Texte intégral
J. Wittenberg.- Avec vous, on va parler de la situation économique, de la rentrée sociale, mais d'abord des conflits sociaux de l'été qui se multiplient à la suite des fermetures d'usines. Par exemple, chez Molex près de Toulouse, on a appris hier que la justice avait ordonné la réouverture de l'usine suite à la fermeture par les dirigeants suite à des incidents là-bas. C'est très tendu. Un dirigeant de l'entreprise avait reçu des oeufs sur la tête il y a quelques jours. Est-ce que vous comprenez cette tension ? Je rappelle que cette usine, parmi tant d'autres, va fermer avec 283 emplois supprimés.
Bien sûr, mais chez Molex comme dans les autres entreprises, nous comprenons très bien et nous soutenons les salariés dans ces entreprises. Ils sont à bout. Prenez le cas de Molex ; cela fait des mois que ça dure, avec des imbroglios juridiques : l'entreprise qui ferme, la justice qui demande de rouvrir, ça ne rouvre pas... Au départ, je rappelle que c'est un pillage de technologie en plus. Une entreprise qui était...
Un équipementier automobile...
... un équipementier de bonne technologie, rachetée par l'entreprise qui a piqué la technologie. Maintenant, résultat : elle veut fermer la boîte. Donc, c'est compréhensible ces tensions. C'était vrai chez Molex, ça a été vrai chez New Fabris, ça a été vrai chez Delphi, ça a été vrai dans un tas d'entreprises...
Justement, jusqu'où faut-il aller ? Chez New Fabris, dont vous rappelez l'exemple, les salariés, on le rappelle, avaient menacé de faire sauter l'entreprise avec des bonbonnes de gaz. Est-ce qu'il faut aller jusqu'à des méthodes aussi radicales, selon vous ?
Ce n'est pas nous qui leur disons "il faut faire ceci ou cela". Mais il faut bien comprendre que ces salariés sont dans une situation désespérée. On leur annonce brutalement que leur entreprise va fermer, qu'ils subissent de plein fouet la crise, ils n'ont pas d'espoir bien souvent pour dire : "on va nous trouver du boulot dans six mois, dans un an ; on n'y croit pas, on voit le chômage qui augmente, on nous met des indemnités qui sont lamentables". Donc, ils font pression y compris en utilisant la médiatisation : quand on parle de leur dossier. Il faut bien comprendre que tous les dossiers qu'on a évoqués, pour la plupart d'entre eux, pas tous mais pour la plupart d'entre eux, à chaque fois, ça a contribué à améliorer aussi à du reclassement, ou les indemnités. Donc, c'est un outil qui est utilisé. Mais c'est une forme de pression...
Une certaine forme de violence est donc utile, selon vous, pour aboutir à des résultats ?
"Violence !" Je n'aime pas le terme, c'est de la pression. Quand vous entendez aujourd'hui les banques qui s'accordent des bonus, où elle est la violence ? Attendez ! C'est de la provocation d'une certaine manière. Je crois qu'il y a des gens qui n'ont pas compris dans quel système... ou ont trop bien compris le système dans lequel on est, qui ne veulent surtout pas en changer. Ces salariés - les salariés des banques d'ailleurs sont aussi exaspérés - ces salariés d'entreprises qui ferment sont exaspérés, il faut les comprendre.
Est-ce que vous ne voyez pas, malgré cette multiplication des plans sociaux, comme certains économistes, des signaux timides d'une reprise ? Par exemple, la hausse des immatriculations de voitures, la hausse des ventes en grandes surfaces... Est-ce qu'on est sorti du plus dur de la crise économique ?
Je n'en sais rien, franchement je n'en sais rien. On s'accroche, les uns et les autres s'accrochent à des petits indicateurs. Oui, la production industrielle a augmenté un peu, mais on nous dit : mais c'est surtout fait de l'automobile, c'est la prime à la casse, qu'on disait ; oui, dans les grandes surfaces, ça s'est amélioré un peu, mais dans le hard discount, ça a baissé. Donc, personne n'en sait vraiment rien, finalement.
Le chômage avait légèrement baissé en juin. Quel est votre...
Un mois ! Je ne vois pas d'amélioration. Personne ne le dit d'ailleurs, y compris le Gouvernement ne s'attend pas à une amélioration sur le problème du chômage et de l'emploi dans les mois à venir. Moi, j'avais dit "au moins 800.000 chômeurs de plus cette année"...
Vous confirmez cette prévision ?
Oui, bien sûr, cette prévision, bien entendu. Il y a une dégradation qui est continue. Et j'ajoute qu'on n'a rien changé au fond depuis le début de la crise. On fait de beaux discours sur "il faut moraliser le capitalisme", comme si c'était un problème de morale. Les banquiers font de super bonus. On leur dit :"ce n'est pas bien, il ne faut pas faire ça"...
Le Gouvernement les a rappelés à l'ordre la semaine dernière...
Mais c'est de la Com'...
Effectivement, BNP-Paribas, pour citer cette banque, a accordé 1 milliard d'euros de bonus à ses équipes. Vous trouvez que la leçon en quelque sorte n'a pas servi ?
Non, parce que c'est des déclarations de bonne intention, mais il n'y a pas de contraintes, en France comme ailleurs. Vous savez, aux Etats-Unis, les plus grandes banques qui ont fait 88 milliards de pertes distribuent 33 milliards de bonus. BNP en distribue... Natixis distribue des bonus. Moins en proportion pour BNP. Ce sont des entreprises qui ont eu recours aux fonds de l'Etat, qui ont eu des difficultés, et qui continuent dans la même logique qu'avant, sous prétexte que si on ne le fait pas, nos meilleurs vont partir pour l'étranger. C'est bien un problème international, c'est vrai, mais qu'on prenne les contraintes. On n'a rien changé au fond depuis que cette crise est survenue. Cela veut dire que la sortie de crise risque d'être encore pire, et que le système sera encore pire après.
