Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur la recherche médicale notamment les sciences de la vie, au Sénat le 26 avril 2001.

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Circonstance : Remise des prix Fondation pour la recherche médicale, au Sénat le 26 avril 2001

Texte intégral

Monsieur le Président du Sénat
Monsieur le Ministre délégué
Mesdames et Messieurs les Sénateurs
Monsieur le Président de la Fondation pour la recherche médicale
Mesdames et Messieurs

Je suis particulièrement heureux de participer aujourd'hui, avec vous, à cette cérémonie de remise des Prix de la Fondation pour la Recherche Médicale.
Si le XXème siècle qui vient de s'achever a pu être qualifié de "siècle de la Physique", il est presque déjà acquis que le XXIème siècle naissant sera celui des Sciences de la Vie, et en premier lieu celui d'une médecine renouvelée par les avancées de notre compréhension du vivant. Nous en voyons dès aujourd'hui les prémices tel que l'allongement de la durée de la vie, ce qui n'est d'ailleurs pas sans soulever d'autres problèmes, économiques et sociaux. Mais c'est avant tout un grand bonheur d'être Ministre en charge de la Recherche à un moment de l'histoire de la connaissance où nous pouvons entrer dans un nouvel age des lumières, où la médecine guidée par les avancées scientifiques peut nous permettre de mieux lutter contre la souffrance et le handicap, les prévenir même, et pouvoir apporter une pierre à cette uvre essentielle.
La Fondation pour la Recherche Médicale est une institution remarquable que je tiens à saluer ici de façon très sincère. Non seulement parce qu'elle est ancienne. Elle est précieuse à notre pays car elle a su respecter l'esprit de sa fondatrice, Mme Escoffier-Lambiotte, de soutenir la qualité et les besoins opérationnels, en ne cherchant jamais à imposer sa politique. Les sommes importantes collectées sur des dons et des legs privés, manifestation d'une solidarité citoyenne, ont toujours été utilisées pour accompagner, avec intelligence et souci de l'intérêt général, l'action des pouvoirs publics. De plus, la FRM a su adopter un mode de fonctionnement souple et réactif, permettant de répondre à des situations d'urgence ou de prolonger des travaux sur des sujets émergents qui ne pourraient se développer dans un cadre plus contraignant.

Cet accompagnement de la qualité et des besoins de la recherche médicale se traduit de plusieurs manières :

  • l'attribution de Prix qui nous réunit ce soir, depuis six ans maintenant, vise à faire connaître des recherches d'excellence ;
  • l'attribution d'aides à de jeunes chercheurs, est une contribution majeure permettant à de jeunes talents de poursuivre leur maturation avant leur entrée dans les organismes de recherche ou l'Université ;
  • l'implantation de nouvelles équipes, apporte un "coup de pouce" important à l'émergence de nouvelles thématiques ;
  • le subventionnement de laboratoires enfin sur des investissements urgents ou d'un montant important.

