Texte intégral
INTERVIEW A FRANCE INFO LE 1ER AVRIL :
Q - Trois soldats américains sont aux mains des Serbes, les Etats Unis ont confirmé la capture des trois hommes ; la télévision yougoslave diffuse les images des trois prisonniers en treillis, le visage tuméfié. Pour Belgrade ils ont été pris en territoire serbe mais, selon Washington, ils auraient été capturés dans la région de Kumanavo en Macédoine, à moins de 5 kilomètres de la frontière sud de la Yougoslavie.
R - Lensemble des chaînes yougoslaves diffuse régulièrement, depuis ce matin, les images des trois soldats américains. Pour linstant les commentaires restent sobres, les présentateurs se contentent de donner les noms des deux caporaux et du soldat US et ajoutent quils ont opposé de la résistance au moment de leur arrestation. Une façon comme une autre dexpliquer, aux téléspectateurs yougoslave, le pourquoi des visages tuméfiés de deux des GI.
De son côté, le deuxième corps de larmée de Pristina au Kosovo, affirme que les trois soldats américains ont été interceptés alors quils effectuaient une mission de reconnaissance en territoire yougoslave, près de la frontière macédonienne. Lépave de lavion furtif F.117 dans un champ de Serbie avait déjà contribué à gonfler le moral des troupes ; larrestation des trois GI est une deuxième victoire psychologique pour les autorités yougoslaves qui infligent, en même temps, un nouveau camouflet à la plus puissante armée du monde.
Q - Du coté de lOTAN, on espère que les prisonniers américains seront traités conformément aux conventions internationales.
(...)
Q - Lépisode des trois soldats américains ne reste quun épisode dans la bataille militaire lancée entre lOTAN et la Yougoslavie, mais le drame principal est bien sûr, celui des réfugiés qui sont toujours des dizaines et des dizaines de milliers à affluer aux frontières du Kosovo.
R - Ce qui émeut évidemment, ce sont les souffrances de ces gens, celles quils viennent dendurer. Tous nous témoignent quils ont été obligés de partir, dans des conditions de brutalité extrême et quils ont tous, malheureusement, vu des villages qui brûlent et des scènes de violence. Ici, ils sont accueillis par des autorités albanaises très conscientes du besoin de coordination, et, je crois que cest lessentiel dans la période.
Pour linstant, je suis aussi frappé par la générosité quexprime la population albanaise. Nombreux sont les témoignages des enfants des écoles qui apportent des vêtements, des familles de paysans qui viennent prendre en charge une famille de Kosovars déplacés, alors que ces gens nont rien, ils sont prêts à tout donner. Je crois que cest un très bel exemple que les populations occidentales, les Français en particulier, devraient avoir présent à lesprit quand on va faire appel aussi à leur solidarité, car, si quatre avions arrivent cet après-midi chargés de quarante tonnes daide médicale, de nourriture immédiatement consommable mais aussi des kits sanitaires, avec du savon, avec des couches pour enfants car il y a aussi des bébés qui naissent dans ces camps, comme celui dans lequel je suis en ce moment, il faudra que ce pont aérien se poursuive car les réfugiés vont continuer darriver et il va falloir que la solidarité ne sexprime pas seulement le temps dun instant. Il faut quelle sorganise dans la durée.
Q - Alors, justement, est-ce que vous sentez, Charles Josselin, que le dispositif se met réellement en place, ce dispositif daide humanitaire à ces réfugiés ?
R - Cétait nécessairement un peu, comment dire, lent à sorganiser au départ, mais le chef de file est choisi, cest le Haut-Commissariat aux réfugiés. LUnion Européenne elle-même se coordonne et les ministres européens, vous le disiez à linstant, sont en train de voir entre eux comment donner plus defficacité à leur participation. Je suis convaincu que dans les heures qui viennent, leur coordination va être en place et laide que nous apportons, efficacement utilisée.
Q - Une coordination et une aide dautant plus indispensables que les Nations Unies ont annoncé une famine dici dix à quinze jours si rien de substantiel nest fait dici là.
R - Sagissant de la nourriture, la question évidemment est dabord de la rassembler, mais elle est surtout de la transporter. Il y a des problèmes logistiques auxquels larmée française en particulier, est entrain de sattaquer puisque dans laide française, il y a en particulier lintervention de larmée pour acheminer justement cette nourriture.
