Interview de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, à "Europe 1", le 28 mai 2001, sur la tentative d'évasion de deux détenus de la prison de Fresnes et la prise de deux gardiens en otage.

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Circonstance : Tentative d'évasion de deux détenus de la prison de Fresnes, le 28 mai 2001

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach Merci de commenter presque à chaud - c'est difficile et courageux - ce qui est en train de se passer. Est-ce qu'on approche de la fin de l'opération à Fresnes, à 8 heures 20 ?
- " Personne ne peut vous le dire mais tout le monde l'espère. Vous savez que cette nuit, grâce au calme de tous ceux qui sont intervenus, y compris des personnels qui sont venus spontanément prêter main forte aux CRS et au Raid, tous les autres détenus sont quand même restés jusqu'à deux heures du matin dans la cour ont pu rentrer entre deux heures et quatre heures du matin."
Un à un ?
- "Un à un."
Parce que vous avez fait entrer les CRS ?
- "Bien sûr, parce qu'on a pas le droit de demander aux personnels de gérer une situation aussi terrible. Tout le monde est rentré et je pense que le calme est à peu près réel dans l'établissement. Je salue aussi d'ailleurs l'ensemble des détenus, je salue les personnels mais aussi les détenus qui ont su permettre cette opération."
Vous voulez dire qu'il n'y a eu, à aucun moment, des actes de solidarité avec les deux preneurs d'otages ?
- "Un peu, bien évidemment, parce que des petits gestes ont été faits. Mais ce ne sont que des gestes, on ne peut pas dire que les détenus se soient solidarisés. Chacun en ce moment pense à eux, qui sont restés de 15 heures à deux heures et demi du matin..."
Vous voulez dire qu'on a échappé au pire, hier après-midi et hier soir ?
- "Je ne sais pas ce qui est le pire, mais je crois que les détenus ont su ne pas prendre cette situation comme un début d'insurrection. Il faut les saluer pour cela. On peut aussi saluer des détenus quand leur comportement est aussi correct."
On dit que des négociations sont en cours. Mais qu'y a-t-il à négocier, que veut dire négocier avec deux détenus armés et qui ont pris deux gardiens en otages ?
- ."..auxquels on pense beaucoup, comme au surveillant blessé. On peut simplement essayer de sortir de cette affaire aussi bien que possible. Une négociation, c'est sortir de cette affaire aussi bien que possible, c'est une évasion par hélicoptère qui a échoué, il y a des détenus armés. En pensant à leur famille et à tous ceux qu'ils aiment, ils ont peut-être envie, ce matin, que cela se termine correctement."
Est-il question de les laisser partir - je sais bien qu'il écoutent la radio - en échange de la libération des deux surveillants ?
- "Je laisse les responsables du Raid, le procureur et le préfet qui sont sur place négocier. Il faut trouver la bonne solution pour que ces détenus - qui le resteront dans leur avenir et ils le savent sûrement - acceptent de relâcher les deux surveillants qui doivent être épuisés."
Est-ce que beaucoup d'armes sont entrées à Fresnes ?
- "Ces détenus sont armés, mais aux dernières nouvelles, les seules armes sont les leurs."
Celles qu'on leur a lancées ?
- "Voilà, et qu'ils ont tous les deux."
Cela veut dire qu'ils avaient des complicités à l'extérieur ?
- "Oui, parce que cet hélicoptère n'est pas arrivé tout seul et ce sont effectivement des gens qui les connaissent qui leur ont permis d'avoir ces armes après avoir essayé de les faire partir. "
Comment de telles opérations peuvent-elles être organisées ? Avec des réseaux, des bandes qui sont à l'extérieur ? Cela veut dire que des portables fonctionnent ?
- "Nous passons beaucoup de temps avec les personnels à traquer les portables. Mais des communications peuvent se passer à des tas de moments. Ce sont des gens qui sont là longtemps et qui ont aussi des visites. Mais j'espère que l'enquête le dira. C'est difficile d'avoir une information zéro à l'intérieur d'un établissement."
C'était le long week-end de l'Ascension. Y avait-il moins de gardiens à Fresnes ?
- "Non, il n'y a pas moins de gardiens. Les dispositifs sont tels qu'il n'y a pas moins de gardiens. Ceci étant, la fin d'un week-end, c'est aussi, pour les organisateurs le temps de la préparation."
Comment des détenus peuvent, aujourd'hui encore, imaginer réussir une évasion par hélicoptère puisque des mesures de précaution avaient été prises. Cela veut-il dire qu'il y a encore des failles dans le système ? Pourra t -on et devra-t-on les améliorer ?
- "On doit toujours améliorer. Je reçois d'ailleurs les syndicats des personnels cet après-midi pour en discuter avec eux et aussi pour témoigner de notre solidarité à l'égard de leurs collègues hospitalisés."
Ils vont vous demander des moyens et des effectifs supplémentaires ?
- "Je suis déjà allée à Fresnes, il y a maintenant quelques semaines, et effectivement il y a besoin de personnel supplémentaire. Notre difficulté concernant les filins est technique, il faut donc que nous trouvions la bonne solution mais on en discutera cet après-midi. On peut toujours s'améliorer, sûrement."
