Texte intégral
Q - Monsieur Hubert Védrine, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, bonsoir. Merci davoir accepté cette invitation du Club de la Presse qui nétait pas prévue à lorigine mais qui a été dictée par les circonstances et donc nous vous remercions particulièrement de vous être libéré, à un moment important et difficile et pour lequel les explications ne sont pas de trop et les questions non plus dailleurs.
Nous allons évidemment passer beaucoup de temps à vous interroger à propos de ce qui se passe au Kosovo, des raisons de l'intervention française, de la nature de ses relations avec les alliés, les espérances que lon peut avoir ou les objectifs quon poursuit, de ce que lon peut imaginer à la fois de lévolution de la guerre mais aussi de celle du président Milosevic, de la façon dont on peut sortir de cette affaire et aussi, de la manière dont les principales puissances se comportent dans cette circonstance-là.
Bien sûr, nous reviendrons aussi sur le bilan du sommet de Berlin et sur les perspectives que lon peut avoir dans ce domaine mais bien sûr, lessentiel sera consacré au Kosovo.
Nous sommes, semble-t-il, Monsieur le Ministre en pleine escalade. Les militaires et paramilitaires serbes pratiquent, nous dit-on un nettoyage ethnique et chassent des dizaines de milliers dAlbanais du Kosovo. Laviation américaine a perdu la nuit dernière, et cest le risque, un F-117. Milosevic devenant pour les Serbes un héros de la résistance nest pas affaibli. LOTAN accentue aujourdhui ses frappes, est-ce que lOTAN nest pas en train déchouer sous nos yeux ?
R - Je pense quil faut se garder dun jugement aussi rapide et dune conclusion aussi hâtive par rapport à ce qui a été entrepris. Je rappelle que le drame du Kosovo na pas commencé avec le recours à la force auquel il a fallu se résigner. Le drame du Kosovo a commencé il y a 10 ans, en 1989, lorsque le président Milosevic a mis fin à lautonomie du Kosovo. Il a pris une ampleur toute nouvelle il y a plus dun an, lorsque les manifestations des Kosovars ont atteints un niveau tel que le monde entier a dû les observer, parce que les Kosovars voulaient, après des années de lutte pacifique incarnées par M. Rugova reconquérir ou obtenir enfin des droits élémentaires comme le droit de parler leur langue ou le droit à la culture, à lidentité.
Q - Mais aujourdhui, les avions et les missiles de lOTAN pleuvent et en même temps, des gens sont massacrés ?
R - Oui, mais, pourquoi a-t-il fallu en arriver là ? Je voudrais rappeler à cette occasion que cest une période pénible à passer, qui intervient après des mois et des mois defforts, pour quune solution politique et diplomatique soit trouvée. Malheureusement dans toute cette période que je ne reprendrai pas parce que vous lavez tous suivie, le Groupe de contact, les navettes, le processus de Rambouillet...
Q - Où lEurope a joué un rôle important...
R -Il ne faut pas raisonner en terme de compétition entre lEurope et les Etats-Unis, le Groupe de contact a ceci de tout à fait remarquable quil permet aux Européens dêtre cohérents, quil permet aux Européens ou aux Américains davoir des diplomaties qui ne se tirent pas dans les pieds mais qui travaillent ensemble et qui permet davoir les Russes, en tout cas lorsque lon est sur le terrain politique.
Q - On a tout cela en tête mais si lobjectif cétait déviter une catastrophe humanitaire, est-elle, selon vos informations, en train de se produire, et si oui, nest-ce pas un échec ?
R - Mais, cela fait longtemps quelle se produit.
Q - Nest-elle pas en train de saggraver ?
R - Cest déjà différent, ce serait ingénu de parler brusquement, comme sil y avait un drame humanitaire qui se produisait au Kosovo maintenant alors que dans tous vos médias, vous avez expliqué de très nombreuses fois quelle se produisait avant et depuis longtemps. Quattendait-on pour y mettre fin ? il y a tout un processus au bout duquel nous nous somme dit quil nétait plus possible de laisser les choses continuer à saggraver. La catastrophe humanitaire par exemple était déjà là à lautomne et cest à lautomne que lon a voté les résolutions au Conseil de sécurité : les 1160, 1199, 1203 qui ont exigé un certain nombre de choses.
Q - Donc, ce nest pas une guerre illégale ?
R - Je crois que ce nest pas une intervention illégitime fondamentalement.
Q - Cest autre chose.
R - Ceci englobe cela.
Q - Donc, cest légal ?
R - Je pense que lintervention de lOTAN tire sa légitimité et sa légalité si vous le voulez des résolutions que jai rappelées, qui sont très très exigeantes par rapport aux Serbes, par rapport aux obligations qui nont jamais été tenues, plus ce que je disais il y a un instant, cest-à-dire les occasions innombrables quil y a eu de conclure sur des bases correctes.
Q - Compte tenues de vos informations, quest-ce qui se passe au Kosovo ?
R - Je vous conseille dêtre prudents avec lensemble des informations. Cest compliqué de savoir ce qui se passe. Cétait déjà compliqué avant - rappelez-vous par exemple le massacre de Racaq qui a eu lieu en janvier. Après le travail des médecins légistes finlandais, on ne sait toujours pas exactement quelle était la nature du massacre.
Q - Donc, il y a une part « dintox « aujourdhui ?
R - Non, je pense quil y a une très légitime inquiétude. Aux frontières du Kosovo, par exemple en Albanie ou en Macédoine, on assiste à des choses qui sont révoltantes en effet et sur le Kosovo proprement dit, on ne savait pas très bien. Noubliez pas que lune des raisons de la mobilisation presque sans précédent de la diplomatie mondiale - et notamment européenne - pendant lhiver, cest que tous les experts savaient que dès la fin de lhiver, à peu près dans la période dans laquelle nous sommes maintenant, les opérations et les affrontements allaient reprendre à grande échelle. Doù ce forcing qui a été mené. Cest pour cela quà un moment donné, un certain nombre de dirigeants politiques - qui naiment évidemment pas le recours à la force, qui naiment pas ces actions militaires par lesquelles il faut passer - ,se sont dit quils navaient pas le droit de rester passifs par rapport à ce qui se produira si nous nagissons pas. Je voulais quand même rappeler ce processus.
Q - La méthode est-elle efficace ?
R - Cela dépend à quelle autre vous la comparez ?
Q - la diplomatie ?
R - La diplomatie est un élément, mais vous avez bien noté au cours de toutes ces dernières semaines que malheureusement, les autorités de Belgrade ont traité les compromis comme cétait leur adversaire principal.
Q - Ne faites-vous pas une demi-guerre qui aboutirait à « zéro « résultat ? Autrement dit,
lidée qui existe depuis le début, qui a été affirmée par les Occidentaux, notamment par les
Américains selon laquelle il y aurait une guerre aérienne mais quil ny aurait pas
dintervention de forces terrestres, est-ce quau départ, ce nétait pas une « demi-guerre «
?
R - Cela dépend des objectifs. Un des objectifs principaux quil a fallu traiter puisque malheureusement, tous les autres moyens diplomatiques et politiques ont été épuisés, est de réduire, et si possible de casser la capacité de répression de larmée que nous avons vu sillustrer au Kosovo après que lavoir vu sillustrer dans dautres endroits.
Q - Etes-vous en train de le faire ?
R - Oui, bien sûr.
Q - Expliquez-nous ce que vous faites ? lOTAN, même le Pentagone disent que les résultats sont des résultats réduits puisque les Serbes auraient réussi à préserver leurs missiles et leurs DCA.
R - Je crois que sur ce plan, le fait de savoir si les choses prennent un jour ou trois jours de plus que ce qui était prévu, renvoie simplement à la prévision des experts qui croyaient pouvoir donner une durée, cest secondaire.
Je reviens en termes dobjectifs : lun des objectifs, cest précisément, alors que lon pouvait craindre une aggravation considérable, cette capacité de répression. Cela veut dire mettre hors service, des systèmes de défense antiaérienne, des systèmes de radars, des systèmes de télécommunications, des dépôts de munitions, des systèmes de transports. Ce sont des cibles militaires, il ny a évidemment pas de guerre contre la Serbie, encore moins contre le peuple serbe.
Q - Cest une guerre ?
R - Contre qui ? Cest une guerre contre un appareil répressif.
Q - Vous dites que nous sommes pris aujourdhui dans un engrenage et les militaires disent souvent que lon ne peut pas gagner une guerre seulement aérienne. Ne croyez-vous pas que dans notre logique aujourdhui, nous sommes condamnés à la guerre terrestre ? Ne serait-elle pas une catastrophe ?
R - La guerre terrestre est une hypothèse qui a été clairement écartée par tous les dirigeants occidentaux. Dautre part, lorsque lon dit que lon ne va pas gagner la guerre, il ne sagit pas décraser la Serbie, ce nest pas cela lobjet. Au contraire, nous continuons à penser que la Serbie a sa place dans lEurope, que nous voudrions sortir du piège dans lequel ce régime la mis et qui puisse réentreprendre un dialogue politique normal.
Q - Cest-à-dire casser lappareil militaire dun dictateur qui sappelle Milosevic ?
R - Cest beaucoup plus cela que de gagner la guerre. Lorsquil y a des experts militaires qui disent que lon ne peut pas gagner une guerre, cest peut-être parce quils raisonnent par analogie avec la seconde guerre mondiale. Il ne sagit pas décraser un pays. Cest pour cela que je dis, ce nest pas une guerre contre un pays, encore moins contre un peuple.
Q - En ce moment, la Serbie est écrasée sous les bombes ?
R - La Serbie nest pas écrasée sous les bombes, mais un certain nombre de cibles militaires
serbes, des dépôts de munitions, des casernes, dendroits où il y a des tanks, des avions, des
missiles, des systèmes de contrôle aériens, des centres de télécommunications
Q - Ce sont des accotés, cest comme en Iraq dailleurs, vous le savez très bien ?
R - Cela na rien à avoir. Je pense quil ne faut pas conclure aussi vite.
Q - Vous venez de dire que lobjectif est de casser la capacité de répression du nationalisme serbe, de larmée et des bandes paramilitaires. Pensez-vous que cest en train dêtre fait au moment où il y a cette répression, où elle samplifie ? Nous navons pas ce sentiment-là.
