Interview de M. Patrick Devedjian, ministre chargé de la mise en place du plan de relance, à Radio Classique le 3 juillet 2009, sur l'utilisation des fonds collectés par le futur emprunt d'Etat, l'augmentation du chômage et le projet de loi sur le travail dominical.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

M.-H. Duvignau.- Vous êtes le ministre en charge de la Relance ; le grand emprunt national qui sera lancé début 2010 ne sera pas un deuxième plan de relance, mais alors en quoi peut-il aider à doper l'économie, à dynamiser l'économie française ?
 
Le grand emprunt, il est destiné à être un dispositif de sortie de crise et donc à lancer des investissements qui vont améliorer la compétitivité de notre pays et qui doivent être à haut rendement, afin de générer de la croissance qui permettra de rembourser les déficits.
 
C'est un peu compliqué ces priorités. Il y a une mission de concertation qui est lancée, est-ce qu'il y aura d'ailleurs, selon vous, une véritable concertation pour définir ces priorités ?
 
Elle a déjà commencé. Nous avons eu à l'Elysée avec les partenaires sociaux déjà une réunion très importante qui a duré deux heures et demie, au cours de laquelle tous les partenaires sociaux se sont exprimés là-dessus. Je constate d'ailleurs que le principe du grand emprunt fait l'objet d'un consensus.
 
Mais alors, vous, en tant que ministre de la Relance, est-ce que vous avez vos propres priorités, on va dire, pour utiliser les fonds récoltés par ce grand emprunt ?
 
Si vous voulez, la différence qu'il y a entre le Plan de relance et le grand emprunt, c'est que le Plan de relance, sa vocation est d'être immédiatement réactif. C'est-à-dire que le Plan de relance c'est un plan anti-crise, anti-cyclique, donc l'argent doit être investi immédiatement. Dans un esprit qui est celui du grand emprunt, c'est-à-dire, aussi améliorer la compétitivité de notre territoire, mais avec un critère encore plus exigeant : l'immédiateté. Donc, il y a une prolongation évidemment de la même politique par le grand emprunt.
 
Alors justement, sans parler, on va dire d'immédiateté, il y a des dossiers structurels dans l'économie française : la dette explose, notamment les déficits sociaux. Est-ce que le grand emprunt peut être utilisé pour, on ne va pas dire régler ces problèmes, mais pour aider à alléger ces problèmes ?
 
Le grand emprunt, sa vocation c'est de créer de la croissance. La France ne sortira de ses déficits que lorsqu'elle aura atteint un niveau supérieur de croissance à celui qu'elle a habituellement. Le problème, il est là, c'est que notre taux de croissance il est en moyenne, généralement un peu trop faible pour procurer les ressources nécessaires.
 
Donc ce n'est pas un chèque en blanc qu'on va faire, par exemple à la Sécurité sociale... ?
 
Non, parce que la vocation, ce sont des investissements à haut rendement. Par exemple, ce n'est pas réglé, mais il est tout à fait normal que les quatre lignes de TGV qui ont été programmées, qui ont été d'ailleurs stimulées par le Plan de relance - moi je suis intervenu sur différents secteurs, un peu partiels des quatre grandes lignes de TGV - le grand emprunt devrait normalement intervenir, fortement, pour permettre la réalisation de ces investissements. Il y a un certain nombre de secteurs industriels où la France doit, un peu rénover son appareil. Je prends le domaine automobile, par exemple : la voiture de l'avenir, il faut investir sur cette idée ; la voiture électrique, malheureusement, même en terme de recherches, on est en retard. On n'a pas trouvé la batterie encore, qui va permettre d'avoir un véhicule électrique qui fonctionne raisonnablement.
 
Vous parlez de priorités, vous me parliez tout à l'heure de la concertation avec les partenaires sociaux. Je suppose qu'au sein même du Gouvernement, chaque ministre a ses priorités. Vous, personnellement, en tant que ministre, P. Devedjian, quelles sont vos priorités pour utiliser ce grand emprunt ?
 