J'ai lu qu'au moins un chercheur sur trois, dans le domaine biomédical, avait déjà reçu l'aide de la Fondation pour la recherche médicale - aide attribuée par un Comité scientifique élu, composé de personnalités éminentes de toutes disciplines, et qui se porte garant, auprès des donateurs, de l'opportunité des travaux choisis.
J'adresse donc à son président, le Professeur Pierre Joly, mes remerciements les plus chaleureux pour ce soutien permanent à la recherche médicale - dont les résultats intéressent l'ensemble de la population.
Puisque la complémentarité est la condition indispensable de notre efficacité, je souhaite brièvement souligner certaines actions prioritaires du Ministère de la Recherche dans le secteur de la santé.
Les sciences de la vie constituent l'une des principales priorités du Ministère de la Recherche
Comme vous le savez, le Gouvernement a inscrit les sciences de la vie parmi les priorités de la recherche dès le premier CIRST de juillet 1998. Cette priorité, je l'ai réaffirmé et mise en uvre. Pour l'année 2000, c'est plus de 14,7 milliards de francs qui ont été engagés sur le BCRD, en progression de 6,5% sur 1999, pour arriver à 24,8% des crédits publics de recherche. Sur ces crédits, 8,6 milliards concernaient directement la recherche biomédicale.
Cet effort est amplifié en 2001, avec des progressions significatives des crédits de fonctionnement et d'investissement pour les EPST, au premier rang desquels l'INSERM et le CNRS, dont la Directrice générale est elle-même issue de la communauté des sciences de la vie, et a reçu pour mission de mobiliser fortement l'organisme dans ce domaine. Le budget de la recherche biomédicale dépassera cette année les 9 milliards de francs. C'est beaucoup. Je sais que c'est encore trop peu au regard des besoins et des efforts consentis par certains de nos partenaires étrangers, les USA en tête, mais également des pays européens tels que l'Allemagne et le Royaume-Uni.
Notre recherche médicale est de grande qualité. Je citerai d'emblée la "Première mondiale" du Professeur Alain Fischer, Président de votre Conseil scientifique. Son équipe de l'hôpital Necker - avec Marina Cavazzana-Calvo, et j'ai plaisir à observer qu'elle fut lauréate du Prix de la recherche clinique de la FRM en 1997 - a réussi l'an dernier la première thérapie génique en réussissant à soigner le Déficit Immunitaire Sévère lié à l'X ou DISC-X. Quatre enfants ont déjà pu retrouver une vie normale grâce à ces travaux. Le Prix Louis-Jeantet 2001, l'une des plus prestigieuses récompenses internationales dans le domaine de la recherche médicale, a justement couronné ce résultat exemplaire il y a trois mois. Vous savez que cette équipe continue à aller de l'avant, comme l'atteste la récente publication, dans le magazine Cell du 20 avril, d'un article identifiant le nouveau gène ARTEMIS comme responsable d'un déficit immunitaire grave.
Les équipes des Professeurs Frydman et Munnich ont réalisé l'an dernier le premier diagnostic pré-implantatoire en France, pour éviter une maladie rare et mortelle. J'observe ici que vous honorerez tout à l'heure du Prix Jean Bernard le Professeur Munnich, déjà lauréat du grand Prix de l'INSERM. L'équipe de Marc Peschanski développe avec succès une approche de thérapie cellulaire pour soigner la maladie de Huntington. Mme Ketty Schwartz, directrice de l'unité 523 de l'INSERM à la Salpêtrière a réussi, avec le Professeur Philippe Menasché, la première réparation cardiaque à partir de cellules musculaires peu différenciées prélevées sur un muscle périphérique Un nouveau chapitre essentiel s'ouvre donc pour la médecine régénératrice.
Nous souhaitons accompagner et aider au développement de cette recherche tant en moyens humains que matériels. Ainsi la dotation budgétaire de l'INSERM pour 2001 permet la création de 35 emplois de chercheurs, portant à plus de 100 postes la campagne de recrutement cette année, et de 39 emplois d'ITA. Les crédits sont en augmentation de 13,8% pour les Crédits de Paiement et de 16% pour les Autorisations de Programmes - avec 45 MF spécialement accordés à la recherche clinique.
Le Ministère de la recherche a pris, parallèlement à ces mesures budgétaires, diverses initiatives
Le Ministère de la Recherche assume évidemment un rôle de stimulation et de coordination. Je donnerai quatre exemples des programmes que j'ai lancé, dans des directions riches de perspectives pour la recherche médicale.
Une nouvelle série d'Actions Concertées incitatives
Le principe des ACI est d'apporter une impulsion à un domaine stratégique. L'action initiée par cette méthode volontariste devra, par la suite, trouver son épanouissement à l'intérieur des cadres institutionnels classiques.
Sur la base du rapport que le Comité de Coordination des Sciences du Vivant a établi en juillet 1999, j'ai créé un nouvelle ACI avec la "Biologie intégrative", dont les deux premières lignes - "Biologie du développement" et "Physiologie intégrative" - ont été lancées dès le 4 juin 2000. La troisième ligne "Neurosciences intégratives et computationnelles", qui achève de couvrir ce champ de recherche, a été établie le 4 avril dernier.
