Déclarations de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la situation au Kosovo, notamment les frappes de l'OTAN sur la Serbie, Paris les 26, 30 et 31 mars 1999.

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Circonstance : Opérations militaires de l'OTAN en République fédérale de Yougoslavie le 24 mars 1999

Texte intégral

le 26 mars 1999
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les député(e)s,
Mercredi 24 mars, à 18 h 50, l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord a engagé des opérations militaires en République fédérale de Yougoslavie. Sur décision du Président de la République et en accord avec le Gouvernement, la France y participe aux côtés de ses alliés.
Notre pays, vous le savez, a tout fait pour qu'une issue politique soit trouvée à la crise au Kosovo. En vain. Sauf à abdiquer nos responsabilités et à nous résigner à l'impuissance, l'emploi de la force était devenu inéluctable.
Au moment où nos forces allaient être engagées, le Président de la République s'est adressé au pays. Vous avez vous-même souhaité, légitimement, qu'un débat puisse se dérouler au Parlement sur la situation au Kosovo. Je me serais volontiers exprimé immédiatement devant vous. Mais ma présence indispensable aux côtés du Président de la République et de mes collègues Premiers ministres dans le très important Conseil européen de Berlin - qui s'est conclu tôt ce matin par un accord- nous a conduit à organiser ce débat aujourd'hui.
Le Gouvernement a, de façon générale, le souci de renforcer l'information du Parlement sur la politique de défense de notre pays, dans le respect des règles constitutionnelles et des prérogatives respectives des pouvoirs exécutif et législatif. Dans la situation actuelle, cette volonté de transparence à l'égard de la Représentation nationale est, à mes yeux, particulièrement essentielle. Mardi dernier, je vous avais indiqué que " le gouvernement prendrait toutes les initiatives utiles pour assurer l'information rapide et complète du Parlement tout entier sur l'évolution de la situation au Kosovo. " Conformément à cet engagement, et au-delà du rappel des faits et de la description de notre dispositif militaire, je veux souligner devant vous le sens et la portée que le Gouvernement donne à la participation de la France aux opérations en cours.
Depuis dix ans déjà, les autorités de Belgrade refusent aux Albanais du Kosovo " qui forment pourtant 90 % de la population de cette province " l'exercice de leurs droits légitimes. En 1989, la suppression du statut d'autonomie de ce territoire a conduit à une radicalisation croissante des deux côtés. Ainsi, le développement, depuis 1996, d'actions violentes de la part de mouvements extrémistes est la conséquence directe de la répression politique et militaire conduite par le gouvernement serbe au Kosovo. Le cercle vicieux de la violence s'est enclenché : répression, provocations, représailles, développement de la guérilla et du terrorisme urbain, accentuation en retour de la répression.
En février 1998, les forces serbes intervenaient militairement dans la DRENICA. En avril de la même année, le pouvoir serbe refusait toute médiation étrangère. A l'été 1998, une offensive particulièrement meurtrière, suscitant l'indignation de la communauté internationale, était lancée. En dépit d'un accord intérimaire laissant espérer au Kosovo un certain degré d'autonomie, une nouvelle offensive serbe était menée en septembre.
Sous la menace militaire alliée, le président MILOSEVIC acceptait, en octobre dernier, de retirer les forces spéciales serbes, de cesser les actions contre la population kosovare et de voir déployer les 2000 vérificateurs de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe. Mais, après une période de relative accalmie, les affrontements ont repris.
Ce conflit a déjà fait près de 2000 morts " dont de très nombreux civils " et provoqué l'exode de centaines de milliers de personnes.
Face à une situation d'une telle gravité, le groupe de contact sur l'ex-Yougoslavie
- comprenant la France, la Grande Bretagne, les Etats-Unis, la Russie, l'Allemagne et l'Italie - décida en mars 1998 de se saisir de la crise kosovare. Toutes les voies ont été, dès lors, empruntées : avertissements, menaces, sanctions, embargo sur les armes, actions diplomatiques. En vain.
En mai 1998, la communauté internationale facilita l'ouverture de pourparlers directs entre M. MILOSEVIC et M. RUGOVA. En vain.
