Interview de Mme Martine Aubry, première secrétaire du PS, dans "Libération" le 4 juin 2009, sur la campagne électorale, la désaffection des Français pour l'élection européenne et le programme du parti socialiste.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

Texte intégral

- Comment expliquez-vous la désaffection qui entoure la campagne ?
D'abord, parce que l'Europe a profondément déçu. Nos concitoyens l'ont plus perçue comme un problème que comme une solution. Et parce que nous n'assistons pas à une campagne projet contre projet. Les socialistes sont d'ailleurs les seuls à porter un projet fort et ambitieux pour l'Europe, qu'ils partagent avec les 26 autres partis socialistes et sociaux-démocrates des 26 autres pays européens. En face, la droite avance masquée et emploie des mots flous ou doux pour cacher la poursuite de sa politique libérale, comme par exemple la privatisation de la santé. C'est ce qu'elle fera en Europe si elle n'est pas sanctionnée le 7 juin. Mais c'est aussi un nouveau tour de vis social en France qui se prépare : travail le dimanche, augmentation des franchises médicales, nouvelles attaques sur les retraites, privatisation des services publics...
- La crise, paradoxalement, ne favorise pas la social-démocratie européenne...
Nous n'avons pas la campagne que nécessiterait cette crise et que mérite l'Europe. Et pourtant deux modèles s'affrontent bien ! Pour l'UMP et ses alliés du PPE, l'Europe n'est qu'un grand marché qui met tout en concurrence, non seulement les biens, mais aussi les services collectifs, les territoires et même les personnes. Pour nous, c'est une grande aventure humaine porteuse de paix, de progrès social et de démocratie. C'est cette Europe que nous voulons retrouver, et pour cela, il faut un changement de majorité au Parlement européen. Voilà l'enjeu de cette élection.
- Quelles propositions mettre en avant pour faire valoir vos différences ?
D'abord, un volontarisme économique, avec un plan de relance européen de 100 milliards d'euros, un programme d'investissement dans les énergies renouvelables, le logement, les transports, et une politique industrielle et énergétique qui nous permette d'accéder à l'indépendance énergétique. Nous proposons par exemple la construction d'un réseau de transport des énergies pour acheminer celles de demain - éolien en mer du Nord, solaire dans le Sud et en Afrique du Nord - partout en Europe. Ensuite, un retour au progrès social. Il s'agit d'éviter les délocalisations par l'institution d'un salaire minimum dans chaque pays européen, d'empêcher les licenciements boursiers, et de protéger et développer les services publics : l'école, la santé, la poste, les chemins de fer... Et puis faire enfin du développement durable une réalité avec la création de 10 millions d'emplois dans la croissance verte, et faire de l'Europe le fer de lance de la lutte contre le réchauffement climatique.
- Votre entrée en campagne sur le vote sanction a été critiquée...
Comment reprocher aux Français de vouloir sanctionner Nicolas Sarkozy ? Il n'a pas tenu ses promesses. Il a échoué sur toute la ligne ou presque. Il voulait être jugé sur ces résultats, qu'il le soit. Si nous n'avions pas dénoncé les conséquences ravageuses du libéralisme en Europe comme en France, nous aurions été inaudibles sur nos propositions. Proposer et dénoncer vont de pair. Sinon, on en reste dans l'incantatoire.
- Le créneau de l'antisarkozysme n'est-il pas trop encombré, notamment par François Bayrou ?
Quand on connaît sa famille politique, démocrate et européenne, la posture de François Bayrou, uniquement dans l'attaque contre Nicolas Sarkozy et la valorisation de lui-même, est extrêmement décevante. Il ne parle pas d'Europe, mais fait son autopromotion. Il ne vise pas l'élection du 7 juin 2009, mais celle de 2012.
- Et du côté de la gauche de la gauche ?
Je porte les mêmes indignations que le NPA et le Front de gauche. Mais tous deux sont dans la dénonciation, très peu dans les propositions. Or faire de la politique, c'est porter un projet, des solutions. J'ajoute qu'en 2004, 3,7 millions de voix se sont perdues sur des listes qui n'ont eu aucun député européen, faute d'avoir fait un score suffisant. La dispersion des voix risque de nous faire perdre l'occasion historique de faire basculer la majorité au Parlement européen : l'efficacité pour une Europe de gauche, c'est le vote socialiste.