R - Oui, mais ce nest pas une question de sentiments. Il faut prendre son temps pour évaluer, il ne faut pas se précipiter sur les conclusions. Je crois quil faut garder son sang-froid, y compris dans lanalyse en cette période : cette destruction a commencé. Maintenant, où en est-on exactement, je ne peux pas le dire ici, ce serait une plaisanterie si je donnais des pourcentages sur des choses de ce type. Cest en train. Nous évaluons tous les jours avec nos partenaires, nos alliés. Evidemment, les capacités de répression ne disparaissent pas du jour au lendemain, mais cela se ramène aux choix que lon a dû faire à un moment donné ; fallait-il se résoudre à employer des moyens de coercition là où dautres avaient échoué, avec les inconvénients que cela présente, et les interrogations légitimes que cela soulève ou fallait-il choisir lautre voie qui était celle de la passivité, de labstention ? Cest cela le choix qui a été fait. Maintenant, nous sommes dans une phase difficile mais je crois quil faut comprendre quelle était inévitable.
Q - Pouvez-vous nous dire - dans la poursuite de ce but dont vous ne pouvez pas évidemment, et on le comprend très bien, évaluer aujourdhui le pourcentage defficacité -, si dans votre esprit, pour arriver à attendre ce but, cest une question de jours ou de semaines ?
R - Plus de jours je dirais.
Q - Quand les 19 de lOTAN ont autorisé M. Solana à déclencher les différentes phases de lopération, aviez-vous tout prévu, ces hypothèses de résistance de Milosevic et des gens autour de lui, les pertes davions, les pertes de vies ? Il y a eu le passage de la phase 1 à la phase 2 hier, cest-à-dire, à une autre phase militaire. Il devait y avoir une consultation plus longue et peut-être une pause, pourquoi na-t-elle pas eu lieu ? Y a-t-il une sorte dengrenage, une incertitude, une peur de la part des 19 ?
R - Ce sont deux catégories de cibles différentes mais ce sont encore des cibles militaires. Simplement, il y en a plus dans la phase 2 que dans la phase 1. Quant à la pause, elle a eu lieu pendant la journée, les consultations ont eu lieu pendant la journée et par rapport à lobjectif que jai rappelé, il est apparu à tous les participants quil fallait poursuivre parce que sinon, cela naurait pas de sens à ce stade.
Q - Si on parle de la phase 2, elle désigne très précisément des attaques au sol, en dessous du 44ème parallèle.
R - Entre autres.
Q - Oui, mais ce sont des attaques au sol, des avions qui volent assez bas, cest lengagement je suppose des Jaguars français dans lattaque au sol pour attaquer des colonnes de blindés, des concentrations de troupes. Est-ce cela qui va être fait ?
R - Dans la phase 2, il y a un travail méthodique consistant à réduire la capacité de répression de larmée yougoslave, y compris ses capacités de télécommunications, de communications, dobservations etc. Cest la poursuite de cela et dautre part, déventuelles actions pour contrecarrer des actions de répression en cours ?
Q - Cest-à-dire que lon sen prendra à des groupes de soldats directement, à des concentrations de soldats ?
R - Non, ce sont des concentrations de blindés par exemple.
Q - Ce que je ne compte pas, la purification ethnique se fait au couteau ou à la mitrailleuse, comme on la vu en Bosnie. Si les bombardements doivent empêcher la purification ethnique, ils doivent détruire ces couteaux et ces mitrailleuses. On en finira jamais ?
R - Il faut savoir si on veut faire quelque chose ou rien. Si vous voulez faire quelque chose, il faut prendre cette action par un bout.
Q - Mais cest homme par homme ?
R - Que recommandez-vous à travers vos questions, un corps expéditionnaire dun million dhommes ?
Q - Est-on sûr que les Européens ne seront pas obligés daller sur le terrain parce que les Américains ne veulent pas y aller ?
R - Non.
Q - Nous direz-vous quil ny aura pas dengagement des troupes terrestres, européennes et françaises ?
R - Je disais tout à lheure quen ce qui concerne lengagement des troupes, tous les dirigeants des pays concernés par cette opération lont écarté. Je rappelle que réduire la capacité de répression de larmée yougoslave, compte tenu de ce qui sest passé depuis des années, avant même le Kosovo, cest quelque chose qui peut être largement atteint par des actions aériennes précises, les plus ciblées possible, telle que celles qui sont en train de se dérouler dans la phase 1 comme dans la phase 2.
Q - Qui durera combien de temps ?
R - Cest une question de jours et non pas de semaines.
Q - Mais dans la phase 2, il y a des risques pour les pilotes puisquils sont obligés de voler bas ?
R - Evidemment, il y a forcément des risques. Cest pour cela que lon a examiné tout cela avec autant de gravité. Cest pour cela que les négociations ont duré aussi longtemps, cest pour cela que lon a donné tellement de chances aux deux parties, notamment à la partie serbe de signer un accord honnête, équitable.
Je voudrais bien que lon parle un peu du terrain politique, parce quil sagit de moyens, nous navons pas changé dobjectif, nous navons pas changé de politique. Nous sommes toujours à la recherche dune coexistence possible entre les Serbes et les Kosovars et les autres minorités qui sont au Kosovo. Nous avons déployé toutes les possibilités de convictions, des actions américaines aux actions russes, en passant par la co-présidence franco-britannique et un nombre incalculable de versions successives de ce que lon a appelé les Accords de Rambouillet. Il ne faut pas oublier cela, lobjectif est le même. Il faudra dune façon ou dune autre, permettre à ces populations de coexister, de cohabiter. Simplement, à un moment donné, il est apparu, à tous les dirigeants du Groupe de contact, moins les Russes - qui pour dautres raisons, spécifiquement russes, ne peuvent pas sassocier à des actions de force dans ce cas, mais qui sont complètement daccord avec le volet politique -, à tous les autres, et à tous les Européens qui ont tous soutenu - pas que ceux du groupe de contact, mais les Quinze -, à tous les pays voisins de lex-Yougoslavie qui savent ce que cest que ce régime, ce quil a fait depuis des années quels que soient les inconvénients, quels que soient les risques qui ont été soupesés plutôt dix fois quune, il est apparu quà un moment donné, il fallait prendre ces responsabilités, quels que soit lémoi, linquiétude, lincompréhension que cela peut susciter, que je comprends dailleurs. Cest aussi pour cela que jessaie de répondre aux questions mais qui sont un peu toujours les mêmes. Alors quen réalité, il y a un objectif politique derrière tout cela.
Q - Parlons politique, vous êtes un fin stratège, vous savez bien que cette action va resserrer les Serbes autour de M. Milosevic. Nest-ce pas un gros risque ?
R - De même que lorsque lon parle de la guerre ou des catastrophes humanitaires, nous en parlons comme si cela venait de commencer, alors que cétait précisément la situation davant à laquelle il fallait enfin donner un coup darrêt. En terme de cohésion nationale, on a pu lobserver avant, ce ne sont pas les actions de lOTAN qui ont créé cela. On le sait bien. On a vu quil y a un gouvernement dans lequel il y a lextrême droite, et lancien opposant, M. Draskovic qui est devenu vice-premier ministre, qui apporte son soutien complet à M. Milosevic. Nnous avons essayé de rompre cet enfermement, cette espèce de conception absolument archaïque, cette espèce de paranoïa quont les Serbes, que le monde entier est contre eux...
Encore une fois, cest parce que lon avait tout épuisé que lon est passé momentanément à lemploi dautres moyens.
Q - Pourquoi peut-on réussir avec M. Milosevic ce que nous avons raté avec Saddam Hussein ?
R - Je ne vois pas le rapport.
Q - Expliquez-nous qui sont ces deux hommes ? Pourquoi cela peut marcher avec M. Milosevic alors que cela a échoué avec Saddam Hussein ?
R - En fait, jaurai du mal à comparer car ce sont deux crises totalement différentes, ce sont deux personnalités différentes. Ils ont peut-être quelques défauts en commun, mais à part cela, les problèmes ne sont pas les mêmes, les pays ne sont pas les mêmes, le contexte nest pas le même.
Q - Il y a une coalition mondiale des gouvernements dans les deux cas. Cest vrai que cest lONU dans un cas, lOTAN dans lautre mais il y a quand même des similitudes et puis, il y a des bombardements ?
R - Non, le problème du Kosovo est spécifique, il na pas déquivalence par rapport à lIraq.
Q - Comment jugez-vous M. Milosevic. Pensez-vous que cest quelquun que lon peut faire plier comme personnage ?
R - Il y a des forces contraires. Malheureusement, ce sont les forces négatives qui lont emportées. On voit bien que le président Milosevic a reconstruit son pouvoir et son ascendant sur le peuple serbe à travers le nationalisme, en le portant à lincandescence, en réinventant largement le mythe du Kosovo. On voit bien en même temps quil a échoué dans toutes ses entreprises depuis la fin de la Yougoslavie puisquil na pas atteint ses objectifs, ni en Croatie, ni en Bosnie et au Kosovo, il sest mis dans une situation détestable par rapport à lhistoire de la Serbie et de ce quil y a de légitime dans les intérêts du peuple serbe. Dailleurs, nous avons là-dessus, toujours tenu bon puisque nous ne soutenons pas lidée de lindépendance du Kosovo. Il y a cet enfermement, cette espèce dexploitation dune forme de paranoïa attisée.
Q - Pensez-vous que cest un dictateur aussi butté que Saddam Hussein ou un peu plus ouvert ?
R - Mais, cela cest votre idée. Moi je ne crois pas que ce soit comparable. En même temps, on a pu observer dans le passé, non seulement à Dayton mais avant, quà plusieurs reprises, au dernier moment, était capable de faire « un virage sur laile « et de tenir compte des réalités, du rapport de forces et de la suite.
Q - Ce serait quoi le dernier moment là ?
R - Ce qui est troublant pour lui, pour eux, cest que, non seulement il na pas saisi les occasions qui étaient présentées mais quil les a détruites. Chaque fois quil y a eu un accord raisonnable. En quoi est-ce monstrueux de vouloir demander une autonomie substantielle du Kosovo ? Il y a quand même beaucoup de pays normaux dans lesquels il y a des provinces, des régions qui ont une autonomie, le pays nen meurt pas. Dautre part, on demandait une garantie internationale, on la demande toujours, une garantie militaire qui avait limmense avantage de pouvoir démilitariser lUCK qui pose bien dautres problèmes. En quoi était-ce excessif ? Quest-ce que cest que cette propagande ? Comparer déventuels contingents de pays occidentaux de lOTAN avec les armées nazies, avec les armées doccupation soviétique ? Quel est lobjectif de cela, cétait un enfermement, il sest enfermé.
Malgré cela, on ne peut pas renoncer. On ne peut pas renoncer et à la contrainte pour que les choses ne prennent pas une tournure encore pire, et à lobjectif politique qui reste le nôtre en essayant de garder notre ligne. Nous ne sommes toujours pas pour lindépendance du Kosovo et il nest pas question de laisser se reproduire en Europe - parce que ce nest plus possible , ce nest plus tolérable - ces politiques à coup de massacres, dexterminations, de centaines de milliers de réfugiés ; ce nest plus tolérable en Europe. Cest cela le choix auquel ont été confrontés les gouvernements
Q - Vous connaissez évidemment ce rapport des nationalistes serbes qui a été élaboré à lAcadémie des Sciences en 1996 sur la partition du Kosovo, sur le fait quil y a lannexion par la Serbie dune partie du Kosovo, et lautre partie qui serait abandonnée aux Albanais.
