Texte intégral
Q - A cette période où les élections ne sont pas encore décidées, nous avons également un problème entre M. Holbrooke et M. Karzaï. Quelle est la position de la France par rapport à la corruption ? Comment considérez-vous actuellement les efforts du gouvernement afghan contre la corruption, qui est un dossier extrêmement difficile depuis longtemps ?
R - Je ne vais pas vous faire des révélations sur la corruption des uns et des autres en Afghanistan, j'attends le résultat des élections. En Afghanistan se joue une part du destin du monde. Les démocraties sont-elles oui ou non capables de résister au terrorisme, sont-elles capables de résister à des gens qui sont les ennemis de la démocratie ?
Nous souhaitons que les Afghans soient capables au plus vite de résister par eux-mêmes. Je connais bien les Afghans, j'ai été sept ans en Afghanistan, notamment dans des hôpitaux souterrains au moment de la guerre contre les Russes. Il est vrai que le fonctionnement clanique contribue à la corruption : ils le savent et nous le savons. Le problème n'est pas là. Il ne faut pas croire que nous pourrons nous en aller dès qu'une démocratie à l'occidentale sera établie. Personne ne croit à cela. Mais la sécurisation est nécessaire pour que les Afghans, à leur manière, et d'une façon de plus en plus similaire aux fonctionnements démocratiques que nous connaissons, puissent prendre leur pays en charge, mettre en place des projets notamment dans le domaine de la santé, comme nous l'avons proposé, comme Pierre Lellouche l'a fait. Nous avons proposé que les projets soient initiés et dirigés par les Afghans, voilà l'enjeu.
Vous ne pouvez pas me faire parler des élections avant que les résultats ne soient connus. Il semblerait, d'après toutes les informations, celles que vous avez, celles que j'ai, qu'un deuxième tour soit nécessaire. Il semblerait que le président Karzaï soit en tête, mais ce n'est peut-être pas vrai. Nous allons voir. Je fais confiance - c'est l'un des signes de la démocratie en mouvement - à la commission électorale indépendante. Certes, elle a été longue à se mettre en route, certes le gouvernement de M. Karzaï ne leur a pas fait la partie belle, cela a été extrêmement pénible, mais elle est là et prend son devoir au sérieux.
Il y a en outre des observateurs, qui sont plus de 7.000, dont 400 venus d'Europe, sous la direction du général Morillon qui connaît, lui aussi, très bien l'Afghanistan. Il sait très bien que l'on ne peut pas demander exactement des élections à l'occidentale, du moins pas encore. Je pense qu'il faut nous obstiner à présenter ce que j'ai appelé l'"afghanisation". Nous verrons bien quel gouvernement sortira de ces élections.
M. Holbrooke dans cette affaire sera reçu comme un ami, parce que cela fait 25 ans que je travaille avec lui, depuis le Vietnam, la mer de Chine et les Balkans. J'ai apprécié ses qualités, notamment son obstination. S'il y a quelque chose qui n'a pas varié entre nous, c'est notre amitié.
Q - (A propos de la prochaine réunion des émissaires)
R - C'est un autre sujet. Il y aura une journée et un dîner de travail avec les 28 représentants.
Q - S'agit-il d'unifier la position de la communauté internationale avec cette réunion des émissaires ?
R - Qu'est-ce que c'est la position d'unité ? Si c'est la stratégie, c'est une chose. Si c'est la position, je crois que ce qu'a dit la France et ce qu'elle a fait dire à la Conférence de Paris a été accepté par tout le monde. Ce n'était pas vrai avant que le président Obama n'entre en fonctions.
Désormais, personne ne doute des analyses de la France qui consistent à dire que c'est la population civile qui tranchera, que c'est elle qu'il faut aider car c'est elle qui décide - et en particulier les femmes. Je compte sur elles. Je pense que tout le monde partage ces analyses. Il y a des personnes - pas forcément aux Etats-Unis, pas forcément des militaires, mais par exemple dans les pays du Golfe - qui considèrent que l'on n'y arrivera jamais en raison de l'aspect clanique, parce qu'il s'agit d'une guerre pachtoune et que les Pachtounes, nous le savons, se réfugient de l'autre côté de la frontière. Il n'existe pas d'autre solution que de sécuriser suffisamment certaines régions, comme la France le fait dans les vallées dont elle a la responsabilité, et de proposer des projets comme l'a fait Pierre Lellouche sur des projets agricoles. Un paysan afghan dans ces vallées, en touchant 50 dollars, peut faire vivre sa famille pendant un mois. L'Afghanistan est l'un des pays les plus pauvres du monde. C'est cela qu'il faut prendre en compte. Par ailleurs, les terrains sont rocailleux dans ces vallées et il est difficile de les exploiter. C'est la réalité. Je crois que les Afghans, en choisissant leurs dirigeants - on va voir les résultats des élections -, luttent eux-mêmes contre la corruption. Ce n'est pas facile, je suis d'accord.
