Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec la presse le 24 septembre 2009 à New York, sur le dossier nucléaire iranien et la menace de nouvelles sanctions.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Q - Je n'ai toujours pas compris si l'Iran a parlé de son site nucléaire à l'AIEA parce qu'il savait que la France et d'autres pays en connaissaient l'existence ou si vous l'avez appris de la lettre adressée à l'AIEA. Comment cela s'est-il passé ?
R - Non, nous ne sommes pas à l'origine de tout cela, mais nous savions et donc bien sûr ils ont indiqué à l'Agence l'existence de ce second site, près de Qom. Nous savons désormais qu'ils avaient caché l'existence de ce second site pendant quatre ou cinq ans. C'est un élément supplémentaire en leur défaveur puisque pendant qu'ils discutaient, sans répondre aux questions de l'Agence, ils travaillaient déjà sur ce second site. Pourquoi ?

Q - Et quand précisément avez-vous appris l'existence de ce site ?
R - J'en ai pris connaissance lorsque j'ai lu la déclaration des trois présidents à Pittsburgh ! Non, bien sûr, je le savais déjà depuis un certain temps.

Q - Y a-t-il un différend entre vous et Sarkozy ?
R - Si vous me permettez, il n'y a pas de différend entre nous, nous discutons. Il est mon président, s'il veut décider de quelque chose, c'est à lui de voir. Nous discutons des sanctions dans leur aspect général et nous parlons de la Birmanie, etc. et, comme vous le savez, nous ne sommes pas en faveur de sanctions ciblant la population et les plus pauvres. C'est tout, il s'agissait d'une discussion d'ordre général, nous ne sommes pas opposés l'un à l'autre. Cela arrive parfois, mais jamais totalement. Mais je suis très respectueux et j'agirai suivant ses décisions.

Q - Pensez-vous que la révélation de l'existence de ce site nous rapproche d'une action militaire ?
R - Non, je ne le pense pas. Je ne l'espère pas. C'est pour éviter toute action militaire que nous insistons sur la nécessité du dialogue avec l'Iran. Et un nouveau volet de ce dialogue commencera le 1er octobre à Genève. Parce qu'à l'arrivée de la nouvelle administration, le président Obama a proposé un dialogue direct entre les Iraniens et le peuple américain. Il s'agit d'une nouvelle attitude, ce n'était pas le cas sous l'administration Bush. C'est une nouvelle ère et nous voulons soutenir l'offre du président Obama. Nous espérons que cela permettra de commencer un dialogue réellement transparent et de faire diminuer la tension dans la région ; nous ne sommes absolument pas en faveur d'une action militaire.

Q - Donc pas d'action militaire et pas de sanctions. Quelles sont les options que vous préparez ?
R - Il faut que l'Iran réponde aux questions de l'AIEA et agisse de manière transparente tel qu'il s'y était engagé en signant le traité de non-prolifération. C'est assez simple. Pourquoi ont-il caché leur programme à la communauté internationale ? Est-ce qu'ils développent un programme militaire ? C'est la question principale. S'ils veulent développer un programme civil, ils en ont tout à fait le droit, et donc ils peuvent répondre aux questions qui leur sont posées, c'est facile. Mais vous savez, enrichir de telles quantités d'uranium... ils ne préparent certainement pas un programme civil. Les experts sont très clairs là-dessus.

Q - Est-ce que les sanctions sont "hors de la table" ?
R - Les sanctions ne sont pas "sur la table", mais nous avons déjà, vous le savez - les "E3+3" - proposé, fait accepter et voter au Conseil de sécurité trois résolutions avec des sanctions. Donc cela n'est pas nouveau. Ne vous étonnez pas qu'il y ait dans l'ombre, ou planant, des sanctions. Nous n'avons pas parlé de sanctions à la réunion qui s'est déroulée à New York avec les "E3+3", nous avons au contraire accepté avec les Russes et avec les Chinois, un document disant que nous saluons cette réunion du 1er octobre et que nous nous préparons à y aller pour développer au maximum une entente, une clarté et une transparence entre nous. Nous verrons bien si nous pouvons obtenir de parler du sujet qui nous intéresse. Pas seulement du reste du destin du monde. Or, dans ce document iranien, il n'y a pas la mention d'un dialogue sur l'évolution d'un programme nucléaire, c'est inquiétant.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2009