Q - Votre présence est-elle aussi un petit peu politique ? Vous allez rencontrer, on le sait, des dirigeants albanais, si ce nest déjà fait.
R - Je vois tout à lheure le président de la République, puis le Premier ministre. Demain jaurai aussi des contacts au plus haut niveau avec les autorités macédoniennes. Il est évident que mon voyage, cest aussi loccasion de faire passer un certain nombre de messages politiques et de parler avec les dirigeants de ces pays, de leur propre analyse de la situation.
Q - Des messages de quelle teneur ?
R - Quil faut que, nous avons une obligation de gagner et de faire triompher la démocratie sur la barbarie. Quil faut aussi évidemment prendre en compte linstabilité extrême de toute cette région et le besoin dorganiser la coexistence dethnies qui sont différentes. Cest la règle dans presque tous ces pays.
INTERVIEW A FRANCE INFO LE 2 AVRIL :
Q - Vous êtes arrivé, hier, en Albanie. Vous avez visité plusieurs camps de réfugiés, quelle
est la situation et quels sont les besoins les plus urgents pour cette population de réfugiés
?.
R - Jai surtout découvert beaucoup de souffrance. Des milliers de malheureux, surtout des femmes et des enfants affluent en Albanie. Jai pu, en effet, les visiter hier et les besoins sont bien sûr, dabord de la nourriture, des tentes, des médicaments, des soins médicaux, tout ce que les avions français, qui se sont posés quelques heures après mon arrivée, transportaient. Jy ajoute des vêtements, dont ils ont également besoin. Mais ce qui préoccupe le plus les autorités albanaises, est évidemment la question de savoir combien de temps il leur faudra héberger ces frères du Kosovo, qui arrivent et qui continuent darriver.
Q - Est-ce que larrivée massive de ces réfugiés albanais du Kosovo en Albanie, représente un danger pour lAlbanie, pour léquilibre du pays ?
R - Disons que ceci met le gouvernement albanais et aussi son président, sous pression. Et, au cours de lentretien très long que jai eu avec le président de lAlbanie, M. Medjani, -parfait francophone puisquil est docteur dEtat de lUniversité française - jai insisté sur la dérive et le risque que représentait la dérive de Tirana en faveur de lindépendance du Kosovo, car on est prêt à aller beaucoup plus loin que ce que les Accords de Rambouillet prévoyaient, bien que ceux-ci aient été signés par les Kosovars. Jai voulu lui dire le danger quil y aurait, pour lAlbanie, à encourager en quelque sorte la haine raciale entre Serbes et Albanais, faisant observer - mais il en était évidemment bien daccord avec moi - quen tout état de cause, lAlbanie resterait voisine de la République yougoslave. Bref, il ne fallait pas que Tirana entrave laction des alliés dans la région, et quil ne fallait pas, pour lAlbanie non plus, que le Kosovo devienne un enjeu de politique intérieure, ce qui ne manquerait pas daggraver son instabilité.
Voilà ce que jai pu lui dire, puisque je suis le ministre délégué à la Coopération, je suis aussi en charge de la Francophonie, jai évidemment souhaité que nous puissions, une autre fois, parler davantage de la relation entre la France et lAlbanie, sur un autre terrain.
Mais je voudrais dire aussi que si nous avons longuement parlé de laide que la France veut apporter à lAlbanie, pour laccueil des réfugiés. Le président Medjani ma aussi parlé de laide humanitaire dont les Kosovars, restés au Kosovo, avaient besoin, et ma interrogé sur les moyens que nous étions susceptibles de mobiliser pour aider, directement là bas, les Kosovars dans les zones quils continuent à contrôler. Cest une question que nous allons évidemment étudier, mais elle renvoie à des solutions, à des problèmes techniques autrement délicats.
Q - Les organisations humanitaires ont justement été surprises par lampleur et la rapidité de lexode des Kosovars dorigine albanaise. A-t-on les moyens de venir en aide à ceux qui sont restés au pays ?