Q - Concernant le Liban, il y a eu des élections législatives et la France s'est félicitée qu'elles se soient déroulées dans de bonnes conditions. Vous-même avez été au Liban. Mais hélas, depuis deux mois M. Hariri est chargé de former un gouvernement et il n'y a pas de gouvernement.
R - Vous vous attendiez à ce qu'il y en ait déjà un ? J'avais précisé que cela pourrait prendre du temps.
Q - Faudrait-il s'attendre à un Doha II, un Saint-Cloud II ? Quelle est votre analyse ? Pourquoi les Libanais, M. Hariri n'arrivent-ils pas à former un gouvernement ? Est-ce que ce sont des facteurs internes ou y a-t-il toujours des interférences régionales ou plus lointaines ?
R - Bien sûr qu'il y a des facteurs régionaux extérieurs, mais honnêtement moins qu'avant. Je pense en particulier aux proches voisins, c'est-à-dire à la Syrie. Je suis allé moi-même demander au président Bachar El Assad s'il voulait qu'il y ait une minorité de blocage et que, ce faisant, il soutenait le Hezbollah. Il m'a redit trois fois "non". Je pense qu'ils ne l'ont pas fait. C'est un progrès. Nous avons renoué des relations avec la Syrie. Cela a été vivement critiqué au début. Désormais tout le monde l'accepte, y compris les Américains. Les choses évoluent, il y a moins d'influence extérieure, en même temps, je sais que la position du général Aoun n'était pas simple à soutenir. Il y a encore une tentative pour que, d'une manière ou d'une autre, en nommant des ministres dont certains dépendraient de la majorité, de l'opposition, du 14, du 8 mars, et certains du président, les influences se fassent jour et qu'on fasse avancer ce pays.
Moi, j'espère. Je ne m'étonne pas comme vous. Cela ne pouvait pas prendre quelques jours, cela ne prendra pas quelques semaines, cela prendra peut-être quelques mois, c'est aux Libanais d'en décider.
Q - (A propos de la situation au Moyen-Orient)
R - Je n'exclus en rien que se poursuive une influence néfaste et je n'exclus pas du tout que des armes viennent renforcer l'extraordinaire arsenal, qui comporte probablement une quinzaine de milliers de roquettes, du Hezbollah. Je ne l'exclus pas du tout mais je souhaite que cela ne soit pas le cas.
Il est évident que, dans le grand mouvement diplomatique et politique actuel, cette manière de l'Iran de continuer à aider les groupes extrémistes sera un problème. D'autres choses sont plus importantes, comme la réélection de M. Mahmoud Abbas. Une nouvelle génération vient dans le Fatah. C'est très important. Je vous en dirai plus lors de la conférence de presse que je tiendrai avec Mahmoud Abbas lors de sa visite la semaine prochaine à Paris. Je sais que la Syrie bouge.
Q - Quelles sont les dernières nouvelles de Clotilde Reiss et quel est le rôle que la Syrie joue dans cette affaire ?
R - La Syrie a été sollicit??e pour jouer un rôle. Elle l'a fait au même titre que nos amis turcs, grecs ou suédois. Clotilde Reiss n'a pas été seulement une prisonnière française, elle a été une prisonnière européenne. Dans tous les reproches que l'on adresse à l'Europe, beaucoup pensent que tout va mal, que la bureaucratie est très éloignée de la réalité. Mais dans un cas comme celui-ci, savez-vous qu'à chaque fois que nous avons sollicité nos amis suédois, ils ont réagi ? Nous avons convoqué ensemble les ambassadeurs d'Iran, nous avons produit des déclarations communes. Carl Bildt a dit : "Ne pensez pas à la Française, cette personne est européenne."
Q - Cette libération pourrait être plus compliquée que prévu ?
