma foi en l'avenir de la presse papier. Je crois que rien ne permet, mieux que l'écrit, le tri des informations, la hiérarchisation des idées, la mise en perspective des faits, la confrontation des points de vue.
Les défis actuels de la presse écrite payante lui ouvrent plus de portes qu'ils n'en ferment : sa déontologie, son recul, sa fiabilité, nos concitoyens sauront les apprécier à leur juste valeur. Pour peu que nous franchissions ensemble le cap de la modernisation industrielle...
Les Papiers de presse en sont des acteurs de premier plan : le journaliste offre une information aboutie, le papetier offre un produit fini ; j'espère que l'an prochain, nous aurons, sous nos yeux, une réforme accomplie ouvrant à chacun d'entre-vous de nouvelles perspectives.
Merci de votre attention.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 15 mai 2009