Interview de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'emploi, à "France Inter" le 20 octobre 2009, sur le malaise à Pôle emploi.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Bonjour L. Wauquiez... Que dites-vous ce matin, L. Wauquiez, aux agents de Pôle Emploi, qui seront en grève aujourd'hui ?

D'abord, la première chose, on sait que c'est difficile. On sait que c'est difficile, d'abord parce que faire une réforme comme Pôle Emploi est difficile, et ensuite parce que c'est difficile dans la crise. Et le message que je veux leur adresser c'est qu'on veut continuer à travailler ensemble : un, pour évidemment améliorer le service aux demandeurs d'emploi, c'est la priorité ; mais aussi pour améliorer les conditions de travail des agents parce que c'est les deux faces de la même médaille. Donc, c'est un grand chantier. C'est un grand chantier qu'on ne doit pas arrêter, mais sur lequel on doit aussi prendre le temps d'adapter notre méthode en fonction des difficultés qu'on rencontre dans la crise.

Alors, essayons de décrypter et de voir plus en détail les choses. "C'est un grand chantier qu'il ne faut pas arrêter", mais une fusion dont il va falloir ralentir le rythme qui s'est fait à marche forcée ?

Non ! D'abord, un petit point là-dessus, cette réforme ça fait combien de temps qu'on travaille dessus et qu'on l'a commencée ? Ca fait un an et demi. Ce n'est pas une réforme qu'on a voulu mener sabre au clair, parce qu'il faut que les agents l'intègrent et qu'ils se l'approprient. Juste pour donner un exemple du climat de négociations qu'il y a eu. Depuis le début, on a conduit à peu 400 réunions avec les partenaires sociaux, et plus de 3 000 heures de discussion avec les différents syndicats pour voir comment la faire avancer. Donc, on n'est pas sur quelque chose qu'on aurait voulu faire en trois mois à la va-vite. Ca, c'est la première chose. La deuxième chose c'est qu'il ne faut pas confondre, les difficultés qu'on a en ce moment sont liées à la crise. Pôle Emploi n'est pas le problème, c'est ce qui nous apporte les solutions. Je vais prendre un exemple tout simple : la formation dans l'ancien système ANPE/ASSEDIC ; quand un demandeur d'emploi se présentait et demandait une formation, on lui demandait d'abord « est-ce qu vous êtes côté ASSEDIC, indemnisé ou non ? ». Donc, il y avait une logique : un peu de statut. Pôle Emploi nous apporte une solution en simplifiant, aujourd'hui on s'occupe de tout le monde quel que soit son statut. C'est un exemple d'amélioration. Deuxième exemple, on a une plateforme téléphonique, le 3949, qui honnêtement n'a pas bien marché au début de l'année. J'ai demandé à C. Charpy de travailler dessus. Parce qu'on a continué à faire avancer la réforme de Pôle Emploi, en ce début de rentrée, on a réussi à améliorer considérablement le taux de réponses sur ce numéro de téléphone. Donc, ce que je cherche à dire c'est que surtout il ne faut pas qu'on s'arrête au milieu du gué, mais il faut en même temps écouter les difficultés qui sont exprimées parles agents sur le terrain.

Vous ne pensez pas avoir fait d'erreurs de méthode dans cette fusion, L. Wauquiez ?

Ce serait stupide de dire ça ! Qui peut prétendre sur une fusion comme celle-là de dire il n'y a pas d'erreurs de méthode qui ont été faites.

Donc, il y en a !

Evidemment qu'il y a eu des points ou des erreurs qu'on a faites et qu'on a essayé de corriger ensemble. Evidemment que sur des choix qui ont été faits, il y des points sur lesquels ont doit s'améliorer. Je ne veux pas du tout être dans le déni de réalité. Je vous donnais l'exemple de cette plateforme téléphonique. Au début, on s'est dit « il faut qu'on fonctionne en faisant la plateforme agence par agence ». Et puis on s'est aperçus que face à la crise, c'était pas suffisant, et donc on a corrigé le tir et on l'a amélioré. Ce que je cherche à dire, c'est que ce n'est pas une réforme qu'on fait en claquant des doigts, c'est quelque chose qu'on doit construire étape après étape avec les agents de Pôle Emploi.

Etes-vous inquiet pour l'atmosphère humaine à l'intérieur de ce Pôle Emploi, L. Wauquiez ?