R - Je n'ai jamais dit que cela serait simple. Ce n'est pas simple non plus pour Mme Afshar, elle travaille à l'ambassade et elle est française. Cela pourrait encore durer quelques semaines, je le crois, je n'ai pas de certitude. Nous devons nous en remettre à une décision de justice qui interviendra dans les jours ou les semaines qui viennent pour qu'un jugement définitif soit porté. Je sais que les accusations portées contre elle, et qui ne sont pas les accusations formulées par l'ambassadeur d'Iran en France, étaient "incitation au désordre de l'ordre public", c'est-à-dire le moins grave des quatre chefs d'accusation évoqués au départ. On peut y voir un bon signe, je me garderai bien de vous donner des dates. Je souhaite que Clotilde Reiss, qui n'est pas une espionne, simplement une jeune femme de vingt-trois ans qui a assisté quelques heures à des manifestations qui ont rassemblé des millions d'Iraniens, soit libre aussi vite que possible.
Q - Continuez-vous à parler avec les Syriens sur la question de Clotilde Reiss et Mme Afshar ?
R - Bien sûr. Nous avons donné notre sentiment et nous demandons aux Iraniens que la justice soit rendue. Pour une femme innocente, la justice c'est la liberté.
Q - Est-ce que vous allez demander un renforcement des sanctions ?
R - Bien sûr que cela sera fait. Tout cela n'est pas nouveau. Il y a six mois que nous avons appelé à un renforcement des sanctions. Il y a eu même une résolution du Conseil de sécurité pour dire que les Six continuaient de travailler ensemble. Nous avons toujours dit, et très clairement, qu'il y aura à tout le moins des sanctions européennes. A un moment donné, ce sont quand même les sanctions qui sont utiles et cela sans vouloir pénaliser le peuple iranien. Bien sûr qu'il y aura des propositions pour que les choses aillent dans le bon sens, c'est-à-dire pas de nucléaire militaire en Iran.
Q - Est-ce que cette demande de sanctions ne va pas compliquer le dossier de Clotilde Reiss ?
R - Cela n'a rien à voir. Permettez-moi de séparer complètement les dossiers. Clotilde Reiss n'a rien à voir avec le nucléaire.
Je sépare ces deux dossiers et dans le raisonnement de la justice iranienne, ils sont aussi séparés. Franchement, le dossier nucléaire dans nos échanges n'a pas fait l'objet d'un chantage.
Q - Avez-vous des indications sur le rapport que devait publier l'AIEA à Vienne ? D'autre part, on sent qu'il est difficile de prévoir des sanctions au niveau international, la Russie et la Chine semblent souvent réticentes. Est-ce que le plus probable sont les sanctions européennes ?
R - Il y a deux ou trois choses à dire. Evidemment pour établir des sanctions, il faut que la position de la Russie, qui n'est pas la plus intransigeante et la position de la Chine changent et évoluent. Mais nous l'avons fait, trois fois déjà, la troisième série de sanctions au Conseil de sécurité ayant été obtenue avec l'assentiment de nos partenaires, les Six, alors que cela n'était pas attendu. C'est cela la politique, c'est une prise de risque permanente, c'est cela qui est intéressant d'ailleurs. Nous allons essayer de les convaincre. Je vois évoluer la position de la Russie sur ce dossier.
La Russie n'est pas très loin de l'Iran. Les Russes n'ont pas intérêt à se voiler la face et ils ne le font pas. On verra bien. Je pense que les sanctions seront acceptées. Si elles ne sont pas acceptées, alors, deuxième partie de votre question, et nous y travaillons depuis longtemps, il y aura des sanctions individuelles, plus fortes, plus contraignantes, venues de l'Europe. Mais troisième partie, il faudrait aussi que tous nos partenaires appliquent les sanctions. Nous la France, nous avons appliqué les sanctions.
Q - (Au sujet de la situation en Irak)
R - J'ai bien noté les réactions et après la visite de M. Maliki, j'ai bien vu que sa position qui tentait de se séparer des alliances irakiennes habituelles et de "ruer un peu dans les brancards" ou "d'ouvrir la fenêtre", n'était pas facile. De là à accuser les baasistes comme cela a été fait d'être responsables de ces attentats particulièrement spectaculaires, c'est difficile et je ne franchirai pas ce pas. Je sais qu'il y a de moins en moins d'attentats en nombre de victimes chaque mois, en Irak et qu'il y a des gens qui prennent leur responsabilité. Je ne veux pas les juger, je ne veux pas distribuer les bons points et les mauvais points. Il reste des problèmes entre les différentes communautés, il n'y a aucun doute.
La position française sur l'Iran a été précisée plusieurs fois par le président de la République et par moi-même. On l'avait dit depuis la dernière résolution du Conseil de sécurité qui ne prévoyait pas forcément des sanctions mais qui prévoyait que les Six continuent à travailler. D'abord la position américaine a changé. Je ne pense pas qu'il continue de croire que leur main tendue n'a pas été saisie. La discussion entre les Américains et les Iraniens n'est peut-être pas pour demain et je pense qu'il y a eu un peu de désillusion, mais la position de certains dirigeants hauts placés iraniens, la position d'importants dirigeants religieux sont en train d'évoluer aussi. Je crois par conséquent que ce mouvement est très important et qu'il se traduira un jour dans la façon de diriger.