Ces pourparlers ont en effet été suivis d'une violente offensive serbe qui a déclenché une escalade d'affrontements et a fait avorter cette tentative de dialogue.
Avec Christopher HILL, l'émissaire américain ; Wolfgang PETRITSCH, l'émissaire européen ; Boris MAÏORSKI, l'émissaire russe ; Jacques HUNTZINGER, l'envoyé français, les navettes diplomatiques n'ont pas cessé à la fin de l'année dernière et au début de cette année. En vain.
Le 15 janvier dernier, à RACAK, avec le massacre de 45 Albanais, un nouveau degré était atteint dans l'horreur.
La France et le Royaume Uni ont alors, avec leurs partenaires du groupe de contact, co-présidé et organisé la relance diplomatique au début de l'année 1999 " ce que l'on a appelé le " processus de Rambouillet ". Notre pays n'a pas ménagé ses efforts et je voudrais ici rendre hommage au travail inlassable du ministre des Affaires étrangères, Monsieur Hubert VEDRINE. La France a joué un rôle moteur au sein du groupe de contact pour définir les termes de référence d'une solution politique équilibrée et respectueuse des grands principes du droit international. En vain.
En effet, alors que, finalement, la délégation kosovare signait le 18 mars dans leur intégralité les accords de Rambouillet, le Président MILOSEVIC, obstinément, a refusé de faire de même, y compris lors de la dernière tentative faite auprès de lui par M. Richard HOLBROOKE, au nom du groupe de contact. Ce fut là le tournant de cette crise.
D'ailleurs, le Président MILOSEVIC s'était déjà engagé dans une remilitarisation intensive du Kosovo, signifiant clairement par là son choix de la violence. Des forces serbes sont arrivées en masse : 50.000 hommes avec du matériel lourd, de l'artillerie, des chars. Les axes de communication ont été minés pour isoler la province ; des actions d'ampleur ont été menées pour réduire les zones contrôlées par l'UCK ; un pilonnage systématique des villages a été entrepris, faisant fuir les populations.
Le Président yougoslave a ainsi choisi de porter l'entière responsabilité de l'impasse politique actuelle.
Entre la lettre commune signée par Hubert VEDRINE et Klaus KINKEL le 19 novembre 1997, appelant le Président MILOSEVIC à la retenue et à l'engagement d'un dialogue avec les Albanais du Kosovo, et la lettre conjointe VEDRINE-COOK du 23 février 1999, demandant au même MILOSEVIC de signer le projet d'accord de Rambouillet, quinze mois se sont écoulés.
Quinze mois de dégradation constante de la situation au Kosovo même, d'extension et d'aggravation de la crise dans toute la région. Quinze mois d'exils forcés pour des populations terrorisées et de destructions de villages entiers par les milices serbes au Kosovo. Quinze mois de guerre et de risques croissants pour la stabilité de l'ensemble des Balkans.
Après les dramatiques événements de Bosnie, les mêmes contradictions, les mêmes aveuglements, le même fanatisme, les mêmes haines se déchaînent. Depuis des décennies, l'Europe, en tout cas notre Europe, s'est refondée sur la paix et le respect des droits de la personne humaine. Accepter que ces valeurs soient bafouées aux portes de l'Union européenne, c'eût été nous trahir. Ce qui est en cause dans le conflit d'aujourd'hui, c'est une certaine conception de l'Europe. Est-ce que nous acceptons sur notre continent le retour de la barbarie ou est-ce que nous nous dressons contre elle ? Pour nous, le choix est clair.
Au service du droit, le recours à la force était devenu inévitable.
Pour répondre à la violation persistante, par Belgrade, des engagements et obligations établis par le Conseil de sécurité,
Pour s'opposer à des violations graves et répétées des droits les plus fondamentaux de la personne humaine, il nous fallait agir. Agir avant qu'il ne soit trop tard. L'intervention militaire s'imposait. Parce que l'irrationalité du régime yougoslave ne laissait pas d'autre choix ; parce que nous ne pouvions pas nous résoudre à l'impuissance.
Nous ne pouvions accepter de regarder, résignés, ces images terribles " la violence contre les civils, les villages rayés de la carte, les flots de réfugiés. Nous ne pouvions accepter d'assister, interdits, à la préparation de nouveaux massacres.
