Interview de M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel, à RTL le 7 mars 2001 sur le collège unique, l'enseignement professionnel pour pallier à l'échec scolaire et les débouchés à l'issue de la scolarité.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle Pour beaucoup, le collège unique, c'est le progrès social, le même savoir pour tous, et vous, vous dites que ce n'est pas vrai ?
- "Pas tout à fait, je ne me mêlerai pas d'aller porter atteinte à une si vénérable institution."
Vous dites que le collège unique n'a d'unique que le nom.
- "Oui, c'est vrai. Cela signifie qu'en réalité, il n'est pas vrai que toute la classe d'âge passe par le collège unique. Nous avons 9 000 élèves qui sont en classe de préparation à l'apprentissage hors les murs du collège, dans les centres de formation des apprentis. Apparemment, cela n'a l'air de déranger personne. Nous avons, à l'intérieur du collège, une sorte de filiarisation un peu sournoise qui se fait : on trie les élèves en fonction de leurs aptitudes entre les différentes sortes de classes, avec les bons d'un côté et les moins bons de l'autre. Je conteste deux choses. D'abord cette idée de "bons" et de "moins bons" car chaque jeune a un potentiel de développement et c'est peut-être l'institution qui ne sait pas le capter. Deuxièmement, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le système. Quand on trouve 40 000 élèves de 16 ans et plus en classe de 4ème, on peut se poser une ou deux questions. Lorsqu'on découvre qu'il y a 16 000 élèves en classe de seconde générale et technologique qui triplent, on peut se demander si le tuyau unique dans lequel on veut faire passer tout le monde fonctionne si bien."
Ce qui vous effraye, c'est de voir ces gamins qui sont en classe en attendant que ça se passe ?
- "Oui, parce qu'à coté, il existe une autre offre qui permet d'épanouir le jeune. Aujourd'hui, la moitié de chaque classe d'âge passe dans l'enseignement professionnel, que se soit par l'apprentissage ou par l'enseignement professionnel scolarisé. C'est avec cette moitié de classe d'âge que l'on fait l'essentiel des progrès d'accès au bac par le bac pro ; c'est avec cette moitié de classe d'âge que l'on fournit l'essentiel des cadres intermédiaires, des ouvriers qualifiés qui font la puissance économique de ce pays."
Votre souhait serait qu'on ne maintienne pas les élèves à tout prix jusqu'à la seconde ?
- "En matière d'éducation, il faut d'abord aller à l'esprit. L'école est là pour émanciper. Le reste - les structures, les moyens - ne sont que des moyens. Je dis qu'il faut permettre à un jeune - je ne dis pas obliger - quand il a 15 ans, où qu'il soit dans le système scolaire, de faire un choix d'avenir, un choix de carrière. Personne n'est dérangé par l'idée qu'à 15 ans, en classe de seconde, un jeune choisisse entre la technologie ou l'enseignement général ; que dans l'enseignement général, il choisisse entre les sciences et les lettres, choix fondamentaux. Cela ne choque personne. Mais quand un jeune de 15 ans en classe de 5ème ou de 4ème dit qu'il voudrait aller faire de la mécanique, de la climatique ou du bâtiment, qui sont aujourd'hui des métiers à haut niveau de contenu technologique et de savoirs fondamentaux, alors là, j'entends un concert universel de cris d'orfraies. On me dit : "Comment ! vous allez brimer la vie de ces jeunes, il faut absolument qu'ils restent là ! ", pour passer par ce collège dont on dit qu'il est "unique." Je veux dire à ceux qui m'entendent qu'ils retardent d'au moins une guerre. Premièrement, ils ne savent pas le haut niveau de ce qui s'enseigne dans l'enseignement professionnel. Ils en ont une vision complètement datée, ils ne savent pas que les métiers de notre époque sont des sciences pratiques et qu'apprendre un métier, c'est élargir son champ culturel, contrairement à ce qu'on croyait et racontait dans les années 70. Deuxièmement, il y a une extraordinaire erreur de date : les gens qui disent de bon coeur qu'il faut que tous les jeunes reçoivent le même contenu de savoir - moi je ne dis pas autre chose - doivent se rappeler que cela a été décidé en 1977 ! C'est à cette époque qu'on a créé le collège unique. L'objectif n'était pas d'emmener 80 % d'une classe d'âge au bac. L'essentiel des sorties du système scolaire se faisait à la classe de 3ème, on disait donc qu'il fallait qu'ils aient un contenu commun. Aujourd'hui, nous sommes orientés par rapport à un autre objectif qui celui de la terminale et du bac."