- En cette fin de campagne, Nicolas Sarkozy en revient à la sécurité. Le PS est-il enfin au clair là-dessus ?
Il n'y a pas d'angélisme au PS. Tout acte d'incivilité ou de délinquance doit être sanctionné. Mais il faut aussi dire que Nicolas Sarkozy a échoué de manière dramatique sur la sécurité. Le président de la République, ancien ministre de l'Intérieur, c'est 24 textes en plus sur la sécurité, et pourtant 25 % d'augmentation des violences sur les personnes ! La droite n'a aucune leçon à nous donner sur la sécurité.
- Et si le PS terminait dimanche sous la barre des 20 % ? Certains de vos camarades vous attendent déjà au tournant...
Bien sûr, je souhaite le plus haut score possible pour nos listes et je me bats pour cela. Mais quoi qu'il arrive, je continuerai à avancer. En 1999, alors que Lionel Jospin était à son zénith, François Hollande avait fait 21,9 %. Tout le monde avait alors considéré que c'était un succès. Chacun sait dans quel état le PS est sorti de son congrès de Reims. Nous sommes au travail et unis, auprès des Français. Nous devons continuer d'avancer. Je dis aux Français : c'est maintenant qu'il faut nous conforter.
- Rêvez-vous d'être à la tête d'une gauche unie, comme la droite l'est aujourd'hui ?
Bien sûr. Sauf qu'une droite unie qui aujourd'hui fait entre 25 et 28 %, c'est un échec ! L'enjeu pour nous, et nous avons déjà commencé, c'est de préparer un projet pour 2011 et de réunir la gauche pour le porter et le défendre. Dès juillet, je lancerai le mouvement. Il sera novateur.
- Avec les élections régionales à venir, le problème de l'alliance avec le Modem se posera à nouveau. Comment le gérer ?
La question des alliances se pose d'abord à Bayrou. Surtout après le show anti-Sarkozy qu'il a fait... Il critique la droite, certes. Mais aucun de ses actes n'a montré qu'il était de gauche. Le vrai sujet est là : avec qui s'engage-t-il ? Pour quel projet ?
- Êtes-vous favorable aux primaires ?
Je n'ai pas pris de position. Je pense qu'il faut s'ouvrir aux citoyens désireux de se réinvestir en politique. Mais seul un parti rénové et fort peut mettre en oeuvre des primaires. Ça fait six mois que je reconstruis pas à pas le PS. Nous n'avons pas chômé. Nous avons préparé notre plan de relance, formulé nos propositions sur les libertés, sur l'organisation territoriale de la France... A la sortie du congrès de Reims, on nous expliquait qu'on n'arriverait jamais à se mettre d'accord sur l'Europe. Nous avons voté notre texte qui réconcilie les oui et les non, à l'unanimité. Nous devons poursuivre cette rénovation.
- En voulez-vous à François Hollande, pas toujours raccord dans cette campagne?
Non. Ce qui m'intéresse, ce sont ceux qui sont dans le mouvement, les militants, les candidats, tous les responsables du parti qui font une belle campagne.
- Des camarades s'interrogent sur votre pratique du premier secrétariat. Que leur répondez-vous ?
Les Français le savent : quand je m'engage, je vais jusqu'au bout de la responsabilité qu'on m'a confiée. J'entends bien quelques critiques contradictoires d'ailleurs, mais je vois surtout des milliers de militants qui m'encouragent, un parti qui se remet au travail, retrouve de la fraternité et a envie de réussir pour les Français. J'aime le débat, le travail en équipe. Pour moi, cette fonction n'est pas un tremplin personnel mais un chemin collectif.
- Et Ségolène Royal ? Le rapprochement ira-t-il au-delà de la photo de Rezé ?
Oui, parce que même si nous sommes différentes, nous avons l'essentiel en commun. Nous sommes socialistes, européennes et... des femmes ! Je souhaite qu'elle ait une place où elle se sente bien et où elle apporte le maximum à notre parti. Il fallait juste un peu de temps.
Source http://www.changerleurope.fr, le 5 juin 2009