VUKOVAR, SREBRENICA, SARAJEVO : à cette liste de villes martyres, nous ne pouvions accepter de laisser ajouter, sans réagir, PRISTINA, KLINA, SRBICA.
C'est au nom de la liberté et de la justice que nous intervenons militairement. Si la force sans le droit c'est toujours la tyrannie, le droit sans la force c'est parfois l'impuissance. Comme l'a d'ailleurs rappelé, mercredi, le Secrétaire général de l'ONU, " le recours à la force peut être légitime ".
Le Conseil de Sécurité est responsable au premier chef du maintien de la paix et de la sécurité internationale. A cette responsabilité primordiale, vous le savez bien, je suis très attaché. Mais, dès lors que le Conseil n'était pas en mesure d'agir pour en imposer l'application, dès lors qu'il y avait urgence, alors, il nous appartenait de prendre toutes nos responsabilités, notamment au sein de l'Alliance Atlantique.
D'autant qu'en adoptant, au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui concerne le recours à la force, les résolutions 1160 (du 31 mars 1998), 1199 (du 23 septembre 1998) et 1203 (du 24 octobre 1998), le Conseil de sécurité a établi clairement que la détérioration de la situation au Kosovo représentait une menace pour la paix et la sécurité internationale.
Par la résolution 1199, en particulier, le Conseil de sécurité a exigé des autorités de Belgrade qu'elles mettent fin aux hostilités et qu'elles maintiennent un cessez-le-feu au Kosovo, que cessent les actions des forces de sécurité touchant la population civile, et que s'engage rapidement le dialogue avec la communauté albanaise.
Belgrade n'a respecté aucune de ces résolutions, n'a rempli aucune de ses obligations, n'a assumé aucune de ses responsabilités. A plusieurs reprises, au contraire, de façon délibérée, la République fédérale de Yougoslavie a bafoué les règles du droit international.
Notre réaction a donc été mûrement pesée, par le Président de la République et moi-même. L'opération militaire en cours, longuement discutée avec nos partenaires européens et nos alliés, a été plusieurs fois repoussée pour laisser toutes ses chances à la négociation, et aussi à la Serbie.
Nous ne faisons pas la guerre au peuple serbe. Nous gardons en mémoire son passé héroïque dans la lutte contre l'oppression nazie. Nous ne sommes pas les ennemis de la nation serbe, qui a le droit légitime de se voir offrir un avenir dans une Europe démocratique. Mais nous devons constater qu'aujourd'hui, ce sont les autorités de Belgrade qui portent seules la lourde responsabilité de la crise actuelle. Ce n'est pas un peuple qui est visé, mais un appareil militaire et répressif. Ce n'est pas une nation qui est mise au ban, mais un régime récusant avec obstination les règles de la communauté internationale.
Mesdames et Messieurs les député(e)s,
Ainsi, la France a décidé de participer au dispositif militaire allié mis en oeuvre par l'OTAN.
Que recouvre cet engagement ?
Un dispositif de frappe aérienne, tout d'abord, destiné à exercer à l'encontre de la Serbie une action coercitive sur des objectifs militaires et à réduire sa capacité de nuire. Cette action a aussi pour but de prévenir le risque d'une extension et d'une exaspération des combats et des troubles qu'ils suscitent. Elle vise enfin à ramener au plus vite le Président MILOSEVIC à la raison, c'est-à-dire au dialogue et à la paix.
Une force terrestre en Macédoine, ensuite, initialement déployée pour protéger les vérificateurs de l'OSCE et dont la présence est aujourd'hui un élément de la stabilisation régionale. Des détachements de nos trois armées sont engagés.
Les moyens aériens français dans la zone adriatique se composent d'une quarantaine d'appareils de l'armée de l'air et de l'aéronautique navale. Ces aéronefs sont en mesure d'exécuter des missions diversifiées, telles que l'attaque au sol (Mirage 2000 D, Super Étendard embarqués), la défense aérienne (Mirage 2000 C), la reconnaissance aérienne (Jaguar, Mirage IV et Étendard embarqués), la recherche de renseignement électromagnétique, le contrôle des opérations et le sauvetage de combat.