Hier, j'étais à Lyon, et j'étais notamment sur une manifestation qui était organisée par des agents de Pôle Emploi, qui étaient pendant une semaine partout sur la région Rhône-Alpes, des points de contact et des forums qui étaient organisés avec des entrepreneurs d'une part, et des demandeurs d'emploi d'autre part. Qu'est-ce qui m'a frappé ? 1) La première chose, les agents ont totalement gardé leur motivation. Pourquoi ? Parce qu'ils savent très bien que dans cette crise, c'est le maillon fondamental et que c'est ce à quoi s'accrochent quand même les demandeurs d'emploi. 2) Ce n'est pas facile. C'est pas facile parce qu'il y a tous ces flux de demandeurs d'emploi qu'il faut accompagner.

Oui, et puis parce qu'il y a une fusion, disent les nombreux employés de Pôle Emploi qu'on a pu entendre dans les différents journaux de la rédaction ce matin. Donc, je vous repose la question, L. Wauquiez, êtes-vous inquiet par l'état d'esprit de cette entreprise aujourd'hui, et de ce service public ?

Je ne suis pas inquiet mais je suis vigilant. Et si derrière votre question, c'est pour Pôle Emploi "qu'est-ce qui se passe en termes de stress, de conditions de travail, et voilà, les débats qu'on peut avoir en ce moment sur la souffrance au travail", je pense que ça doit pas être un tabou. Et ce que j'ai demandé à C. Charpy c'est qu'il ne faut pas qu'on ait d'omerta à l'intérieur de Pôle Emploi sur les difficultés et le stress générés par la crise. Il ne faut pas attendre, en clair, qu'on ait des accidents pour agir.

Il y a eu déjà un suicide, un certain nombre de tentatives ?

Oui, mais c'est un sujet, pardonnez-moi, sur lequel il faut qu'on fasse attention. D'abord, derrière, c'est des vies humaines qui sont en cause. Il faut aussi qu'on fasse attention aux raccourcis qui derrière peuvent enclencher des cycles. Pôle Emploi n'est pas France Télécom. France Télécom c'est un schéma d'entreprise totalement différent, où on avait notamment imposé des conditions de mobilité qui étaient dures, où c'était une métamorphose d'une entreprise qui était quand même passée d'un statut de fonction publique à un statut d'entreprise hyper concurrentielle. On n'est pas du tout dans le même schéma à Pôle Emploi. On n'a pas changé la vocation, Pôle Emploi c'est toujours un service public, ça a toujours évidemment comme objectif de rendre le meilleur service possible aux demandeurs d'emploi. Pour autant, oui, il peut y avoir des situations de souffrance. Donc, qu'est-ce qu'on a essayé de faire ? D'abord, on a essayé de voir ce que faisaient les autres, des entreprises qui ont été confrontées à des difficultés comme ça, ou des organisations comme La Poste qui a adopté plutôt un plan très intéressant en la matière, ou comme chez Renault ou Peugeot. Ensuite, j'ai demandé à C. Charpy qu'on fasse des initiatives tout de suite. On a mis en place, et depuis maintenant longtemps, une ligne d'écoute qui est destinée à faire en sorte que quelqu'un qui a besoin de s'exprimer de façon confidentielle puisse le faire. Ensuite, on a demandé à mobiliser tous les managers pour qu'ils soient sensibilisés aux risques psychosociaux, parce que ce qui s'est passé à France Télécom, c'est qu'il y a eu un peu un déni parfois, et donc ça on ne doit pas rentrer dans ce type de danger. Enfin, on a mis en place un réseau d'assistantes sociales, et de réponses sur ces risques psychosociaux. Et puis, il y a une démarche qui va être enclenchée entre la fin de l'année et le début de l'année prochaine avec un questionnaire qui sera adressé à partir de novembre 2009 à tous les agents.

Vous décrivez une situation d'urgence, là, non, L. Wauquiez ?

Non ! Juste, ce que je ne veux pas, c'est que je ne veux pas... on veut pas se retrouver parce qu'on aurait nié la réalité ou les difficultés à agir après les accidents parce que ça c'est le pire. Là, ce dont on parle, ce n'est pas des petites choses, le fait que quelqu'un qui est au travail soit en situation de souffrance, je pense d'ailleurs, si je peux me permettre...

... ça veut pas dire qu'il y a un refus, comment dire, que cette fusion se fait contre les personnels si un telle souffrance s'exprime et s'il faut mettre autant de garde-fous, je dirais, pour pouvoir la canaliser, la gérer et éviter qu'elle n'aille vers des situations encore plus tragiques ?

Non, Monsieur Demorand. A mon avis, il faut qu'on prenne un peu de recul, cette question de la souffrance au travail, ce n'est la question de France Télécom, ce n'est pas la question de Renault, c'est une question plus large qui est une question de société et dans laquelle on voit bien que sur les nouvelles méthodes de travail qui ont été adoptées, ça peut générer un vrai stress au travail. Et ça, c'est une question de société à laquelle on doit tous faire face et quelles que soient les organisations dans laquelle on est. Si je puis me permettre, je pense que c'est aussi une question à laquelle une antenne

Est-ce qu'il y aura plus d'effectifs à Pôle Emploi comme le demandent les syndicats, justement pour alléger la pression sur les agents aujourd'hui ?