Est-ce que vous pensez que cest cela lobjectif que poursuit aujourdhui Slobodan Milosevic, avec le nettoyage ethnique qui est assez remarquable -puisque là je renvoie la carte publiée aujourdhui par lOTAN, à savoir que cest à lOuest et au Nord du Kosovo que se feraient les nettoyages ethniques pour linstant ?
Il me semble que si le Président Milosevic avait eu à lesprit une formule de ce type, une option politique quelle quelle doit, il aurait évité de se mettre dans la situation où il se trouve aujourdhui, où il risque de tout perdre, cétait très facile pour lui dentrer véritablement dans la négociation de Rambouillet, à nimporte quel moment.
On a vu simplement un refus systématique implacable.
Q - La partition, ce nest pas lissue imposée ....,
La partition entre un Kosovo indépendant et le reste ? Il naccepte pas un Kosovo indépendant.
Q - Il naccepte pas, mais dans le rapport dont je parlais, il y a 40 % du Kosovo annexés...
R - Cest vrai quil y a un élément quil faut avoir à lesprit et qui ne concerne pas que la seule personnalité de Milosevic. Les Serbes sont obsédés par le fait que depuis des dizaines dannées ce sont des Serbes qui quittent le Kosovo et non linverse. Cest une région qui a été serbe historiquement et maintenant il y a à peu près - on ne sait pas très bien en réalité - 90 % dAlbanais, parce que les autres sen vont. Toute la fortune politique de Milosevic était daller là et de dire « arrêtez de quitter votre pays ». Jai voulu inverser les choses, mais les moyens quil a employés depuis sont les pires de tous, les plus mauvais.
Q - Nest-ce pas lobjectif quil poursuit ?
R - Pour connaître lobjectif quil poursuit, il faudrait quil exprime autre chose quun refus obstiné à tout ce qui était présenté, y compris par les Russes. Est-ce quil a traité les Russes comme il a traité les européens du Groupe de contact et les Etats-Unis ? Il a semé la consternation générale, y compris parmi ceux qui pour des raisons de solidarité slave ou orthodoxe ont essayé de leur ménager des portes de sortie. Mais il nest jamais trop tard, il suffirait que le Président Milosevic exprime un signe montrant quil est prêt à se réinscrire dans un processus de règlement politique pour que la discussion reprenne.
Q - Vous disiez tout à lheure que les opérations militaires, telles quelles progressent et quelles se développent selon le programme de lOTAN, vont durer encore quelques jours. Peut-être avez vous une idée de ce nombre de jour.
R - Pour être précis, que se passe-t-il après, si il y a toujours de la résistance ? Vous venez de dire « le monde attend un signal de Milosevic ». Est-ce que ce signal ne peut pas venir de lOTAN, de la France ? Il y a une démarche. Est-ce que vous qui avez été avec M. Robin Cook, lAnglais responsable du Groupe de contact, vous ne pouvez pas aller à Belgrade voir M. Milosevic et faire des propositions ?
Du côté du Groupe de contact, du côté des Occidentaux, du côté des Russes, il y a eu des discussions tout le temps. Cest de lautre côté quil ny a jamais eu de manifestation dintérêt de la recherche dune solution. Je voudrais vous dire de même que nous avons su, dans les mois écoulés, dans les semaines écoulées, marier le travail politique et diplomatique avec la menace de lemploi de la force. De même, dans la phase militaire, il faut toujours garder la dimension politique et lobjectif demeure ceci. Il faut revenir sur ce terrain.
Q - A quel moment ? A quel type dinitiative ?
R - Tous les jours, il y a une évaluation de la situation entre les différents partenaires, le Groupe de contact, et même si la Russie sest mise en dehors et a critiqué et condamné les actions militaires proprement dites, le travail politique, les relations continuent avec eux, nous discutons avec les autres Européens et nous évaluerons cette situation. Je ne vais pas vous dire à lavance quelque chose qui dépend de la rapidité avec laquelle on atteint des objectifs dont nous parlions tout à lheure, et dautre part déventuels mouvements de la part des dirigeants yougoslaves. Cest ce schéma que nous avons à lesprit.
Q - Il y a des signes dun mouvement de la part des dirigeants russes. Ils vont aller voir M.
Milosevic ?
Les Russes veulent reprendre des initiatives. Nous les encourageons, cest très important. Nous avons très bien travaillé avec les Russes dans le Groupe de contact. Pour des raisons très fortes tenant à lopinion de ce pays, à leurs liens avec la Yougoslavie, ils se sont mis en dehors du recours à la force. Ils veulent poursuivre leur travail diplomatique et nous, nous encouragerons tout ce qui permettrait de déboucher ou de redémarrer.
Q - Ils peuvent être des médiateurs importants aujourdhui ?
R - A condition quils obtiennent des dirigeants yougoslaves ce quaucun des médiateurs, aucun des envoyés, na obtenu jusquici, cest-à-dire un signal que les Yougoslaves acceptent lidée dun règlement politique de laffaire du Kosovo - ce sont eux qui ont quasiment enfermé la communauté internationale dans le recours à la force - et acceptent lidée dune garantie, cest très important. Sil y a un signal sur ce plan, on peut travailler là-dessus. Si les Russes arrivent à obtenir quelque chose, ce sera très bien.
Q - Je voudrais revenir sur une remarque que vous avez faite il y a quelques minutes. Vous disiez : « on ne peut pas accepter ce qui se passe au Kosovo qui appartient à lEurope. Une des questions que les auditeurs nous posent souvent lorsquils en ont loccasion, cest : « pourquoi on utilise les arguments quon utilise pour intervenir au Kosovo, cest-à-dire quon naccepte pas soit des séparations ethniques, soit des massacres, et que par exemple on ne se pose pas les mêmes questions et quon ne donne pas les mêmes réponses, par exemple pour les Kurdes ? »
R - Ce nest pas la question des séparations ethniques en soi, puisquil y a beaucoup dendroits ou il y a de la violence, comme au Proche-Orient.
Q - Le Kosovo et pourquoi pas les Kurdes ?
R - Parce quil y a une dimension européenne qui sajoute aux autres en termes de valeurs, en termes de proximité, en termes de risques géopolitiques (question des réfugiés par exemple) et parce quà un moment donné, nous sommes en train de bâtir à travers lUnion européenne, autour delle et à ses frontières quelque chose qui est radicalement différent de ce qui sest passé dans lhistoire de lhumanité, y compris dans lhistoire européenne. Autrement dit il y a une exigence qui sexprime et qui est aussi bien éthique que politique, et quil y a quelque chose quon ne peut plus tolérer. Il est clair que dans lhistoire de la désintégration de la Yougoslavie, il y a des intérêts légitimes serbes aussi bien que croates ou bien musulmans bosniaques ou bien kosovars ou autres. Il y a des intérêts légitimes, mais cest un type de procédé, un type dengrenage auquel à un moment il faut donner un coup darrêt. Voilà la responsabilité lourde quil a fallu prendre. Le dernier sondage que jai vu montre que les Français le comprennent. Il y a 59 % des Français - et je voudrais le rappeler puisquaucun dentre vous ne sy réfère - qui approuvent cette participation. Je ne pense pas quils le fassent avec une joie particulière. Ils ont compris quil fallait en passer par-là à un moment donné.
Q - Ceux qui sopposent à cette guerre - et il y en a quelques-uns, M. Védrine -, reprochent beaucoup aux gouvernements européens de se comporter comme des « caniches » des Etats-Unis qui eux-mêmes se comportent comme le « nouveau gendarme du monde ». Je voudrais entendre votre réaction là-dessus.
R - Je crois quils sont complètement à côté de la plaque.
Q - Ce nest pas une opération américaine ?
Non, ce nest pas du tout la façon dont cela sest passé.
Q - Cest une opération européenne ?
R - Non, cest une opération et américaine et européenne. On ne peut pas penser uniquement les rapports euro-américains uniquement en termes de soumission ou en termes de rivalités ou de revanches.
Q - Cela a souvent été le cas dans le passé.
R - Oui, cela a souvent été le cas. Cest vrais que par référence on peut penser à cela. Je crois que nous avons tiré les leçons de ce qui sest passé en Bosnie notamment. On sest rendu compte que tant que lensemble des puissances extérieures nont pas été daccord pour exercer toutes en même temps les pressions sur tous les protagonistes, il ne sest rien passé.
Il a fallu attendre 1994. Ce nétait pas spécialement une défaillance européenne, était une défaillance collective, les positions nétaient pas les mêmes.
Aujourdhui, une des idées qui nous a guidés, et qui notamment ma guidé dans mon travail avant Rambouillet et après, cest de faire en sorte quil y ait un mode de coopération qui empêche que les politiques américaines et européennes ne se « torpillent » à cause de ce jeu vain de rivalités.
On a travaillé ensemble à chaque étape. Je peux vous dire que par exemple le schéma de règlement a été élaboré ensemble, que les émissaires qui y sont allés, cétait au nom du Groupe de contact - même lorsque cétait M. Holbrooke qui est de nationalité américaine mais qui travaillait pour lensemble - et quil y a eu un accord tout de suite. Ce qui nétait pas le cas sur la Bosnie il y a quelques années. Je sens cette cohésion même sil y a le problème des Russes dont nous parlions.
Je crois que les lectures sur ce plan sont fausses. Cela voudrait dire que les pays européens ne sont pas capables de tirer les leçons de ce qui sest passé en ex-Yougoslavie, quils ne sont pas capables davoir leur propre pensée que le fait que ce qui se passe est intolérable et quil faut y mettre un terme. Il y a eu une réflexion britannique, allemande, italienne, française et de lensemble des autres pays qui ont approuvé dix fois ce qui sest fait.
Ne croyez pas que les Américains étaient animés dune espèce de frénésie de bombardements sur ce plan. On a vu ces dernières semaines les responsables américains, et notamment le président Clinton tout faire pour quune issue politique soit trouvée. Il na pas du tout précipité le mouvement. Lui aussi sest résigné lorsquil ny avait plus dautre recours.
Q - Surtout quil avait une partie de la presse et du Congrès contre cette opération
militaire
Que pensez-vous de ceux qui disent comme M. Robert Hue que cette guerre est une connerie ? Des contradictions de la majorité plurielle ? Comment fonctionne la cohabitation ? Est-ce quil y a un accord entre le président de la République, le Premier ministre, M. Richard. Comment travaillez-vous ? Comment cela progresse ?
