Conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'enjeu de la formation d'un nouveau gouvernement au Liban en raison du contexte régional tendu, Beyrouth le 23 octobre 2009.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner au Liban le 23 octobre 2009

Texte intégral

C'est une journée difficile parce qu'elle a commencé très tôt ce matin et que nous avons finalement vu tous les partis politiques avec le nouvel ambassadeur de France, Denis Pietton. C'est intéressant de voir tous les partis politiques sur le même sujet, pendant toute une journée, pour juger des différences - et aussi des convergences -, écouter les uns et les autres, qui sont théoriquement opposés, mais qui sont chargés de former un même gouvernement.
Je vous dis qu'il y a de quoi faire un gouvernement libanais solide. Je ne sais pas si cela sera fait demain, dans trois semaines ou dans trois mois, mais je vous rappelle qu'après les élections, j'avais dit qu'il fallait toujours de longs mois au Liban pour former un gouvernement.
Le Cabinet serait formé autour de Saad Hariri, que j'ai trouvé à la dimension de ce qu'il est, de ce qu'était son père, un homme d'Etat. Et je pense que cette composition arbitraire et communautaire mais, en même temps, acceptée par tous, 10, 5, 15 ou 15, 10, 5, devrait pouvoir, à quelques nuances près, être présentée au président de la République, que j'ai évidemment aussi rencontré et que j'ai trouvé plein d'optimisme.
Cela ne veut pas dire que tout est réglé. Ce pays que je trouve extrêmement intéressant depuis des années, que je trouve en avance dans la région, a besoin d'un gouvernement. Une fois de plus, ce pays, le Liban va nous étonner.
Ce soir, j'ai vu le général Aoun ainsi que le Hezbollah. Sur le fond, je n'ai vu aucun obstacle majeur à la nécessité de faire un gouvernement libanais représentant toutes les tendances, toutes les communautés. Je salue à cet égard la détermination de Saad Hariri et l'analyse très fine de Fouad Siniora, qui a connu beaucoup d'échecs et de succès. M. Siniora a toujours une capacité de synthèse étonnante. Il est très perspicace et fait toujours une très bonne analyse de la région, pas seulement du Liban.
Je vous ai parlé de mon entretien avec le président Sleimane. J'ai également rencontré Walid Joumblatt, qui se détache sans se détacher. J'ai vu mon collègue, le ministre des Affaires étrangères et je me suis entretenu, très longtemps, avec le Premier ministre pressenti.
Pendant ce temps-là, le monde tournait et il tournait autour du Liban, en Syrie, en Israël, en Palestine et, si on veut bien aller un tout petit peu plus loin, aussi en Irak et en Iran. Je ne connais pas les nouvelles à propos de l'Iran. Ce qu'on sait n'est pas très encourageant mais, en même temps, il y a des bruits contradictoires. La France souhaite le succès des négociations des experts de Vienne, tout comme la France souhaite bien entendu un dialogue politique, peut être une fois de plus à Genève, entre les 5+1 et l'Iran.
Voilà la France ! Je la trouve assez disponible aux quatre coins du monde, je la trouve présente partout. Et ce n'est pas pour me vanter, ce n'est pas parce que je suis ministre des Affaires étrangères. C'est aussi la volonté du président Sarkozy.
Je suis allé en Afghanistan, il y a trois jours, et je vous assure que nous avons beaucoup travaillé avec les Américains pour qu'il y ait un deuxième tour de l'élection présidentielle. Partout où je vais, la France est attendue, même si elle n'est pas toujours triomphante. Nous n'avons pas les moyens de triompher, d'ailleurs qu'est-ce que c'est qu'un triomphe ? Mais nous sommes écoutés, attendus, parfois acceptés et parfois inspirateurs.
Je suis disposé à répondre à quelques questions bien que je sois attendu au Salon du Livre pour un dernier débat. Je répète ma pensée, assez simple, la nécessité évidente d'un gouvernement libanais au plus vite, autour certainement de Saad Hariri. Je ne suis pas inquiet pour le court et le moyen terme.
Q - (Inaudible)
R - Au Liban il faut toujours surmonter les obstacles pour aller réussir quelque chose. J'ai déclaré, après mon entretien avec M. Nabih Berry, que le président du Parlement, si j'ai bien compris, n'était pas un obstacle.
J'ai eu un long entretien de deux heures avec M. Saad Hariri. Il est le Premier ministre présumé. Il a fait une description qui, évidemment, ne gomme pas, ne fait pas disparaître les obstacles, mais je trouve qu'il fait preuve d'une volonté et une détermination d'homme d'Etat. C'est quelqu'un de responsable et qui se sent responsable de ce pays.
Tout n'est pas terminé. Cela ne sera pas fini demain mais je pense qu'à terme les Libanais vont nous surprendre, notamment en raison du contexte régional qui pèse moins que d'habitude, même s'il demeure.