D'abord, on l'a déjà fait et j'ai bien l'intention qu'en fonction de la crise, on puisse continuer. Pourquoi ? Dans la crise, évidemment, on a plus de demandeurs d'emploi à accompagner, ça c'est la première chose. La deuxième chose c'est qu'il ne faut pas faire de réponse de raccourci. Un conseiller de Pôle Emploi ce n'est pas quelqu'un qu'on forme en deux mois, c'est un vrai expert, c'est quelqu'un qui doit maîtriser les enjeux de droit du travail, les enjeux d'accompagnement qui sont très lourds. Donc, ça ne se forme pas du jour au lendemain.

Mais vous allez recruter ou pas ?

D'abord, la première chose c'est qu'on a recruté avant l'été. Heureusement, on n'a pas attendu ! On a mis 3 000 agents au total en plus qui sont dans les renforts de Pôle Emploi. Ce qui porte à peu près à 90 000 en France tous les gens qui s'occupent d'accompagner les demandeurs d'emploi ou les gens qui sont en situation difficile. Il n'y en a jamais eu autant sur le terrain pour accompagner des demandeurs d'emploi. Et puis, la deuxième chose c'est qu'on a mobilisé des agences d'intérim, à peu près l'équivalent de 3 000 agents supplémentaires, pour venir en support et apporter une complémentarité par rapport au travail de Pôle Emploi. Donc, on a vraiment essayé et de façon très pragmatique de prendre toutes les solutions et surtout des solutions qui soient opérationnelles tout de suite.

Le chômage, L. Wauquiez, s'établira d'après vous à quel pourcentage exactement en 2009 ? La pente ?

Je vais vous décevoir, c'est une question à laquelle je ne réponds jamais parce que ce n'est pas mon job.

La pente ?

La pente, on le voit bien sur les derniers chiffres qu'on a eus, l'augmentation... On a réussi à amortir l'augmentation très forte des chiffres du chômage qu'on avait eue au début d l'année. Ce n'est pas un motif de satisfaction parce que évidemment on continue à avoir des chiffres du chômage qui ne peuvent pas être satisfaisants quand on s'occupe d'emploi. Mais ce qu'on voit c'est qu'on est quand même sur un rythme où c'est moins dur que ce qu'on avait au début de l'année. Et encore, quand je dis ça, voilà, je pense aussi aux personnes qui chaque mois, entre 10 000 et 30 000, perdent leur emploi.
On va y revenir évidemment dans « Interactive » avec les questions des auditeurs. Juste une information publiée par Le Figaro ce matin, le Conseil d'orientation pour l'emploi relance les emplois jeunes, L. Wauquiez.

Non ! Ce n'est pas évidemment pas ça.

Propose de le faire, en tout cas.

Qu'est-ce qu'on a essayé de faire en la matière ? Le problème des emplois jeunes tels qu'ils avaient été faits, c'est qu'on avait raisonné sur une période où, grosso modo, pour dégonfler les statistiques, on mettait des jeunes en emplois jeunes. Sauf que personne ne s'était occupé de la sortie. Ce que nous on a essayé de faire, c'est de faire ce qui s'appelle des contrats passerelles dans lesquels on dit « ok, dans cette période, vous n'arrivez pas à faire vos premiers pas, votre première expérience dans le secteur privé, on va vous aider à faire cette première expérience dans le public, mais sur des postes et des métiers où ensuite on sait que vous pourrez basculer dans des entreprises quand la croissance aura repris ». Je vais prendre un exemple précis : j'ai signé il y a quelques mois à Marcq en baroeul des contrats passerelles pour des jeunes qui étaient étudiants en archi et qui du coup ont pu être embauchés dans une structure commune.

Donc, vous dites rien de nouveau pour ces propositions du COE.

Je dis en tout cas, les emplois jeunes sans travail sur la sortie sont une voie sans issue, on l'a déjà fait.

Mais des emplois jeunes financés à 90 % par l'Etat, ça oui, on y va ?

Non ! Juste, je vais être bien clair : les emplois jeunes si on ne réfléchit pas à la sortie, c'est stupide. Les contrats passerelles où derrière on réfléchit à comment ensuite basculer dans le privé l'expérience que vous avez accumulée, oui, c'est fait.

L. Wauquiez, on vous retrouve dans dix minutes après la revue de presse.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 octobre 2009