Texte intégral
Je voudrais, tout d'abord, vous remercier très sincèrement de votre invitation.
On me dit qu'il n'est pas d'usage qu'un ministre du Travail intervienne dans le cadre de l'université d'été d'une organisation syndicale et que ma présence parmi vous ce matin constitue un exemple sans précédent.
Mais il est des usages qui sont faits pour être changés. Lorsque des partenaires sociaux responsables débattent de questions qui concernent le quotidien et l'avenir de millions de nos concitoyens, la responsabilité du ministre du Travail et des Relations sociales est évidemment d'être parmi eux.
Je crois à l'échange. Je crois au dialogue social. Et c'est pourquoi j'ai souhaité être présent ce matin parmi vous, comme je le serai chaque fois qu'une organisation syndicale représentative souhaitera me convier à un échange ouvert et constructif.
Il en faudra beaucoup plus, je le sais, pour que nous dépassions les différences d'approche qui existent entre nous - vous avez d'ailleurs cité quelques unes d'entre elles. Mais je suis convaincu depuis bien longtemps qu'une société qui veut aller vers le progrès doit d'abord s'attacher à rechercher le consensus le plus large.
Pendant des décennies, notre société a choisi de faire reposer sur le travail la plupart de ses mécanismes d'intégration, de promotion et de protection sociale. Ce choix était juste socialement. Il était efficace économiquement. Et il faisait l'objet d'un très large consensus politique.
Avec la fin du plein emploi, ce choix a commencé à être discuté. Le consensus qui existait autour du travail s'est progressivement rompu.
Peu à peu est apparue l'idée que pour être plus heureuse, notre société devait travailler moins et qu'il lui fallait faire appel à d'autres mécanismes de protection sociale que ceux liés au travail. Au lieu de nous rendre plus forts, cette idée nous a divisés et elle nous a affaiblis.
Notre première responsabilité face à la crise économique et sociale que traverse notre pays, c'est non seulement de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour préserver l'emploi mais aussi, plus largement, de réhabiliter le travail comme facteur de cohésion et de progrès social.
1. Réhabiliter le travail, c'est d'abord donner aux salariés toute leur place dans l'organisation de notre modèle économique et social afin qu'il progresse non seulement par eux, mais aussi pour eux. Cette préoccupation, me semble-t-il, est au coeur des deux thèmes que vous avez retenus pour vos journées de travail, et notamment du thème de la gouvernance des entreprises auquel se rattache la question du partage de la valeur.
Vous avez rappelé l'engagement du Président de la République, pris il y a deux ans, à conditionner les allègements de cotisations patronales aux négociations salariales. Cet engagement a bel et bien été tenu puisque la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail a instauré deux mesures de conditionnalité.
La première, qui se situe au niveau de l'entreprise, est en vigueur depuis le 1er janvier dernier et elle subordonne, comme vous le savez, le bénéfice des allègements au respect de l'obligation annuelle de négocier sur les salaires. Quant à la seconde, dont le principe est posé et qui sera mis en oeuvre d'ici fin 2010, elle organise la modulation à la baisse des allègements dans les branches qui auront laissé subsister trop longtemps leurs grilles salariales en dessous du SMIC.
Il s'agit de mesures structurelles qui visent à redynamiser la négociation salariale et à soutenir le dialogue social. Elles feront l'objet d'une évaluation concertée avec les partenaires sociaux.
Certains auraient préféré des mesures plus radicales : le Gouvernement et le Parlement ont fait le choix d'un dispositif équilibré, et c'est une bonne chose dans le contexte de crise actuelle, où la première préoccupation est celle de l'activité et de l'emploi.
Mes collègues de Bercy et moi-même avons d'ailleurs chargé un inspecteur général des Finances, M. Jean-Luc Tavernier, de procéder à un examen approfondi des allégements accordés aux entreprises, en lui demandant d'associer les partenaires sociaux aux principales étapes de sa réflexion, afin de dresser un état des lieux partagé et d'échanger sur les recommandations qu'il sera en mesure de proposer.
Là où nous devons aller plus loin, c'est dans la question du partage de la valeur ajoutée, qui ne doit pas être abordée sous l'angle de la seule efficacité économique, mais aussi dans la perspective d'une véritable moralisation de notre système capitaliste.
Je souhaite notamment en finir avec certaines pratiques exorbitantes, telles que celles des retraites chapeaux. Je ne conteste pas le droit des dirigeants d'entreprise à assurer leur retraite dans des conditions convenables, mais je crois qu'il est plus juste d'envisager à présent une forme de convergence entre le niveau des prélèvements obligatoires applicables à ces régimes et celui des autres régimes supplémentaires de retraite.
2. Réhabiliter le travail, c'est aussi prendre en compte ces préoccupations qui sont au coeur de la vie des entreprises et qui font le quotidien de vos délégués du personnel comme des agents de mon ministère. Je pense, par exemple, aux inégalités persistantes qui subsistent entre les carrières des hommes et celles des femmes.
A fonction équivalente, les femmes perçoivent une rémunération inférieure de 19% à celle des hommes occupant des fonctions équivalentes et le rapport que m'a récemment remis Brigitte Grésy montre que ces inégalités ne tiennent pas uniquement aux différences de salaire, mais aussi à l'existence d'un véritable plafond de verre qui empêche les femmes d'accéder aux postes à responsabilité dans l'entreprise. C'est une question sur laquelle je souhaite avancer dans le cadre de la concertation prévue à l'automne par l'agenda 2009.
