Interview de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'emploi, à "France 2" le 8 décembre 2009, sur le stress au travail des salariés de Pôle emploi et sur le mouvement social concernant les conditions de travail et les salaires dans plusieurs secteurs d'activité .

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Média : France 2

Texte intégral

M. Darmon.- Bonjour L. Wauquiez. Jeune député il se déclarait comme un huron débarqué en politique. Aujourd'hui il gère la denrée rare : l'emploi. Fini l'innocence, L. Wauquiez ? Bonjour.

Bonjour.

Alors, Pôle Emploi, l'organisme justement créé pour remplacer l'ANPE, pour regrouper donc l'accompagnement des chômeurs connaît une grave crise interne : trois tentatives de suicide en une semaine, Argenteuil, Noisy-le-Sec et Villejuif. Qu'est-ce que vous répondez à cette crise grave en interne à Pôle Emploi.

D'abord, si vous me le permettez, je voudrais quand même avoir une pensée, une pensée pour les familles et puis pour les personnes qui ont fait ces tentatives de suicide. Ce n'est jamais un geste anodin. La deuxième chose, c'est que depuis un certain nombre de mois, il y a un sport national qui a consisté à critiquer les agents de Pôle Emploi. Il faut bien se rendre compte qu'ils ne font pas un travail qui est facile. Ils ne font pas un travail qui est facile parce que dans cette période, le changement - et le changement de Pôle Emploi - est pour eux un facteur de surcharge de travail et qu'en plus, il y a l'accompagnement des demandeurs d'emploi...

Qui augmente.

Qui augmente. Ils essayent de le faire le mieux possible et évidemment cette charge de travail m'oblige à faire très attention parce qu'il peut y avoir ces facteurs de stress, d'inquiétude personnelle qui peuvent s'exprimer.

Alors qu'est-ce que vous faites concrètement là par rapport à cette situation ?

C'est pour cela que je n'ai pas voulu prendre le sujet à la légère. On a envoyé un questionnaire, j'ai demandé à C. Charpy le directeur, de le faire, qui a été envoyé à tous les agents sur ces questions de conditions de travail, d'inquiétude, de difficulté du travail au quotidien. On a eu plus d'un agent sur deux qui a répondu, 52%. On va maintenant rentrer dans la phase où on va dépouiller le questionnaire, on va en parler avec les partenaires sociaux pour voir clairement ce qu'ils expriment et ce qu'ils font remonter. Et à partir de janvier, on va enclencher une négociation qui sera sur les conditions de travail et les risques psychosociaux au travail.

C'est-à-dire que vous reconnaissez un peu que la situation est similaire à celle de France Télécom, vous en prenez tout de suite d'ailleurs la mesure puisque c'est exactement ce qui s'est passé à France Télécom avec ce questionnaire ?

Il y a quand même deux différences majeures : à France Télécom, ce sont des gens qui sont morts, avec des suicides qui étaient imputés à leur travail. La deuxième chose c'est que Pôle Emploi n'a pas changé de métier, c'est un service public, on reste un service public et le but c'est d'essayer d'aider au mieux les demandeurs d'emploi. France Télécom c'était tout autre chose, c'était ce qui était il y a encore 20 ans une administration qui est devenue une entreprise privée soumise à la concurrence. Donc il faut faire attention. Je ne veux pas de parallèle surtout dans des sujets comme ceux-là, il faut prendre le temps, être sérieux, analyser les choses au fond.

Le président de la République, il y a quelques jours est venu donc soutenir également l'évolution de Pôle Emploi et a promis des effectifs supplémentaires justement dans les agences où la crise est forte et où la surcharge est forte. Qu'en est-il ?

Alors on est en train de finir l'évaluation, je pense qu'on la finira cette semaine et ça devrait nous permettre de décider conjointement avec le directeur quels renforts on met. La deuxième chose c'est que je veux aussi qu'on réfléchisse sur les locaux. Notamment voilà, les agents, dans quels locaux est-ce qu'ils vous accueillent, est-ce que les locaux sont bien aménagés, est-ce qu'ils ont un espace qui est à eux, suffisamment confidentiel. Ce sont des questions qui n'ont l'air de rien, mais pour le travail au quotidien ça compte et pour les demandeurs d'emploi aussi.

Alors pendant le retour à la croissance, le chômage continue. Est-ce que ce n'est pas le scénario le pire pour le Gouvernement qu'il peut donc envisager : un retour à une situation financière saine, mais un emploi qui continue à se dégrader ?

Vous savez, depuis que j'ai en charge et vous l'avez rappelé, ce dossier qui est évidemment très dur de l'emploi dans cette période de crise, je n'ai jamais voulu raconter d'histoires. Ca ne va pas s'embellir et ça ne va pas s'embellir tout de suite. On a encore quelques mois qui vont être des mois difficiles. Pourquoi ? Tout simplement la France a, et c'est quand même une chance, une démographie qui augmente. Donc pour qu'on arrive à faire baisser le taux de chômage, il faut avoir une croissance de près de 1,5%. Donc au début, quand on va sortir la tête de l'eau, de la crise, la croissance va commencer à redémarrer un petit peu, on dira super, on a à nouveau de la croissance, mais pour moi la crise elle ne s'arrête pas quand les marchés financiers ont arrêté de faire du yo-yo, elle s'arrête quand le chômage baisse.