R - Cest toute la question, car nous navons pas les moyens dapprécier leur degré dorganisation et - je le répète - surtout sils sont encore en mesure davoir une sorte dexistence propre, sachant quils sont, aujourdhui, durement poursuivis par les hommes de M. Milosevic, les troupes, la police, mais plus encore ces paramilitaires masqués dont les témoignages que jai recueillis, hier, auprès des réfugiés, nous disent la brutalité et lextraordinaire violence dont ils sont capables vis-à-vis de ces réfugiés. Tous - jy insiste - mont bien dit avoir fui le Kosovo à cause de lobligation et des brutalités dont ils sont victimes, et non pas pour fuir les bombardements.
Je me permets dinsister, car jai pu, auprès de dizaines et des dizaines de personnes, dont on ne peut évidemment imaginer quelles soient complices dune sorte de tentative de désinformation. Toutes mont dit que cétait bien contraintes et forcées, par les hommes de Milosevic, quelles ont dû quitter leur pays et, pour certaines dentre elles, quitter leur maison depuis de longs mois et errer au travers du Kosovo, avant davoir fait le choix de rejoindre lAlbanie.
Q - Peut-on envisager, par exemple, au cours de cette intervention de lOTAN, lorsque lOTAN sera maître du ciel kosovar et yougoslave, des largages de vivres, de matériels de première urgence sur le Kosovo ?
R - A condition dêtre sûrs, je le répète, davoir une bonne probabilité que ces largages de vivres arriveront bien chez les Kosovars que nous voulons aider. Ce nest pas forcément impossible à imaginer.
Q - Avez-vous eu confirmation, dexactions commises, par les Serbes, au Kosovo, et jallais dire à quelle échelle ?
R - Tous ceux que nous avons rencontrés, et dans les yeux des enfants, il y avait encore tout leffroi qua provoqué le spectacle quils ont fréquenté pendant tous ces jours . Ce sont des assassinats auxquels ils ont assisté. Tous les villages quils ont traversé étaient en flammes, le bétail systématiquement abattu. Je je vous disais tout à lheure quil y avait peu dadultes car certains dentre eux ont déjà depuis de longs mois essayé de trouver refuge en Allemagne ou en Suisse, nous savons aussi que ces adultes sont absents parce que beaucoup dentre eux sont déjà morts.
Q - Le ministre allemand des Affaires étrangères a prononcé le mot de « génocide » est-ce un mot que vous êtes prêt à prononcer officiellement vous aussi ?
R - Cest celui que les autorités albanaises prononcent elles aussi. Quand je vois le caractère systématique avec lequel on sattaque aux Albanais du Kosovo, je pense que ce mot correspond de mieux en mieux, hélas, à la réalité.
INTERVIEW A RMC :
Q - Monsieur Josselin, je voudrais tout dabord que vous nous donniez tout simplement, dans un premier temps, votre sentiment sur ce que vous voyez, sur ce que vous avez vu, avant même dévoquer cette aide humanitaire, dont vous êtes le messager et surtout le porteur. Quest-ce que vous voyez, quest-ce qui vous a frappé ? Vous vous trouvez actuellement ce soir près de la Macédoine, Monsieur Josselin ?
R - Oui et à cette frontière, entre la Macédoine et le Kosovo, cest malheureusement une extraordinaire accumulation de souffrances car il y a là des dizaines de milliers de personnes qui attendent de pouvoir franchir la frontière macédonienne pour y être accueillies par des ONG qui se mobilisent et avec des aides qui commencent à arriver. La France a dailleurs donné le signe de sa solidarité puisque trois avions se sont posés, que jai pu accueillir à laéroport de Skopje, il y a quelques heures, qui contenaient ce dont ces réfugiés ont besoin, des tentes, de lalimentation, des médicaments. Mais la question lourde qui est actuellement posée est celle de leur entrée dans le territoire macédonien. Les Macédoniens craignent quune arrivée aussi massive dAlbanais déséquilibre, en quelque sorte, une stabilité qui est encore fragile et nous interpellent sur la destination de ces immigrés, en espérant que nous pourrions en accueillir. Quand je dis « nous », cest lensemble de la communauté internationale, européenne comprise - alors même que nous-mêmes pensons que la solution à ce problème de réfugiés, cest évidemment leur retour dans leur province, dans leur pays, cest-à-dire le Kosovo.