Les moyens de l'armée de l'air, essentiellement basés en Italie, comprennent 8 Mirage 2000 C, 4 Mirage 2000 D, 2 Jaguar, 1 Mirage IV P, 2 avions ravitailleurs C 135 FR, 1 avion de guet aérien E3F Awacs, 1 C 160 " Gabriel " et 2 hélicoptères Puma de recherche et de sauvetage de combat.
La marine, quant à elle, met en oeuvre 14 Super Étendard d'attaque au sol et 4 Étendard de reconnaissance à partir du porte-avions Foch. Celui-ci est accompagné par le groupe aéronaval comprenant la frégate Cassard, la frégate britannique Somerset intégrée au groupe français, le pétrolier ravitailleur Meuse et le sous-marin nucléaire d'attaque Améthyste.
S'agissant du volet terrestre, des forces composées d'éléments essentiellement européens ont été déployées en Macédoine. Initialement constituées de la force d'extraction des vérificateurs de l'OSCE, elles sont maintenant complétées par les premiers échelons d'une force de maintien de la paix qui avait été conçue pour assurer le respect des accords éventuellement conclus entre les parties. Sur les 10.000 hommes que comporte actuellement la force de l'OTAN en Macédoine, la présence française s'élève à 2.400 hommes.
J'en viens maintenant au déroulement des opérations militaires.
Au cours de la première nuit, quatre actions se sont succédé : tout d'abord des tirs de missiles de croisière puis trois vagues de bombardement. Quatre Mirage 2000 D français ont participé au premier de ces raids. L'objectif recherché consistait essentiellement à neutraliser le système de défense antiaérienne. Dans la journée du 25 mars, les alliés ont maintenu en vol un important dispositif de protection ainsi qu'une forte couverture aérienne sur l'ensemble de la zone. Des Mirage et des Super Étendard du porte-avions Foch ont été concernés par cette mission. Cette nuit, les frappes ont repris selon un schéma identique. A nouveau quatre de nos Mirage 2000 D ont participé aux bombardements d'un site militaire. En ce moment même, nos avions surveillent l'espace aérien régional.
Mesdames et Messieurs les député(e)s,
L'engagement de la France est conforme à nos valeurs. Il s'inspire de ce qui fait l'esprit même de l'Europe que nous construisons : mettre au coeur de l'action des États le respect de la personne, en finir avec le règlement des différends par la violence et par la haine. Solennellement devant vous, je rends hommage aux forces françaises, aux militaires et aux civils, aux volontaires de l'OSCE, qui sont tous engagés au nom de la France et au service de la paix. Je sais avec quel professionnalisme ils assument leur mission, je sais aussi les risques encourus par nos soldats, marins et aviateurs.
Par son attitude intransigeante, le Président MILOSEVIC porte la responsabilité de l'échec du processus de Rambouillet. Au-delà, de toutes les occasions, hélas, manquées, qui auraient pu permettre de trouver une issue politique et pacifique à cette crise, il est comptable, devant son propre peuple, comme devant l'Histoire.
Nous ne défendons ni le terrorisme, ni ne soutenons les partisans d'une " grande Albanie ", mais moins encore les milices qui massacrent les populations civiles. Notre objectif politique, défini depuis un an par le groupe de contact, n'a pas varié : la mise en place d'un statut intérimaire d'autonomie substantielle au Kosovo, dans le cadre des frontières existantes de la Yougoslavie, garanti par une présence internationale civile et militaire. Les frappes peuvent s'interrompre à tout moment si le président MILOSEVIC accepte de revenir à la table des négociations afin de conclure les accords de Rambouillet.