Vous avez un calendrier ?

C'est difficile de l'avoir. J'ai envie de dire "le plus tôt possible dans l'année 2010", c'est notre objectif.

Alors pour l'instant donc, les chauffeurs routiers, les agents de la SNCF, les agents de musées, les taxis, vous ne sentez pas qu'un mouvement social, en tout cas un mouvement de grogne est en train de se cristalliser là en cette fin d'année, justement sur ces revendications de conditions de travail et de salaires ?

Si vous repartez quand même en arrière, qu'on compare avec les périodes des très grandes manifestations, notamment au niveau des retraites, voilà il y a des points de tensions qui sont des points de tension sur des métiers, des professions qu'il ne faut pas prendre à la légère, mais on n'a pas du tout un blocage du pays, alors même qu'on est dans une phase dure. Et je pense qu'il faut rendre hommage d'ailleurs aux Français, parce qu'ils sont très responsables dans cette période.

Justement, ils ont l'air d'être... au moins trois Français sur quatre approuvent le projet d'un mouvement social des routiers, c'est un signe quand même intéressant pour l'état d'esprit justement des salariés.

Oui je voudrais revenir là-dessus. Le métier de routier c'est un métier dur, c'est une profession qu'on a essayé d'aider dans la crise parce que c'est une profession qui était menacée par la crise. Et les négociations qui sont en cours sont importantes pour celui qui fait un travail de routier. Routier tous les jours, j'ai des amis qui le sont, ce n'est pas quelque chose qui est facile. C'est épuisant avec un salaire qui n'est quand même pas des milles et des cents. Donc D. Bussereau a pris en charge un appui dans cette négociation dans lequel il apporte une médiation de l'Etat, après ce n'est pas un conflit avec l'Etat, c'est un conflit avec les employeurs.

C'est justement le moment que vous choisissez pour dessiner les contours de la nouvelle droite sociale. Pourquoi cette nouvelle idée, c'est pour faire oublier que le "travailler plus et gagner plus" c'est terminé, c'est passé à la trappe ?

Non pas du tout. On est dans une crise, quel est le risque ? Le risque c'est de gérer au quotidien et d'oublier de commencer à préparer ce que sera la société de l'après crise. Les choses demain ne peuvent pas être comme elles ont été avant la crise. C'est une crise qui est deux fois plus importante que celle du choc pétrolier. Donc il faut qu'on réfléchisse à qu'est-ce que ça va être demain de faire du social et j'ai notamment une conviction qui est pour moi fondamentale : les classes moyennes sont celles qui ont le plus souffert dans cette crise...

... les plus oubliés de l'action présidentielle en fait ?

Ah non là je ne suis pas du tout d'accord avec vous mais on y reviendra si vous le voulez...

On n'aura pas le temps.

Alors je vais être très clair tout de suite, quand on a fait les déductions pour le logement, quand on a fait les rabais sur l'impôt sur le revenu, c'était fait pour les classes moyennes. Mais demain faire du social, ça ne sera pas uniquement s'occuper des plus défavorisés, ça sera réfléchir aux classes moyennes.

Faire du social c'est parce que c'est à ce moment-là que la crise sociale peut être la plus forte justement quand on commence à sortir de la crise ?

Faire du social ça veut juste dire que dans une société française d'après crise, qui aura été traumatisée par cette crise, on aura besoin de panser les blessures et notamment pour les classes moyennes, pour moi c'est la priorité.

Vous faites un débat aujourd'hui justement sur la nouvelle droite sociale. Quel est le débat le plus utile : celui sur la droite sociale ou celui sur l'identité nationale ?

Le débat le plus utile c'est celui qui prépare demain et quand on fait de la politique, le risque c'est de faire uniquement de la gestion au jour le jour. Les Français ils ont besoin qu'on réfléchisse à demain et ils ont raison.

Vous allez assister au débat sur l'identité nationale à l'Assemblée aujourd'hui ?

Bien sûr et je serai évidemment aux Questions d'actualité. Et dans l'identité nationale, il y a aussi notre modèle social et il y a aussi notre modèle de protection sociale.

Celui qu'on fustigeait avant et qu'on redécouvre maintenant.

Non pas du tout, celui qu'on veut faire évoluer et qu'on veut faire améliorer. Un autre exemple : est-ce que notre modèle social c'est une culture de chèque anonyme, administrative ou est-ce que c'est, essayer d'aider les gens en étant capable de faire du sur-mesure ? Ca aussi ce sont des questions sur lesquels on doit réfléchir.

Merci L. Wauquiez.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 décembre 2009