Interview de M. Patrick Devedjian, ministre chargé de la mise en oeuvre du plan de relance, à Radio Classique le 12 octobre 2009, sur les relations entre la Turquie et l'Arménie, la polémique au sujet de la nomination éventuelle de Jean Sarkozy à la présidence de l'EPAD et sur l'utilisation des crédits du plan de relance.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

G. Durand.- Bonjour P. Devedjian.
 
Bonjour.
 
Vous êtes chargé auprès du Premier ministre du Plan de relance, donc ministre et président du Conseil général des Hauts-de-Seine. Nous allons parler de tous les sujets d'actualité en parlant évidemment, en évoquant l'affaire J. Sarkozy, la bonne performance de D. Douillet, les suites de l'affaire de F. Mitterrand et bien évidemment tout le secteur qui est le votre, qui est en charge de l'économie, de ce fameux Plan de relance. Mais auparavant, quelque chose qui vous touche probablement qui est cette signature intervenue entre- je sais bien que c'est un peu loin des préoccupations françaises - entre les Arméniens et les Turcs mais c'est vrai qu'il y a une grande communauté arménienne en France et que pour beaucoup de gens, comme des Français célèbres, comme Charles Aznavour, c'est un pas très important.
 
Oui, c'est un pas très important dans la mesure où ça devrait conduire rapidement à l'ouverture de la frontière entre l'Arménie et la Turquie parce que jusqu'à maintenant, non seulement la Turquie dénie l'existence du génocide arménien mais en plus ne pardonne pas aux victimes. Elle organisait le blocus de l'Arménie qui est très enclavée dans les montagnes.
 
Il y a combien d'Arméniens en France ? D'origine arménienne ?
 
On dit 500 000.
 
C'est énorme.
 
Mais je ne sais pas ce que vaut la statistique.
 
Oui mais c'est quand même beaucoup.
 
Oui ça donne l'ampleur de la souffrance qui a conduit à cette immigration.
 
Qui vous concerne directement, vous ?
 
Je suis né à Fontainebleau mais mon père était dans cette situation.
 
Il est arrive en France quand ?
 
En 1919.
 
En 1919, donc porteur dans la tradition familiale justement de cette affaire...
 
Porteur de la revendication de la reconnaissance du génocide arménien. Ce qui est énorme et ce qui est une souffrance, je crois, pour tous ceux qui ont cette histoire, c'est que c'est un génocide, c'est arrivé à d'autres peuples malheureusement mais c'est le seul génocide qui soit nié par l'Etat qui l'a perpétré. C'est difficile à vivre.
 
On a franchi donc ces derniers jours un pas important. On va maintenant entrer évidemment dans les grands dossiers politiques en France avec l'affaire J. Sarkozy, qui pourrait accéder à la présidence de l'EPAD. Hier sur RTL, petit point de vue qui fait beaucoup de bruit, celui de S. Royal.
 
S. Royal : S'il ne portait pas le nom qu'il porte, est-ce qu'il serait à la place à laquelle il est aujourd'hui ? Ce sont des enjeux financiers très importants. Ca peut toujours servir avant une prochaine élection présidentielle.
 
Voilà l'accusation est directe. Il y a à la fois de la prudence et de la menace dans le ton de S. Royal évoquant donc la présidentielle. Alors est-ce que vous croyez que c'est non seulement une bourde mais une erreur politique fondamentale de la part du président de la République ?
 
Il ne faut pas exagérer non plus. Ce n'est pas un poste de la République qui soit si emblématique que ça. C'est vrai que La Défense c'est en même temps pour notre pays, quelque chose d'important dans la mesure où c'est le premier grand quartier d'affaires européen. C'est le premier.
 
C'est justement ça qu'on lui reproche, c'est-à-dire de lui avoir donné à 23 ans et sans une qualification extrême une responsabilité aussi importante.
 
Il apprendre aussi. C'est en forgeant qu'on devient forgeron.
 
Vous en avez parlé au président de la République en lui disant qu'il faisait peut-être une erreur ?
 
J'en ai parlé avec le président de la République puisque je suis le président sortant.
 
Et il vous a dit quoi ?
 