Q - Oui, mais alors là je vous interromps mais volontairement Monsieur Josselin. Emma Bonino, la commissaire européen, le rappelait, évoquait une protection armée éventuelle de ces réfugiés. Comment faire ? Comment faire à la fois pour les protéger et pour faire cesser cette catastrophe humanitaire qui est en train, sous nos yeux, sous vos yeux et au coeur de lEurope, de se mettre en place ? Comment intervenir et comment faire pour que toutes ces souffrances satténuent ?
R - Je crois que la question est quand même politique. Cest une question humanitaire, bien sûr, cest-à-dire quil faut que la solidarité internationale, que la générosité se manifestent. Cet après-midi la France lance un numéro vert pour que la générosité des Français puisse se mobiliser en faveur de la Macédoine et de lAlbanie. Mais, je le répète, la question, elle est aussi très politique car les Macédoniens plutôt que daccueillir aimeraient mieux que ces réfugiés du Kosovo soient déjà appelés à dautres destinations, alors même que nous considérons, nous, que cest en organisant leur accueil au plus près du Kosovo quon garantit mieux leur retour dans leur pays. En plus les disperser aux quatre coins du monde serait un signe, alors là vraiment totalement positif adressé à M. Milosevic qui pourrait considérer quil a gagné. Je crois que cest cela la question majeure et il faut que nous arrivions à convaincre le gouvernement macédonien, étant entendu que bien sûr, il nous faut aussi prendre en compte les problèmes spécifiques de ce gouvernement et la crise économique quil connaît, quand on sait en plus les liens très étroits quil y avait entre son économie et léconomie yougoslave par exemple. Il est évident quil est affronté à une baisse massive de sa production industrielle, de ses exportations, donc des problèmes budgétaires, des problèmes de paiement de sa dette. Je ne doute pas dailleurs que dans quelques jours, lorsquà Washington Dominique Strauss-Kahn et ses collègues se réuniront dans le cadre de la réunion du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, ces questions pourront être aussi examinées.
Mais dans limmédiat et cest lurgence, il convient que ces populations puissent être accueillies. Je le répète, les aides arrivent : les ONG sont mobilisées, la Croix Rouge macédonienne en particulier, dont jai rencontré à linstant les responsables, sont prêtes à faire le maximum pour sauver ces populations et leur offrir la période de reconstitution, en quelque sorte, dont ils ont besoin, après les souffrances quils viennent dendurer. Le numéro vert que nous ouvrons, sous lintitulé « colis familiaux » en liaison avec la Croix Rouge française, cest le 08.00.77.50.47. La France acheminera les colis, la liste de ce que devraient comprendre ou contenir ces colis va être publiée par communiqués de presse.
Q - Est-ce que, lorsquon lit ces récits sur cette systématisation de lépuration ethnique, ces appartements, ces rues patiemment passés au peigne fin par les policiers serbes M. Milosevic na pas, dune certaine façon,gagné cette partie ? Et est-ce que la question de lintervention terrestre nest pas de nouveau dactualité en cette veille de Pâques, Monsieur Josselin ?
R - Je pense que ces témoignages en tout cas nous donnent raison davoir voulu intervenir avec force à lencontre de M. Milosevic et de sa politique. Je voudrais quand même dire, parce quon finirait presque par loublier, que sil y a un problème de réfugiés, il y a dabord un problème du Kosovo. Cest le problème du Kosovo quil nous faut dabord résoudre, donc gagner la partie engagée avec M. Milosevic. Je voudrais dire aussi que, comme lavait rappelé Lionel Jospin il ny a pas si longtemps, ce mouvement est réversible et je suis convaincu que si nous obligeons M. Milosevic à faire en sorte que les Kosovars puissent revenir dans leur pays, alors là nous aurons gagné. Cest bien pour cela que nous pensons quil vaut mieux aider les pays proches à les accueillir - cest ce que nous faisons - plutôt que de les disperser aux quatre coins du monde.
Q - Vous avez avec vous 28 tonnes, je crois, de vivres, de matériels, près de 200 tentes. Vous pouvez un petit peu nous dire comment ça va se répartir, quest-ce que vous allez en faire avant de retourner en France ?