R - Sur la majorité plurielle, comme sur la minorité - je ne sais pas comment il faut lappeler - ce nest pas choquant que sur un sujet grave comme celui-ci, il puisse y avoir des points de vues différents. Cela ne remet pas en cause me semble-t-il le fonctionnement du gouvernement dans ses différentes composantes. Ce nest pas choquant. Aux Etats-Unis aussi, dans les autres pays il y a des questions de ce genre. Cest un grand débat, cest un grand sujet, on le voit bien. Il me semble que cela ne met pas du tout en cause le fonctionnement du gouvernement, celui de la majorité non plus.
Q - Et de la cohabitation ?
R - De la cohabitation, non. Vous lobservez vous-même. Le président et le Premier ministre se sont exprimés à lunisson, avec des raisonnements qui se complètent et qui sont exactement sur cette ligne. Encore une fois, personne nest content, personne nest réjoui davoir dû employer ce type de moyen de contraintes. Il faut comparer ce qui a dû être fait, ce qui a lieu en ce moment et on verra lorsque lon pourra faire une évaluation plus complète. Il faut le comparer à labstention, à la passivité
Q - Les reproches qui sont faits aux socio-démocrates de lEurope entière , Tony Blair, Schroeder, dAlema dune certaine façon et Lionel Jospin cest : ils font la guerre contre un état européen
R - Ils ne font pas la guerre à un Etat européen. Il y a des dirigeants de différentes couleurs politiques dans lEurope. Eux aussi ils ont parcouru tout ce chemin, ils ont tout épuisé, ils ont tout essayé. Eux aussi, ils auraient préféré autre chose, mais social-démocratie ne veut pas dire non plus abstention, passivité, impuissance devant les massacres et ce type dengrenage. A un moment donné, il faut un coup darrêt.
Q - Pour faire la transition vers le Sommet de Berlin qui était aussi un moment fort de lactualité, est-ce que sur cette affaire de la Serbie ou finalement lEurope a eu une initiative diplomatique qui sest exprimée en tant que telle de manière européenne, est-ce que vous tirez des leçons sur le fait dêtre dans une dépendance militaire qui peut-être ne vous donnerait pas tous les moyens davoir la stratégie que vous auriez voulu appliquer au Kosovo.
R - Il y a longtemps que la France est favorable à ce que lEurope dispose dune capacité de défense. Après des noms divers, Identité européenne de défense et de sécurité, est la dernière définition. Cest le sens de ce qui a été entamé avec les Britanniques en décembre dans un Sommet qui sest tenu à St-Malo. Nous pensons que lEurope doit avoir ses propres moyens dévaluation, danalyse, de décision et même des moyens dintervention avec des hypothèses, dans lesquels lEurope se sert des moyens qui existent dans lOTAN qui sont un facteur commun, et dans des cas où les Etats-Unis ne veulent pas, ne peuvent pas intervenir, où ils ont dautres priorités un moment donné, nous pensons que lEurope doit avoir également ses propres moyens. Elle pourrait quand même se servir entre autres de tout ce qui avait été fait en franco-allemand depuis des années, ce qui avait abouti à LEurocorps.
Q - Aujourdhui, la réalité cest la structure de lOTAN qui est la structure de défense européenne
R - Une partie du schéma est dans lOTAN. Il ne sagit pas dopposer les deux choses. Si nous parlons dopposer les deux choses, cest simple, il ny a plus un seul Etat européen qui soutiendra ce projet. Tous les autres acceptent lidée que lEurope qui a sa monnaie, qui a des projets, qui a la PESC, qui développe ses dimensions doit avoir une dimension sécurité, une capacité de lavoir en tout cas. Mais ils ne veulent pas le vivre comme étant une compétition stérile, dépassée avec lOTAN.
Par contre lidée de redonner corps à ce fameux pilier européen de lAlliance atlantique dont on parlait à lépoque de Kennedy mais qui ne sest jamais faite, rencontre un consensus croissant. Nous Français, nous ajoutons que lEurope doit avoir des moyens propres en plus.
En ce moment, nous sommes dans cette discussion. Il se trouve quil y a une crise traitée avec les moyens existants, la logistique existante, les modes de décision existants, mais ne croyez pas que les Européens aient été recevoir des instructions dans lOTAN. Ils ont donné, tous ensemble avec les autres, des instructions communes à lOTAN.
Q - Une question très simple sur le Sommet de Berlin qui a été un beau succès, inespéré.
Qui a perdu ? Qui a gagné ?
R - Dabord, les Anglais nont pas complètement gagné parce quil y a un certain nombre de petites choses qui commencent à changer à propos de la compensation britannique, des gains exceptionnels, dont ils bénéficiaient indûment, seront corrigés. Dautre part, il y a une partie des dépenses délargissement futur de lEurope à propos desquels ils ne pourront pas bénéficier des mêmes mécanismes. On a quand même commencé, moins vite que ce que nous voulions, mais on a commencé à normaliser cette question.
Q - Et les Allemands eux payent toujours ?
R - On ne sait pas encore parce que cest très compliqué à calculer combien les Allemands vont payer. Les choses vont sans doute se stabiliser pour eux. Je dirai que laccord obtenu par la présidence allemande et par le chancelier Schroeder est un bon résultat parce que, comme nous le disions depuis des semaines, cest un résultat dans lequel personne nest gagnants au détriment des autres. Et personne nest perdant.
Q - Mais les Allemands continuent quand même de payer ?
R - Les Allemands sont contributeurs nets. Ce nest pas forcément un scandale, cest le résultat des mécanismes de lEurope et la grande différence entre lEurope et un simple marché, cest quil y a des mécanismes de solidarité : les plus riches payent et les plus pauvres en profitent. Il faut que cela se fasse dans des conditions de clarté et de logique. Cest vrai dans le cadre de la PAC, dans le cadre des fonds structurels, dans le cadre des fonds de cohésion.
Dans cette affaire nous étions bloqués, nous étions harcelés, obsédés par ce problème depuis bientôt un an. Cest très important dêtre arriver à un accord, de pouvoir regarder devant nous, et de pouvoir relancer les différentes autres politiques de la construction européenne. Personne na vraiment perdu, personne na vraiment gagné. Nous avons atteints certains de nos objectifs notamment sur la PAC, certains sur les fonds structurels, pas tous nos objectifs, mais aucun des autres non plus na complètement atteint ces objectifs. Chacun y a mis du sien. Cest le prototype dun bon compromis. Cest très bien que ce soit derrière nous parce que maintenant, nous allons pouvoir travailler sur tout le reste, préparer lélargissement, sattaquer à la réforme des institutions, donner corps à la PESC, à lEurope sociale. Tout cela est devant nous. Cest une bonne chose que lon puisse avancer.
Q - On a le sentiment que, lorsque lon regardait ce qui se passait de Paris au sommet de Berlin, le Kosovo a renforcé lEurope, il vous a obligé à accélérer un certain nombre de décisions qui ont été prises. Vous avez dit lesquelles tout à lheure sur le financement de lEurope et sur lagriculture, pourquoi et comment avez-vous pu, comme ça, choisir en 24 heures Romano Prodi pour présider la Commission européenne. Vous en avez fait presque une sorte dhomme providentiel. Que va-t-il se passer pour lui ? faut-il quil se présente devant les deux Parlements, devant celui qui sen va et le prochain ?
R - Ce quont voulu faire les chefs dEtats et de gouvernements à Berlin, cest de reprendre linitiative par rapport à la démission de la Commission suite à ce que vous savez et notamment aux menaces de censure par le Parlement qui venait sajouter à beaucoup de difficultés et beaucoup de contentieux. Les membres du Conseil européen ont estimé que leur devoir était de reprendre linitiative, de montrer quils avaient entendu le message politique envoyé par le Parlement européen mais surtout par les opinions publiques européennes. Il fallait une Commission en ordre de marche pour aborder les problèmes qui sont devant nous et en même temps, il ont adopté une procédure suggérée par nos amis du Bénélux qui évite davoir à faire trop de ratifications, trop de procédures, de contrôles puisque nous sommes dans une période spécialement difficile.
Nous sommes encore sous lempire du traité de Maastricht. A partir de mai dans celui dAmsterdam, les procédures ne seront pas tout à fait les mêmes. Il y a des élections européennes au mois de juin, avec un Parlement sortant, celui qui, par sa menace, a amené la Commission à se retirer et, il y aura un nouveau Parlement après.
On a adopté une procédure qui permettait de reprendre linitiative tout de suite, de désigner M. Prodi sur lequel le consensus sest fait très largement en raison de ses qualités personnelles, en raison du pays dont il est issu, et en raison de ses convictions européennes.
Q - Il a été avancé aussi par la France ?
R - Oui. Pour parler franchement, il y avait deux ou trois candidats très bien, M. Solana et M. Cook, avec beaucoup de qualités. Par rapport à cela, lélément principal était de reprendre linitiative tout de suite. Et lavantage est que nous allons maintenant travailler avec M. Prodi qui est un président déjà désigné, mais il y a une période de transition entre cela et linstallation complète de la nouvelle Commission que nous allons mettre à profit pour travailler.
Q - Romano Prodi veut-il viser tous les commissaires ? Allez-vous le convaincre quil faut en garder quelque uns, par exemple Yves Thibaut de Silguy ?
R - Nous nen sommes pas là.
Q - Il na pas démérité.
R - Non, il na pas du tout démérité, mais nous nen sommes pas là. La question posée maintenant, nest pas celle-là. Cest de savoir si on nomme simplement un nouveau président pour continuer ou, si à loccasion de la nomination dun nouveau président, - et cest notre ligne -, nous disons il faut tirer les leçons de ce qui sest passé. Il faut entamer, avec la Commission la réforme des institutions, dont nous pensons quelle est vitale pour lavenir de lEurope, en ce qui concerne la Commission, le Parlement, le vote à la majorité qualifiée, la pondération, beaucoup dautres choses dans le fonctionnement des institutions dont on voit que, à quinze déjà, elles dérivent.
Q - Les garderons-nous tous ?
R - Non, nous nen sommes pas à raisonner en termes de personnes mais à raisonner en terme dorganisation. Faut-il les mêmes postes ? Faut-il en regrouper certains ? Faut-il redistribuer les portefeuilles ? Faut-il en créer de nouveau ? La question des personnes viendra à la fin car nous allons nommer des gens pour mener une politique.
Q - Il y a une dimension personnelle dans la diplomatie et la politique, cest évident, comment vivez-vous la crise du Kosovo ? Est-ce la crise la plus dure, la plus douloureuse que vous, personnellement, vous vivez ? Comment la ressentez-vous personnellement ?
R - Moi, je suis affligé par labsence de réponse des Serbes. Je ne comprends pas que le président Milosevic et personne en Serbie ait compris quil fallait saisir cette occasion, cette chance des accords politiques qui avaient été préparés. Cest désolant.