Et parce que travailler doit mieux protéger, je souhaite que nous nous définissions les contours d'une politique ambitieuse de santé au travail dans le cadre de la préparation du second plan Santé au travail. C'est un sujet qui me tient particulièrement à coeur, et sur lequel je souhaite également avancer avec les partenaires sociaux d'ici la fin de cette année.
3. Réhabiliter le travail, enfin, c'est garantir aux salariés l'effectivité des droits pour lesquels ils cotisent ou ont cotisé tout au long de leur carrière. Le Président l'a dit, nous serons au rendez-vous de la réforme des retraites en 2010. Ce rendez-vous, c'est les partenaires sociaux eux-mêmes qui en ont repris l'idée dans le cadre de l'accord conclu le 23 mars dernier sur les retraites complémentaires. A ce stade, le gouvernement n'a aucune position arrêtée sur la forme que devra prendre la future réforme des retraites. Nous aurons d'abord une phase de concertation avec les partenaires sociaux au cours de laquelle tout devra être mis sur la table, et nous bénéficierons du rapport que remettra début 2010 le Conseil d'orientation des retraites. Mais le Président de la République l'a dit clairement, à la mi-2010, chacun devra prendre ses responsabilités et nous prendrons les nôtres.
Vous avez cité, monsieur le Président, la question particulière du droit à la retraite des mères de famille. Sur ce sujet, qui suscite beaucoup de commentaires, je veux prendre aussi mes responsabilités afin que nous sortions de la situation d'insécurité juridique qui menace aujourd'hui les droits à retraite des mères de famille.
Soyons clairs : ce qui est en cause, aujourd'hui, ce n'est pas le droit des mères de famille à bénéficier d'une compensation au moment de leur départ à la retraite. Les femmes s'impliquent davantage que les hommes dans l'éducation de leurs enfants, ce qui mérite d'être compensé. Le défi que nous devons relever, c'est de parvenir à sécuriser cette compensation sans qu'elle soit contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui autorise désormais les hommes à en bénéficier, et sans mettre en péril l'équilibre financier de nos régimes de retraite. Or la situation actuelle n'est pas tenable.
Si nous ne faisons rien, nous actons la disparition pure et simple des droits spécifiques des mères de famille. Ce sera l'objet des rencontres bilatérales que je tiendrai, à partir de demain, avec l'ensemble des acteurs concernés. Une chose est certaine : je n'accepterai pas que les mères de familles soient lésées au moment de leur départ en retraite, car je crois profondément à la justice de ce dispositif qui reconnaît l'engagement que représente, dans une vie, le fait d'élever un enfant.
Entendre les attentes des salariés, faire progresser leurs droits et leur donner toutes les raisons d'espérer dans l'avenir, ce n'est pas seulement la responsabilité du ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville.
C'est aussi le rôle indispensable dévolu aux partenaires sociaux dans le cadre d'un dialogue social structuré, ouvert, exigeant - un dialogue social durable, en somme.
Mais dans une société où le rapport au travail et les rapports sociaux sont devenus de plus en plus complexes, ce dialogue doit s'appuyer sur des interlocuteurs solides, dont la légitimité ne saurait en aucun cas être remise en cause. C'est tout l'objet de la réforme des règles de représentativité prévue par la loi du 20 août 2008.
Je sais qu'il s'agit d'une question sensible pour votre confédération, mais je veux l'aborder avec vous sans faux semblant.
Je ne partage pas le point de vue du Président Jacques Voisin lorsqu'il affirme que les actions radicales auxquelles nous avons assisté au cours des derniers mois sont un effet direct de la loi du 20 août 2008. Ces actions ont assez peu à voir, en effet, avec la réalité du dialogue social dans notre pays ni avec le formidable esprit de responsabilité qu'ont montré, partout en France, les organisations syndicales d'entreprise qui ont fait le pari de mener le dialogue social jusqu'à son terme.
Lorsque des entreprises comme Schneider Electric ou ST Micro Electronics ont mis en place des plans de départ volontaires, c'est après en avoir très largement discuté les modalités avec les organisations syndicales.
Ce qui est sûr en revanche, c'est qu'il est de l'intérêt des organisations syndicales elles-mêmes de pouvoir agir sans que leur légitimité soit remise en cause. C'est la raison pour laquelle le critère de l'audience sera pris en compte dans la détermination de la représentativité des organisations syndicales. Le Haut conseil du dialogue social, mis en place au mois de mars dernier, va désormais suivre étroitement le processus de compilation des résultats électoraux.
Je compte aussi beaucoup sur les partenaires sociaux pour mettre en place par la négociation un système de mesure de la représentativité des syndicats pour les salariés employés dans les entreprises de moins de 11 salariés, qui représentent 22% des salariés du secteur privé. Encore une fois, je connais vos réticences à ces évolutions. Mais je fais aussi confiance à la capacité d'un syndicat réformiste tel que le vôtre pour se projeter dans la nouvelle donne posée par la loi du 20 août 2008.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Si nous sommes autant attachés au dialogue social, c'est parce qu'au-delà des analyses et des points de vue qu'il nous permet d'échanger, il véhicule la voix des millions de salariés qui attendent beaucoup des échanges que nous aurons au cours des prochains mois. Garantir et renforcer leurs droits, préparer leur avenir, relayer leurs attentes tout en consolidant notre modèle social fondé sur la reconnaissance du travail, tels sont les défis qu'ils nous lancent et que nous devons relever tous ensemble
source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 28 août 2009