Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "I-Télé" le 24 septembre 2009 à New York, sur le dossier nucléaire iranien et la menace de nouvelles sanctions, le cas de la jeune universitaire Clotilde Reiss retenue en Iran, le Proche-Orient et le G20.

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Circonstance : 64ème Assemblée générale des Nations unies du 21 au 25 septembre 2009 à New York

Média : Itélé

Texte intégral

Q - Merci, Bernard Kouchner, d'être en direct avec nous, d'avoir trouver du temps dans votre agenda, on sait que vous circulez de réunion en réunion à l'ONU. Il est, je crois, 16 heures à New York, n'est-ce pas ?
R - Oui, à dix minutes près. Je sais que vous allez partir Patricia, changer non pas de métier mais de lieu de travail. Je voudrais vous dire très sincèrement que je vous regretterai.

Q - Merci beaucoup, c'est gentil. Monsieur le Ministre, je crois que vous étiez dans l'hémicycle tout à l'heure, au moment de l'intervention remarquée du président de la République pendant le Conseil extraordinaire sur le nucléaire. Monsieur le Ministre, nous avons senti de la tension vu de Paris. Vous vous trouviez dans l'hémicycle, l'avez-vous ressenti également ?
R - Non. Le langage est franc, Nicolas Sarkozy s'exprime, comme d'habitude, avec beaucoup de sincérité.
De nombreux pays qui ont, comme nous, déjà participé à des réunions avec les Iraniens et qui continueront de le faire, pensent comme nous. Ne croyez pas une seconde, je vous le dis, qu'entre le président Obama et le président Sarkozy il y ait eu de la tension, au contraire.
Nous sommes ravis qu'un certain nombre, et non des moindres, des dirigeants de cette planète rejoignent les positions françaises.
Nous avons toujours dit qu'il fallait parler aux Iraniens. Nous l'avons fait, les Britanniques, les Allemands, les Russes l'ont fait également et maintenant, le président Obama, depuis qu'il est élu, a tendu la main aux Iraniens. Il a eu raison, nous soutenons cette position. Nous sommes simplement en attente des résultats.
Attendons le 1er octobre, il y aura une réunion à Genève avec les E3 + 3 mais en fait, c'est la première fois que les Etats-Unis d'Amérique participeront vraiment. Ils sont venus une fois à Genève, mais ce n'était qu'occasionnel.

Q - Bernard Kouchner, s'il n'y a pas de tension, n'y a-t-il pas désaccord sur la ligne à suivre ?
R - Il n'y pas de désaccord. Barack Obama a proposé une politique de la main tendue. Nicolas Sarkozy a dit : "nous soutenons cette politique". Nous verrons bien quels seront ces résultats. Les Britanniques, les Allemands, les Russes, les Chinois soutiennent également cette tentative de dialogue. Mais, dans le document que les Iraniens nous ont fait parvenir, le nucléaire n'est pas compris dans le texte, cela nous pose problème.
Le problème de fond, c'est évidemment la poursuite de l'enrichissement de l'uranium en Iran. Nous espérons que la question sera enfin abordée par les Iraniens, nous n'en sommes pas sûrs.
Avec les Etats-Unis ne pensez pas qu'il y ait désaccord. Il y a, entre amis et entre amis très proches, des échanges sur nos analyses, mais nous avons dit très clairement : "oui, parlons une fois de plus avec les Iraniens".
D'ailleurs, je rencontrerai demain le ministre des Affaires étrangères iranien, M. Motaki.

Q - Monsieur Kouchner, vous connaissez bien Laurence Haïm, elle est à Pittsburgh ce soir. C'est la correspondante de Canal Plus et d'I-Télé aux Etats-Unis, c'est la seule journaliste française à avoir eu une interview de Barack Obama sur notre antenne avant sa venue en France.
Vous dites qu'il n'y a pas de tension entre les deux présidents ; je voudrais demander à Laurence qui, vous le savez, est au mieux avec Robert Ghidge pour savoir ce qu'il lui a indiqué.
R - Si je peux me permettre d'intervenir dans votre conversation, je suis content que Laurence Haïm soit d'accord avec moi.