Pourquoi ce choix ? L'analyse moléculaire va nous conduire très prochainement à connaître la totalité de la séquence de notre patrimoine génétique, ainsi que de celui de nombreuses espèces animales et végétales - et je vous rappelle que les crédits du programme "Génome" atteindront cette année 450 MF sur le seul Fonds National de la Science. Nous allons ensuite effectuer un retour vers la physiologie, une science née en France au début du XIXème siècle avec François Magendie et développée par les pionniers de la médecine expérimentale, en particulier Claude Bernard. Après l'analyse des pièces du puzzle du vivant, c'est un retour vers la complexité qui s'opère. A cet égard, le système nerveux paraît le plus complexe de tous.
Le budget 2000 comportait 10 MF pour chaque ligne. Ce budget a été porté en 2001 à 15 MF, pour tenir compte d'un appel d'offre spécifique consacré au cellules souches. L'intention de cet appel d'offres est de développer l'application de la médecine régénératrice, en particulier au système nerveux. En effet, l'existence de cellules souches totipotentes dans le cerveau adulte soulève de grands espoirs pour le traitement de plusieurs maladies neurologiques, dont la sclérose en plaques, la sclérose latérale amyotrophique, la maladie d'Alzheimer et la maladie de Parkinson. Mais, comme toujours en recherche, cela n'est pas limitatif. On m'indique par exemple qu'une équipe travaillant sur les cellules souches hématopoïétiques, et donc à l'origine des différentes lignées sanguines, rejoindra prochainement le laboratoire de Marc Peschanski à Créteil pour développer un véritable plateau technique consacré aux cellules souches, en interaction directe avec les cliniciens du site.
Ce qui se profile ici, c'est la voie vers la compréhension des mécanismes qui fondent la construction de l'individu. Elle nous engage sur les territoires inexplorés d'une "physiopathologie en temps réel" - grâce, en particulier, à l'étude des animaux transgéniques et à de nouvelles techniques d'investigation non invasives.
La création de Centres de Ressources Biologiques
Garantir aux chercheurs le meilleur accès possible au matériel dont ils ont besoin relève aussi de nos responsabilités. Dans le domaine des sciences de la vie et de la médecine, la nature biologique de ce matériel entraîne des problèmes d'une grande complexité, qu'ils soient d'ordre technique, économique ou moral.
La question des ressources biologiques fait l'objet d'une réflexion approfondie menée par le Ministère de la Recherche. Celles-ci représentent en effet un enjeu majeur, pour plusieurs raisons : elles constituent un patrimoine, un réservoir de gènes qui doit être reconnu et protégé ; leur étude exige des conditions de recueil, de conservation et d'accessibilité rigoureuses ; elles soulèvent d'importantes questions juridiques s'étendant au plan international, car elles ne peuvent évidemment pas être considérées comme de simples marchandises ; elles sont à l'origine d'innovations biotechnologiques en matière agro-alimentaire et de santé.
Le travail accompli en France nous vaut aujourd'hui, à juste titre, une reconnaissance internationale qui permet à notre pays d'apparaître comme pionnier de l'organisation des centres de ressources biologiques dans le monde. Notre pays a été choisi pour assurer la coordination de la mission de l'OCDE sur ce sujet.
Ces centres permettent de regrouper des collections d'organismes (cellules microbiennes, végétales, animales et humaines) et d'éléments de ces organismes (fragments de tissus, acides nucléiques, protéines) jusqu'alors disséminées dans des centres de recherche, des laboratoires ou des hôpitaux. Après les avoir acquises et validées, les centres peuvent en autoriser l'accès et en réguler l'utilisation, en veillant à la rigueur scientifique (origine, traçabilité, biodiversité), à la sécurité (pour éviter la diffusion d'agents pathogènes, par exemple), au respect d'impératifs éthiques (notamment pour les ressources biologiques d'origine humaine), à l'équilibre des échanges économiques (pour éviter des pertes patrimoniales et des applications industrielles non raisonnées).
Afin que toutes les procédures soient respectées, une charte déontologique des centres de ressources biologiques humaines va entrer en vigueur, sous le contrôle d'un Comité Consultatif composé de représentants de tous les organismes de recherche, d'associations caritatives et bientôt, je l'espère, des Ministères de la Santé et de l'Agriculture. Cette action est dotée de 25 MF pour 2001, sur le Fonds de la Recherche et de la Technologie. Compte tenu des partenariats déjà noués sur ce thème avec les organismes de recherche qui s'engagent sur leur budget propre, le Ministère de la Santé et les associations caritatives, c'est en fait 60 MF qui seront investis.