Q - Il y a de lémotion chez un ministre des Affaires étrangères, même en pleine crise.
(Source http ://www.diplomatie.gouvr.fr, le 31 mars 1999)
Nous allons évidemment passer beaucoup de temps à vous interroger à propos de ce qui se passe au Kosovo, des raisons de l'intervention française, de la nature de ses relations avec les alliés, les espérances que lon peut avoir ou les objectifs quon poursuit, de ce que lon peut imaginer à la fois de lévolution de la guerre mais aussi de celle du président Milosevic, de la façon dont on peut sortir de cette affaire et aussi, de la manière dont les principales puissances se comportent dans cette circonstance-là.
Bien sûr, nous reviendrons aussi sur le bilan du sommet de Berlin et sur les perspectives que lon peut avoir dans ce domaine mais bien sûr, lessentiel sera consacré au Kosovo.
Nous sommes, semble-t-il, Monsieur le Ministre en pleine escalade. Les militaires et paramilitaires serbes pratiquent, nous dit-on un nettoyage ethnique et chassent des dizaines de milliers dAlbanais du Kosovo. Laviation américaine a perdu la nuit dernière, et cest le risque, un F-117. Milosevic devenant pour les Serbes un héros de la résistance nest pas affaibli. LOTAN accentue aujourdhui ses frappes, est-ce que lOTAN nest pas en train déchouer sous nos yeux ?
R - Je pense quil faut se garder dun jugement aussi rapide et dune conclusion aussi hâtive par rapport à ce qui a été entrepris. Je rappelle que le drame du Kosovo na pas commencé avec le recours à la force auquel il a fallu se résigner. Le drame du Kosovo a commencé il y a 10 ans, en 1989, lorsque le président Milosevic a mis fin à lautonomie du Kosovo. Il a pris une ampleur toute nouvelle il y a plus dun an, lorsque les manifestations des Kosovars ont atteints un niveau tel que le monde entier a dû les observer, parce que les Kosovars voulaient, après des années de lutte pacifique incarnées par M. Rugova reconquérir ou obtenir enfin des droits élémentaires comme le droit de parler leur langue ou le droit à la culture, à lidentité.
Q - Mais aujourdhui, les avions et les missiles de lOTAN pleuvent et en même temps, des gens sont massacrés ?
R - Oui, mais, pourquoi a-t-il fallu en arriver là ? Je voudrais rappeler à cette occasion que cest une période pénible à passer, qui intervient après des mois et des mois defforts, pour quune solution politique et diplomatique soit trouvée. Malheureusement dans toute cette période que je ne reprendrai pas parce que vous lavez tous suivie, le Groupe de contact, les navettes, le processus de Rambouillet...
Q - Où lEurope a joué un rôle important...
R -Il ne faut pas raisonner en terme de compétition entre lEurope et les Etats-Unis, le Groupe de contact a ceci de tout à fait remarquable quil permet aux Européens dêtre cohérents, quil permet aux Européens ou aux Américains davoir des diplomaties qui ne se tirent pas dans les pieds mais qui travaillent ensemble et qui permet davoir les Russes, en tout cas lorsque lon est sur le terrain politique.
Q - On a tout cela en tête mais si lobjectif cétait déviter une catastrophe humanitaire, est-elle, selon vos informations, en train de se produire, et si oui, nest-ce pas un échec ?
R - Mais, cela fait longtemps quelle se produit.
Q - Nest-elle pas en train de saggraver ?
R - Cest déjà différent, ce serait ingénu de parler brusquement, comme sil y avait un drame humanitaire qui se produisait au Kosovo maintenant alors que dans tous vos médias, vous avez expliqué de très nombreuses fois quelle se produisait avant et depuis longtemps. Quattendait-on pour y mettre fin ? il y a tout un processus au bout duquel nous nous somme dit quil nétait plus possible de laisser les choses continuer à saggraver. La catastrophe humanitaire par exemple était déjà là à lautomne et cest à lautomne que lon a voté les résolutions au Conseil de sécurité : les 1160, 1199, 1203 qui ont exigé un certain nombre de choses.
Q - Donc, ce nest pas une guerre illégale ?
R - Je crois que ce nest pas une intervention illégitime fondamentalement.
Q - Cest autre chose.
R - Ceci englobe cela.
Q - Donc, cest légal ?
R - Je pense que lintervention de lOTAN tire sa légitimité et sa légalité si vous le voulez des résolutions que jai rappelées, qui sont très très exigeantes par rapport aux Serbes, par rapport aux obligations qui nont jamais été tenues, plus ce que je disais il y a un instant, cest-à-dire les occasions innombrables quil y a eu de conclure sur des bases correctes.
Q - Compte tenues de vos informations, quest-ce qui se passe au Kosovo ?
R - Je vous conseille dêtre prudents avec lensemble des informations. Cest compliqué de savoir ce qui se passe. Cétait déjà compliqué avant - rappelez-vous par exemple le massacre de Racaq qui a eu lieu en janvier. Après le travail des médecins légistes finlandais, on ne sait toujours pas exactement quelle était la nature du massacre.
Q - Donc, il y a une part « dintox « aujourdhui ?
R - Non, je pense quil y a une très légitime inquiétude. Aux frontières du Kosovo, par exemple en Albanie ou en Macédoine, on assiste à des choses qui sont révoltantes en effet et sur le Kosovo proprement dit, on ne savait pas très bien. Noubliez pas que lune des raisons de la mobilisation presque sans précédent de la diplomatie mondiale - et notamment européenne - pendant lhiver, cest que tous les experts savaient que dès la fin de lhiver, à peu près dans la période dans laquelle nous sommes maintenant, les opérations et les affrontements allaient reprendre à grande échelle. Doù ce forcing qui a été mené. Cest pour cela quà un moment donné, un certain nombre de dirigeants politiques - qui naiment évidemment pas le recours à la force, qui naiment pas ces actions militaires par lesquelles il faut passer - ,se sont dit quils navaient pas le droit de rester passifs par rapport à ce qui se produira si nous nagissons pas. Je voulais quand même rappeler ce processus.
Q - La méthode est-elle efficace ?
R - Cela dépend à quelle autre vous la comparez ?
Q - la diplomatie ?
R - La diplomatie est un élément, mais vous avez bien noté au cours de toutes ces dernières semaines que malheureusement, les autorités de Belgrade ont traité les compromis comme cétait leur adversaire principal.
Q - Ne faites-vous pas une demi-guerre qui aboutirait à « zéro « résultat ? Autrement dit,
lidée qui existe depuis le début, qui a été affirmée par les Occidentaux, notamment par les
Américains selon laquelle il y aurait une guerre aérienne mais quil ny aurait pas
dintervention de forces terrestres, est-ce quau départ, ce nétait pas une « demi-guerre «
?
R - Cela dépend des objectifs. Un des objectifs principaux quil a fallu traiter puisque malheureusement, tous les autres moyens diplomatiques et politiques ont été épuisés, est de réduire, et si possible de casser la capacité de répression de larmée que nous avons vu sillustrer au Kosovo après que lavoir vu sillustrer dans dautres endroits.
Q - Etes-vous en train de le faire ?
R - Oui, bien sûr.
Q - Expliquez-nous ce que vous faites ? lOTAN, même le Pentagone disent que les résultats sont des résultats réduits puisque les Serbes auraient réussi à préserver leurs missiles et leurs DCA.
R - Je crois que sur ce plan, le fait de savoir si les choses prennent un jour ou trois jours de plus que ce qui était prévu, renvoie simplement à la prévision des experts qui croyaient pouvoir donner une durée, cest secondaire.
Je reviens en termes dobjectifs : lun des objectifs, cest précisément, alors que lon pouvait craindre une aggravation considérable, cette capacité de répression. Cela veut dire mettre hors service, des systèmes de défense antiaérienne, des systèmes de radars, des systèmes de télécommunications, des dépôts de munitions, des systèmes de transports. Ce sont des cibles militaires, il ny a évidemment pas de guerre contre la Serbie, encore moins contre le peuple serbe.
Q - Cest une guerre ?
R - Contre qui ? Cest une guerre contre un appareil répressif.
Q - Vous dites que nous sommes pris aujourdhui dans un engrenage et les militaires disent souvent que lon ne peut pas gagner une guerre seulement aérienne. Ne croyez-vous pas que dans notre logique aujourdhui, nous sommes condamnés à la guerre terrestre ? Ne serait-elle pas une catastrophe ?
R - La guerre terrestre est une hypothèse qui a été clairement écartée par tous les dirigeants occidentaux. Dautre part, lorsque lon dit que lon ne va pas gagner la guerre, il ne sagit pas décraser la Serbie, ce nest pas cela lobjet. Au contraire, nous continuons à penser que la Serbie a sa place dans lEurope, que nous voudrions sortir du piège dans lequel ce régime la mis et qui puisse réentreprendre un dialogue politique normal.
Q - Cest-à-dire casser lappareil militaire dun dictateur qui sappelle Milosevic ?
R - Cest beaucoup plus cela que de gagner la guerre. Lorsquil y a des experts militaires qui disent que lon ne peut pas gagner une guerre, cest peut-être parce quils raisonnent par analogie avec la seconde guerre mondiale. Il ne sagit pas décraser un pays. Cest pour cela que je dis, ce nest pas une guerre contre un pays, encore moins contre un peuple.
Q - En ce moment, la Serbie est écrasée sous les bombes ?
R - La Serbie nest pas écrasée sous les bombes, mais un certain nombre de cibles militaires
serbes, des dépôts de munitions, des casernes, dendroits où il y a des tanks, des avions, des
missiles, des systèmes de contrôle aériens, des centres de télécommunications
Q - Ce sont des accotés, cest comme en Iraq dailleurs, vous le savez très bien ?
R - Cela na rien à avoir. Je pense quil ne faut pas conclure aussi vite.
Q - Vous venez de dire que lobjectif est de casser la capacité de répression du nationalisme serbe, de larmée et des bandes paramilitaires. Pensez-vous que cest en train dêtre fait au moment où il y a cette répression, où elle samplifie ? Nous navons pas ce sentiment-là.
R - Oui, mais ce nest pas une question de sentiments. Il faut prendre son temps pour évaluer, il ne faut pas se précipiter sur les conclusions. Je crois quil faut garder son sang-froid, y compris dans lanalyse en cette période : cette destruction a commencé. Maintenant, où en est-on exactement, je ne peux pas le dire ici, ce serait une plaisanterie si je donnais des pourcentages sur des choses de ce type. Cest en train. Nous évaluons tous les jours avec nos partenaires, nos alliés. Evidemment, les capacités de répression ne disparaissent pas du jour au lendemain, mais cela se ramène aux choix que lon a dû faire à un moment donné ; fallait-il se résoudre à employer des moyens de coercition là où dautres avaient échoué, avec les inconvénients que cela présente, et les interrogations légitimes que cela soulève ou fallait-il choisir lautre voie qui était celle de la passivité, de labstention ? Cest cela le choix qui a été fait. Maintenant, nous sommes dans une phase difficile mais je crois quil faut comprendre quelle était inévitable.
