Texte intégral
C. Barbier.- Avant de parler d'Europe, dire : "Sarko, je te vois" devant un contrôle d'identité, est-ce que ça mérite 100 euros d'amende, comme c'est requis ?
Ecoutez, c'est aux juges, à la justice d'en décider, et certainement pas à moi...
C'est un peu beaucoup, non, de mettre en spectacle, comme ça, pour un incident...
C'est la justice qui en décidera.
Alors, parlons d'Europe : la crise du lait s'est invitée dans la campagne européenne. C'est la faute à Bruxelles, disent les souverainistes, non, c'est le Gouvernement français qui a détruit les équilibres, assure F. Bayrou. Quelle est votre analyse, qui est responsable ?
Moi, je crois que c'est trop facile d'aller dire, "c'est l'un ou c'est l'autre qui est responsable". D'abord, on a une situation qui est effectivement très difficile, un prix du lait qui est passé de 295 euros les 1.000 litres à 200 euros, et donc un revenu pour les producteurs de lait qui est insuffisant. Il faut qu'on trouve une solution. Je pense que M. Barnier a pris toutes les mesures nécessaires, il va organiser une réunion autour du Conseil agriculture la semaine prochaine, il a nommé, avec L. Chatel, un médiateur...
Il y aura des solutions lors de cette réunion européenne ?
Je pense qu'il y aura des solutions lors de cette réunion européenne, et surtout, je crois que nous avons eu la sagesse, et M. Barnier a eu la sagesse de dire que, avant qu'il y ait un démantèlement des quotas, qui est prévu à l'horizon 2013-2015, nous devions avoir une clause de rendez-vous en 2010, pour regarder est-ce que, effectivement, c'est la meilleure solution, est-ce que ça marche, est-ce que les revenus des producteurs de lait sont garantis ou pas. Nous avons une clause de rendez-vous en 2010. Et donc, il faudra que l'on regarde attentivement si, effectivement, les solutions qui ont été retenues sont les bonnes ou s'il faut les modifier. Visiblement, il va falloir les modifier.
Faire de l'Europe une cause nationale, c'est le nouveau mot d'ordre de F. Fillon, hier, en campagne dans l'Ouest. Est-ce que ce n'est pas un peu gonflé quand même de dire ça, alors que l'UMP a retardé le plus possible le lancement de la campagne ?
Moi, je ne crois pas que l'UMP a retardé le lancement de la campagne. On a désigné les listes, on a beaucoup réfléchi sur le programme, on a un programme qui est solide et qui est cohérent. Et je crois que la grande force, justement, de la majorité, F. Fillon l'a rappelé hier, c'est de dire : pour les cinq années à venir, voilà notre programme politique pour l'Europe. C'est une Europe plus forte, une Europe avec des frontières, une Europe avec une identité, une Europe avec une vraie politique économique commune. Ce programme-là, et la clarté de ce programme-là, fait aujourd'hui notre force. Et je crois que c'est ce qui fait la différence avec toutes les autres listes.
Mais l'UMP, N. Sarkozy, F. Fillon, ne parlent que de l'exécutif européen, ne nous parlent que de la présidence française du dernier semestre. Il s'agit du Parlement, il ne s'agit pas du tout de désigner un gouvernement...
Ils parlent du programme politique européen. Je crois que ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'on est à un moment où on va décider de l'avenir de l'Europe pour les cinq années, et même pour les dix années à venir ; on est vraiment à un tournant européen. Qu'est-ce qu'on veut pour l'Europe. On a fait pendant dix ans le marché intérieur et l'euro, puis, pendant dix ans, l'élargissement, maintenant, pour les dix années à venir, qu'est-ce que l'on veut, et c'est ça que l'on propose, une Europe politique forte, qui s'appuiera sur les trois éléments du pouvoir européen : les Etats, parce qu'ils ont leur légitimité, ils sont élus avec des représentants élus par le peuple, la Commission européenne, qui doit être une Commission européenne forte, parce que c'est elle qui représente l'intérêt général européen, et le Parlement européen, qui va avoir un pouvoir de plus en plus important, si le Traité de Lisbonne est adopté, qui, lui, représentera les peuples européens.
Alors, reconnaissez-vous au moins que dans cette campagne, le mode de scrutin en grandes régions est une mauvaise idée, ni proximité, ni mobilisation. Est-ce qu'il ne faut pas prévoir de le changer ?
Moi, je serais favorable, effectivement, à ce qu'il y ait un changement du mode de scrutin lors des prochaines élections européennes, parce que je crois qu'on n'a pas trouvé encore le bon équilibre. On a eu la liste unique sur le territoire national. On a vu que ça créait trop d'éloignement entre les électeurs et les parlementaires. On a essayé de rapprocher les choses, et je pense que la situation actuelle est meilleure, c'est-à-dire qu'on a huit grandes régions, mais ces régions ne correspondent pas à ce que les Français ressentent comme identité du territoire. Donc si on peut encore améliorer les choses pour la prochaine fois, et donc faire en sorte que les citoyens français s'approprient encore plus cette élection européenne au Parlement, qui est décisive pour leur avenir, eh bien, je dis "chiche".
Allez-vous retirer de vous-même, pour apaiser les esprits, le clip qui fâche, le clip qui est censé mobiliser les électeurs, mais qui, pour le PS, est une pub pour la liste UMP ?
Certainement pas ! Certainement pas, c'est un clip qui présente de manière objective les grandes étapes de la construction européenne, les grandes étapes...
Les grandes étapes avec Sarkozy à la fin...