R - Cest la question dont nous avons déjà parlé à linstant, ce matin dabord avec le gouvernement macédonien, puis avec ceux qui vont pouvoir directement utiliser ces matériels, cest-à-dire aussi bien le Haut comité pour les réfugiés que la Croix Rouge internationale ou les organisations locales que jai eu la possibilité de rencontrer ce midi.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 1999)
Q - Trois soldats américains sont aux mains des Serbes, les Etats Unis ont confirmé la capture des trois hommes ; la télévision yougoslave diffuse les images des trois prisonniers en treillis, le visage tuméfié. Pour Belgrade ils ont été pris en territoire serbe mais, selon Washington, ils auraient été capturés dans la région de Kumanavo en Macédoine, à moins de 5 kilomètres de la frontière sud de la Yougoslavie.
R - Lensemble des chaînes yougoslaves diffuse régulièrement, depuis ce matin, les images des trois soldats américains. Pour linstant les commentaires restent sobres, les présentateurs se contentent de donner les noms des deux caporaux et du soldat US et ajoutent quils ont opposé de la résistance au moment de leur arrestation. Une façon comme une autre dexpliquer, aux téléspectateurs yougoslave, le pourquoi des visages tuméfiés de deux des GI.
De son côté, le deuxième corps de larmée de Pristina au Kosovo, affirme que les trois soldats américains ont été interceptés alors quils effectuaient une mission de reconnaissance en territoire yougoslave, près de la frontière macédonienne. Lépave de lavion furtif F.117 dans un champ de Serbie avait déjà contribué à gonfler le moral des troupes ; larrestation des trois GI est une deuxième victoire psychologique pour les autorités yougoslaves qui infligent, en même temps, un nouveau camouflet à la plus puissante armée du monde.
Q - Du coté de lOTAN, on espère que les prisonniers américains seront traités conformément aux conventions internationales.
(...)
Q - Lépisode des trois soldats américains ne reste quun épisode dans la bataille militaire lancée entre lOTAN et la Yougoslavie, mais le drame principal est bien sûr, celui des réfugiés qui sont toujours des dizaines et des dizaines de milliers à affluer aux frontières du Kosovo.
R - Ce qui émeut évidemment, ce sont les souffrances de ces gens, celles quils viennent dendurer. Tous nous témoignent quils ont été obligés de partir, dans des conditions de brutalité extrême et quils ont tous, malheureusement, vu des villages qui brûlent et des scènes de violence. Ici, ils sont accueillis par des autorités albanaises très conscientes du besoin de coordination, et, je crois que cest lessentiel dans la période.
Pour linstant, je suis aussi frappé par la générosité quexprime la population albanaise. Nombreux sont les témoignages des enfants des écoles qui apportent des vêtements, des familles de paysans qui viennent prendre en charge une famille de Kosovars déplacés, alors que ces gens nont rien, ils sont prêts à tout donner. Je crois que cest un très bel exemple que les populations occidentales, les Français en particulier, devraient avoir présent à lesprit quand on va faire appel aussi à leur solidarité, car, si quatre avions arrivent cet après-midi chargés de quarante tonnes daide médicale, de nourriture immédiatement consommable mais aussi des kits sanitaires, avec du savon, avec des couches pour enfants car il y a aussi des bébés qui naissent dans ces camps, comme celui dans lequel je suis en ce moment, il faudra que ce pont aérien se poursuive car les réfugiés vont continuer darriver et il va falloir que la solidarité ne sexprime pas seulement le temps dun instant. Il faut quelle sorganise dans la durée.
Q - Alors, justement, est-ce que vous sentez, Charles Josselin, que le dispositif se met réellement en place, ce dispositif daide humanitaire à ces réfugiés ?
R - Cétait nécessairement un peu, comment dire, lent à sorganiser au départ, mais le chef de file est choisi, cest le Haut-Commissariat aux réfugiés. LUnion Européenne elle-même se coordonne et les ministres européens, vous le disiez à linstant, sont en train de voir entre eux comment donner plus defficacité à leur participation. Je suis convaincu que dans les heures qui viennent, leur coordination va être en place et laide que nous apportons, efficacement utilisée.
Q - Une coordination et une aide dautant plus indispensables que les Nations Unies ont annoncé une famine dici dix à quinze jours si rien de substantiel nest fait dici là.
R - Sagissant de la nourriture, la question évidemment est dabord de la rassembler, mais elle est surtout de la transporter. Il y a des problèmes logistiques auxquels larmée française en particulier, est entrain de sattaquer puisque dans laide française, il y a en particulier lintervention de larmée pour acheminer justement cette nourriture.
