Interview de M. Charles Pasqua, président du RPF, dans "Le Figaro" du 5 juin 2001, sur les trois mises en examen dont il a fait l'objet et sur sa candidature à l'élection présidentielle de 2002.

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Texte intégral

Sous le coup de trois mises en examen en marge de l'affaire Falcone, l'ancien ministre de l'Intérieur réplique à ceux qui l'accusent. A quelques jours du congrès du RPF qui se tiendra le 9 juin à Versailles, il réaffirme haut et fort son intention d'être candidat en 2002. Entretien.
LE FIGARO. - Quel est votre sentiment après les trois mises en examen dont vous venez de faire l'objet?
Charles PASQUA. - J'ai rencontré des juges parfaitement courtois, avec qui j'ai eu des discussions souvent détendues. Mais j'ai le sentiment que leur religion était faite avant même qu'ils ne m'entendent. Plus d'une fois, j'ai eu l'impression qu'ils menaient leur interrogatoire dans le but unique de confirmer une idée conçue à l'avance. Le droit français, je le rappelle, prévoit qu'une instruction doit être faite à charge et à décharge. Dans mon cas, je ne crois pas qu'il en soit toujours allé ainsi.
Vous êtes notamment poursuivi pour "trafic d'influence", en raison de la remise de décoration à Arcadi Gaydamak...
Les trois mises en examen qui ont été prononcées contre moi sont absurdes, mais celle qui vise un hypothétique trafic d'influence pour avoir fait délivrer l'ordre national du Mérite est carrément aberrante. Monsieur Gaydamak a été promu dans l'ordre du mérite par le président de la République pour le rôle qu'il a joué lors de la libération des pilotes français en Bosnie, notamment grâce aux relations qu'il entretenait avec les services secrets russes. Dans la première partie, c'est d'ailleurs lui qui a assuré le financement de leurs équipes sur place. Il n'a jamais été remboursé de ses frais et ne l'a d'ailleurs pas demandé. Il a seulement voulu rendre service à la France. Jacques Chirac était régulièrement informé de cette mission. C'est pour cela que j'ai fait rédiger un mémo à son attention afin que Gaydamak reçoive l'ordre national du Mérite.
Estimez-vous qu'il appartient à Jacques Chirac d'expliquer que Gaydamak a été légitimement décoré? Cela aurait pour effet de vous dédouaner de tout soupçon de "trafic d'influence"...
Je n'ai pas à dire ce que doit faire ou ne pas faire le président de la République. Ce que je sais, en revanche, c'est qu'en mettant en cause la légitimité de la distinction accordée à Gaydamak le pouvoir judiciaire s'immisce dangereusement dans le fonctionnement du pouvoir exécutif. Le chef de l'Etat peut-il tolérer cette intrusion? Je ne le crois pas. C'est à lui de déterminer quel est le moyen approprié pour dire le rôle réel de Gaydamak, et confirmer que l'attribution de cette décoration n'a rien d'injustifiée. Jusqu'à présent le juge a demandé: qui a proposé de donner cette décoration. La réponse alors est: Charles Pasqua. Si c'est condamnable, alors il faut mettre en examen tous les parlementaires et tous ceux qui interviennent pour faire obtenir des décorations. Mais le juge a-t-il posé la question: pourquoi a-t-on donné cette décoration? Non.
La justice vous reproche également d'avoir bénéficié de fonds douteux pour financer votre campagne aux élections européennes...
Je sais ce que je suis et je sais ce que j'ai fait. Il n'y avait aucune raison de mêler mon nom à l'affaire de vente d'armes entre l'Angola et la Russie. Le RPF n'est pas concerné non plus. Non seulement il n'a jamais reçu un franc de Pierre Falcone mais en plus il n'est qu'à voir l'état des finances du parti pour comprendre sa situation.