Absolument pas. C'est un clip qui réserve pour chaque président de la République française, qui, pour chacun, a participé à la construction européenne, une part de cette histoire européenne. On voit F. Mitterrand avec H. Kohl à Verdun, on voit le rôle qu'a joué J. Delors, qui a été un très grand président de la Commission européenne, on voit S. Veil, première présidente du Parlement européen. Donc je crois que c'est un clip qui vise à montrer à tous les Français que la construction européenne a été une grande part de l'histoire européenne et de l'histoire de France également. Donc je ne vois aucune raison de retirer ce clip qui, je l'espère, aura une vraie valeur ajoutée pour inciter les Français à voter.
J.M. Barroso, lui, est en campagne, clairement, pour conserver son poste de président de la Commission. Pouvez-vous, sincèrement, nous dire que son bilan est bon ?
Moi, je peux vous dire qu'il a été un bon président de la Commission européenne. On oublie ce qu'il a pu faire, par exemple, sur le paquet énergie-climat, la façon dont il nous a aidés à trouver un consensus sur ce sujet. On oublie le rôle qu'il a joué en octobre dernier, lorsqu'il a fallu aller plus loin sur la régulation financière, réagir rapidement, il a accepté de modifier un certain nombre de règles, il a accepté par exemple, face à la crise économique, de modifier des règles d'Etat, pour permettre aux Etats d'apporter une aide à toutes les entreprises qui pouvaient souffrir. Donc je pense qu'il a été un bon président de la Commission européenne, et qu'il est un peu facile de prendre la Commission européenne et son président comme bouc émissaire des difficultés de l'Europe aujourd'hui.
Ce matin, dans Metro, il déclare, J.M. Barroso : "ce serait une erreur fondamentale de fermer la porte à la Turquie". Vous êtes d'accord ?
Non, je ne suis pas d'accord. Je ne suis pas d'accord. Je pense que nous avons besoin de dire clairement aux Français ce que nous voulons comme Europe demain. Et que pendant trop longtemps, nous leur avons donné le sentiment que nous faisions les choses dans leur dos, sans leur préciser quelle était notre intention politique. Nous, dans la majorité présidentielle, notre intention politique est désormais de fixer les frontières à l'Europe, parce que nous pensons qu'il ne peut pas y avoir d'identité politique européenne sans frontières. Vous savez que la force de l'Europe, c'est que vous, comme moi, nous sommes à la fois citoyens français et citoyens européens. Si on veut construire cette citoyenneté européenne, il faut le faire à l'intérieur de frontières clairement définies.
Vous dites ça, mais dans le dos des Français, vous reprochent les souverainistes, vous avez continué à ouvrir sous présidence française des chapitres de négociations avec la Turquie.
Mais pourquoi est-ce que nous continuons à ouvrir des chapitres ? Je vais répondre très simplement à cette question, nous continuons à ouvrir des chapitres parce qu'il y a une négociation entre l'Union européenne et la Turquie. Cette négociation, cela a été dit clairement en 2004 au Conseil européen, elle n'a pas de fin définie, c'est-à-dire que la fin de cette négociation est ouverte, il n'y a jamais eu de promesse d'adhésion, contrairement à ce que j'entends dire ici ou là, la négociation est ouverte. L'intérêt d'ouvrir des chapitres, c'est quoi ? L'intérêt d'ouvrir des chapitres, c'est de faire en sorte que la Turquie se rapproche du modèle de développement économique et du modèle de développement politique européen, de telle façon que, ensuite, si nous construisons un accord d'association étroit entre l'Union européenne et la Turquie, nous aurons une Turquie qui sera plus proche du modèle démocratique européen, plus proche de son modèle de développement économique, et donc conforme à nos intérêts.
Sur 78 députés français élus au Parlement européen en 2004, 67 seulement terminent leur mandat, c'est l'un des plus mauvais score, 14 % de "déserteurs" - entre guillemets. Les Français méprisent-ils l'Europe ?
Aucun français ne peut, et je pense ne souhaite mépriser l'Europe. Et moi, je souhaite en tout cas que nos parlementaires français, au Parlement européen...
Restent jusqu'au bout ?
Restent jusqu'au bout, et exercent pleinement leur mandat. Parce que, je le rappelle, le Parlement européen va avoir de plus en plus de pouvoirs. Aujourd'hui, vous avez la moitié des textes européens qui sont examinés et modifiés par le Parlement. Demain, si vous avez le Traité de Lisbonne, ce sera neuf textes sur dix.
Alors, dans le cadre de cet engagement, promettez-vous que M. Barnier, qui sera élu - il est tête de liste - restera parlementaire jusqu'au bout, qu'il n'ira pas à la Commission ?
C'est à M. Barnier de vous répondre. Je ne prends pas d'engagement au nom des autres.
Oui, mais enfin, il va déjà y avoir un déserteur, même s'il reste au niveau de l'Europe.
Vous demanderez à M. Barnier, qui est un grand européen, et qui, je suis sûr, fera de toute façon un travail remarquable pour l'Europe.
F. Fillon veut que les députés européens français, dans le prochain mandat, rendent des comptes sur leur assiduité. Vous êtes d'accord pour que votre ministère tienne une sorte de tableau de présence et voit qui fait quoi ?
Mon ministère, il va faire deux choses. Il va d'abord faire un séminaire de formation de tous les députés européens dès le lendemain des élections, pour leur dire : "voilà les pouvoirs dont vous disposez", "voilà les commissions qui sont importantes", "voilà les lieux de pouvoirs où il faut que vous vous mettiez pour défendre au mieux les intérêts français en Europe". Voilà la première chose qu'il va faire. Ensuite, s'il doit regarder effectivement quelle est la présence des députés, si vraiment le travail est bien fait, nous, nous sommes prêts à tout pour faire en sorte que l'Europe soit plus forte et plus conforme à l'idée que nous nous en faisons, d'une Europe politique puissante.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 mai 2009