Q - Hier lors de l'ouverture de la conférence, le ministre brésilien des Affaires étrangères a longuement parlé de gouvernance mondiale. A l'approche d'échéances comme la prochaine conférence de Stockholm ou la prochaine réunion du G20, quelle est la position française sur ce sujet ? Est-ce qu'il y a une grande ouverture ? Vous situez-vous plutôt du côté des pays émergents (BRIC) ou penchez-vous plutôt vers une solidarité atlantique ?
R - Depuis deux ans et demi nous disons la même chose. Avec les Brésiliens nous nous entendons parfaitement. Certes pas sur tous les sujets, le BRIC a reçu M. Ahmadinejad par exemple. Les rapports entre le président Lula et le président Ahmadinejad sont bons. Mais en dehors de cette position brésilienne que je comprends très bien, la politique internationale et l'attitude vis-à-vis des organisations internationales sont les mêmes. Nous sommes d'accord. C'est pour cela que Celso Amorim a dit très justement que nous travaillons sur la même ligne. La position brésilienne à la conférence d'Aquila a été la même. Le président Lula a dit très clairement que les positions à Londres sur le G20 seraient des positions identiques à celle de la France. Avec Celso Amorim, je travaille sur un document sur le changement de la gouvernance mondiale.
Il faut, par exemple, une représentation renforcée de l'Afrique. C'est à l'Afrique de choisir quelle sera sa représentation au Conseil de sécurité. Au prochain G14, il doit y avoir l'Inde, la Chine, le Brésil, l'Afrique du Sud, peut-être le Nigeria. Nous verrons également pour la réforme des Nations unies. Nos positions sont très proches.
Q - Est-ce que le renouvellement de la FINUL sans modification des termes du mandat est un signal de la communauté internationale de soutien au Liban ?
R - Bien sûr, c'est une opération maintenue pour la paix. Avant, les Israéliens n'étaient pas d'accord. Ils se sont aperçus que le système fonctionne. Si le Liban est d'accord et si les Israéliens considèrent que cela fonctionne, le maintien de la FINUL est nécessaire ! Il y a eu un incident qu'il faut relever. Mais le rôle de la FINUL a été tenu.
Q - Une table ronde s'est tenue sur l'impact de la crise mondiale et l'Afrique. Y a-t-il eu des recommandations particulières ? D'autre part, quelle sera la position de la France à propos de la Somalie ?
R - Il y a une préoccupation que j'ai tenté de souligner tout à l'heure. La France pense que, si les pays en développement ne sont pas associés à la résolution de la crise, nous aurons échoué. Il ne peut plus être question de profit pour le profit, il faut une garantie de la régulation, des agences de notation. Il faut une participation des pays qui sont loin de nous, qui sont en voie de développement, et il leur importe d'en sortir. N'oublions pas qu'au moment où l'on parle de la crise économique, un milliard de personnes ne mangent pas à leur faim sur terre. Il faut le prendre en compte. Nous avons voulu que l'Union africaine soit présente au G20 à Londres. C'est la France qui l'a demandé.
S'agissant de la Somalie, nous avons salué et soutenu les efforts de Djibouti pour arriver à un gouvernement acceptable par les représentants de tous les groupes rebelles. Cela été accepté et voté, et M. Cheik Chérif a pu rentrer à Mogadiscio. Nous avons demandé à nos partenaires américains et à l'ONU de faire en sorte que soient formées la police et l'armée somaliennes qui pourront servir M. Cheik Chérif, qui était accepté par tout le monde. Je suis allé le voir. On a passé un vrai marché. Ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères sont venus en France. Le ministre de la Défense, M. Gandhi - ce qui est de bon augure - a été formé en France. Nous avons maintenu nos engagements et nous formons en ce moment même 500 premiers soldats désignés par Cheik Chérif et nous espérons que d'autres pays vont faire de même.
Q - (Concernant la mission des agents français en Somalie)
R - Si on n'envoyait pas des conseillers, comment pourrait-on faire ? Tout cela était absolument officiel.
