Tribune de M. Hervé de Charette, président délégué de l'UDF, dans "Le Figaro" du 31 mai 2001, sur les dangers que représente la dissémination nucléaire, la politique de défense américaine et la volonté de création d'un bouclier anti-missiles et sur ses propositions pour une coopération entre les Etats-Unis, l'Union européenne et la France, intitulée "La doctrine antimissile américaine".

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Je désapprouve l'attitude de la France et de l'Europe en vers l'initiative du président Bush en matière de défense visant à créer un bouclier anti-missile propre à protéger les Etats-Unis contre toute agression balistique extérieure
Les arguments invoqués par les adversaires de ce projet sont particulièrement indigents, Le plus couramment utilisé consiste à dire qu'en agissant ainsi, l'Amérique relance la course aux armements. Il faut pourtant regarder la réalité en face : la stratégie de la dissuasion, c'est-à-dire l'équilibre de la terreur, était fondée sur un monde bipolaire où Américains et Russes pouvaient se fonder sur une règle du jeu dont il était raisonnable de penser qu'elle serait toujours respectée par les deux partenaires parce qu'on les supposait intelligents et ayant des intérêts, certes opposés, mais de même nature,
Or cette situation n'a plus cours, La donne a changé radicalement Il n'y a plus deux puissances mondiales qui cherchent à s'équilibrer, mais une seule. Comme puissance stratégique, la Russie n'a pas remplacé l'Union soviétique, même si elle a hérité de la plus grande partie de l'arsenal militaire de celle-ci. notamment nucléaire et balistique. Par contre, il y a des dangers nouveaux : certains Etats issus de l'empire soviétique disposent d'une partie des moyens militaire de celui-ci. La dissémination du nucléaire militaire s'accélère, notamment parce que la technique est devenue accessible à un nombre croissant de pays : Chine, Inde, Israël. Irak, etc. Il y a lieu de penser que désormais, l'arme nucléaire sera
entre les mains de dirigeants dont rien ne nous assure qu'ils seraient guidés par cette " règle du jeu " que j'évoquais plus haut et qui ne présentera pas pour eux le même intérêt, ni la même contrainte.
Du coup, l'ancienne stratégie de la dissuasion a pris un coup de vieux. Elle reste utile entre Américains et Russes pour appliquer les traités qu'ils ont signés en vue de réduire leurs armements Mais on ne peut pas reprocher aux Américains de tirer les conséquences des changements géopolitiques intervenus depuis 10 ans et d'adopter une nouvelle doctrine militaire conforme à leurs intérêts et au nouvel état du monde. Le refus français n'a pas de sens.
On se demande d'ailleurs ce que la France attend pour faire de même. Notre dissuasion aussi a pris un coup de vieux. A nous aussi, les changements géopolitiques et scientifiques intervenus depuis dix ans, posent de redoutables questions, Or, en dehors de la réduction de nos crédits militaires, de notre retour discret au sein de l'OTAN et des discussions utiles au niveau européen, ni le président de la République, de qui cela relève au premier chef, ni même le premier ministre, n'ont ébauché le moindre concept de défense adapté à cette nouvelle donne. Je considère que la France et l'Europe devraient saisir l'occasion fournie par les Etats-Unis, non pour s'opposer au projet américain, mais pour s'y associer. Et le débat devrait porter non sur l'opportunité du projet, mais sur les conditions à remplir pour qu'il bénéficie de notre appui et de notre participation. Ces conditions sont, me semble-t-il, au nombre de trois La première, c'est que notre participation devrait s'appuyer sur le principe de la transparence technologique Les Européens devraient marquer leur disponibilité à contribuer sur le plan financier et technique à la réalisation du projet américain à condition qu'il devienne un projet euro-américain dont les acquis scientifiques et techniques -on annonce qu'ils seront considérables - seront accessibles aux deux parties sans restriction. La seconde condition est encore plus importante Si le projet américain voit le jour sans nous. nous serons marginalisés du point de vue stratégique. Mais si nous y participons, ce ne doit pas être une occasion supplémentaire de vassalisation des Européens par Washington, Les propositions américaines de participation sont très floues, Les Européens devraient donc chercher à obtenir que la conduite du projet soit déterminée sur la base du principe de parité. Non pas un dispositif du type OTAN, avec un pays leader et 16 ou 17 autres qui suivent Mais un dispositif d'un type nouveau où les Etats-Unis et l'Union Européenne créeraient des instances de pilotage à parité.
Enfin, bien sûr, la France devrait garder la maîtrise de son armement nucléaire dont le maintien de l'efficacité technique reste prioritaire Encore une observation: je n'imagine pas qu'au moment où les Etats-Unis prennent une décision d'une très grande importance stratégique et nous proposent d'y être associés, nous nous bornions à une réponse évasive, comme entre deux portes, sans qu'il y ait au niveau français, la réflexion et la discussion préalables qui sont nécessaires. Réflexion et discussion qui ne sauraient être l'apanage exclusif des bureaux et de quelques technocrates, Il serait naturel qu'avant de faire connaître la réponse de la France, le président de la République veille à ce que le gouvernement organise au Parlement le débat qui s'impose. La représentation nationale doit participer pleinement à cette décision

(source http://www.udf.org, le 7 juin 2001)