Q - Pouvez-vous nous dire - dans la poursuite de ce but dont vous ne pouvez pas évidemment, et on le comprend très bien, évaluer aujourdhui le pourcentage defficacité -, si dans votre esprit, pour arriver à attendre ce but, cest une question de jours ou de semaines ?
R - Plus de jours je dirais.
Q - Quand les 19 de lOTAN ont autorisé M. Solana à déclencher les différentes phases de lopération, aviez-vous tout prévu, ces hypothèses de résistance de Milosevic et des gens autour de lui, les pertes davions, les pertes de vies ? Il y a eu le passage de la phase 1 à la phase 2 hier, cest-à-dire, à une autre phase militaire. Il devait y avoir une consultation plus longue et peut-être une pause, pourquoi na-t-elle pas eu lieu ? Y a-t-il une sorte dengrenage, une incertitude, une peur de la part des 19 ?
R - Ce sont deux catégories de cibles différentes mais ce sont encore des cibles militaires. Simplement, il y en a plus dans la phase 2 que dans la phase 1. Quant à la pause, elle a eu lieu pendant la journée, les consultations ont eu lieu pendant la journée et par rapport à lobjectif que jai rappelé, il est apparu à tous les participants quil fallait poursuivre parce que sinon, cela naurait pas de sens à ce stade.
Q - Si on parle de la phase 2, elle désigne très précisément des attaques au sol, en dessous du 44ème parallèle.
R - Entre autres.
Q - Oui, mais ce sont des attaques au sol, des avions qui volent assez bas, cest lengagement je suppose des Jaguars français dans lattaque au sol pour attaquer des colonnes de blindés, des concentrations de troupes. Est-ce cela qui va être fait ?
R - Dans la phase 2, il y a un travail méthodique consistant à réduire la capacité de répression de larmée yougoslave, y compris ses capacités de télécommunications, de communications, dobservations etc. Cest la poursuite de cela et dautre part, déventuelles actions pour contrecarrer des actions de répression en cours ?
Q - Cest-à-dire que lon sen prendra à des groupes de soldats directement, à des concentrations de soldats ?
R - Non, ce sont des concentrations de blindés par exemple.
Q - Ce que je ne compte pas, la purification ethnique se fait au couteau ou à la mitrailleuse, comme on la vu en Bosnie. Si les bombardements doivent empêcher la purification ethnique, ils doivent détruire ces couteaux et ces mitrailleuses. On en finira jamais ?
R - Il faut savoir si on veut faire quelque chose ou rien. Si vous voulez faire quelque chose, il faut prendre cette action par un bout.
Q - Mais cest homme par homme ?
R - Que recommandez-vous à travers vos questions, un corps expéditionnaire dun million dhommes ?
Q - Est-on sûr que les Européens ne seront pas obligés daller sur le terrain parce que les Américains ne veulent pas y aller ?
R - Non.
Q - Nous direz-vous quil ny aura pas dengagement des troupes terrestres, européennes et françaises ?
R - Je disais tout à lheure quen ce qui concerne lengagement des troupes, tous les dirigeants des pays concernés par cette opération lont écarté. Je rappelle que réduire la capacité de répression de larmée yougoslave, compte tenu de ce qui sest passé depuis des années, avant même le Kosovo, cest quelque chose qui peut être largement atteint par des actions aériennes précises, les plus ciblées possible, telle que celles qui sont en train de se dérouler dans la phase 1 comme dans la phase 2.
Q - Qui durera combien de temps ?
R - Cest une question de jours et non pas de semaines.
Q - Mais dans la phase 2, il y a des risques pour les pilotes puisquils sont obligés de voler bas ?
R - Evidemment, il y a forcément des risques. Cest pour cela que lon a examiné tout cela avec autant de gravité. Cest pour cela que les négociations ont duré aussi longtemps, cest pour cela que lon a donné tellement de chances aux deux parties, notamment à la partie serbe de signer un accord honnête, équitable.
Je voudrais bien que lon parle un peu du terrain politique, parce quil sagit de moyens, nous navons pas changé dobjectif, nous navons pas changé de politique. Nous sommes toujours à la recherche dune coexistence possible entre les Serbes et les Kosovars et les autres minorités qui sont au Kosovo. Nous avons déployé toutes les possibilités de convictions, des actions américaines aux actions russes, en passant par la co-présidence franco-britannique et un nombre incalculable de versions successives de ce que lon a appelé les Accords de Rambouillet. Il ne faut pas oublier cela, lobjectif est le même. Il faudra dune façon ou dune autre, permettre à ces populations de coexister, de cohabiter. Simplement, à un moment donné, il est apparu, à tous les dirigeants du Groupe de contact, moins les Russes - qui pour dautres raisons, spécifiquement russes, ne peuvent pas sassocier à des actions de force dans ce cas, mais qui sont complètement daccord avec le volet politique -, à tous les autres, et à tous les Européens qui ont tous soutenu - pas que ceux du groupe de contact, mais les Quinze -, à tous les pays voisins de lex-Yougoslavie qui savent ce que cest que ce régime, ce quil a fait depuis des années quels que soient les inconvénients, quels que soient les risques qui ont été soupesés plutôt dix fois quune, il est apparu quà un moment donné, il fallait prendre ces responsabilités, quels que soit lémoi, linquiétude, lincompréhension que cela peut susciter, que je comprends dailleurs. Cest aussi pour cela que jessaie de répondre aux questions mais qui sont un peu toujours les mêmes. Alors quen réalité, il y a un objectif politique derrière tout cela.
Q - Parlons politique, vous êtes un fin stratège, vous savez bien que cette action va resserrer les Serbes autour de M. Milosevic. Nest-ce pas un gros risque ?
R - De même que lorsque lon parle de la guerre ou des catastrophes humanitaires, nous en parlons comme si cela venait de commencer, alors que cétait précisément la situation davant à laquelle il fallait enfin donner un coup darrêt. En terme de cohésion nationale, on a pu lobserver avant, ce ne sont pas les actions de lOTAN qui ont créé cela. On le sait bien. On a vu quil y a un gouvernement dans lequel il y a lextrême droite, et lancien opposant, M. Draskovic qui est devenu vice-premier ministre, qui apporte son soutien complet à M. Milosevic. Nnous avons essayé de rompre cet enfermement, cette espèce de conception absolument archaïque, cette espèce de paranoïa quont les Serbes, que le monde entier est contre eux...
Encore une fois, cest parce que lon avait tout épuisé que lon est passé momentanément à lemploi dautres moyens.
Q - Pourquoi peut-on réussir avec M. Milosevic ce que nous avons raté avec Saddam Hussein ?
R - Je ne vois pas le rapport.
Q - Expliquez-nous qui sont ces deux hommes ? Pourquoi cela peut marcher avec M. Milosevic alors que cela a échoué avec Saddam Hussein ?
R - En fait, jaurai du mal à comparer car ce sont deux crises totalement différentes, ce sont deux personnalités différentes. Ils ont peut-être quelques défauts en commun, mais à part cela, les problèmes ne sont pas les mêmes, les pays ne sont pas les mêmes, le contexte nest pas le même.
Q - Il y a une coalition mondiale des gouvernements dans les deux cas. Cest vrai que cest lONU dans un cas, lOTAN dans lautre mais il y a quand même des similitudes et puis, il y a des bombardements ?
R - Non, le problème du Kosovo est spécifique, il na pas déquivalence par rapport à lIraq.
Q - Comment jugez-vous M. Milosevic. Pensez-vous que cest quelquun que lon peut faire plier comme personnage ?
R - Il y a des forces contraires. Malheureusement, ce sont les forces négatives qui lont emportées. On voit bien que le président Milosevic a reconstruit son pouvoir et son ascendant sur le peuple serbe à travers le nationalisme, en le portant à lincandescence, en réinventant largement le mythe du Kosovo. On voit bien en même temps quil a échoué dans toutes ses entreprises depuis la fin de la Yougoslavie puisquil na pas atteint ses objectifs, ni en Croatie, ni en Bosnie et au Kosovo, il sest mis dans une situation détestable par rapport à lhistoire de la Serbie et de ce quil y a de légitime dans les intérêts du peuple serbe. Dailleurs, nous avons là-dessus, toujours tenu bon puisque nous ne soutenons pas lidée de lindépendance du Kosovo. Il y a cet enfermement, cette espèce dexploitation dune forme de paranoïa attisée.
Q - Pensez-vous que cest un dictateur aussi butté que Saddam Hussein ou un peu plus ouvert ?
R - Mais, cela cest votre idée. Moi je ne crois pas que ce soit comparable. En même temps, on a pu observer dans le passé, non seulement à Dayton mais avant, quà plusieurs reprises, au dernier moment, était capable de faire « un virage sur laile « et de tenir compte des réalités, du rapport de forces et de la suite.
Q - Ce serait quoi le dernier moment là ?
R - Ce qui est troublant pour lui, pour eux, cest que, non seulement il na pas saisi les occasions qui étaient présentées mais quil les a détruites. Chaque fois quil y a eu un accord raisonnable. En quoi est-ce monstrueux de vouloir demander une autonomie substantielle du Kosovo ? Il y a quand même beaucoup de pays normaux dans lesquels il y a des provinces, des régions qui ont une autonomie, le pays nen meurt pas. Dautre part, on demandait une garantie internationale, on la demande toujours, une garantie militaire qui avait limmense avantage de pouvoir démilitariser lUCK qui pose bien dautres problèmes. En quoi était-ce excessif ? Quest-ce que cest que cette propagande ? Comparer déventuels contingents de pays occidentaux de lOTAN avec les armées nazies, avec les armées doccupation soviétique ? Quel est lobjectif de cela, cétait un enfermement, il sest enfermé.
Malgré cela, on ne peut pas renoncer. On ne peut pas renoncer et à la contrainte pour que les choses ne prennent pas une tournure encore pire, et à lobjectif politique qui reste le nôtre en essayant de garder notre ligne. Nous ne sommes toujours pas pour lindépendance du Kosovo et il nest pas question de laisser se reproduire en Europe - parce que ce nest plus possible , ce nest plus tolérable - ces politiques à coup de massacres, dexterminations, de centaines de milliers de réfugiés ; ce nest plus tolérable en Europe. Cest cela le choix auquel ont été confrontés les gouvernements
Q - Vous connaissez évidemment ce rapport des nationalistes serbes qui a été élaboré à lAcadémie des Sciences en 1996 sur la partition du Kosovo, sur le fait quil y a lannexion par la Serbie dune partie du Kosovo, et lautre partie qui serait abandonnée aux Albanais.
