Interview de M. François Hollande, Premier secrétaire du PS, à France Inter le 8 mars 2001, sur les enjeux des élections municipales.

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Média : France Inter

Texte intégral


S. Paoli En Corrèze, Tulle sera-t-elle une ville symbole des élections municipales ? B. Chirac est conseillère générale de Corrèze, souvent sur le terrain pour soutenir les candidats de la droite ; on connaît l'attachement de J. Chirac à ce département. Or un sondage CSA publié en février donnait davantage d'intentions de vote au premier tour à la liste de la gauche plurielle conduite par F. Hollande face au maire RPR sortant, R.-M. Aubert. Mais commençons par les femmes ce matin : est-ce que ces élections municipales vont pour de bon changer quelque chose en politique ? Parce que figurer sur des listes, c'est bien mais participer pour de bon, c'est mieux ?
- "C'est une première étape essentielle. Il y a encore quelques années - souvenons-nous en, ce n'est pas si vieux - le Gouvernement d'A. Juppé a renvoyé au cours d'un remaniement presque la totalité des femmes qui y participaient. Trois ans et demi après, on a un Gouvernement qui fait voter une loi sur la parité qui permettra enfin qu'il y ait autant d'hommes que de femmes dans les conseils municipaux. Mais il est vrai qu'il y a encore d'autres étapes, par exemple pour les candidatures aux élections législatives ou cantonales. En ce moment, il y a des élections cantonales et municipales ; on constate qu'il y a la parité pour les municipales, mais on en est encore loin pour les cantonales. Il y aura sans doute aussi le partage des responsabilités. Beaucoup d'hommes sont candidats tête de liste - j'en suis aussi. Il n'y aura pas assez de femmes qui seront maires le 11 ou le 18 mars, quelle que soit leur sensibilité politique. On est à un moment décisif parce qu'il y aura maintenant beaucoup de femmes dans la vie politique. Aux électeurs et aux formations politiques de leur faire toute la place."
Pensez-vous, comme M. de Robien par exemple, qu'il est nécessaire d'aller un peu plus loin, de faire en sorte que la parité s'applique à tous les niveaux et notamment au niveau de l'action de la responsabilité réelle ?
- "Oui, il faut y aller et là aussi, ce sera la responsabilité de chaque maire, homme ou femme, que de constituer des exécutifs qui soient représentatifs du conseil municipal. On ne comprendrait pas d'ailleurs pourquoi il y aurait autant de femmes que d'homme dans le conseil et pas autant de femmes que d'hommes dans l'exécutif municipal. Fallait-il faire un amendement ? Je n'ai pas le sentiment que M. de Robien en ait fait un lors du débat parlementaire, peut-être d'ailleurs que cela ne relève pas de la loi mais simplement de l'application de la loi."
Il y a une forte femme face à vous en Corrèze, une certaine B. Chirac.
- "Je ne m'en plains pas. Peut-être qu'un jour ce sera J. Chirac qui fera la campagne de Bernadette, pourquoi pas ? Pour le moment, elle est davantage au service de son mari ; c'est aussi une forme d'action politique que J. Chirac [soit] au service de l'action de Bernadette."
En commençant, je parlais de Tulle comme d'une ville symbole, parce que la présence de B. Chirac, l'attachement bien connu de J. Chirac à la Corrèze font qu'on finit par se demander s'il n'y a pas un enjeu à la fois local et global ?
- "L'enjeu est d'abord local dans une ville comme Tulle, dans un département comme la Corrèze, les citoyens se détermineront par rapport à leur avenir, pas par rapport à telle ou telle personnalité candidate ou pas. A Tulle, c'est un problème d'emploi, d'hôpital, de développement local. Les électeurs se déterminent par rapport à ces enjeux et ils ne veulent pas qu'on fasse jouer au scrutin municipal ou au scrutin cantonal un rôle qui n'est pas le leur, c'est-à-dire celui d'un premier tour d'élection présidentielle. Cela viendra en 2002. On choisira alors qui doit être Président de la République et qui doit être député pour les législatives qui suivront. Là, c'est quand même un enjeu local, c'est pour cela que je n'en fais pas un élément majeur de remise en cause du Président de la République. Je me présente dans cette ville pour qu'elle bouge, pour qu'elle soit confortée, qu'elle se développe. Je ne veux pas en faire un enjeu national."
Percevez-vous l'exaspération de ceux qui disent dans les régions : "Paris, on en a assez ! Tiberi, Séguin et compagnie, ras le bol !"
- "C'est vrai que c'est un spectacle qui peut amuser, encore que maintenant, on finit par s'en lasser..."
Et Hollande aussi ! Je précise que "Paris", c'est tout le monde dans Paris, y compris Hollande !
