Texte intégral
P. Weill.- Vous saviez, vous l'avez dit hier, que l'Airbus A 310 de la Yemenia, qui s'est crashé au large des Comores, était interdit d'atterrissage en France, mais les passagers, dont beaucoup de Français, de ce vol, l'ignoraient. N'y a-t-il pas là quelque chose d'inadmissible ?
Il y a deux choses que je me permets de distinguer, si vous me laissez quelques secondes pour les expliquer. La première, c'est la compagnie ; la compagnie Yemenian, elle a fait l'objet de débats au sein de l'Union européenne, puisque vous savez qu'en matière de sécurité aérienne, c'est l'Union européenne qui est responsable, pour savoir si on la mettait ou pas sur la fameuse liste noire. Il y a eu des débats, il y a eu des interrogations, la compagnie a apporté des éléments, et finalement il a été décidé de ne pas la mettre jusqu'à hier. Maintenant le débat naturellement est rouvert. Ensuite, l'avion - j'écoutais tout à l'heure l'excellente explication de M. Polacco sur votre antenne -, l'avion lui-même, c'est un avion qui est assez ancien, mais cela ne veut rien dire, le Gouvernement français a le même pour transporter le Premier ministre ou autres, dans des voyages officiels, donc ce n'est pas une question de l'âge de l'avion...
Ce n'est pas la question que je vous posais...
Attendez, attendez, j'en viens...
Vous avez dit hier "l'avion était interdit d'atterrissage en France" !
Attendez, je termine, parce qu'il y a aussi toute une polémique idiote sur l'âge de l'avion, ce n'est pas l'âge du capitaine qui compte c'est l'état du capitaine.
Je ne parle pas de ça !
L'avion en question a subi en France des contrôles qu'on appelle "les contrôles SAFA", ça a été cité tout à l'heure sur votre antenne. Le dernier a eu lieu le 4 juillet 2007 à Marseille, et on constaté toute une série de défauts. A tel point - et ça M. Polacco ne le savait pas tout à l'heure lorsqu'il est intervenu sur votre antenne, parce que je viens de lui dire à l'instant -, que l'avion, nous ne l'avons pas autorisé à repartir avec ses passagers. On l'a autorisé à repartir avec son équipage pour aller se faire réparer. Et comme par hasard, alors vous allez me dire c'est peut-être un hasard, cet avion on ne l'a jamais revu sur le sol français, ce qui me laisse penser, peut-être ai-je mauvais esprit, qu'il n'a pas été si remis en bon état que cela pour qu'il n'ait pas atterri sur le sol français. Voilà. Donc, cet avion, s'il était revenu, il aurait immédiatement contrôlé. Je souhaite, bien sûr, qu'entre temps, la compagnie ait fait ce qu'il fallait faire mais je ne peux pas en avoir la certitude, puisqu'il n'est jamais revenu, comme par hasard, sur le sol français.
Mais il n'y a pas un problème ? Cet avion était interdit en France, et pourtant, des Français sont montés à bord ? Là, il n'y a pas quelque chose qui doit changer ?
C'est un problème, vous avez tout à fait raison, ça doit changer, c'est un problème mondial. Vous partez de Paris avec une compagnie, de Paris, de Francfort, de Londres, de Bordeaux ou de Marseille, avec une compagnie normale, vous arrivez dans un endroit du monde, et pas forcément dans le Sud d'ailleurs, ce peut être aussi à l'Est ou en Asie, où là vous avez une compagnie qui est interdite, qui est sur les listes noires. Alors, naturellement, si vous avez acheté votre billet, vous devez normalement avoir cette information, qui vous est donnée, par celui qui vous vend le billet. Mais maintenant, mon problème, je l'ai posé hier à la Commission européenne, j'ai longuement parlé avec le commissaire des Transports, A. Tajani, italien, et nous avons parlé de...
Comment peut-on changer les choses ?
Pour changer les choses, il faut qu'on ait une espèce de traçabilité, c'est-à-dire qu'on puisse donner l'assurance à un passager qui part d'un aéroport, partout dans le monde, que jusqu'au bout de sa destination, y compris la correspondance finale, il sera dans des conditions de sécurité qui sont celles de l'Organisation de l'aviation civile internationale.