A la rentrée, vous vous attendez à d'autres actions radicales, à d'autres conflits sociaux, à d'autres fermetures d'entreprises ?
Malheureusement, oui, il y aura d'autres plans sociaux, vraisemblablement, on le sait bien qu'il y aura des difficultés, même ceux qui disent que ça reprend disent mais pas sur l'emploi et pas sur le chômage, ça va encore durer un bout de temps. Donc, il y aura encore des tensions, et nous soutiendrons. Je vais tourner dans pas mal d'entreprises dès le début du mois de septembre ; d'abord, dans les Ardennes, ensuite dans l'Aisne, dans différents départements...
Et qu'est-ce que vous dites alors aux salariés ?
Quand il y a des difficultés, je comprends très bien les salariés. Je serais délégué syndical FO dans une entreprise confrontée à cette situation, je ne serais pas le dernier, si nécessaire par exemple, à retenir le patron dans son bureau s'il ne veut pas négocier ! Il faut bien comprendre que ce type de situation c'est compréhensible. Si on veut éviter ce type de situations, il faut aussi prendre des mesures, y compris en termes de soutien de politique économique, ce que nous avons réclamé depuis des mois et qui n'a pas été fait. Il faut bien prendre des mesures pour que cette situation change, si ça ne change pas il n'y a aucune raison que les salariés se calment, attendent, soient satisfaits d'être au chômage, soient satisfaits ensuite d'être au RMI. Il faut bien comprendre que c'est inacceptable !
Autre dossier chaud de l'été : le travail dominical. Finalement, le Gouvernement a obtenu ce qu'il souhaitait : la loi a été votée, la nouvelle législation donc permet dans certaines régions à certaines conditions aux entreprises de faire travailler leurs salariés le dimanche. Comment réagissez-vous ?
Très mal, parce que je considère que le Gouvernement a fait là de l'idéologie. Personne ne peut croire un seul instant que ça va créer de l'emploi, c'est se moquer du monde que de parler de "créations d'emplois" avec ce dossier.
C'est la nouvelle législation, qu'allez-vous faire ?
Oui, c'est la nouvelle législation, on va continuer entreprise par entreprise, mais nous allons aussi faire des observations au Bureau International du Travail. Certes, le Conseil Constitutionnel dit que c'est conforme à la loi, mais le Conseil Constitutionnel c'est pour la France, il y a des règles internationales également en matière d'égalité. Donc nous allons porter le problème par des observations au BIT.
Mais qu'est-ce que ça peut changer concrètement ?
Ça peut changer que si nous obtenons satisfaction, s'il y a des observations du BIT au gouvernement français en disant : "telles ou telles dispositions ne sont pas conformes", le gouvernement français sera bien obligé d'en tenir compte.
Est-ce que néanmoins vous ne pensez pas que le Gouvernement - N. Sarkozy - a les coudées plus franches lorsque ses représentants, par exemple, aux élections européennes ont gagné, ont montré qu'ils avaient l'adhésion des Français ? Est-ce que finalement, un projet comme le travail du dimanche n'a pas reçu l'assentiment des Français ?
Je ne crois pas que ce projet...
Celui-là comme un autre ?
Je crois que le président de la République depuis le début fait une erreur, il pense que les Français qui ont voté pour lui ont appris son programme par coeur, de A à Z et qu'il allait tout appliquer. Alors, s'il applique tout, il faudrait d'abord qu'il applique le pouvoir d'achat, il faudrait d'abord qu'il améliore l'emploi. Certes, il y a la crise, mais ce qui est pris comme mesures n'y contribue pas.
Il dit qu'il a été élu sur un programme et qu'il l'applique.
Oui, mais pour le pouvoir d'achat il ne l'applique pas ! Je suis désolé, il n'y a pas d'augmentation du pouvoir d'achat, même avec la crise il n'y a pas d'augmentation du pouvoir d'achat. Donc, c'est pour cela que je dis que c'est une démarche idéologique : "ça avait été annoncé, donc on a dit, on va le faire ; et puis on va montrer qu'on peut le faire, et on va imposer ça". Je ne pense pas que démocratiquement ce soit une bonne chose, je pense que c'est une erreur politique, une erreur économique et une erreur sociale. Ca fait quand même beaucoup pour un seul dossier.
Vous souhaitez que les syndicats marquent le coup à la rentrée ?
Nous allons voir, nous allons réunir les instances de FO au tout début septembre, faire le point de la situation. Pour le moment rien n'est prévu.
Vous aviez parlé...
J'avais indiqué effectivement...
...éventuellement de la possibilité d'une grève à la rentrée.
... Non, mais attendez, si les autres syndicats sont d'accord pour un mouvement qui soit un mouvement plus fort, on est prêt à en discuter. Ce que j'ai dit avant l'été, ça n'a pas changé, on ne va pas faire des manifs tous les mois, on a vu ce que ça donnait. Alors, ou on fait quelque chose qui est plus fort, ou on... En tout état de cause, ce qui est sûr c'est qu'on va soutenir systématiquement tous les conflits qui auront lieu dans les entreprises où les syndicats FO sont impliqués.
Vous allez voir les autres dirigeants syndicaux dans les prochains jours ?
Ce n'est pas prévu dans l'immédiat, il n'y a pas de rencontre de prévue dans l'immédiat.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 août 2009