Q - (A propos de l'agent retenu en otage en Somalie)
R - Je sais qu'il est aux mains d'un groupe rebelle et nous essayons de le faire sortir au plus vite. Les contacts avec ces groupes rebelles ne sont pas faciles. Cet exploit accompli par notre agent a été salué avec surprise mais aussi avec bonheur. Concernant le deuxième agent, il n'y a rien de nouveau.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 septembre 2009
R - Je ne vais pas vous faire des révélations sur la corruption des uns et des autres en Afghanistan, j'attends le résultat des élections. En Afghanistan se joue une part du destin du monde. Les démocraties sont-elles oui ou non capables de résister au terrorisme, sont-elles capables de résister à des gens qui sont les ennemis de la démocratie ?
Nous souhaitons que les Afghans soient capables au plus vite de résister par eux-mêmes. Je connais bien les Afghans, j'ai été sept ans en Afghanistan, notamment dans des hôpitaux souterrains au moment de la guerre contre les Russes. Il est vrai que le fonctionnement clanique contribue à la corruption : ils le savent et nous le savons. Le problème n'est pas là. Il ne faut pas croire que nous pourrons nous en aller dès qu'une démocratie à l'occidentale sera établie. Personne ne croit à cela. Mais la sécurisation est nécessaire pour que les Afghans, à leur manière, et d'une façon de plus en plus similaire aux fonctionnements démocratiques que nous connaissons, puissent prendre leur pays en charge, mettre en place des projets notamment dans le domaine de la santé, comme nous l'avons proposé, comme Pierre Lellouche l'a fait. Nous avons proposé que les projets soient initiés et dirigés par les Afghans, voilà l'enjeu.
Vous ne pouvez pas me faire parler des élections avant que les résultats ne soient connus. Il semblerait, d'après toutes les informations, celles que vous avez, celles que j'ai, qu'un deuxième tour soit nécessaire. Il semblerait que le président Karzaï soit en tête, mais ce n'est peut-être pas vrai. Nous allons voir. Je fais confiance - c'est l'un des signes de la démocratie en mouvement - à la commission électorale indépendante. Certes, elle a été longue à se mettre en route, certes le gouvernement de M. Karzaï ne leur a pas fait la partie belle, cela a été extrêmement pénible, mais elle est là et prend son devoir au sérieux.
Il y a en outre des observateurs, qui sont plus de 7.000, dont 400 venus d'Europe, sous la direction du général Morillon qui connaît, lui aussi, très bien l'Afghanistan. Il sait très bien que l'on ne peut pas demander exactement des élections à l'occidentale, du moins pas encore. Je pense qu'il faut nous obstiner à présenter ce que j'ai appelé l'"afghanisation". Nous verrons bien quel gouvernement sortira de ces élections.
M. Holbrooke dans cette affaire sera reçu comme un ami, parce que cela fait 25 ans que je travaille avec lui, depuis le Vietnam, la mer de Chine et les Balkans. J'ai apprécié ses qualités, notamment son obstination. S'il y a quelque chose qui n'a pas varié entre nous, c'est notre amitié.
Q - (A propos de la prochaine réunion des émissaires)
R - C'est un autre sujet. Il y aura une journée et un dîner de travail avec les 28 représentants.
Q - S'agit-il d'unifier la position de la communauté internationale avec cette réunion des émissaires ?
R - Qu'est-ce que c'est la position d'unité ? Si c'est la stratégie, c'est une chose. Si c'est la position, je crois que ce qu'a dit la France et ce qu'elle a fait dire à la Conférence de Paris a été accepté par tout le monde. Ce n'était pas vrai avant que le président Obama n'entre en fonctions.
Désormais, personne ne doute des analyses de la France qui consistent à dire que c'est la population civile qui tranchera, que c'est elle qu'il faut aider car c'est elle qui décide - et en particulier les femmes. Je compte sur elles. Je pense que tout le monde partage ces analyses. Il y a des personnes - pas forcément aux Etats-Unis, pas forcément des militaires, mais par exemple dans les pays du Golfe - qui considèrent que l'on n'y arrivera jamais en raison de l'aspect clanique, parce qu'il s'agit d'une guerre pachtoune et que les Pachtounes, nous le savons, se réfugient de l'autre côté de la frontière. Il n'existe pas d'autre solution que de sécuriser suffisamment certaines régions, comme la France le fait dans les vallées dont elle a la responsabilité, et de proposer des projets comme l'a fait Pierre Lellouche sur des projets agricoles. Un paysan afghan dans ces vallées, en touchant 50 dollars, peut faire vivre sa famille pendant un mois. L'Afghanistan est l'un des pays les plus pauvres du monde. C'est cela qu'il faut prendre en compte. Par ailleurs, les terrains sont rocailleux dans ces vallées et il est difficile de les exploiter. C'est la réalité. Je crois que les Afghans, en choisissant leurs dirigeants - on va voir les résultats des élections -, luttent eux-mêmes contre la corruption. Ce n'est pas facile, je suis d'accord.