Q - Vous faites souvent entendre votre voix sur l'Iran et là, on vous a lu récemment dans l'International Herald Tribune. Si je ne me trompe pas, vous n'êtes pas pour une sanction particulière qui serait des restrictions d'exportations d'essence si des nouvelles sanctions étaient votées. Est-ce parce que vous craignez, au vu de ce qui s'est passé cet été, une explosion, une implosion de la société iranienne ?
R - Non, je ne crains pas cela. Tout d'abord, dans la société iranienne - merci de le souligner -, il y a un événement majeur, c'est la résistance au gouvernement actuel avec une demande d'ouverture, de liberté et peut-être plus que cela. Ce qui me paraît être un mouvement très profond. Mais, à part cela, ne pensez pas seulement aux différences, même de détail, pensez à l'élan international qui veut régler ce problème, c'est ce qui va se produire à Genève, le 1er octobre prochain.
Je pense, par expérience, qu'il faut faire attention avec les sanctions mais c'est souvent indispensable. Le président Medvedev vient de le dire, cela peut arriver. Il faut peut-être travailler sur des sanctions, nous n'en sommes pas là. Nous avons voté trois résolutions au Conseil de sécurité notamment avec les Chinois et les Russes. Nous allons en reparler.
Cela dit, certaines sanctions, en effet, affectent la population et, a priori, je m'en méfie car cela peut être contre-productif. Mais c'est tout.

Q - Bernard Kouchner, un dernier mot concernant l'Iran. Nicolas Sarkozy s'est exprimé hier soir très sévèrement, en rejetant l'idée d'un échange entre la Française Clotilde Reiss qui est toujours assignée à résidence dans l'ambassade de France à Téhéran et l'assassin de Chapour Baktiar. Si ce plan-là n'est pas le bon, Monsieur le Ministre, que fait-on ? A-t-on un plan B pour faire revenir cette jeune Française chez elle - je sais que cela vous préoccupe ?
R - Oui. Nous nous sommes pleinement mobilisés et nous espérons que cette jeune femme innocente reviendra chez nous rapidement. Il n'y a rien de commun entre Clotilde Reiss, qui est une jeune enseignante innocente, et l'assassin de Chapour Baktiar. L'homme a été condamné à la réclusion à perpétuité..
Ces deux cas n'ont rien à voir. Le président de la République, si je peux me permettre un jugement, a eu parfaitement raison de dire qu'il n'y avait pas de marchandage possible.
L'innocence de Clotilde Reiss doit être reconnue.

Q - Il nous reste peu de temps. Votre réaction, on l'a vu. Benyamin Netanyahou tout à l'heure, a fait lui aussi une intervention très forte en montrant les plans des camps d'exterminations ... (coupure) ...Pour répondre aux provocations iraniennes.
Est-ce la bonne méthode pour répondre à l'Iran ou trouvez-vous que l'on va dans la surenchère ?
R - Je ne sais pas si c'est la bonne méthode mais je sais qu'Auschwitz Birkenau a existé. Mes grands-parents y sont morts et je pense à eux en ce moment. Je ne veux pas que l'on joue avec cette affaire et je trouve absolument inacceptable la position du président Ahmadinejad, inacceptable et inacceptée.
Il y a des problèmes au Moyen-Orient. Nous sommes pour la création d'un Etat palestinien, je le dis parce que vous avez fait allusion à Benjamin Netanyahou qui l'a évoqué, ce qui est un progrès. Mais les choses traînent, hélas. Il faut que les négociations reprennent entre les Palestiniens et les Israéliens.
Là aussi, les Américains ont pris une position qui me semble très juste. Essayons ensemble, toute la communauté internationale cette fois, de faire en sorte qu'un Etat palestinien puisse exister au plus vite, c'est une partie de la solution.

Q - D'un mot, êtes-vous optimiste ou pessimiste sur le G20 qui s'ouvre ce soir ?
R - Je suis plutôt optimiste même si nous n'aurons pas tout ce que la France a demandé. Encore une fois, vous savez, on parle beaucoup de la France dans les couloirs des Nations unies. La diplomatie française, la politique française est très claire. La voix de la France porte. Vous l'avez dit tout à l'heure d'ailleurs. C'est mieux de se parler entre amis, mais en restant très déterminé.
Sur le climat, je crois que, jusque-là, la position de la France, la position européenne a été pratiquement respectée. Les propositions faites par les Européens auront un écho et plus qu'un écho à Copenhague. Mais, avant, il y aura Pittsburgh et je crois que cela se déroulera bien.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2009