Moi j'ai un ministère transversal, donc je ne suis pas sectoriel, parce que autrement, évidemment, la tendance de chaque ministre c'est de considérer que c'est son secteur qui est le plus important, cela va de soi ! Moi ce que je pense, c'est que le grand emprunt doit assurer la continuité du Plan de relance. Alors dans le Plan de relance, il y a deux volets : un volet qui soutenait et qui soutient encore fortement la consommation, quoi qu'on en ait dit et qui d'ailleurs fonctionne très bien, puisque la consommation s'est très bien tenue, elle est toujours au-dessus de zéro, ce qui n'est le cas que dans très peu de pays. Mais en même temps, elle a fait des investissements, des investissements importants : d'équipements, de développements industriels... Eh bien le grand emprunt devrait poursuivre ça.
 
Vous parlez de la relance, est-ce qu'on peut déjà dans l'économie française sentir des effets ?
 
Est-ce qu'il y a des effets positifs ?
 
Est-ce que l'économie recommence un petit peu à...
 
Oui bien sûr, bien sûr il y a déjà des effets positifs. Est-ce qu'ils sont durables ? Je ne m'engagerai pas, mais par exemple, je prends la prime à la casse dans le domaine de l'automobile, cela a été un très grand succès, puisque nous avions programmé 220 millions et il nous en faudra 400, tellement il y a un appel et d'ailleurs cela a stimulé l'industrie automobile.
 
Mais est-ce que l'on peut vraiment parler de relance, parce que là, c'est un soutien, on va dire un peu artificiel, est-ce que...
 
Ce n'est pas artificiel, les Français ont acheté des voitures...
 
Oui, mais le secteur automobile, quand même souffre...
 
Oui, mais en France, il souffre moins qu'ailleurs. Par exemple à Sochaux, sur la 309 on est revenu aux 3 x 8. Donc on a évité du chômage, vous savez le chômage cela coûte cher aussi. Donc je préfère investir l'argent dans l'industrie, plutôt que dans les prestations sociales qui sont nécessaires quand on a du chômage.
 
Alors justement, le chômage lui va continuer à augmenter, donc la relance...
 
Oui, mais il augmente moins vite, chaque mois il augmente un peu moins fortement. Si on prend les chiffres, les deux premiers mois de l'année, c'est 90 000, ensuite c'est 64 000, ensuite c'est 58 000, ensuite c'est 36 000. La tendance... On ne revient pas...
 
Mais on devrait être au-dessus de 10 % à la fin de l'année.
 
Bien sûr, mais c'est une crise mondiale, vous n'imaginez quand même pas que la France va former une exception. Simplement, elle résiste mieux que les autres pays. Parce que notre Plan de relance - et dans la polémique là, qui a lieu avec les évènements boursiers qu'on a connus hier sur les Etats-Unis, c'est une différence entre la France et les Etats- Unis - notre plan de relance il est efficace dès cette année, alors que le plan de relance américain, il est prévu pour l'année prochaine. Nous, nous avons investi 75 % du plan de relance sur l'année 2009, les Etats- Unis c'est exactement le contraire, comme l'Allemagne d'ailleurs ! C'est exactement le contraire, parce qu'ils n'ont pas un appareil d'Etat dédié à la mise en oeuvre de cette politique, eh bien c'est plus long à mettre en route et c'est seulement en 2010 que cela pourra produire des effets. Nous, cela les produit déjà, dès maintenant. Ce qui est bien, parce qu'en 2010, quand les autres plans de relance - l'Allemagne ou les Etats-Unis - seront entrés dans leur période où ils produiront leurs effets, parce que l'argent aura été investi, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, il y aura un effet mondial, un effet collectif des plans de relance, de contamination des économies et cela viendra nous aider aussi.
 