Q - Concernant le Liban, il y a eu des élections législatives et la France s'est félicitée qu'elles se soient déroulées dans de bonnes conditions. Vous-même avez été au Liban. Mais hélas, depuis deux mois M. Hariri est chargé de former un gouvernement et il n'y a pas de gouvernement.
R - Vous vous attendiez à ce qu'il y en ait déjà un ? J'avais précisé que cela pourrait prendre du temps.
Q - Faudrait-il s'attendre à un Doha II, un Saint-Cloud II ? Quelle est votre analyse ? Pourquoi les Libanais, M. Hariri n'arrivent-ils pas à former un gouvernement ? Est-ce que ce sont des facteurs internes ou y a-t-il toujours des interférences régionales ou plus lointaines ?
R - Bien sûr qu'il y a des facteurs régionaux extérieurs, mais honnêtement moins qu'avant. Je pense en particulier aux proches voisins, c'est-à-dire à la Syrie. Je suis allé moi-même demander au président Bachar El Assad s'il voulait qu'il y ait une minorité de blocage et que, ce faisant, il soutenait le Hezbollah. Il m'a redit trois fois "non". Je pense qu'ils ne l'ont pas fait. C'est un progrès. Nous avons renoué des relations avec la Syrie. Cela a été vivement critiqué au début. Désormais tout le monde l'accepte, y compris les Américains. Les choses évoluent, il y a moins d'influence extérieure, en même temps, je sais que la position du général Aoun n'était pas simple à soutenir. Il y a encore une tentative pour que, d'une manière ou d'une autre, en nommant des ministres dont certains dépendraient de la majorité, de l'opposition, du 14, du 8 mars, et certains du président, les influences se fassent jour et qu'on fasse avancer ce pays.
Moi, j'espère. Je ne m'étonne pas comme vous. Cela ne pouvait pas prendre quelques jours, cela ne prendra pas quelques semaines, cela prendra peut-être quelques mois, c'est aux Libanais d'en décider.
Q - (A propos de la situation au Moyen-Orient)
R - Je n'exclus en rien que se poursuive une influence néfaste et je n'exclus pas du tout que des armes viennent renforcer l'extraordinaire arsenal, qui comporte probablement une quinzaine de milliers de roquettes, du Hezbollah. Je ne l'exclus pas du tout mais je souhaite que cela ne soit pas le cas.
Il est évident que, dans le grand mouvement diplomatique et politique actuel, cette manière de l'Iran de continuer à aider les groupes extrémistes sera un problème. D'autres choses sont plus importantes, comme la réélection de M. Mahmoud Abbas. Une nouvelle génération vient dans le Fatah. C'est très important. Je vous en dirai plus lors de la conférence de presse que je tiendrai avec Mahmoud Abbas lors de sa visite la semaine prochaine à Paris. Je sais que la Syrie bouge.
Q - Quelles sont les dernières nouvelles de Clotilde Reiss et quel est le rôle que la Syrie joue dans cette affaire ?
R - La Syrie a été sollicit??e pour jouer un rôle. Elle l'a fait au même titre que nos amis turcs, grecs ou suédois. Clotilde Reiss n'a pas été seulement une prisonnière française, elle a été une prisonnière européenne. Dans tous les reproches que l'on adresse à l'Europe, beaucoup pensent que tout va mal, que la bureaucratie est très éloignée de la réalité. Mais dans un cas comme celui-ci, savez-vous qu'à chaque fois que nous avons sollicité nos amis suédois, ils ont réagi ? Nous avons convoqué ensemble les ambassadeurs d'Iran, nous avons produit des déclarations communes. Carl Bildt a dit : "Ne pensez pas à la Française, cette personne est européenne."
Q - Cette libération pourrait être plus compliquée que prévu ?
R - Je n'ai jamais dit que cela serait simple. Ce n'est pas simple non plus pour Mme Afshar, elle travaille à l'ambassade et elle est française. Cela pourrait encore durer quelques semaines, je le crois, je n'ai pas de certitude. Nous devons nous en remettre à une décision de justice qui interviendra dans les jours ou les semaines qui viennent pour qu'un jugement définitif soit porté. Je sais que les accusations portées contre elle, et qui ne sont pas les accusations formulées par l'ambassadeur d'Iran en France, étaient "incitation au désordre de l'ordre public", c'est-à-dire le moins grave des quatre chefs d'accusation évoqués au départ. On peut y voir un bon signe, je me garderai bien de vous donner des dates. Je souhaite que Clotilde Reiss, qui n'est pas une espionne, simplement une jeune femme de vingt-trois ans qui a assisté quelques heures à des manifestations qui ont rassemblé des millions d'Iraniens, soit libre aussi vite que possible.