Certains prétendent, si je lis bien les journaux, que le président Dos Santos aurait accepté de financer le RPF contre des interventions favorables à l'Angola au Parlement européen. Mais, à l'époque, le RPF n'existait pas! Je ne l'ai créé que trois années plus tard! Et le juge, en dépit de ses efforts, n'a trouvé nulle trace à Strasbourg de la moindre intervention d'un membre du groupe Union pour l'Europe des nations en faveur de l'Angola. Si on veut enquêter sur un parti, ce ne peut être le RPF. On me reproche également d'avoir obtenu le soutien financier de Mme Marthe Mondoloni, d'abord pour la campagne européenne puis ensuite pour le RPF. En quoi est-ce un délit? Un candidat a le droit de financer la campagne européenne à la hauteur qu'il souhaite, et pour le reste je n'ai pas reçu de dons. Tout ça est monté en épingle parce que Mme Mondoloni est corse, qu'elle vit en Afrique et qu'elle travaille dans les jeux.
Au dossier d'instruction figurent également les déclarations de Sabine de La Laurencie. Qu'en pensez-vous?
Elle dit ce qu'elle veut, mais j'ai ma petite idée sur ses motivations... Elle était la collaboratrice de Bernard Guillet mais je peux garantir qu'elle n'a jamais été chargée d'aucune mission spéciale et qu'elle ne m'a jamais apporté quoi que ce soit. Elle n'a d'ailleurs jamais travaillé directement avec moi. Tout cela relève d'une imagination débordante.
Elle vous accuse d'avoir bénéficié de fonds de l'homme d'affaires irakien Nasir Abid, bras droit du milliardaire Nadhmi Auchi que l'on dit proche de vous...
Que les choses soient claires: je ne connais absolument pas M. Auchi. Je connais en revanche Nasir Abid. Nous nous sommes rencontrés à deux reprises après la guerre du Koweït. Tout d'abord lorsqu'il s'est agi d'organiser le séjour en France du premier ministre irakien Tarek Aziz puis lorsque l'Irak a eu besoin de médicaments pour ses hôpitaux. Il ne m'a jamais apporté quelque aide que ce soit.
Que vous inspire la condamnation à six mois de prison ferme de Roland Dumas?
Je n'ai pas à faire de commentaires. Chacun doit assumer ses responsabilités. Si les hommes politiques commettent des délits, ils doivent être sanctionnés. Ils n'ont pas à avoir de privilège. Mais il ne faudrait pas que le fait d'être un homme politique devienne une circonstance aggravante.
Estimez-vous, comme certaines personnalités de droite, qu'il faille revoir le statut pénal du président de la République?
Sous prétexte de répondre à M. Montebourg, qui ne cherche qu'à se faire de la publicité, pourquoi faudrait-il tout bouleverser? Notre Constitution est très bien comme elle est. Le président de la République ne doit pas pouvoir être poursuivi devant la justice ordinaire durant l'exercice de son mandat. Mais il faut évidemment que la justice puisse reprendre son cours à l'issue du mandat présidentiel.
Considérez-vous toujours que vos ennuis judiciaires sont le résultat d'un complot politique?
Je n'ai jamais parlé de complot. Je ne soupçonne évidemment pas les juges d'être liés à un parti ou à une tendance politique. En revanche, lorsque je vois le procureur de la République de Paris, qui fut directeur de cabinet du garde des Sceaux mais également patron de la gendarmerie, prendre des réquisitions de trafic d'influence pour la remise de médaille à Gaydamak, je m'interroge.
Vous voulez dire que le pouvoir socialiste cherche à vous faire tomber?
Je ne dis rien, je constate. Il me semble que lorsqu'il y a un coup judiciaire à gauche, il y en a un aussitôt après qui tombe à droite. Qui ne voit que mes ennuis avec la justice ont commencé dès que j'ai annoncé ma candidature à l'élection présidentielle?
Qui, d'après vous, aurait intérêt à ce que vous vous retiriez de la course à la présidentielle?