L'action militaire n'est pas une fin en soi. Si nous nous y sommes résolus, je le répète, c'est parce qu'il n'y avait plus moyen de faire autrement. Mais nous ne renonçons pas à notre objectif politique. Nous voulons un Kosovo pacifié, des Kosovares et des Serbes qui puissent coexister, des Balkans qui se développent et où la démocratie se renforce, des Balkans qui deviennent pleinement une partie de l'Europe moderne. Nous sommes disponibles. Notre travail se poursuivra avec nos alliés européens et américains et avec les Russes en qui nous voyons, malgré les différends actuels, des partenaires indispensables en Europe.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les député(e)s,
C'est avec la détermination de faire respecter le droit, la volonté de rétablir la paix, l'objectif de revenir à une solution politique négociée, que nous avons engagé les forces armées françaises aux côtés de nos alliés. Le Gouvernement compte sur le soutien de la Nation tout entière dont vous êtes les représentants.
le 30 mars 1999
Réponse à une question d'A. Lajoinie (groupe PC) au sujet des frappes de l'Otan sur la Serbie.
Je voudrais d'abord, Monsieur le Président, m'associer à l'hommage que vous avez rendu à notre ami M. Crépeau. J'ai été me recueillir auprès de lui quelques instants ce matin. Nous serons un certain nombre de personnalités à l'accompagner à sa dernière demeure, dans quelques jours, et je voudrais dire que je partage comme vous tous de l'émotion, et pour ce qui me concerne, je ressens en plus de la peine.
Je voudrais Monsieur le député, Monsieur le président, répondre à votre question.
Des soldats français sont engagés dans des opérations militaires.
Que l'on approuve ces opérations - ce que je crois la majorité fait ici -, qu'on les critique, il est en tout cas logique que l'on s'interroge sur les fins et les moyens des actions qui doivent être entreprises pour apporter une solution au drame du Kosovo. Cette interrogation est celle de nos concitoyens, est celle des responsables politiques, est celle des commentateurs ; je la trouve normale et légitime et j'ai vu d'ailleurs qu'elle traversait de nombreux rangs et de nombreux groupes.
Depuis le débat qui a eu lieu ici-même vendredi, où j'ai à la fois introduit la discussion puis répondu aux questions et aux interpellations pour faciliter le dialogue et l'échange, et au-delà des contacts que prennent les ministres de la Défense et des Affaires étrangères avec vos commissions compétentes, j'ai proposé ce matin à votre conférence des présidents de recevoir l'ensemble des présidents de groupe de l'Assemblée nationale et du Sénat, les présidents de la commission de la Défense nationale et des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat, demain matin, afin de donner à vos représentants les informations dont ils ont besoin et afin aussi de nouer ce dialogue politique et civique qui est nécessaire. Je recevrai également, après le président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat.
S'il est légitime de s'interroger, s'il est difficile de former une opinion certaine, unique et catégorique, encore faut-il s'entendre sur un certain nombre de vérités simples qui me semblent tout de même être assurées et que nous devrions partager tous. Situons d'abord les responsabilités dans cette crise : les exactions serbes et les mouvements de réfugiés au Kosovo ne datent pas d'il y a huit jours.
Les exactions et les violences sont une réalité quotidienne de la vie des Kosovars. Ce n'est pas l'intervention de l'Otan qui a déclenché les hostilités. Au mois d'août 1998, au plus fort de la crise humanitaire au Kosovo, le nombre de réfugiés et de personnes déplacées s'élevait à 400 000. Quant aux exécutions sommaires et aux massacres collectifs, ils sont malheureusement réguliers, depuis des mois et depuis que s'est enclenchée, au Kosovo, une crise dont les autorités portent la responsabilité pour leur refus de trouver, avec la communauté internationale, une issue politique, une issue pacifique.
Les responsables des massacres, des exactions, de la purification ethnique - on devrait dire, d'ailleurs, de l'élimination ethnique - sont ceux qui les commettent, mesdames et messieurs les députés, et non pas ceux qui s'efforcent de les prévenir et de les empêcher, même si l'on peut discuter de l'usage des moyens.
Si les frappes n'avaient pas eu lieu, comme le passé l'a montré et comme les derniers jours l'indiquaient, cette répression se serait produite. Elle était, d'ailleurs, militairement préparée. Elle a déjà eu lieu dans le passé, hors de toute frappe aérienne. Et c'est au contraire la menace des frappes aériennes qui, à un moment, l'avait fait reculer.
Les auteurs de ces crimes doivent savoir qu'ils devront personnellement rendre des comptes, comme en a décidé le Conseil de sécurité dans ses résolutions 1160 et 1207 qui établissent la compétence du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Et l'exemple du général Pinochet montre que l'Histoire, elle, n'oublie pas les exactions dont ont été victimes des populations innocentes.