Mais un enfant, un adolescent qui à 15 ou 16 ans est encore en 4ème, connaît un parcours d'échec scolaire. Vous leur dites que la filière professionnelle est là. Est-ce que ce n'est pas quelque chose qui passe pour du rattrapage, pour du "après tout, on ne peut pas faire autrement" ?
- "Je comprends et respecte ce que vous dites parce que c'est plein de bonne volonté, mais permettez-moi de vous dire que c'est ne rien connaître. Du rattrapage ? Mais enfin, l'école est là pour cela, non ? On est là pour redresser celui qui est tombé. Et pourquoi est-il tombé ? Savez-vous que dans les trois premiers mois de la présence d'un élève dans l'enseignement professionnel, la première tache des enseignants est de lui redonner confiance en lui-même. Celui que vous montriez du doigt, comme le "pas bon", celui qui est au fond de la classe, celui qui ne suit pas, c'est lui que vous allez retrouver à un bac pro, en BTS, c'est-à-dire des techniciens de très haut niveau qui font la force économique de ce pays. Nous sommes donc capables dans l'enseignement professionnel, parce que nous mettons les jeunes dans une autre trajectoire, qui correspond mieux à leur état d'esprit, à leur manière d'approcher la réalité. Que voulez-vous, tout le monde n'a pas spontanément le don d'apprendre par coeur des pages entières."
C'est vous, de la Gauche socialiste, qui dites cela ?
- "Bien sur, parce que je défends le travail, ceux qui travaillent, leur dignité et la dignité de leur formation. Bien sûr et 1 000 fois bien sûr ! Et je proteste contre le fait que, pour sacrifier à une idée immobile et intangible, on préfère casser les jeunes plutôt que de leur donner l'occasion de s'émanciper intellectuellement, socialement et culturellement."
Pour vous, la filière professionnelle est la solution qui peut assurer qu'on va effectivement trouver le plein-emploi ?
- "Aujourd'hui, dans les lycées professionnels, c'est 100 % d'embauche à la sortie. J'ai plutôt même intérêt, si vous me permettez l'expression, à "cramponner" les élèves en cours de route parce qu'on me les prend en cours d'études, parfois sans qu'ils aient passé leur diplôme, ce qui est une erreur monstrueuse pour eux et pour l'économie du pays, parce que ce dont nous avons besoin, c'est d'abord d'une main-d'oeuvre avec un haut niveau de qualification. C'est cela les métiers modernes."
Et ceux qui vous disent que c'est très bien, mais que vous ligoter l'Education nationale aux entreprises ?
- "C'est encore le discours des gens qui n'y connaissent rien. Tous les diplômes professionnels de ce pays ne sont pas établis autrement qu'en relation avec le milieu professionnel, depuis des années. Je veux que les diplômes professionnels de mon pays soient du plus haut niveau technique possible. Par conséquent, j'ai un intérêt fondamental au dialogue avec les entreprises. D'ailleurs, elles ne m'ont pas attendu, elles le font depuis au moins 20 ans. Cela dépend de quelle entreprise on parle : vous avez des entreprises qui voudraient que les jeunes soient spécialisés tout de suite. Je leur dis que la réponse est "non", qu'elles ne l'auront pas parce que c'est absurde. Au contraire, nous avons besoin de mettre les gens en capacité de savoir ce qui leur permet d'évoluer dans leur carrière. Donc, cela prend un peu de temps et elles doivent être patientes, elles doivent me laisser terminer la formation de haut niveau de ces jeunes. Si c'est la spécialisation à outrance, ma réponse est "non" ; si c'est la professionnalisation, alors ma réponse est "oui", parce que c'est l'élévation du niveau intellectuel des jeunes."
Avec cette orientation choisie à 15 ans, vous avez également le sentiment de répondre à la préoccupation de la violence ?
"Franchement, croyez-vous un instant qu'un jeune qui est en sentiment d'échec, va être doux, bienveillant et respectueux des autres ? S'il se déteste déjà lui même parce qu'il a le sentiment d'être en échec, j'aimerai bien savoir par quel miracle il respecterait les autres."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 7 mars 2001)