On a quand même du mal à comprendre : cette compagnie Yemenia était sous surveillance dans l'Union européenne, mais elle ne figurait pas donc sur la liste noire des compagnies aériennes dangereuses. Comment peut-il y avoir une sorte de demi-mesure sous surveillance ? On est bon pour voler ou on est interdit de vol ? !
Ce n'est pas une question de... il n'y a pas de demi-mesure. Comme il y avait eu cet incident sur cet avion DC10, qu'on avait renvoyé chez lui, à partir de cet incident, on a été très attentifs aux avions de Yemenia. C'est-à-dire que, par exemple, encore cette année, il y a eu de nombreux contrôles sur le 330 qui vient en France, et donc on a été plus attentifs. C'est normal, quand quelqu'un a été malade, son médecin est plus attentif à son état de santé que s'il a toujours été en bonne santé. Et ces informations nous les avons transmises à l'Europe, il y a eu débats, au sein de l'Union européenne, à un moment, pour savoir, dans le courant de l'année dernière, si cette compagnie on la mettait sur liste noire ou pas. On a estimé au niveau européen qu'elle avait fait des progrès, et donc, on ne l'a pas mise sur liste noire. Mais naturellement, je le répète sur votre antenne, le problème se pose bien évidemment à nouveau. On ne connaît les causes de l'accident. Le Bureau Enquêtes Analyses Français va faire partie du dispositif d'enquête. Mais, j'ai écouté hier les Comoriens, et peut-être on en entendra sur votre antenne tout à l'heure... Les témoignages que j'ai entendus sur les conditions de vol dans la part finale, c'est-à-dire à partir de la capitale du Yémen jusqu'à Moroni ou ailleurs, sont des choses qui m'ont fait frémir, et je comprends la détresse de nos compatriotes français et comoriens vis-à-vis de ces conditions de vol qui leur sont imposées.
Le président de l'Association SOS-Voyages aux Comores, F. Soilihi, affirme qu'il vous a adressé récemment un courrier pour vous alerter sur la situation de ces avions poubelles qui assurent la liaison entre la France et les Comores ; une manifestation a eu lieu en août dernier à Marignane pour protester contre cette situation. On vous reproche de ne pas avoir agi.
D'abord, hier, j'ai vu tous les représentants d'associations, aucun ne m'a dit cela. Ce monsieur s'est réveillé depuis qu'il a appris mon existence il y a quelques jours. Moi, je n'ai eu aucune connaissance de ces manifestations ou de ces courriers. Alors peut-être, est-ce un problème interne à l'administration française que ces courriers ne nous soient pas parvenus... Mais très honnêtement, hier, personne, à part un élu socialiste de Marseille, qui a cru bon de se distinguer et de mélanger la politique et la détresse, personne n'a reproché quiconque au Gouvernement français. Les reproches que j'ai entendus hier étaient portés vers leur propre pays, malheureusement, vers les Comores, vers la compagnie yéménite. Personne ne faisait de reproches au Gouvernement français dans cette affaire. Donc qu'il y ait aujourd'hui une ou deux petites exploitations...
Mais vous saviez depuis quelques temps, depuis plusieurs mois qu'il y avait des problèmes ?
Non, non, non !
...et que ces avions étaient un peu douteux !
Attendez, n'essayez pas de me faire dire des choses que je n'ai pas envie de vous dire. Je vous ai dit que cette compagnie était sous surveillance à la suite d'incidents, elle était sous surveillance et elle était éminemment surveillée en France, en Europe, et dans le monde.
Ce matin, des jeunes français d'origine comorienne et des Comoriens ont bloqué à Roissy l'embarquement d'un vol de la compagnie Yemenia à destination de Sanaa, avec escale à Marseille. Vous les comprenez ?
Je comprends leur détresse, et nous la traitons cette détresse. Si nous avons mis sur la table et devant l'opinion publique hier tout ce que nous savions sur cette compagnie et tous nos doutes, nous comprenons leur détresse. Et hier, parmi les gens qui étaient à Roissy, il y avait beaucoup de familles, qui étaient non seulement des parents de ceux qui sont morts dans l'accident et dans la catastrophe, mais également des gens qui se préparaient à partir aux Comores, et qui se posaient plein de questions. Et on peut tout à faire les comprendre.
Où en est l'enquête sur les causes de l'accident de l'Airbus A 330 d'Air France, Rio-Paris ?