Est-ce que vous pensez que cest cela lobjectif que poursuit aujourdhui Slobodan Milosevic, avec le nettoyage ethnique qui est assez remarquable -puisque là je renvoie la carte publiée aujourdhui par lOTAN, à savoir que cest à lOuest et au Nord du Kosovo que se feraient les nettoyages ethniques pour linstant ?
Il me semble que si le Président Milosevic avait eu à lesprit une formule de ce type, une option politique quelle quelle doit, il aurait évité de se mettre dans la situation où il se trouve aujourdhui, où il risque de tout perdre, cétait très facile pour lui dentrer véritablement dans la négociation de Rambouillet, à nimporte quel moment.
On a vu simplement un refus systématique implacable.
Q - La partition, ce nest pas lissue imposée ....,
La partition entre un Kosovo indépendant et le reste ? Il naccepte pas un Kosovo indépendant.
Q - Il naccepte pas, mais dans le rapport dont je parlais, il y a 40 % du Kosovo annexés...
R - Cest vrai quil y a un élément quil faut avoir à lesprit et qui ne concerne pas que la seule personnalité de Milosevic. Les Serbes sont obsédés par le fait que depuis des dizaines dannées ce sont des Serbes qui quittent le Kosovo et non linverse. Cest une région qui a été serbe historiquement et maintenant il y a à peu près - on ne sait pas très bien en réalité - 90 % dAlbanais, parce que les autres sen vont. Toute la fortune politique de Milosevic était daller là et de dire « arrêtez de quitter votre pays ». Jai voulu inverser les choses, mais les moyens quil a employés depuis sont les pires de tous, les plus mauvais.
Q - Nest-ce pas lobjectif quil poursuit ?
R - Pour connaître lobjectif quil poursuit, il faudrait quil exprime autre chose quun refus obstiné à tout ce qui était présenté, y compris par les Russes. Est-ce quil a traité les Russes comme il a traité les européens du Groupe de contact et les Etats-Unis ? Il a semé la consternation générale, y compris parmi ceux qui pour des raisons de solidarité slave ou orthodoxe ont essayé de leur ménager des portes de sortie. Mais il nest jamais trop tard, il suffirait que le Président Milosevic exprime un signe montrant quil est prêt à se réinscrire dans un processus de règlement politique pour que la discussion reprenne.
Q - Vous disiez tout à lheure que les opérations militaires, telles quelles progressent et quelles se développent selon le programme de lOTAN, vont durer encore quelques jours. Peut-être avez vous une idée de ce nombre de jour.
R - Pour être précis, que se passe-t-il après, si il y a toujours de la résistance ? Vous venez de dire « le monde attend un signal de Milosevic ». Est-ce que ce signal ne peut pas venir de lOTAN, de la France ? Il y a une démarche. Est-ce que vous qui avez été avec M. Robin Cook, lAnglais responsable du Groupe de contact, vous ne pouvez pas aller à Belgrade voir M. Milosevic et faire des propositions ?
Du côté du Groupe de contact, du côté des Occidentaux, du côté des Russes, il y a eu des discussions tout le temps. Cest de lautre côté quil ny a jamais eu de manifestation dintérêt de la recherche dune solution. Je voudrais vous dire de même que nous avons su, dans les mois écoulés, dans les semaines écoulées, marier le travail politique et diplomatique avec la menace de lemploi de la force. De même, dans la phase militaire, il faut toujours garder la dimension politique et lobjectif demeure ceci. Il faut revenir sur ce terrain.
Q - A quel moment ? A quel type dinitiative ?
R - Tous les jours, il y a une évaluation de la situation entre les différents partenaires, le Groupe de contact, et même si la Russie sest mise en dehors et a critiqué et condamné les actions militaires proprement dites, le travail politique, les relations continuent avec eux, nous discutons avec les autres Européens et nous évaluerons cette situation. Je ne vais pas vous dire à lavance quelque chose qui dépend de la rapidité avec laquelle on atteint des objectifs dont nous parlions tout à lheure, et dautre part déventuels mouvements de la part des dirigeants yougoslaves. Cest ce schéma que nous avons à lesprit.
Q - Il y a des signes dun mouvement de la part des dirigeants russes. Ils vont aller voir M.
Milosevic ?
Les Russes veulent reprendre des initiatives. Nous les encourageons, cest très important. Nous avons très bien travaillé avec les Russes dans le Groupe de contact. Pour des raisons très fortes tenant à lopinion de ce pays, à leurs liens avec la Yougoslavie, ils se sont mis en dehors du recours à la force. Ils veulent poursuivre leur travail diplomatique et nous, nous encouragerons tout ce qui permettrait de déboucher ou de redémarrer.
Q - Ils peuvent être des médiateurs importants aujourdhui ?
R - A condition quils obtiennent des dirigeants yougoslaves ce quaucun des médiateurs, aucun des envoyés, na obtenu jusquici, cest-à-dire un signal que les Yougoslaves acceptent lidée dun règlement politique de laffaire du Kosovo - ce sont eux qui ont quasiment enfermé la communauté internationale dans le recours à la force - et acceptent lidée dune garantie, cest très important. Sil y a un signal sur ce plan, on peut travailler là-dessus. Si les Russes arrivent à obtenir quelque chose, ce sera très bien.
Q - Je voudrais revenir sur une remarque que vous avez faite il y a quelques minutes. Vous disiez : « on ne peut pas accepter ce qui se passe au Kosovo qui appartient à lEurope. Une des questions que les auditeurs nous posent souvent lorsquils en ont loccasion, cest : « pourquoi on utilise les arguments quon utilise pour intervenir au Kosovo, cest-à-dire quon naccepte pas soit des séparations ethniques, soit des massacres, et que par exemple on ne se pose pas les mêmes questions et quon ne donne pas les mêmes réponses, par exemple pour les Kurdes ? »
R - Ce nest pas la question des séparations ethniques en soi, puisquil y a beaucoup dendroits ou il y a de la violence, comme au Proche-Orient.
Q - Le Kosovo et pourquoi pas les Kurdes ?
R - Parce quil y a une dimension européenne qui sajoute aux autres en termes de valeurs, en termes de proximité, en termes de risques géopolitiques (question des réfugiés par exemple) et parce quà un moment donné, nous sommes en train de bâtir à travers lUnion européenne, autour delle et à ses frontières quelque chose qui est radicalement différent de ce qui sest passé dans lhistoire de lhumanité, y compris dans lhistoire européenne. Autrement dit il y a une exigence qui sexprime et qui est aussi bien éthique que politique, et quil y a quelque chose quon ne peut plus tolérer. Il est clair que dans lhistoire de la désintégration de la Yougoslavie, il y a des intérêts légitimes serbes aussi bien que croates ou bien musulmans bosniaques ou bien kosovars ou autres. Il y a des intérêts légitimes, mais cest un type de procédé, un type dengrenage auquel à un moment il faut donner un coup darrêt. Voilà la responsabilité lourde quil a fallu prendre. Le dernier sondage que jai vu montre que les Français le comprennent. Il y a 59 % des Français - et je voudrais le rappeler puisquaucun dentre vous ne sy réfère - qui approuvent cette participation. Je ne pense pas quils le fassent avec une joie particulière. Ils ont compris quil fallait en passer par-là à un moment donné.
Q - Ceux qui sopposent à cette guerre - et il y en a quelques-uns, M. Védrine -, reprochent beaucoup aux gouvernements européens de se comporter comme des « caniches » des Etats-Unis qui eux-mêmes se comportent comme le « nouveau gendarme du monde ». Je voudrais entendre votre réaction là-dessus.
R - Je crois quils sont complètement à côté de la plaque.
Q - Ce nest pas une opération américaine ?
Non, ce nest pas du tout la façon dont cela sest passé.
Q - Cest une opération européenne ?
R - Non, cest une opération et américaine et européenne. On ne peut pas penser uniquement les rapports euro-américains uniquement en termes de soumission ou en termes de rivalités ou de revanches.
Q - Cela a souvent été le cas dans le passé.
R - Oui, cela a souvent été le cas. Cest vrais que par référence on peut penser à cela. Je crois que nous avons tiré les leçons de ce qui sest passé en Bosnie notamment. On sest rendu compte que tant que lensemble des puissances extérieures nont pas été daccord pour exercer toutes en même temps les pressions sur tous les protagonistes, il ne sest rien passé.
Il a fallu attendre 1994. Ce nétait pas spécialement une défaillance européenne, était une défaillance collective, les positions nétaient pas les mêmes.
Aujourdhui, une des idées qui nous a guidés, et qui notamment ma guidé dans mon travail avant Rambouillet et après, cest de faire en sorte quil y ait un mode de coopération qui empêche que les politiques américaines et européennes ne se « torpillent » à cause de ce jeu vain de rivalités.
On a travaillé ensemble à chaque étape. Je peux vous dire que par exemple le schéma de règlement a été élaboré ensemble, que les émissaires qui y sont allés, cétait au nom du Groupe de contact - même lorsque cétait M. Holbrooke qui est de nationalité américaine mais qui travaillait pour lensemble - et quil y a eu un accord tout de suite. Ce qui nétait pas le cas sur la Bosnie il y a quelques années. Je sens cette cohésion même sil y a le problème des Russes dont nous parlions.
Je crois que les lectures sur ce plan sont fausses. Cela voudrait dire que les pays européens ne sont pas capables de tirer les leçons de ce qui sest passé en ex-Yougoslavie, quils ne sont pas capables davoir leur propre pensée que le fait que ce qui se passe est intolérable et quil faut y mettre un terme. Il y a eu une réflexion britannique, allemande, italienne, française et de lensemble des autres pays qui ont approuvé dix fois ce qui sest fait.
Ne croyez pas que les Américains étaient animés dune espèce de frénésie de bombardements sur ce plan. On a vu ces dernières semaines les responsables américains, et notamment le président Clinton tout faire pour quune issue politique soit trouvée. Il na pas du tout précipité le mouvement. Lui aussi sest résigné lorsquil ny avait plus dautre recours.
Q - Surtout quil avait une partie de la presse et du Congrès contre cette opération
militaire
Que pensez-vous de ceux qui disent comme M. Robert Hue que cette guerre est une connerie ? Des contradictions de la majorité plurielle ? Comment fonctionne la cohabitation ? Est-ce quil y a un accord entre le président de la République, le Premier ministre, M. Richard. Comment travaillez-vous ? Comment cela progresse ?