Q - Quelles seraient les conséquences d'un échec des négociations à Vienne ?
R - Nous avons dit tout à l'heure que les signes qui venaient de l'Iran n'étaient pas très bons. Il semblerait qu'un délai nous soit demandé pour qu'une réponse de l'Iran puisse parvenir aux Américains, aux Russes et aux Français. Une absence de réponse ou une réponse alambiquée, une réponse qui n'en serait pas une de la part de l'Iran, donnerait une teinte assez négative à un prochain rendez-vous politique, dont nous n'avons pas la date, à Genève. Mais je ne veux pas affirmer cela. Croyez-moi, si je pouvais vous répondre plus franchement, je le ferais, mais il semble que ce soit contradictoire et peut être que les experts iraniens revenant à Téhéran vont se faire instruire de répondre positivement, je le souhaite. La France le souhaite et a eu depuis deux ans et demi de multiples contacts avec les Iraniens. J'avais encore un rendez-vous la semaine dernière, mais les résultats n'ont pas été très bons. Cela ne fait rien, il faut s'obstiner. Nous sommes décidés à éviter les conflagrations et à éviter des tensions supplémentaires au Moyen-Orient. La France est claire là-dessus.
Q - (Sur l'Afghanistan)
R - Ma foi, il faut qu'ils se débrouillent. Selon la présidence actuelle, le score de M. Karzaï est de 49,67 %. C'est certes proche des 50 % mais symboliquement et démocratiquement, il faut un deuxième tour et je crois que c'est un bon signal. Il y a un premier signal, qui est tout à fait essentiel, c'est le vote de près de 40 % des Afghans. Je pense aux femmes qui ont été assez courageuses pour aller voter. Les femmes afghanes qui risquaient gros. Rien que pour elles, cela vaut la peine d'ouvrir un chemin démocratique et un deuxième tour, après ce succès des élections en général.
Des fraudes très importantes ont été corrigées par les experts. Ce deuxième tour est très difficile à organiser. Si c'est le 7 novembre comme prévu, c'est le début de l'hiver, et dans tous les cas pour le Nord, il fait déjà très froid, il y a de la neige. Cette situation favorise donc le Sud qui veut plutôt M. Karzaï. De toute façon, avec 49 % des votes au premier tour face au 31 % de l'autre candidat, il va gagner. Mais l'élection n'est pas faite d'avance et ce sera très difficile.
L'ONU s'emploie à l'organisation du second tour du scrutin. Les bulletins ont été imprimés, les urnes à nouveau transportées. Je ne sais pas si tout est terminé, c'est difficile. Il y aura aussi à nouveau des attentats et une situation très tendue sur le plan sécuritaire. Mais c'est une victoire en Afghanistan. Que le président Karzaï - j'y étais avec M. John Kerry - ait accepté ce second tour, alors qu'il l'avait refusé très fortement pendant au moins dix jours est un bon point.
Maintenant, l'avenir demeure incertain en Afghanistan où il n'y aura pas de victoire militaire, où il faut s'employer à être aux côtés des Afghans et à leur proposer des projets qui changent.
Q - La France a-t-elle demandé à Abdel Halim Khaddam, l'opposant syrien, de limiter ses déclarations politiques pour ne pas influencer la nouvelle relation syro-française ?
R - Nous ne demandons rien. Nous ne voulons pas nous mêler des affaires des autres. Néanmoins, d'une façon générale, nous souhaitons que les pays respectent les droits de l'Homme, et nous souhaitons que les déclarations ne soient pas suivies d'arrestation ou d'emprisonnement, chacun doit être libre. En l'occurrence, nous ne sommes pas intervenus.
Q - S'agissant du nucléaire iranien, il semblerait aujourd'hui que les Iraniens suggèrent une sorte d'amendement de l'accord et d'après de ce que dit la télévision iranienne, ils parleraient d'acheter le nucléaire directement à l'étranger. Pour la France, un amendement à cet accord peut-il être envisageable ?
R - Il s'agit d'un autre accord. Nous avons aussi entendu ces déclarations et c'est la raison pour laquelle j'ai exprimé mon étonnement face aux deux opinions manifestées le jour même par les Iraniens à Vienne.
Nous avons conscience que Mohamed El Baradeï fait de grands efforts pour convaincre ses interlocuteurs iraniens et pour poursuivre le dialogue. C'est la raison pour laquelle je me suis montré extrêmement prudent.
Acheter de l'uranium enrichi n'était pas l'objet de la rencontre des experts. Cependant, il faut que les personnes se rencontrent. Si l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) se charge du contrôle, elle doit être aussi le garant de ces échanges car ils doivent être encadrés.
Néanmoins, je le répète, il ne s'agissait pas de la question posée aux experts, c'est une nouveauté.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 octobre 2009