Texte intégral
J.-P. Elkabbach.- Il est en direct du Salon de l'élevage, à Rennes, en pleine crise du lait et du porc et entouré de manifestants, aujourd'hui. J.-M. Lemétayer, bonjour.
Bonjour J.-P. Elkabbach.
Une partie de votre base est en colère, J.-M. Lemétayer, elle ne cesse de le montrer, elle a bousculé l'autre jour le ministre B. Le Maire, elle vous a sifflé, chahuté. En France, des actions ont lieu aujourd'hui, organisées par la Confédération paysanne et les indépendants, par exemple près du Mont Saint-Michel, on l'a dit tout à l'heure à 08h00. Est-ce que vous constatez vraiment que la contagion gagne, aujourd'hui ?
Je ne le pense pas, parce que c'est vrai que j'ai été un peu malmené mardi dernier, au moment de l'inauguration du Salon de l'élevage, mais je peux vous assurer que les centaines et centaines de messages de soutien, et hier et avant-hier j'ai circulé dans les allées, dans le salon, et j'ai vu, rencontré, des milliers d'éleveurs, je peux vous assurer que je peux compter sur leur soutien, ce qui n'empêche et qui n'enlève en rien à ce qui se passe par ailleurs et au désespoir exprimé par un certain nombre d'entre eux, parce qu'effectivement, les producteurs de lait... mais je voudrais dire, ce matin, à nouveau à l'antenne, qu'il n'y a pas que les producteurs de lait. On entend beaucoup parler de la crise laitière, moi, hier soir, j'étais au milieu de 400 producteurs de porc qui vivent une crise toute aussi grave que le secteur laitier, puisque comme on le sait, l'année agricole est extrêmement mauvaise.
Et qui eux aussi vont peut-être manifester. Mais en tout cas, ce sont les producteurs de lait qui déversent leur lait dans les champs. L'image frappe. Pourquoi la FNSEA donne l'impression, ou de les lâcher ou de refuser de soutenir cette grève du lait ?
Effectivement, je ne partage pas cette notion de faire la grève du lait pour défendre nos positions auprès du Gouvernement et au niveau européen. Je respecte ceux qui font la grève du lait. Je pense que donner son lait, ceux qui font des dons de lait, c'est aussi apprécié par les consommateurs. Je pense en revanche que montrer la manière dont on peut jeter le lait alors que pour les enfants, le lait ça veut dire la vie, et nous recevons à Rennes des tas de visiteurs étrangers qui ne comprennent pas qu'on puisse jeter de cette manière une production qui est un véritable symbole.
Ça vous blesse, ça vous choque ?
Moi, jeter le lait, je suis incapable, dans ma ferme, J.-P. Elkabbach, incapable... J'ai trait mes vaches dimanche dernier, j'ai pensé à ceux qui faisaient la grève du lait, à ceux qui jetaient immédiatement leur lait dans la fosse à lisier, et je me suis dit : « Je ne suis pas capable de le faire », ma soeur et mon beau-frère non plus, et tellement d'autres producteurs que j'ai rencontrés toute la semaine, sont incapables.
Oui, mais ça explique, si on le fait, ou s'ils le font, leur désarroi. Est-ce que dans ce climat, vous n'êtes pas un peu débordé et surtout trop prudent ?
Non, je ne suis pas prudent. En fait, certains expriment d'une certaine manière le combat que je mène depuis longtemps, parce que le vrai sujet, c'est une politique ultralibérale, produite au niveau européen par madame Fischer Boel, une politique qui mène dans le mur, une politique dramatique pour les producteurs, une politique qui mène à la disparition de centaines de producteurs. Et effectivement, c'est cette politique-là qu'il faut changer.
J.-M. Lemétayer, comment, la personne que vous citez, madame Fischer Boel, la commissaire, peut-elle appliquer encore une politique ultra libérale alors qu'elle va s'en aller et être remplacée ?
Je pense que maintenant nous n'avons plus qu'à attendre son départ, parce qu'elle a encore fait quelques propositions il y a 48 heures, je pense que l'heure n'est plus à travailler les propositions de madame Fischer Boel, parce que c'est un certain nombre d'aménagements à la marge, mais qui ne sont pas des changements fondamentaux de la politique... Et monsieur Barroso, qui vient d'être renouvelé dans ses fonctions de président de la Commission, j'espère qu'il proposera un ou une commissaire à l'Agriculture, qui aura une autre vue de la Politique agricole que l'on doit conduire dans notre Europe, à 27.
Est-ce que, J.-M. Lemétayer, vous réclamez ce matin le départ de madame Fischer Boel ou en tout cas sa neutralisation, tant qu'elle est là, dans l'intérim ?
Ecoutez, elle va partir en même temps que les autres. Oui. Et je pense qu'aujourd'hui ce n'est plus la peine qu'elle agisse. Sa dernière déclaration, parmi ses dernières déclarations, elle a pensé que parmi les solutions pour les producteurs de lait, c'était de mettre une prime au départ d'un certain nombre. Je pense que nous ne sommes pas trop nombreux, les producteurs de lait. Les producteurs de lait ont besoin d'un meilleur revenu et surtout de meilleurs prix, mais pour avoir de meilleurs prix, il faut changer de politique laitière. Elle a fait des propositions en disant : entreprises et producteurs, organisez-vous. On peut s'organiser, on peut mieux s'organiser, mais à la condition, à la condition qu'il y ait encore une base de politique publique. On sait très bien que pour organiser un grand marché européen dans nos 27 pays, ça ne peut pas se faire en disant tellement : tel producteur dans tel endroit de notre pays...