Q - Votre présence est-elle aussi un petit peu politique ? Vous allez rencontrer, on le sait, des dirigeants albanais, si ce nest déjà fait.
R - Je vois tout à lheure le président de la République, puis le Premier ministre. Demain jaurai aussi des contacts au plus haut niveau avec les autorités macédoniennes. Il est évident que mon voyage, cest aussi loccasion de faire passer un certain nombre de messages politiques et de parler avec les dirigeants de ces pays, de leur propre analyse de la situation.
Q - Des messages de quelle teneur ?
R - Quil faut que, nous avons une obligation de gagner et de faire triompher la démocratie sur la barbarie. Quil faut aussi évidemment prendre en compte linstabilité extrême de toute cette région et le besoin dorganiser la coexistence dethnies qui sont différentes. Cest la règle dans presque tous ces pays.
INTERVIEW A FRANCE INFO LE 2 AVRIL :
Q - Vous êtes arrivé, hier, en Albanie. Vous avez visité plusieurs camps de réfugiés, quelle
est la situation et quels sont les besoins les plus urgents pour cette population de réfugiés
?.
R - Jai surtout découvert beaucoup de souffrance. Des milliers de malheureux, surtout des femmes et des enfants affluent en Albanie. Jai pu, en effet, les visiter hier et les besoins sont bien sûr, dabord de la nourriture, des tentes, des médicaments, des soins médicaux, tout ce que les avions français, qui se sont posés quelques heures après mon arrivée, transportaient. Jy ajoute des vêtements, dont ils ont également besoin. Mais ce qui préoccupe le plus les autorités albanaises, est évidemment la question de savoir combien de temps il leur faudra héberger ces frères du Kosovo, qui arrivent et qui continuent darriver.
Q - Est-ce que larrivée massive de ces réfugiés albanais du Kosovo en Albanie, représente un danger pour lAlbanie, pour léquilibre du pays ?
R - Disons que ceci met le gouvernement albanais et aussi son président, sous pression. Et, au cours de lentretien très long que jai eu avec le président de lAlbanie, M. Medjani, -parfait francophone puisquil est docteur dEtat de lUniversité française - jai insisté sur la dérive et le risque que représentait la dérive de Tirana en faveur de lindépendance du Kosovo, car on est prêt à aller beaucoup plus loin que ce que les Accords de Rambouillet prévoyaient, bien que ceux-ci aient été signés par les Kosovars. Jai voulu lui dire le danger quil y aurait, pour lAlbanie, à encourager en quelque sorte la haine raciale entre Serbes et Albanais, faisant observer - mais il en était évidemment bien daccord avec moi - quen tout état de cause, lAlbanie resterait voisine de la République yougoslave. Bref, il ne fallait pas que Tirana entrave laction des alliés dans la région, et quil ne fallait pas, pour lAlbanie non plus, que le Kosovo devienne un enjeu de politique intérieure, ce qui ne manquerait pas daggraver son instabilité.
Voilà ce que jai pu lui dire, puisque je suis le ministre délégué à la Coopération, je suis aussi en charge de la Francophonie, jai évidemment souhaité que nous puissions, une autre fois, parler davantage de la relation entre la France et lAlbanie, sur un autre terrain.
Mais je voudrais dire aussi que si nous avons longuement parlé de laide que la France veut apporter à lAlbanie, pour laccueil des réfugiés. Le président Medjani ma aussi parlé de laide humanitaire dont les Kosovars, restés au Kosovo, avaient besoin, et ma interrogé sur les moyens que nous étions susceptibles de mobiliser pour aider, directement là bas, les Kosovars dans les zones quils continuent à contrôler. Cest une question que nous allons évidemment étudier, mais elle renvoie à des solutions, à des problèmes techniques autrement délicats.
Q - Les organisations humanitaires ont justement été surprises par lampleur et la rapidité de lexode des Kosovars dorigine albanaise. A-t-on les moyens de venir en aide à ceux qui sont restés au pays ?