R - Sur la majorité plurielle, comme sur la minorité - je ne sais pas comment il faut lappeler - ce nest pas choquant que sur un sujet grave comme celui-ci, il puisse y avoir des points de vues différents. Cela ne remet pas en cause me semble-t-il le fonctionnement du gouvernement dans ses différentes composantes. Ce nest pas choquant. Aux Etats-Unis aussi, dans les autres pays il y a des questions de ce genre. Cest un grand débat, cest un grand sujet, on le voit bien. Il me semble que cela ne met pas du tout en cause le fonctionnement du gouvernement, celui de la majorité non plus.
Q - Et de la cohabitation ?
R - De la cohabitation, non. Vous lobservez vous-même. Le président et le Premier ministre se sont exprimés à lunisson, avec des raisonnements qui se complètent et qui sont exactement sur cette ligne. Encore une fois, personne nest content, personne nest réjoui davoir dû employer ce type de moyen de contraintes. Il faut comparer ce qui a dû être fait, ce qui a lieu en ce moment et on verra lorsque lon pourra faire une évaluation plus complète. Il faut le comparer à labstention, à la passivité
Q - Les reproches qui sont faits aux socio-démocrates de lEurope entière , Tony Blair, Schroeder, dAlema dune certaine façon et Lionel Jospin cest : ils font la guerre contre un état européen
R - Ils ne font pas la guerre à un Etat européen. Il y a des dirigeants de différentes couleurs politiques dans lEurope. Eux aussi ils ont parcouru tout ce chemin, ils ont tout épuisé, ils ont tout essayé. Eux aussi, ils auraient préféré autre chose, mais social-démocratie ne veut pas dire non plus abstention, passivité, impuissance devant les massacres et ce type dengrenage. A un moment donné, il faut un coup darrêt.
Q - Pour faire la transition vers le Sommet de Berlin qui était aussi un moment fort de lactualité, est-ce que sur cette affaire de la Serbie ou finalement lEurope a eu une initiative diplomatique qui sest exprimée en tant que telle de manière européenne, est-ce que vous tirez des leçons sur le fait dêtre dans une dépendance militaire qui peut-être ne vous donnerait pas tous les moyens davoir la stratégie que vous auriez voulu appliquer au Kosovo.
R - Il y a longtemps que la France est favorable à ce que lEurope dispose dune capacité de défense. Après des noms divers, Identité européenne de défense et de sécurité, est la dernière définition. Cest le sens de ce qui a été entamé avec les Britanniques en décembre dans un Sommet qui sest tenu à St-Malo. Nous pensons que lEurope doit avoir ses propres moyens dévaluation, danalyse, de décision et même des moyens dintervention avec des hypothèses, dans lesquels lEurope se sert des moyens qui existent dans lOTAN qui sont un facteur commun, et dans des cas où les Etats-Unis ne veulent pas, ne peuvent pas intervenir, où ils ont dautres priorités un moment donné, nous pensons que lEurope doit avoir également ses propres moyens. Elle pourrait quand même se servir entre autres de tout ce qui avait été fait en franco-allemand depuis des années, ce qui avait abouti à LEurocorps.
Q - Aujourdhui, la réalité cest la structure de lOTAN qui est la structure de défense européenne
R - Une partie du schéma est dans lOTAN. Il ne sagit pas dopposer les deux choses. Si nous parlons dopposer les deux choses, cest simple, il ny a plus un seul Etat européen qui soutiendra ce projet. Tous les autres acceptent lidée que lEurope qui a sa monnaie, qui a des projets, qui a la PESC, qui développe ses dimensions doit avoir une dimension sécurité, une capacité de lavoir en tout cas. Mais ils ne veulent pas le vivre comme étant une compétition stérile, dépassée avec lOTAN.
Par contre lidée de redonner corps à ce fameux pilier européen de lAlliance atlantique dont on parlait à lépoque de Kennedy mais qui ne sest jamais faite, rencontre un consensus croissant. Nous Français, nous ajoutons que lEurope doit avoir des moyens propres en plus.
En ce moment, nous sommes dans cette discussion. Il se trouve quil y a une crise traitée avec les moyens existants, la logistique existante, les modes de décision existants, mais ne croyez pas que les Européens aient été recevoir des instructions dans lOTAN. Ils ont donné, tous ensemble avec les autres, des instructions communes à lOTAN.
Q - Une question très simple sur le Sommet de Berlin qui a été un beau succès, inespéré.
Qui a perdu ? Qui a gagné ?
R - Dabord, les Anglais nont pas complètement gagné parce quil y a un certain nombre de petites choses qui commencent à changer à propos de la compensation britannique, des gains exceptionnels, dont ils bénéficiaient indûment, seront corrigés. Dautre part, il y a une partie des dépenses délargissement futur de lEurope à propos desquels ils ne pourront pas bénéficier des mêmes mécanismes. On a quand même commencé, moins vite que ce que nous voulions, mais on a commencé à normaliser cette question.
Q - Et les Allemands eux payent toujours ?
R - On ne sait pas encore parce que cest très compliqué à calculer combien les Allemands vont payer. Les choses vont sans doute se stabiliser pour eux. Je dirai que laccord obtenu par la présidence allemande et par le chancelier Schroeder est un bon résultat parce que, comme nous le disions depuis des semaines, cest un résultat dans lequel personne nest gagnants au détriment des autres. Et personne nest perdant.
Q - Mais les Allemands continuent quand même de payer ?
R - Les Allemands sont contributeurs nets. Ce nest pas forcément un scandale, cest le résultat des mécanismes de lEurope et la grande différence entre lEurope et un simple marché, cest quil y a des mécanismes de solidarité : les plus riches payent et les plus pauvres en profitent. Il faut que cela se fasse dans des conditions de clarté et de logique. Cest vrai dans le cadre de la PAC, dans le cadre des fonds structurels, dans le cadre des fonds de cohésion.
Dans cette affaire nous étions bloqués, nous étions harcelés, obsédés par ce problème depuis bientôt un an. Cest très important dêtre arriver à un accord, de pouvoir regarder devant nous, et de pouvoir relancer les différentes autres politiques de la construction européenne. Personne na vraiment perdu, personne na vraiment gagné. Nous avons atteints certains de nos objectifs notamment sur la PAC, certains sur les fonds structurels, pas tous nos objectifs, mais aucun des autres non plus na complètement atteint ces objectifs. Chacun y a mis du sien. Cest le prototype dun bon compromis. Cest très bien que ce soit derrière nous parce que maintenant, nous allons pouvoir travailler sur tout le reste, préparer lélargissement, sattaquer à la réforme des institutions, donner corps à la PESC, à lEurope sociale. Tout cela est devant nous. Cest une bonne chose que lon puisse avancer.
Q - On a le sentiment que, lorsque lon regardait ce qui se passait de Paris au sommet de Berlin, le Kosovo a renforcé lEurope, il vous a obligé à accélérer un certain nombre de décisions qui ont été prises. Vous avez dit lesquelles tout à lheure sur le financement de lEurope et sur lagriculture, pourquoi et comment avez-vous pu, comme ça, choisir en 24 heures Romano Prodi pour présider la Commission européenne. Vous en avez fait presque une sorte dhomme providentiel. Que va-t-il se passer pour lui ? faut-il quil se présente devant les deux Parlements, devant celui qui sen va et le prochain ?
R - Ce quont voulu faire les chefs dEtats et de gouvernements à Berlin, cest de reprendre linitiative par rapport à la démission de la Commission suite à ce que vous savez et notamment aux menaces de censure par le Parlement qui venait sajouter à beaucoup de difficultés et beaucoup de contentieux. Les membres du Conseil européen ont estimé que leur devoir était de reprendre linitiative, de montrer quils avaient entendu le message politique envoyé par le Parlement européen mais surtout par les opinions publiques européennes. Il fallait une Commission en ordre de marche pour aborder les problèmes qui sont devant nous et en même temps, il ont adopté une procédure suggérée par nos amis du Bénélux qui évite davoir à faire trop de ratifications, trop de procédures, de contrôles puisque nous sommes dans une période spécialement difficile.
Nous sommes encore sous lempire du traité de Maastricht. A partir de mai dans celui dAmsterdam, les procédures ne seront pas tout à fait les mêmes. Il y a des élections européennes au mois de juin, avec un Parlement sortant, celui qui, par sa menace, a amené la Commission à se retirer et, il y aura un nouveau Parlement après.
On a adopté une procédure qui permettait de reprendre linitiative tout de suite, de désigner M. Prodi sur lequel le consensus sest fait très largement en raison de ses qualités personnelles, en raison du pays dont il est issu, et en raison de ses convictions européennes.
Q - Il a été avancé aussi par la France ?
R - Oui. Pour parler franchement, il y avait deux ou trois candidats très bien, M. Solana et M. Cook, avec beaucoup de qualités. Par rapport à cela, lélément principal était de reprendre linitiative tout de suite. Et lavantage est que nous allons maintenant travailler avec M. Prodi qui est un président déjà désigné, mais il y a une période de transition entre cela et linstallation complète de la nouvelle Commission que nous allons mettre à profit pour travailler.
Q - Romano Prodi veut-il viser tous les commissaires ? Allez-vous le convaincre quil faut en garder quelque uns, par exemple Yves Thibaut de Silguy ?
R - Nous nen sommes pas là.
Q - Il na pas démérité.
R - Non, il na pas du tout démérité, mais nous nen sommes pas là. La question posée maintenant, nest pas celle-là. Cest de savoir si on nomme simplement un nouveau président pour continuer ou, si à loccasion de la nomination dun nouveau président, - et cest notre ligne -, nous disons il faut tirer les leçons de ce qui sest passé. Il faut entamer, avec la Commission la réforme des institutions, dont nous pensons quelle est vitale pour lavenir de lEurope, en ce qui concerne la Commission, le Parlement, le vote à la majorité qualifiée, la pondération, beaucoup dautres choses dans le fonctionnement des institutions dont on voit que, à quinze déjà, elles dérivent.
Q - Les garderons-nous tous ?
R - Non, nous nen sommes pas à raisonner en termes de personnes mais à raisonner en terme dorganisation. Faut-il les mêmes postes ? Faut-il en regrouper certains ? Faut-il redistribuer les portefeuilles ? Faut-il en créer de nouveau ? La question des personnes viendra à la fin car nous allons nommer des gens pour mener une politique.
Q - Il y a une dimension personnelle dans la diplomatie et la politique, cest évident, comment vivez-vous la crise du Kosovo ? Est-ce la crise la plus dure, la plus douloureuse que vous, personnellement, vous vivez ? Comment la ressentez-vous personnellement ?
R - Moi, je suis affligé par labsence de réponse des Serbes. Je ne comprends pas que le président Milosevic et personne en Serbie ait compris quil fallait saisir cette occasion, cette chance des accords politiques qui avaient été préparés. Cest désolant.
Q - Il y a de lémotion chez un ministre des Affaires étrangères, même en pleine crise.
(Source http ://www.diplomatie.gouvr.fr, le 31 mars 1999)