Je lui ai dit que j'avais remis les choses en ordre mais que c'était aussi quelque chose de complexe. Cela dit, il sera assisté, donc il sera aidé et puis c'est un garçon intelligent, il est capable d'apprendre.
 
Est-ce qu'il est possible d'après vous de faire machine-arrière parce qu'en fait, ce n'est pas une nomination. Il a été présenté par le groupe mais ce n'est pas définitif.
 
Je ne sais pas si il faut faire machine-arrière vous voyez. Je pense que d'abord il ne faut pas non plus en faire une histoire. L'opposition s'est emparée de ça, je le comprends bien...
 
Mais d'une manière très violente. S. Royal, F. Bayrou, C. Duflot. Il y a une pétition qui circule. Le Parti socialiste... Enfin ça fait quand même beaucoup de monde.
 
Ca fait beaucoup de monde mais ce n'est guère que l'opposition qui s'empare de tous les prétextes. Et si la majorité capitulait devant l'opposition, je pense que ça laisserait quand même de toute façon une impression...
 
Vous avez une petite voix quand vous parlez de ça. On sent fondamentalement que vous n'êtes pas d'accord avec cette affaire.
 
Non pas du tout. Moi j'ai pris beaucoup d'intérêt à exercer la responsabilité de l'EPAD. J'ai 65 ans, voilà je sais depuis longtemps que j'aurais cette échéance. Donc je trouve normal et légitime d'avoir un successeur. Et J. Sarkozy est un successeur tout à fait honorable.
 
Mais est-ce que c'est prudent de donner justement une responsabilité non pas économique mais aussi politique puisque les attaques vont être très nombreuses, par quelqu'un qui a de l'ambition, qui a du talent mais qui, quand même, va être face à une montagne ?
 
Il ne faut pas exagérer non plus. Vous savez, d'abord l'EPAD avait été très mal géré par l'Etat pendant 50 ans. Moi j'ai remis les choses en ordre. Nous avions de la part de La Cour Des Comptes, de la part du Sénat, des observations très fortes et très critiques. Donc les choses aujourd'hui sont d'aplomb, donc je crois que c'est plus facile.
 
Est-ce que vous avez le sentiment aussi, avant qu'on évoque les élections qui ont eu lieu ce week-end, notamment le premier tour de D. Douillet, que tout ça cumulé avec l'affaire F. Mitterrand, puisse quand même troubler la majorité ? Soyez franc.
 
La majorité elle est exigeante, elle est facilement troublée. Elle a des motifs parfois d'être troublée parce que N. Sarkozy est un innovateur et donc il fait bouger les conservatismes, il y a des conservatismes à gauche, il y a des conservatismes à droite mais en même temps la majorité elle obtient des satisfactions, elle obtient des victoires. Celle de D. Douillet est très claire au premier tour, alors je pense que le deuxième tour devrait confirmer...
 
44,2% pour lui, 21,9% pour le socialiste et 15% pour les Verts avec un deuxième tour donc à confirmer.
 
A confirmer mais avec une très forte avance. Cette avance, elle témoigne aussi que la majorité est contente de la politique qui est faite même si parfois elle a quelques interrogations. N. Sarkozy est un défricheur et il y a une modernisation de notre pays, il y a une évolution des moeurs, il y a une mondialisation, tout ceci implique des changements. Parfois ça conduit à des interrogations, parfois ça conduit aussi à des tâtonnements, ce qui est normal parce qu'on ne réussit pas toujours tout du premier coup et chaque fois on s'ajuste.
 
Et vous savez, puisque vous êtes suffisamment fin politique, que de toute façon toutes ces attaques, qu'il s'agisse de F. Mitterrand ou maintenant de son fils, elles sont dirigées contre lui.
 
Mais le président de la République est une cible.
 
Non mais il le sait et ça ne va pas s'arrêter puisque c'est son opposition qui essaie de retrouver, le Front national des électeurs, et le Parti socialiste...
 
Qui essaie de se refaire une santé, après avoir été dans une situation assez difficile quand même. Et là aussi c'est dû au talent de N. Sarkozy d'avoir su, par exemple le caractère subversif de l'ouverture a complètement déstabilisé la gauche, complètement déstabilisé l'opposition.
 
C'est pour ça qu'elle réagit à l'égard de F. Mitterrand ?
 