Alors, vous, vous P. Devedjian, vous pensez que l'on peut vraiment espérer, l'année prochaine un repli, ou à la limite, plutôt une augmentation du chômage moins forte ?
 
Le chômage, il y a un effet de retard sur le chômage, c'est la dernière chose qui s'améliore, c'est la dernière chose à s'être dégradée. Quand la situation économique a commencé à se dégrader, le chômage n'a pas bougé, au début. Et puis six mois après, évidemment il a enregistré les dégâts de l'économie. Eh bien pour la sortie de crise, c'est exactement la même chose. Lorsque l'économie se sera redressée, que la croissance commencera à revenir, le chômage attendra encore plusieurs mois avant d'enregistrer ces résultats.
 
Alors il y a un texte qui va être donc examiné à l'Assemblée, c'est le travail dominical dans la session extraordinaire, un dossier lourd, complexe, sujet à polémiques. Vous pensez que le travail le dimanche peut avoir un impact sur le marché de l'emploi en France, comment vous voyez ce... ?
 
Eh bien oui. Et ce que je trouve extraordinaire, c'est même qu'on puisse se poser la question. Il s'agit des zones touristiques, la France est la première destination mondiale pour le tourisme. Les touristes peuvent débarquer sur les Champs-Élysées et trouver des magasins fermés. Tous les grands magasins par exemple sont fermés le dimanche. Or, regardez les autocars de touristes qui arrivent, ils ne demandent qu'à aller dans les grands magasins. On se prive donc très souvent d'un chiffre d'affaires, de ventes et d'emplois, simplement parce qu'on a ce sacro saint dimanche sur lequel on ne peut pas... Pourtant, il y a trois millions de gens déjà qui travaillent le dimanche, je pense qu'à Radio Classique même on travaille aussi le dimanche.
 
Absolument ! Mais les partenaires sociaux sont très remontés contre le travail dominical, vous vous attendez encore à de nouvelles tensions ?
 
On est dans le dogme là, bien sûr. J'attends des évolutions, on voit bien. A la Défense par exemple, depuis le mois d'août 2008, on est devenu zone touristique et donc on peut travailler le dimanche, à la Défense. Eh bien cela a changé beaucoup de choses et cela a créé beaucoup d'emplois.
 
Vous me donnez une transition toute trouvée. La Défense, le Grand Paris, est-ce que le grand emprunt, vous voyez comment l'utilisation du grand emprunt pour développer ce Grand Paris et développer la Défense, aujourd'hui, vous qui êtes président du 92 aussi ?
 
I Dans le Grand Paris, ce qui est important, c'est la rénovation du système de transports, parce que la ville de Paris elle-même, intra muros, a un système de transport extraordinaire et pas cher, un des meilleurs du monde. Mais dès qu'on est sorti de Paris intra muros, dans la banlieue, eh bien c'est beaucoup plus difficile. Et donc, nous avons besoin d'un grand investissement pour permettre à la région capitale, à Paris, au Grand Paris justement d'avoir un mode de déplacement moderne, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. On est toujours obligé de passer par Paris lorsque l'on veut se déplacer de banlieue à banlieue, ce qui est tout à fait anormal. Donc dans le Grand Paris et le grand emprunt peut aider à cela, cela sera dans la concertation en tous les cas, il y a des investissements très importants à faire en matière de transports. Sur la Défense, pour répondre à votre question, c'est le premier grand quartier d'affaires européen. Il faut qu'il soit en liaison avec tous les grands moyens de transport. Moi je veux qu'il soit en lien avec Roissy, je veux qu'il puisse accueillir les TGV. Je veux qu'évidemment Eole passe par la Défense et que le centre de Paris soit facilement accessible par la Défense. Tout ceci évidemment demande des investissements.
 
P. Devedjian, ministre en charge de la relance, merci d'avoir répondu à nos questions ce matin.
 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 juillet 2009