Les opérations aériennes, au-dessus de la République fédérale de Yougoslavie, commencées il y a six jours, ont pour seul but de casser le dispositif militaire et répressif serbe. Elles visent d'une part, la destruction des systèmes de commandement et de transmission de la défense yougoslave et, depuis le début de la phase deux, la destruction d'objectifs au Kosovo, liés à la répression même qui s'exerce sur les populations kosovares. Ces actions sont conduites avec détermination et le souci de minimiser les dégâts collatéraux pour la population et les risques pris par nos pilotes.
L'ampleur des départs des populations des villages du Kosovo vers les provinces ou les pays voisins, ces derniers jours, est difficile à évaluer. Mais à la demande pressante de notre pays notamment, l'Union européenne devrait réunir d'urgence une conférence humanitaire pour définir la réponse européenne et aider les pays d'accueil à prendre en charge matériellement et financièrement les réfugiés en provenance du Kosovo.
Madame Emma Bonino, commissaire européenne compétente, se rend sur place aujourd'hui même pour évaluer les besoins. Au-delà de sa contribution à l'aide européenne, la France apportera à titre national, une assistance à ces pays d'accueil. Nous travaillons actuellement à évaluer précisément les besoins. Je m'en suis entretenu hier avec Monsieur d'Alema au Tunnel du Mont-Blanc, l'Italie étant, vous le savez, particulièrement préoccupée par la situation en Albanie.
Oui, monsieur le député, nous préférons des méthodes de dialogue, nous préférons la paix, nous préférons une issue politique. Mais comment déboucher sur une issue politique, comment pratiquer le dialogue, comment pratiquer efficacement la diplomatie qui a été le coeur de la politique française depuis plusieurs mois, notamment avec le processus de Rambouillet, si les dirigeants serbes et M. Milosevic s'y refusent ? Je n'ai pas vu ici que nous était présentée une alternative.
Nous continuons à appeler le président Milosevic à la raison, c'est-à-dire à l'arrêt des actes de répression contre les populations civiles et au retour à la négociation. Mais s'il persiste dans son refus, il doit savoir - comme l'a rappelé hier soir le Président de la République s'adressant aux Français -, que nous ne faiblirons pas dans notre volonté de casser son appareil militaire et répressif.
Quant à la visite à Belgrade, du Premier ministre russe, Monsieur Primakov, nous en évaluerons le contenu exact et les effets possibles lorsque le Premier ministre russe en aura informé la présidence allemande de l'Union européenne et naturellement aussi, nos autorités, comme il en a l'intention. Nous ne doutons pas que la Russie, membre important du groupe de contact, avec laquelle nous avons constamment maintenu le dialogue, puisse jouer un rôle très utile dans cette crise. Nous l'apprécierons le moment venu."
Le 31 mars
J'ai reçu ce matin, après le Conseil des ministres, les présidents des groupes parlementaires des deux assemblées, les présidents des commissions des Affaires étrangères et de la Défense de l'Assemblée nationale et du Sénat. J'ai trouvé que l'échange d'informations et le dialogue qui s'étaient noués dans cette instance étaient utiles. J'ai dit à vos représentants que le Gouvernement, à travers les ministres compétents et à travers moi-même, était à la disposition du Parlement selon que de besoin, pour nourrir ce courant d'information et poursuivre ce dialogue. Nous avons pris note d'un certain nombre de suggestions utiles qui ont pu être faites par différents représentants de groupes.
Mesdames et messieurs, dans la période où nous sommes, chacun s'exprime, et c'est normal, dans sa conviction. Lorsque nous sommes face à la question de la paix ou de la guerre, face à la question de l'oppression ou de la liberté, face à la question de la civilisation ou de la barbarie, dans une grande démocratie comme la nôtre, on débat dans le pays, on débat au Parlement, on discute dans les médias, et on discute aussi au sein de l'instance politique collégiale qui compose le Gouvernement et on le fait devant le Président de la République, dans le Conseil des ministres.