Le Bureau Enquêtes Analyses fera demain une conférence de presse, donc donnera les éléments qui sont en sa possession. Ce sont par nature des éléments partiels puisque, comme vous le savez, jusqu'à ce moment - mais tout peut évoluer d'une seconde à l'autre -, nous n'avons pas encore retrouvé, malgré plusieurs navires, un sous-marin nucléaire d'attaque, des remorqueurs tirant des sonars américains extrêmement puissants, nous n'avons encore retrouvé les enregistreurs de vol. Et notre crainte, c'est qu'il reste dix jours pendant lesquels ils peuvent émettre, peut-être ce n'est pas à une journée près, la technologie n'est pas aussi précise...
Mais vous n'avez pas d'information pour l'instant ?
Non, on n'a pas d'information. Le Bureau Enquêtes Analyses demain le dira, et nous en informerons auparavant les familles. Le BEA le dira demain, de manière très précise.
Il y a eu l'accident de cet Airbus d'Air France, maintenant, cet Airbus A 310 de Yemenia. Est-ce qu'Airbus doit donner des explications sur la fiabilité de ses appareils ?
Vous savez, deux tiers des avions qui volent dans le monde sont soit des Boeing soit des Airbus. Et tous les jours en France, il y a des accidents de voitures, et il y a des Renault et des Peugeot, qui sont les deux modèles les plus courants sur notre territoire. Je veux dire simplement que ce n'est pas Airbus qui est en cause, ce n'est pas tel ou tel modèle d'avion. Une catastrophe aérienne, c'est en réalité, en général un ensemble de choses, parfois des négligences, parfois des problèmes de pilotage, parfois des conditions météo, un enchaînement de situations. Tous les experts le savent bien et l'ont d'ailleurs très bien expliqué après l'accident de l'Airbus A 330. Certainement d'ailleurs, on expliquera de la même manière, in fine, l'accident de l'Airbus A 310, c'est peut-être aussi une conjonction qui n'a rien à voir avec le fait que l'avion pouvait poser un certain nombre de problèmes, on le saura in fine.
Airbus n'est pas sous pression ?
Non. Enfin, je pense bien évidemment que les dirigeants de la compagnie ressentent très douloureusement, et tous les ouvriers et ingénieurs de cette compagnie, ces accidents. Je rappelle qu'Airbus a vendu 127 avions au Salon du Bourget, ça a été la plus belle performance commerciale de tout le Salon du Bourget ; ce sont des avions très sûrs, voilà. Mais il y a chaque année, je vous le rappelle, l'année dernière il y a eu dans le monde, plus de 350 morts par accidents d'avions. En même temps, alors que nous sommes en forte diminution, il y a eu 4.274 morts sur les routes françaises et nous diminuons chaque année de 8 % pour arriver à 3.000. C'est pour vous donner un petit peu la comparaison entre l'accidentologie en matière automobile dans un pays et aérienne au niveau mondial.
Est-ce que vous confirmez l'information du [Parisien : des dizaines d'hôtesses et de stewards d'Air France, environ 150 PNC, ont démissionné, ou ont demandé une réaffectation au sol après le drame du vol Rio-Paris ?
J'ai découvert cette information en lisant le Parisien ce matin, et en écoutant vos confrères de Europe 1. C'est comme ça que j'ai appris cette information. Pour l'instant, je ne suis en mesure ni de la défendre, ni de l'infirmer ni de l'affirmer, je l'ai découverte comme vous ce matin.
Je voudrais revenir sur cet accident de cet Airbus A 310 : est-ce que les techniciens d'Airbus, régulièrement, ont la possibilité de surveiller ces appareils et éventuellement de dire "stop ! cet avion n'est pas entretenu correctement, il ne doit pas voler !" ?
avion subit, M. Polacco l'expliquerait mieux que moi, il est plus spécialiste que moi - un avion subit des périodes de révision, comme d'ailleurs un TGV comme tout ce qui est moyen de transport public. Donc, naturellement, se fait en lien et en contrôle avec le constructeur. Donc cet avion, pour voler normalement, a dû suivre toute une série de processus. Mais nous allons vérifier maintenant par l'enquête du BEA, que toutes les choses se sont correctement passées. Un avion, c'est tant d'heures de vol, tel type de révision, tant d'heures de vol, tel autre type de révision. Et ça, c'est dans le monde entier. Alors, si une compagnie ne le fait pas, c'est bien sûr un acte complètement insensé.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 juillet 2009