Q - Continuez-vous à parler avec les Syriens sur la question de Clotilde Reiss et Mme Afshar ?
R - Bien sûr. Nous avons donné notre sentiment et nous demandons aux Iraniens que la justice soit rendue. Pour une femme innocente, la justice c'est la liberté.
Q - Est-ce que vous allez demander un renforcement des sanctions ?
R - Bien sûr que cela sera fait. Tout cela n'est pas nouveau. Il y a six mois que nous avons appelé à un renforcement des sanctions. Il y a eu même une résolution du Conseil de sécurité pour dire que les Six continuaient de travailler ensemble. Nous avons toujours dit, et très clairement, qu'il y aura à tout le moins des sanctions européennes. A un moment donné, ce sont quand même les sanctions qui sont utiles et cela sans vouloir pénaliser le peuple iranien. Bien sûr qu'il y aura des propositions pour que les choses aillent dans le bon sens, c'est-à-dire pas de nucléaire militaire en Iran.
Q - Est-ce que cette demande de sanctions ne va pas compliquer le dossier de Clotilde Reiss ?
R - Cela n'a rien à voir. Permettez-moi de séparer complètement les dossiers. Clotilde Reiss n'a rien à voir avec le nucléaire.
Je sépare ces deux dossiers et dans le raisonnement de la justice iranienne, ils sont aussi séparés. Franchement, le dossier nucléaire dans nos échanges n'a pas fait l'objet d'un chantage.
Q - Avez-vous des indications sur le rapport que devait publier l'AIEA à Vienne ? D'autre part, on sent qu'il est difficile de prévoir des sanctions au niveau international, la Russie et la Chine semblent souvent réticentes. Est-ce que le plus probable sont les sanctions européennes ?
R - Il y a deux ou trois choses à dire. Evidemment pour établir des sanctions, il faut que la position de la Russie, qui n'est pas la plus intransigeante et la position de la Chine changent et évoluent. Mais nous l'avons fait, trois fois déjà, la troisième série de sanctions au Conseil de sécurité ayant été obtenue avec l'assentiment de nos partenaires, les Six, alors que cela n'était pas attendu. C'est cela la politique, c'est une prise de risque permanente, c'est cela qui est intéressant d'ailleurs. Nous allons essayer de les convaincre. Je vois évoluer la position de la Russie sur ce dossier.
La Russie n'est pas très loin de l'Iran. Les Russes n'ont pas intérêt à se voiler la face et ils ne le font pas. On verra bien. Je pense que les sanctions seront acceptées. Si elles ne sont pas acceptées, alors, deuxième partie de votre question, et nous y travaillons depuis longtemps, il y aura des sanctions individuelles, plus fortes, plus contraignantes, venues de l'Europe. Mais troisième partie, il faudrait aussi que tous nos partenaires appliquent les sanctions. Nous la France, nous avons appliqué les sanctions.
Q - (Au sujet de la situation en Irak)
R - J'ai bien noté les réactions et après la visite de M. Maliki, j'ai bien vu que sa position qui tentait de se séparer des alliances irakiennes habituelles et de "ruer un peu dans les brancards" ou "d'ouvrir la fenêtre", n'était pas facile. De là à accuser les baasistes comme cela a été fait d'être responsables de ces attentats particulièrement spectaculaires, c'est difficile et je ne franchirai pas ce pas. Je sais qu'il y a de moins en moins d'attentats en nombre de victimes chaque mois, en Irak et qu'il y a des gens qui prennent leur responsabilité. Je ne veux pas les juger, je ne veux pas distribuer les bons points et les mauvais points. Il reste des problèmes entre les différentes communautés, il n'y a aucun doute.
La position française sur l'Iran a été précisée plusieurs fois par le président de la République et par moi-même. On l'avait dit depuis la dernière résolution du Conseil de sécurité qui ne prévoyait pas forcément des sanctions mais qui prévoyait que les Six continuent à travailler. D'abord la position américaine a changé. Je ne pense pas qu'il continue de croire que leur main tendue n'a pas été saisie. La discussion entre les Américains et les Iraniens n'est peut-être pas pour demain et je pense qu'il y a eu un peu de désillusion, mais la position de certains dirigeants hauts placés iraniens, la position d'importants dirigeants religieux sont en train d'évoluer aussi. Je crois par conséquent que ce mouvement est très important et qu'il se traduira un jour dans la façon de diriger.