R - Cest toute la question, car nous navons pas les moyens dapprécier leur degré dorganisation et - je le répète - surtout sils sont encore en mesure davoir une sorte dexistence propre, sachant quils sont, aujourdhui, durement poursuivis par les hommes de M. Milosevic, les troupes, la police, mais plus encore ces paramilitaires masqués dont les témoignages que jai recueillis, hier, auprès des réfugiés, nous disent la brutalité et lextraordinaire violence dont ils sont capables vis-à-vis de ces réfugiés. Tous - jy insiste - mont bien dit avoir fui le Kosovo à cause de lobligation et des brutalités dont ils sont victimes, et non pas pour fuir les bombardements.
Je me permets dinsister, car jai pu, auprès de dizaines et des dizaines de personnes, dont on ne peut évidemment imaginer quelles soient complices dune sorte de tentative de désinformation. Toutes mont dit que cétait bien contraintes et forcées, par les hommes de Milosevic, quelles ont dû quitter leur pays et, pour certaines dentre elles, quitter leur maison depuis de longs mois et errer au travers du Kosovo, avant davoir fait le choix de rejoindre lAlbanie.
Q - Peut-on envisager, par exemple, au cours de cette intervention de lOTAN, lorsque lOTAN sera maître du ciel kosovar et yougoslave, des largages de vivres, de matériels de première urgence sur le Kosovo ?
R - A condition dêtre sûrs, je le répète, davoir une bonne probabilité que ces largages de vivres arriveront bien chez les Kosovars que nous voulons aider. Ce nest pas forcément impossible à imaginer.
Q - Avez-vous eu confirmation, dexactions commises, par les Serbes, au Kosovo, et jallais dire à quelle échelle ?
R - Tous ceux que nous avons rencontrés, et dans les yeux des enfants, il y avait encore tout leffroi qua provoqué le spectacle quils ont fréquenté pendant tous ces jours . Ce sont des assassinats auxquels ils ont assisté. Tous les villages quils ont traversé étaient en flammes, le bétail systématiquement abattu. Je je vous disais tout à lheure quil y avait peu dadultes car certains dentre eux ont déjà depuis de longs mois essayé de trouver refuge en Allemagne ou en Suisse, nous savons aussi que ces adultes sont absents parce que beaucoup dentre eux sont déjà morts.
Q - Le ministre allemand des Affaires étrangères a prononcé le mot de « génocide » est-ce un mot que vous êtes prêt à prononcer officiellement vous aussi ?
R - Cest celui que les autorités albanaises prononcent elles aussi. Quand je vois le caractère systématique avec lequel on sattaque aux Albanais du Kosovo, je pense que ce mot correspond de mieux en mieux, hélas, à la réalité.
INTERVIEW A RMC :
Q - Monsieur Josselin, je voudrais tout dabord que vous nous donniez tout simplement, dans un premier temps, votre sentiment sur ce que vous voyez, sur ce que vous avez vu, avant même dévoquer cette aide humanitaire, dont vous êtes le messager et surtout le porteur. Quest-ce que vous voyez, quest-ce qui vous a frappé ? Vous vous trouvez actuellement ce soir près de la Macédoine, Monsieur Josselin ?
R - Oui et à cette frontière, entre la Macédoine et le Kosovo, cest malheureusement une extraordinaire accumulation de souffrances car il y a là des dizaines de milliers de personnes qui attendent de pouvoir franchir la frontière macédonienne pour y être accueillies par des ONG qui se mobilisent et avec des aides qui commencent à arriver. La France a dailleurs donné le signe de sa solidarité puisque trois avions se sont posés, que jai pu accueillir à laéroport de Skopje, il y a quelques heures, qui contenaient ce dont ces réfugiés ont besoin, des tentes, de lalimentation, des médicaments. Mais la question lourde qui est actuellement posée est celle de leur entrée dans le territoire macédonien. Les Macédoniens craignent quune arrivée aussi massive dAlbanais déséquilibre, en quelque sorte, une stabilité qui est encore fragile et nous interpellent sur la destination de ces immigrés, en espérant que nous pourrions en accueillir. Quand je dis « nous », cest lensemble de la communauté internationale, européenne comprise - alors même que nous-mêmes pensons que la solution à ce problème de réfugiés, cest évidemment leur retour dans leur province, dans leur pays, cest-à-dire le Kosovo.
Q - Oui, mais alors là je vous interromps mais volontairement Monsieur Josselin. Emma Bonino, la commissaire européen, le rappelait, évoquait une protection armée éventuelle de ces réfugiés. Comment faire ? Comment faire à la fois pour les protéger et pour faire cesser cette catastrophe humanitaire qui est en train, sous nos yeux, sous vos yeux et au coeur de lEurope, de se mettre en place ? Comment intervenir et comment faire pour que toutes ces souffrances satténuent ?