Elle essaie... Oui mais à l'égard de F. Mitterrand, c'est un procès odieux parce qu'il ne faut pas confondre non plus la littérature et un procès-verbal de police. Moi je soutiens le droit à la libre expression littéraire. Il a écrit un livre.
 
Il y a quatre ans.
 
Il y a quatre ans. Ce n'est pas une découverte. La question de savoir si ce qu'il a dit est rigoureusement exact par rapport à sa personne, si ça implique autre chose, ça ce sont des méthodes policières. Or c'est de la littérature. Et dans la littérature, l'auteur a tous les droits. Moi ça me rappelle quand même le procès des "Fleurs du Mal".
 
Le procureur Pinard.
 
Ca rappelle le 19ème siècle. C'est-à-dire aller chercher dans les écrits d'un écrivain de quoi accuser sa personne.
 
Mais P. Devedjian, vous savez puisque vous aimez la littérature que la littérature comme les arts, c'est le lieu de la transgression, ce qui n'est pas forcément le cas de la politique ?
 
Oui mais on peut quand même être un écrivain ou un auteur, en tous les cas, et puis ensuite faire de la politique. Il faut faire la différence entre les choses. D'ailleurs jusque-là, tout le monde le savait. Son livre a eu du succès. Il n'est pas passé inaperçu quand il a été publié il y a quatre ans. Donc c'est vraiment un procès malicieux.
 
Passons maintenant à l'économie puisque vous êtes chargé auprès du Premier ministre du Plan. Alors ce plan c'est au fond 26 milliards de crédit prévus. Combien ont été utilisés jusqu'à présent ?
 
C'est 33 en fait sur l'année 2009.
 
Combien ont été utilisés et avec quels résultats ?
 
A ce jour, nous avons investi 23 milliards d'euros injectés dans l'économie. Ils y sont et ont donc soutenu l'économie pendant la crise. Et nous sommes le seul pays - nous ne sommes pas le seul pays à avoir un plan de relance - mais nous sommes le seul pays à avoir concentré l'essentiel de l'effort financier sur l'année 2009. Par exemple, l'Allemagne fait un plan de relance mais c'est 75% en 2010. Les Etats-Unis c'est 75% en 2010. Nous c'est 75% en 2009. C'est-à-dire au moment où la crise frappait le plus fort, au moment où la crise était la plus dure. C'est là aussi par le système que nous avons adopté, qu'a choisi N. Sarkozy, avec un esprit stratégique, je trouve assez fin et qui nous a donné des résultats. Et le résultat, le premier, d'abord on peut le voir facilement, c'est que notre taux de croissance est, je dirais, soyons modestes, le moins mauvais de la classe. Nous sommes à plus 0,3. Vous me direz que ce n'est pas beaucoup, plus 0,3, mais les autres sont en dessous de 0.
 
Oui mais surtout compte tenu de l'endettement qui est colossal et les déficits qui le sont aussi, donc est-ce que c'est bien de réinvestir avec de l'argent qu'on n'a pas dans une économie française avec une hausse finalement de la croissance qui est relativement faible ?
 
Vous n'imaginiez tout de même pas que la France pouvait sortir de la crise sans avoir des déficits, sans avoir de l'endettement. Cette crise était une crise mondiale, elle n'est pas finie, extrêmement lourde comme la crise de 29 qui a ruiné le monde et vous imaginez qu'on aurait pu s'en sortir sans endettement, sans déficit ? C'est un bel optimisme.
 
Mais qui vous renseigne sur justement l'efficacité de cet argent donné en France ? Quel est votre relais dans la France ? C'est les chefs d'entreprise, c'est les préfets ? Qui vous aide ?
 
C'est tout le monde. Nous avons un système très proche du terrain. D'abord les 22 préfets de région suivent au jour le jour le déploiement du Plan de relance.
 
Vous les rencontrez quand ?
 
Aujourd'hui. Je les rencontre régulièrement et j'ai, ce matin, une réunion avec les 22 préfets de région et nous allons faire le point sur tout ce qui marche et tout ce qui ne marche pas aussi parce qu'il y a parfois des grippages. Mais justement c'est l'avantage de notre système, système qui est effectivement très centralisé, c'est que dès que ça coince quelque part, on peut intervenir et moi je suis un ministre dédié simplement à la lutte contre la crise. J'ai ça comme obsession et comme objectif unique et donc c'est redoutablement efficace.
 