- "Il ne faut pas que Paris donne le sentiment d'écraser toutes les autres élections parce que dans chaque ville, dans chaque département, il s'agit de la vie quotidienne des Français. Quand je dis "des Français", c'est aussi des résidents, les Européens qui vont pouvoir voter et peut-être demain, des étrangers qui pourraient également participer à ce scrutin si l'on faisait voter une loi au-delà de 2002. Parce qu'il s'agit de la vie quotidienne de chacun. Il y a des lois de décentralisation, des compétences importantes en matière économique, sociale, en matière d'aménagement du territoire. Ce sont ces compétences qu'il faut faire vivre et il ne faudrait pas qu'on fasse simplement des élections municipales - et ce ne sera pas cela - un plaidoyer ou une sanction contre le Gouvernement. On ne voit d'ailleurs pas pourquoi ce Gouvernement serait sanctionné alors qu'il a réalisé un certain nombre d'actions, notamment contre le chômage, qui sont à juste raison mises à son crédit. Il faut donc qu'on revalorise l'enjeu-même de l'élection. Il y aura une lecture politique au lendemain des élections municipales, c'est normal de voir comment la France a voté mais elle votera d'abord en fonction des enjeux de chaque ville. Et dieu sait si je trouve que la démocratie locale a été, au cours de ces dernières semaines, plutôt à son avantage, à la fois à cause de la parité mais aussi par la qualité des projets présentés aux électeurs. Il faut qu'il y ait le respect de l'enjeu de l'échéance et qu'on ne confonde pas à chaque fois Paris et le reste de la France, les élections municipales avec la présidentielle. Tout cela mérite d'être relativisé parce que ces élections municipales sont trop importantes pour qu'on leur fasse dire ce qu'elles n'ont pas forcément à dire."
Auront-elles au moins servi à renforcer le phénomène de la décentralisation ? Malheureusement, à trois jours du premier tour, on n'a pas vraiment ce sentiment.
- "Localement, on l'a parce que des projets sont heureusement présentés à la population ; heureusement, il y a un débat qui ne prend pas forcément les formes les plus médiatiques ; heureusement qu'à chaque fois les enjeux sont signalés. Cela peut ne pas donner forme à une médiatisation mais il y a aussi une presse régionale qui joue son rôle, des radios - y compris des radios de service public - qui font des débats partout. Je crois que c'est plutôt cela le sens du vote du 11 et 18 mars. Je voudrais aussi ajouter qu'il est vrai que cela reste une élection locale, mais aussi une élection politique. Et ce que j'ai trouvé regrettable dans les jours qui viennent de s'écouler, c'est qu'autant la gauche plurielle affirmait son identité en fonction des objectifs et des perspectives de décentralisation, autant la droite faisait le pari de l'apolitisme. Or, si on fait le choix de l'apolitisme, si plus rien n'a de sens politique, si tout se vaut, si gauche et droite doivent s'effacer, comment alors convaincre les électeurs d'aller voter ? L'apolitisme conduit à l'abstention et l'abstention conduit à l'effacement même de la démocratie. C'est pourquoi je crois qu'il faut redonner à ces élections leur caractère local, leur caractère d'enjeu de vie quotidienne par rapport à la responsabilité des élus, en même temps il faut leur donner leur sens politique au plus beau sens du terme."
Est-ce que la politique - en l'occurrence ces municipales aussi - n'est pas victime de son calendrier ? Parce que la succession des tests électoraux importants - municipales, législatives et puis présidentielle derrière -, fait que tout est interprété dans la perspective de la présidentielle ?
- "C'est à nous de prendre nos distances par rapport à cette interprétation. Les élections présidentielles et législatives sont dans un an. Nous verrons bien qui sera candidat - on a peut-être une idée d'ailleurs -, nous verrons bien quels seront les projets des uns et des autres, nous verrons bien ce que voudront les Français à ce moment-là. Mais nous sommes là dans une élection municipale presque pure, c'est-à-dire que nous pouvons nous déterminer sans qu'il y ait besoin de sanctionner ou de gratifier le Gouvernement, puisque celui-ci a agi plutôt bien à nos yeux et que même la droite ne fait pas campagne contre le Gouvernement. Tant mieux ! Alors faisons campagne sur l'essentiel, c'est-à-dire les enjeux municipaux et cantonaux. Je n'oublie pas les élections cantonales parce qu'on en a peut-être moins parlé dans cette campagne alors que les transferts de responsabilités qui sont assurés aux départements, les compétences qui y sont exercées - ce matin vous parliez de la prestation dépendance, de tout ce qui doit être fait pour accompagner les fins de vie, des soins aux personnes âgées - sont de la compétence des conseils généraux. On va voter une loi pour renforcer cette action. Les élections cantonales, dans ce domaines, sont donc essentielles."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 8 mars 2001)