La création d'un Institut de la Longévité
J'ai dis tout à l'heure que l'allongement de la durée de la vie est certainement le résultat le plus spectaculaire des progrès médicaux récents. Mais la question essentielle se pose : vivre certes vieux, mais surtout vivre mieux. Vous me permettrez cette boutade : nous souhaitons tous mourir jeunes, mais le plus tard possible.
Sur proposition du Professeur Etienne-Emile Beaulieu, et à la suite d'un Atelier de travail qui a réuni à l'INSERM, le 7 mars dernier, plusieurs grands scientifiques et médecins, j'envisage de créer un Institut de la Longévité, conçu comme une institution sans murs mettant en uvre un programme fédérateur. Il ne s'agit pas en effet de créer une structure lourde et pesante, mais un Groupement d'intérêt scientifique (GIS) réunissant le Ministère de la Recherche (ainsi que d'autres structures ministérielles concernées), les organismes publics de recherche et les associations de malades.
L'allongement de la durée de vie entraîne d'importantes conséquences sociales et de santé publique. Mais surtout vivre plus vieux, ce doit être aussi mieux vieillir. Nous souhaitons favoriser le mieux-être des personnes du troisième et du quatrième âge. Il convient donc de dresser le bilan des multiples actions de recherche déjà en cours : plusieurs programmes du Ministère de la Recherche contribuent indirectement à des recherches sur la longévité et sur ses conséquences, mais ne sont pas reliés entre eux. Il convient aussi de dégager de grandes orientations encore peu développées, que ce soit en recherche fondamentale, dans le domaine de la prévention, ou dans celui des traitements de maladies associées à l'âge.
Ainsi la génomique et la post-génomique devraient contribuer à renouveler la recherche sur le vieillissement. Des recherches biologiques, cliniques, pharmacologiques et thérapeutiques sont également à mener. Elles porteraient, par exemple, sur le vieillissement cellulaire, ou sur cancers et vieillissement sur les systèmes nerveux, neuro-endocrinien, ostéo-musculaire, cardio-vasculaire, immunitaire, ainsi que sur les organes des sens, la peau ou la nutrition. · Nouvelles cibles et molécules thérapeutiques C'est aussi un grand plaisir pour moi de saluer le Professeur Bernard Roques que vous honorez aujourd'hui. Il est l'un de nos plus grands spécialistes de pharmacologie, un domaine dans lequel la France s'est illustrée durant plusieurs décennies. Professeur à la Faculté de Pharmacie de Paris, il a pendant des années dirigé le DEA de pharmacologie, et formé plusieurs générations de pharmacologues qui dirigent aujourd'hui des laboratoires à travers l'ensemble de notre pays. Spécialiste des peptides, et de leurs enzymes de dégradation, Bernard Roques et son équipe ont contribués à des avancées majeurs en Neurosciences et ouverts la voie à des innovations thérapeutiques majeurs dans le domaine de la douleur, des maladies neurodégénératives et psychiatriques, mais également dans le domaine des troubles digestifs et des infections par le virus VIH. C'est donc à un chercheur d'une exceptionnelle polyvalence, un modèle de pluridisciplinarité, que vous honorez aujourd'hui.
L'évolution récente de l'industrie pharmaceutique, si elle nous permet d'avoir le quatrième ou le cinquième groupe mondial avec Aventis, nous inquiète cependant : car les centres de recherche de cette industrie s'éloignent ou s'amenuisent. Paradoxalement, les possibilités d'innovations thérapeutiques n'ont jamais été aussi variées. Nous avons donc décidé d'engager une action en faveur des recherches sur les molécules d'intérêt thérapeutique, en nous appuyant sur plusieurs rapports de chercheurs du CNRS et/ou de l'INSERM. Une action commune avait déjà été initiée, en 2000, par le département de chimie du CNRS et l'INSERM. Pour 2001, 28 MF, issus des crédits de la direction de la Recherche et de la direction de la Technologie seront mobilisés afin de poursuivre de nouveaux travaux.
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D'autres opérations récemment mises en place viennent animer notre dispositif de recherche en sciences de la vie. Je ne les énumérerai pas, voulant simplement rappeler qu'il s'agit d'un domaine à multiples entrées, que nous essayons de faire converger vers un même objectif : celui de développer des applications thérapeutiques, ou pharmaceutiques, à partir d'une recherche fondamentale forte.
Vous allez maintenant procéder à la remise des Prix, et j'en félicite à l'avance tous les lauréats. Je tiens à vous dire combien j'apprécie que vous ayez décidé de consacrer l'un d'eux à la communication scientifique, et de récompenser un journaliste pour son travail d'information.
La demande d'information sur la science est forte, aujourd'hui plus que jamais. Elle est un signe de la volonté qu'ont les citoyens d'effectuer eux-mêmes les choix fondamentaux qui les concernent. Je tiens beaucoup, de mon côté, à "désanctuariser" la science, car les questions de santé, d'alimentation, d'environnement, de qualité de vie appartiennent à tous. L'ensemble de nos compatriotes revendique ici le droit très légitime d'être informé sur les perspectives qui s'ouvrent, et aussi les interrogations, les doutes, les problèmes de conscience qui se posent aux spécialistes. Merci, donc, aux chroniqueurs scientifiques d'accomplir ce travail de transmission du savoir, indispensable la démocratie.

(source http://www.recherche.gouv.fr, le 2 mai 2001)