Ça, vous le dites à J.M. Barroso. Pour le moment, madame Fischer Boel, qui est têtue...
Ce n'est plus la peine de travailler les propositions de madame Fischer Boel.
Voilà. Elle, elle refuse de réguler le marché, et vous dites : il faut réguler le marché, aujourd'hui et dans l'avenir, pour sauver à la fois des agriculteurs et des éleveurs, de porcs et de lait.
Bien sûr, mais sur l'ensemble des productions agricoles. On ne peut pas rester, monsieur Barroso doit comprendre, parce qu'on sait très bien que les décisions au niveau de la Commission européenne se font à l'unanimité des commissaires, mais il faut d'abord que le commissaire européen à l'Agriculture ait une autre vue de politique agricole. Donc, la régulation dont on a tant parlé, sur les marchés économiques et financiers, sur les marchés financiers, elle est une nécessité concernant la politique agricole et alimentaire, et je dis même, J.-P. Elkabbach, que cette régulation, elle devrait être la volontés de nos chefs d'Etat et de Gouvernement à l'échelle mondiale. On a un problème de gouvernance de politique agricole et alimentaire, sur le plan mondial.
Vous voulez dire que, puisque c'est au niveau mondial, aux Nations Unies dès mardi, au G20, qui aujourd'hui... il faut régler les problèmes agricoles et alimentaires. B. Le Maire va recevoir, il l'a proposé tout à l'heure, les dirigeants syndicaux, demain, à Paris, dont vous-même, et lundi les banques et les assurances. Qu'est-ce que vous lui demandez, qu'est-ce qu'il faudra demander aux banques ?
Il y a une urgence : c'est d'aider à la trésorerie et à la situation de revenus des producteurs de lait et d'autres productions d'ailleurs, en cette fin d'année 2009. Donc, en recevant les banques, les assurances, il faut qu'il obtienne de leur part, avec l'argent qu'il a lui-même mis sur la table, la possibilité de report de toutes nos factures de fin d'année, de toutes nos échéances de fin d'année, de façon à pouvoir permettre aux producteurs d'envisager 2010 avec un peu d'espoir, parce que la question qui est posée aujourd'hui, c'est de faire garder espoir aux producteurs de lait. Leur faire garder espoir par une nouvelle Politique agricole européenne, leur faire garder espoir par un soutien aux revenus de l'année 2009.
On va vite. N. Sarkozy va répéter à New York et à Pittsburgh, comme hier à Bruxelles, la nécessité, d'abord, pour l'Europe, d'une taxe carbone aux frontières. Qu'en pense la FNSEA ?
Cette taxe carbone n'est pas supportable par les producteurs agricoles français, si nous sommes les seuls à supporter cet engagement au service de, je dirais, j'allais dire...
Alors, encore un traitement de faveur pour les agriculteurs !
... ça veut dire que le chef de l'Etat, le Gouvernement, ne peuvent pas taxer aveuglément les producteurs français. Je n'imagine pas un instant, je l'ai déjà dit au président de la République, qu'on importe l'an prochain, sur le marché français, des produits agricoles qui ne supporteraient pas une taxe, pendant que dans le même temps, les producteurs agricoles français auraient payé une taxe. On ne va plus pouvoir être en compétition équitable avec nos propres concurrents, on est....
J.-M. Lemétayer, une dernière chose : il parait que N. Sarkozy a dit l'autre jour, devant les députés UMP : « Avant, malgré l'interdiction de l'Europe, on faisait un chèque à la FNSEA qui le distribuait aux agriculteurs. Aujourd'hui, c'est fini, il faut respecter les règles de l'Europe. Est-ce que vous ne pouvez pas faire autre chose que d'être d'accord avec lui ?
D'abord, la FNSEA n'a jamais reçu de chèque de l'Etat. On s'est toujours battu pour défendre le revenu des producteurs, et à certains moments, il y a eu des décisions d'accompagnement...
Non, mais vous étiez sans arrêt arrosés !
Mais je ne comprends pas, je demande des comptes au président de la République, je voudrais qu'il m'explique quel chèque à la FNSEA, mais je voudrais surtout qu'il prenne un engagement, le président de la République, c'est d'alléger les charges qui pèsent sur les producteurs agricoles français. La Politique agricole, elle est européenne, malheureusement les charges sont françaises. Et je voudrais que le président de la République, qui doit paraît-il s'exprimer au courant du mois d'octobre, comprenne qu'il est grand temps, grand grand temps, de donner les possibilités aux producteurs français d'être compétitifs, performants et acteurs sur notre marché français et européen.
Merci J.-M. Lemétayer, ne vous faites pas chahuter à Rennes. Il y en a qui déversent du lait, vous vous déversez des propos musclés ce matin.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 septembre 2009