Est-ce que vous imaginez qu'après cela, il pourrait y avoir des signes d'agitation dans d'autres établissements pénitentiaires ou que cela sera localisé à Fresnes ?
- "Vous dire qu'il n'y aura jamais d'agitation..."
Ah non ! Je n'ai pas dit "jamais", mais "après cela."..
- "Tous ceux qui sont détenus ont une chance : c'est d'avoir un comportement qui leur permette un jour d'être libéré dans de bonnes conditions. Les gens ne sont pas tous condamnés à de très longues peines. Le problème des coups au moral concerne les gens condamnés pour très longtemps. Il est vrai que cela demande de la part de nos personnels et de nos établissements d'avoir beaucoup plus de vigilance pour les très longues peines."
D'autant plus que Fresnes, d'après Me T. Levy, président de l'Observatoire des prisons, est une des prisons les plus difficiles - avec les Baumettes - et où, traditionnellement, il y a un état d'affrontement entre les gardiens et les détenus.
- "Je ne l'ai pas senti lorsque j'ai fait cette visite. J'ai trouvé que la direction, les personnels avaient une solidarité d'organisation parfaite. Et d'ailleurs, il est vrai qu'ils l'ont. Mais c'est un établissement difficile parce que c'est un grand établissement et je pense qu'ils sont plus durs pour les personnels."
Est-ce que avez créé avec d'autres - le ministre de l'Intérieur puisqu'il y a eu les CRS - une cellule de crise ? Avez-vous été en contact constant avec le procureur, les responsables de la prison de Fresnes ?
- "Bien sûr - cette cellule d'ailleurs ne s'est pas arrêtée -, y compris avec le Premier ministre puisque je l'ai eu dès 15 heures hier et il est resté à Matignon jusqu'à tard cette nuit."
Comment se comportent les deux [évadés] et les deux surveillants pris en otage, d'après ce que vous savez ?
- "D'après ce que je sais, il sont pour l'instant au calme dans un couloir. On les a vu à la télévision, ce n'est donc pas un scoop - après avoir beaucoup marché et essayé de trouver des possibilités de prendre des contacts avec d'autres détenus. Ils sont donc au calme et les surveillants ont fait preuve d'un sang froid et d'un courage formidables alors qu'ils sont très fatigués, en particulier l'un d'eux."
Ils demandent de l'eau. Cela veut dire qu'on ne leur a pas encore donné assez d'eau ou qu'on ne leur a pas donné d'eau ?
- "Je pense qu'on va leur donner de l'eau mais l'essentiel, c'est que cela se termine vite."
D'après les signes et les indications que vous aviez juste avant de venir ?
- "Pour l'instant la situation est complètement stationnaire. Il n'y avait pas de signe."
Puis-je vous parler d'un autre drame, qui a eu lieu près de Rouen ? C'est parfois dur d'être ministre de la Justice, les affaires tombent d'un coup... Un couple a été sauvagement assassiné, le meurtrier était en permission de sortie, avec l'accord des médecins, du juge d'application des peines. Tout le village a manifesté hier sa colère et sa peur. Est-ce que vous les comprenez et qu'en pensez-vous ?
- "Tout d'abord, je partage l'émotion et la révolte de la famille parce que dans leur situation, je serais sûrement dans le même état. L'institution, dans son ensemble, ne cherche pas d'excuse. C'est vrai qu'on a besoin de ces week-ends de sortie, c'est vrai que ce n'était pas le premier week-end et que le juge d'application des peines avait déjà devant lui des week-ends réussis. Nous ne chercherons aucune excuse à cette atrocité."
Qu'est-ce qui ne va pas dans la justice à ce stade là ?
- "Je ne sais pas si on peut faire une justice parfaite. En tout cas, pour ces gens, c'est fini et c'est ce à quoi ils doivent penser, car leurs parents sont définitivement morts et c'est pour l'horreur. Je ferai tout pour qu'on soit toujours mieux, avec beaucoup de modestie et d'humilité parce que ce sont des dossiers très lourds et que la justice réclame surtout une attention constante, elle réclame des moyens. Nous en aurons plus, le Premier ministre s'est largement engagé avec le ministre de l'Economie et la ministre du Budget. Je pense que nous avons besoin de moyens pour que cela aille encore mieux."
Cela pose à nouveau, brutalement, le problème des peines de longue durée. On voit bien que les détenus comme les condamnés à perpétuité deviennent dangereux par désespoir, parce qu'ils n'ont plus rien à perdre. Que peut-on imaginer ?
- "Nous menons une longue réflexions avec l'ensemble des magistrats, des avocats, des personnels de ce qu'on appelle "la pénitentiaire", de ces surveillants qui attendent beaucoup de nous. Nous menons un réflexion pour savoir comment on peut gérer les très longues peines et comment on peut, sur le long terme avoir un espoir de réinsérer des gens. Lorsqu'il y a eu des crimes de sang, des crimes terribles, les longues peines sont nécessaires. Il faut donc que nous trouvions des solutions adaptées. Il n'y a pas de perfection mais il y toujours un peu d'espoir."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 30 mai 2001)