R - Je crois que la question est quand même politique. Cest une question humanitaire, bien sûr, cest-à-dire quil faut que la solidarité internationale, que la générosité se manifestent. Cet après-midi la France lance un numéro vert pour que la générosité des Français puisse se mobiliser en faveur de la Macédoine et de lAlbanie. Mais, je le répète, la question, elle est aussi très politique car les Macédoniens plutôt que daccueillir aimeraient mieux que ces réfugiés du Kosovo soient déjà appelés à dautres destinations, alors même que nous considérons, nous, que cest en organisant leur accueil au plus près du Kosovo quon garantit mieux leur retour dans leur pays. En plus les disperser aux quatre coins du monde serait un signe, alors là vraiment totalement positif adressé à M. Milosevic qui pourrait considérer quil a gagné. Je crois que cest cela la question majeure et il faut que nous arrivions à convaincre le gouvernement macédonien, étant entendu que bien sûr, il nous faut aussi prendre en compte les problèmes spécifiques de ce gouvernement et la crise économique quil connaît, quand on sait en plus les liens très étroits quil y avait entre son économie et léconomie yougoslave par exemple. Il est évident quil est affronté à une baisse massive de sa production industrielle, de ses exportations, donc des problèmes budgétaires, des problèmes de paiement de sa dette. Je ne doute pas dailleurs que dans quelques jours, lorsquà Washington Dominique Strauss-Kahn et ses collègues se réuniront dans le cadre de la réunion du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, ces questions pourront être aussi examinées.
Mais dans limmédiat et cest lurgence, il convient que ces populations puissent être accueillies. Je le répète, les aides arrivent : les ONG sont mobilisées, la Croix Rouge macédonienne en particulier, dont jai rencontré à linstant les responsables, sont prêtes à faire le maximum pour sauver ces populations et leur offrir la période de reconstitution, en quelque sorte, dont ils ont besoin, après les souffrances quils viennent dendurer. Le numéro vert que nous ouvrons, sous lintitulé « colis familiaux » en liaison avec la Croix Rouge française, cest le 08.00.77.50.47. La France acheminera les colis, la liste de ce que devraient comprendre ou contenir ces colis va être publiée par communiqués de presse.
Q - Est-ce que, lorsquon lit ces récits sur cette systématisation de lépuration ethnique, ces appartements, ces rues patiemment passés au peigne fin par les policiers serbes M. Milosevic na pas, dune certaine façon,gagné cette partie ? Et est-ce que la question de lintervention terrestre nest pas de nouveau dactualité en cette veille de Pâques, Monsieur Josselin ?
R - Je pense que ces témoignages en tout cas nous donnent raison davoir voulu intervenir avec force à lencontre de M. Milosevic et de sa politique. Je voudrais quand même dire, parce quon finirait presque par loublier, que sil y a un problème de réfugiés, il y a dabord un problème du Kosovo. Cest le problème du Kosovo quil nous faut dabord résoudre, donc gagner la partie engagée avec M. Milosevic. Je voudrais dire aussi que, comme lavait rappelé Lionel Jospin il ny a pas si longtemps, ce mouvement est réversible et je suis convaincu que si nous obligeons M. Milosevic à faire en sorte que les Kosovars puissent revenir dans leur pays, alors là nous aurons gagné. Cest bien pour cela que nous pensons quil vaut mieux aider les pays proches à les accueillir - cest ce que nous faisons - plutôt que de les disperser aux quatre coins du monde.
Q - Vous avez avec vous 28 tonnes, je crois, de vivres, de matériels, près de 200 tentes. Vous pouvez un petit peu nous dire comment ça va se répartir, quest-ce que vous allez en faire avant de retourner en France ?
R - Cest la question dont nous avons déjà parlé à linstant, ce matin dabord avec le gouvernement macédonien, puis avec ceux qui vont pouvoir directement utiliser ces matériels, cest-à-dire aussi bien le Haut comité pour les réfugiés que la Croix Rouge internationale ou les organisations locales que jai eu la possibilité de rencontrer ce midi.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 1999)