Q - Hier lors de l'ouverture de la conférence, le ministre brésilien des Affaires étrangères a longuement parlé de gouvernance mondiale. A l'approche d'échéances comme la prochaine conférence de Stockholm ou la prochaine réunion du G20, quelle est la position française sur ce sujet ? Est-ce qu'il y a une grande ouverture ? Vous situez-vous plutôt du côté des pays émergents (BRIC) ou penchez-vous plutôt vers une solidarité atlantique ?
R - Depuis deux ans et demi nous disons la même chose. Avec les Brésiliens nous nous entendons parfaitement. Certes pas sur tous les sujets, le BRIC a reçu M. Ahmadinejad par exemple. Les rapports entre le président Lula et le président Ahmadinejad sont bons. Mais en dehors de cette position brésilienne que je comprends très bien, la politique internationale et l'attitude vis-à-vis des organisations internationales sont les mêmes. Nous sommes d'accord. C'est pour cela que Celso Amorim a dit très justement que nous travaillons sur la même ligne. La position brésilienne à la conférence d'Aquila a été la même. Le président Lula a dit très clairement que les positions à Londres sur le G20 seraient des positions identiques à celle de la France. Avec Celso Amorim, je travaille sur un document sur le changement de la gouvernance mondiale.
Il faut, par exemple, une représentation renforcée de l'Afrique. C'est à l'Afrique de choisir quelle sera sa représentation au Conseil de sécurité. Au prochain G14, il doit y avoir l'Inde, la Chine, le Brésil, l'Afrique du Sud, peut-être le Nigeria. Nous verrons également pour la réforme des Nations unies. Nos positions sont très proches.
Q - Est-ce que le renouvellement de la FINUL sans modification des termes du mandat est un signal de la communauté internationale de soutien au Liban ?
R - Bien sûr, c'est une opération maintenue pour la paix. Avant, les Israéliens n'étaient pas d'accord. Ils se sont aperçus que le système fonctionne. Si le Liban est d'accord et si les Israéliens considèrent que cela fonctionne, le maintien de la FINUL est nécessaire ! Il y a eu un incident qu'il faut relever. Mais le rôle de la FINUL a été tenu.
Q - Une table ronde s'est tenue sur l'impact de la crise mondiale et l'Afrique. Y a-t-il eu des recommandations particulières ? D'autre part, quelle sera la position de la France à propos de la Somalie ?
R - Il y a une préoccupation que j'ai tenté de souligner tout à l'heure. La France pense que, si les pays en développement ne sont pas associés à la résolution de la crise, nous aurons échoué. Il ne peut plus être question de profit pour le profit, il faut une garantie de la régulation, des agences de notation. Il faut une participation des pays qui sont loin de nous, qui sont en voie de développement, et il leur importe d'en sortir. N'oublions pas qu'au moment où l'on parle de la crise économique, un milliard de personnes ne mangent pas à leur faim sur terre. Il faut le prendre en compte. Nous avons voulu que l'Union africaine soit présente au G20 à Londres. C'est la France qui l'a demandé.
S'agissant de la Somalie, nous avons salué et soutenu les efforts de Djibouti pour arriver à un gouvernement acceptable par les représentants de tous les groupes rebelles. Cela été accepté et voté, et M. Cheik Chérif a pu rentrer à Mogadiscio. Nous avons demandé à nos partenaires américains et à l'ONU de faire en sorte que soient formées la police et l'armée somaliennes qui pourront servir M. Cheik Chérif, qui était accepté par tout le monde. Je suis allé le voir. On a passé un vrai marché. Ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères sont venus en France. Le ministre de la Défense, M. Gandhi - ce qui est de bon augure - a été formé en France. Nous avons maintenu nos engagements et nous formons en ce moment même 500 premiers soldats désignés par Cheik Chérif et nous espérons que d'autres pays vont faire de même.
Q - (Concernant la mission des agents français en Somalie)
R - Si on n'envoyait pas des conseillers, comment pourrait-on faire ? Tout cela était absolument officiel.
Q - (A propos de l'agent retenu en otage en Somalie)
R - Je sais qu'il est aux mains d'un groupe rebelle et nous essayons de le faire sortir au plus vite. Les contacts avec ces groupes rebelles ne sont pas faciles. Cet exploit accompli par notre agent a été salué avec surprise mais aussi avec bonheur. Concernant le deuxième agent, il n'y a rien de nouveau.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 septembre 2009