Beaucoup de gens pensent qu'il vaudrait mieux que je ne sois pas présent au premier tour. Regardez la situation. Nous avons quatre candidats: Chirac, Jospin, Madelin et Bayrou qui sont tous européens, libéraux et centristes. Ils sont sur le même créneau. Convenez que je dérange beaucoup de monde.
Croyez-vous que la thématique européenne puisse réellement influer sur le résultat de l'élection?
La bataille ne se jouera pas sur le terrain européen, mais l'Europe va faire office de révélateur. Ce que je crois, c'est que le changement de monnaie n'ira pas sans de graves conséquences et que la disparition du franc va provoquer un traumatisme dans l'opinion. A ce moment on va pouvoir mesurer que les analyses que je martèle depuis des années étaient les bonnes.
Aujourd'hui, dans ce débat sur l'Europe, il n'y a que deux positions tenables: celle de François Bayrou - qui est cohérent avec lui-même - et la mienne. Les autres, tous les autres, bercent les Français de faux-semblants. On nous parle de fédération d'Etats nations! Quelle confusion mentale! Pour défendre la nation, j'affirme aujourd'hui que tous ceux, je dis bien tous, qui ont voté en faveur du traité d'Amsterdam sont coupables et n'ont aucune crédibilité.
Et les "affaires", quelle influence auront-elles?
Aucune! Ni pour moi, ni pour Chirac, ni pour les autres. Depuis le temps que les médias tirent sur la droite et sur la gauche, les gens sont blasés. Voyez les municipales: toutes ces pseudo-"révélations" n'ont eu aucun effet sur la campagne. Je le vois bien quand je sors dans la rue ou au restaurant: les attaques portées contre moi ont renforcé l'envie de se battre chez mes partisans.
A la présidentielle, en quoi votre message sera-t-il différent de celui de Jacques Chirac?
Jacques Chirac, je regrette de devoir le dire, ne défend plus aujourd'hui aucune des idées sur lesquelles ont été bâtis le gaullisme et le RPR. L'image que je me fais de la France n'a rien à voir avec la sienne. Bien sûr, il est sympathique et les Français l'aiment bien. Mais il y a le fond des choses. Les Français n'iront pas voter en fonction d'un coefficient de sympathie ou d'un bilan, mais en fonction d'une perspective. Aujourd'hui ni le président de la République ni le premier ministre ne semblent avoir la moindre idée de ce qu'il conviendrait de faire pour préparer l'avenir. Et l'ancien ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire que je suis a des idées bien précises de ce qu'il faudrait faire pour moderniser la France, rétablir l'égalité des chances et garantir la sécurité des Français. Tout cela, j'aurais l'occasion de le développer lors du congrès du RPF le 9 juin à Versailles.
Si vous arrivez au pouvoir, que ferez-vous du nouveau statut de la Corse?
Ce texte est une aberration. Un engrenage fatal, qui nourrit les revendications indépendantistes et qui nous met en situation de devoir y céder. Evidemment, il faudra revoir tout ça.
A droite, certains l'ont pourtant voté...
La droite ne se caractérise pas toujours par son courage. Je dirais même que la plupart de ses dirigeants ont fait preuve d'une grande irresponsabilité et ont manifesté à l'issue de ce vote un lâche soulagement.
Donc, vous êtes toujours décidé à être candidat. Malgré votre âge et vos ennuis judiciaires...
Plus que jamais! Combien de fois faudra-t-il que je le répète? Mon énergie est intacte. Quant à mon âge, bien sûr j'aimerais avoir dix ans de moins, mais les ans ne font rien à l'affaire: lorsqu'on a des convictions et qu'on est déterminé, on se bat jusqu'au bout pour ses idées. C'est ce que je ferai. Je m'adresserai à tous les Français et j'essaierai de leur redonner l'espoir dans l'avenir. Tout est possible pour peu qu'on le veuille, et la France mérite qu'on se batte pour elle. Non, elle n'a pas fini son temps.