Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, dans "Sud-Ouest" du 9 avril 1999, sur les opérations de l'OTAN au Kosovo et sur les relations de la France avec l'OTAN.

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Média : Sud Ouest

Texte intégral

« SUD-OUEST «
Comment interprétez-vous la fermeture des frontières du Kosovo ?
ALAIN RICHARD.
Cest un grand sujet de préoccupation, car nous sommes face à un adversaire qui a montré de façon constante quil traitait sa propre population civile sans aucun souci dhumanité. Cela montre en tout cas quon ne pouvait pas, mardi soir, ajouter foi à son intention annoncée de « travailler au retour des réfugiés « . Ce quon voit de concret après cette déclaration, cest une mesure de contrainte sur des populations déjà terriblement éprouvées. Cela nous conforte dans notre décision de maintenir nos demandes précises, un arrêt vérifiable de toute offensive et de toute répression, un retrait de ses troupes militaires, paramilitaires et de police du Kosovo, la mise en oeuvre immédiate du droit au retour des réfugiés du Kosovo, la fixation dun cadre politique pour le Kosovo sur la base des accords de Rambouillet et le déploiement dune force de sécurité internationale.
« S.-O. « .
Après quinze jours de « frappes aérienne « , dans quel état est larmée yougoslave ?
A. R.
Dans un état suffisamment préoccupant pour que M. Milosevic cherche à arrêter le processus. Je ne peux pas fournir de chiffres précis, vous le comprendrez. Mais sachez que le potentiel de défense antiaérienne et de réaction aérienne est très fortement atteint. Le système de commandement et de contrôle est désorganisé par les frappes sur les cibles stratégiques. Autrement dit, les forces armées subsistantes, qui sont évidemment encore très importantes, sont de moins en moins en mesure dintervenir de façon efficace, cest-à-dire coordonnée et informée. Les premiers signes de désorganisation apparaissent : des unités yougoslaves tirent leurs missiles antiaériens « au jugé « sans activer leurs radars pour éviter une réplique alliée. Leffet de notre action est progressif, maîtrisé. Il nous permet datteindre de plus en plus efficacement les moyens de répression déployés au Kosovo. Cest précisément le but. Ces progrès sont obtenus par le courage et lefficacité des militaires français et alliés, dans toute la chaîne des diverses unités. Nous devons les féliciter et les soutenir.
« S.-O. « .
Que répondez-vous au scepticisme de certains socialistes qui « constatent léchec de lopération de lOTAN ? «
A. R.
Quel que soit leur parti, ceux qui prétendent cela le font sans aucun fondement et seront amenés à le reconnaître. Il y a un besoin de débat démocratique face aux responsabilités essentielles que prend notre pays dans cette crise, mais il vaut mieux se garder des formules-chocs hâtives et des extrapolations. Jobserve que nos concitoyens, avec lucidité, reconnaissent la légitimité de laction militaire face à la violence brute du pouvoir yougoslave et savent quon ne rétablit pas le droit et la justice par la faiblesse.
« S.-O. «
· On sent un durcissement du discours des responsables français. La réalisation des objectifs de lOTAN ne passe-t-elle pas désormais par la fin du régime Milosevic ?
A. R.
Cest à M. Milosevic quil faut poser cette question. Nos demandes, celles de tous les Européens et de leurs alliés américains, sont claires, je vous les ai rappelées. Elles concernent le Kosovo et non le choix des dirigeants yougoslaves. Notre discours ne se « durcit « pas : il reste ferme et constant. Cest lemploi aveugle de la brutalité qui conduit inexorablement M. Milosevic à limpasse, à laffaiblissement économique, politique et militaire. Son bilan est tragique. Son peuple ne peut pas lignorer.
« S.-O. «
· Lenvoi par Washington dhélicoptères Apache nest-il pas le prélude à une offensive terrestre ?
A. R.
Il faut au contraire y voir la volonté partagée par tous les alliés qui ont donné leur accord de poursuivre notre action actuelle avec des moyens toujours plus efficaces. Notre priorité est maintenant de nous en prendre directement aux forces à loeuvre contre la population kosovare. Ces nouveaux moyens y contribueront aux côtés de ceux qui sont déjà en action.
« S.-O. «
La France na-t-elle pas subrepticement réintégré lOTAN ?
A. R.
Croyez-vous quun tel mouvement pourrait se faire « subrepticement ? « La position des autorités françaises est très claire sur ce point et elle na pas varié dun iota : nous sommes membres de lAlliance depuis sa création. Nous faisons depuis cinquante ans partie des pays qui décident à lunanimité de tout ce que fait lOTAN au sein du Conseil atlantique : les plans, leur mise en oeuvre, les actions. Mais nous ne faisons pas partie des structures militaires intégrées chargées de lélaboration et de lexécution des plans. Les forces françaises mises en oeuvre sont placées sous contrôle opérationnel de lOTAN, mais restent toujours, sans exception, sous le commandement opérationnel suprême national.
« S.-O. «
La France peut-elle sengager dans une opération militaire de longue haleine avec un gouvernement divisé ?
A. R.
La France a démontré que le débat démocratique, qui est normal sagissant dun sujet aussi grave, ne remet pas en cause la solidarité gouvernementale et la cohésion de lEtat.
« S.-O. «
Le soutien, apparemment croissant, de lopinion publique vous surprend-il ?
A. R.
Non. Je pense quil est la conséquence des révélations, même incomplètes, sur la violence de lautorité yougoslave vis-à-vis des habitants du Kosovo et aussi de lexplication régulière et cohérente donnée par le président et le premier ministre sur laction menée et sur ses buts. Les Français comprennent que nous avons agi suivant une démarche maîtrisée, que nous suivons des principes partagés par limmense majorité de notre peuple et que nous avons recouru à la force après avoir tout mis en oeuvre pour léviter. Ce soutien des citoyens est un élément important de la détermination que nous devons afficher face aux agissements de M. Milosevic. Cest la contribution des Français à notre action : un message adressé à celui qui pensait que les démocraties étaient faibles face aux régimes totalitaires.
(Source http ://www.defense.gouv.fr, le 13 avril 1999)