Est-ce qu'on a justement un ratio entre l'argent investi et les emplois sauvés ?
 
Oui on peut dire que sur l'année 2009 - alors je peux faire la démonstration de ce chiffre qui n'est pas fait au doigt mouillé - on aura sauvé ou créé, c'est les deux, sauvé ou créé, 250 000 emplois. Alors vous me direz, le chômage augmente encore. Simplement regardez ce qui s'est passé au mois de janvier de cette année : le chômage augmentait de 90.000 par mois ; le dernier mois connu il a augmenté de 18 000. On ne passe pas de plus 98 000 à plus 18 000 qui est encore évidemment de trop par l'opération du saint esprit.
 
Et qu'est-ce qui ne fonctionne pas justement par ce relais des préfets, des chefs d'entreprise ? Qu'est-ce qui ne fonctionne pas aujourd'hui ?
 
Il y a des petits secteurs sur lesquels on a eu du retard.
 
Lesquels ?
 
Par exemple, on a eu du retard sur un chapitre qui s'appelle l'Etat exemplaire, c'est à la mise à niveau, la mise aux normes d'un certain nombre de bâtiments publics pour lesquels un crédit de relance a été institué et qui nous a obligés à des redéploiements parce que les procédures étaient trop lentes à produire leurs effets. On a eu un peu de retard mais on y a mis bon ordre. Sur les départements d'outre mer notamment parfois pour faire démarrer le logement ou pour faire démarrer les campus universitaires. On a parfois quelques retards, pas des difficultés mais des retards sur les campus.
 
Mais à partir de cette analyse, est-ce que vous allez l'apporter justement à ceux qui ont la responsabilité de concevoir, de fabriquer le fameux grand emprunt national qui devrait servir - qui devrait servir, le conditionnel est de rigueur - à sortir définitivement de la crise. Quelles sont les idées que vous avez et quelle est la méthode que vous pourriez suggérer à A. Juppé et M. Rocard ?
 
D'abord dans la relance il y a une innovation administrative, c'est la première fois, c'est la seule fois jusqu'à ce jour que l'administration rend compte en temps réel de son action. C'est-à-dire qu'au jour le jour, sur notre site Internet, mais aussi par des points de presse, par des comptes-rendus au Parlement, tous les deux mois - je fais un compte-rendu au Parlement de l'état d'avancement -, on sait très exactement ce qui se passe et on suit le déroulé pas à pas. Et donc on voit ce qui marche, ce qui marche moins bien, ce qu'on redéploie, ce qu'on corrige.
 
Mais les idées que vous pourriez leur apporter parce que beaucoup d'argent va être joué et stratégiquement, vous êtes très important et même politiquement ?
 
Les principes du grand emprunt sont clairs. Le grand emprunt doit donner lieu à des investissements qui doivent être rentables, qui doivent apporter à la France de la croissance supplémentaire, donc de la productivité et de l'attractivité. Justement il y a des infrastructures qui sont nécessaires. Je prends un exemple. Dans le domaine ferroviaire, nous avons du retard. Par exemple, on a mis, comme tout le monde le sait, 25 ans pour réaliser le Paris/Strasbourg, ce qui a été un handicap finalement pour faire de Strasbourg une capitale européenne. Il y a d'autres domaines dans lesquels on a besoin d'améliorer le ferroviaire. Les quatre lignes de TGV prévues par le président de la République qui vont restructurer davantage notre territoire, si on veut aller vite et non pas mettre 25 ans, il faut le faire avec le grand emprunt. Le numérique, si on veut aller vite et gagner des parts de compétitivité, il faut que le grand emprunt s'y mette. L'environnement, l'isolation des bâtiments, les bâtiments à énergie positive si on veut aller vite, il faut que le grand emprunt s'y mette. Et je prends par exemple les ports, les grands ports.
 
Dernier point, puisqu'on arrive au terme.
 
C'est une grande modernisation de la France et si on ne réalise pas la liaison ferroviaire entre le fret et les ports, la réforme qu'on a faite jusqu'à maintenant, ne produira pas ses effets.
 
P. Devedjian était l'invité politique de Radio Classique.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 octobre 2009