Et le moins que l'on puisse dire, et les Français en sont juges, est que dans cette circonstance difficile, le Gouvernement - à travers le ministre des Affaires étrangères dans son action diplomatique, à travers le ministre de la Défense dans son travail de mobilisation et d'organisation des armées, le Premier ministre lui-même et le Gouvernement dans sa collectivité - assume pleinement sa part des missions qu'il doit remplir au sein de l'exécutif, vous devriez en prendre la mesure.
Le débat ayant eu lieu, je pense que nous pouvons dire, mesdames et messieurs les députés, que nous partageons deux convictions fondamentales : la première, et je l'ai entendue dans tous les groupes politiques, c'est la condamnation absolue de monsieur Milosevic, de son régime et la politique de purification ethnique, le refus de la violence et le refus des exactions ; la deuxième conviction que nous partageons, c'est que notre objectif est celui d'une issue politique à la crise, mais d'une issue politique qui interdise l'actuelle répression et qui permette aux Kosovars de vivre en paix et libres dans leurs terres, même si cette terre, selon nous, aujourd'hui, doit être une partie autonome dans la République fédérale de Yougoslavie.
A partir du moment où nous sommes d'accord - je crois, l'ensemble ou l'essentiel des forces politiques françaises, en tout cas celles qui sont rassemblées ici - sur ces deux objectifs, je pense qu'ensuite la discussion a lieu sur les moyens.
Or, mesdames et messieurs les députés, il ne faut pas, à cet égard, se tromper de responsabilité et encore moins se tromper de culpabilité. La question centrale, aujourd'hui, n'est pas celle de l'Otan ; la question centrale aujourd'hui est celle de la politique de purification ethnique de monsieur Milosevic. La question centrale n'est pas celle des frappes, elle est celle de la politique d'exaction conduite par monsieur Milosevic au Kosovo.
Il est vrai, et c'est la position des autorités politiques françaises, du Président de la République comme du Gouvernement - que nous aurions préféré et nous préférons dans les crises agir sous l'égide et avec le mandat de l'Organisation des Nations-unies, mais cela n'était pas possible et sauf à accepter l'impuissance et le fait accompli, nous avons agi dans le cadre de l'Otan. C'est là le cadre dans lequel nous pouvions agir, et là encore, faire de la question de l'Otan la question centrale, à mon sens, ne serait pas pertinent.
C'est pour la troisième fois que monsieur Milosevic, après la Croatie, après la Bosnie, s'efforce d'imposer une politique de violence et de ruse, et il est temps maintenant qu'il y soit mis un terme. C'est pourquoi face à des autorités serbes qui ont programmé méthodiquement leur politique et notamment leur politique de répression au Kosovo, nous devons faire preuve de détermination et de constance. Nous devons savoir que ce n'est pas en quelques jours et par les frappes que nous porterons des coups suffisants à l'appareil militaire et répressif de la Serbie, mais c'est pourtant ce qui est en train de se faire, et nous avons les moyens de porter des coups suffisants à cet appareil dans les jours qui viennent.
Alors, mesdames et messieurs les députés, il faut apporter des réponses sur le plan humanitaire et vous avez soulevé notamment cette question, madame le député. Il faut apporter des réponses sur le plan humanitaire et nous le faisons.
C. Josselin, au nom du Gouvernement, suivra une mission d'experts français partis dès ce matin sur le terrain, afin d'avoir une évaluation précise des besoins. Il se rendra demain en Albanie et en Macédoine, en liaison avec cette mission, et avec l'Union européenne et Madame E. Bonino, accompagnés du secrétaire d'Etat allemand. Le Gouvernement a arrêté les premières modalités d'un plan d'urgence qui comprend quatre composantes :
- un soutien à l'action du Haut commissariat aux réfugiés dans des zones sécurisées
- une action coordonnée avec nos partenaires européens notamment allemands et italiens
- des actions nationales montées par l'Action humanitaire, la Sécurité civile et le ministère de la Santé
- et la mise à la disposition notamment du HCR des moyens de transport de la Défense.
Nous sommes tous, naturellement, profondément impressionnés et bouleversés par ces dizaines et dizaines de milliers d'hommes et de femmes qui quittent le Kosovo. Je voudrais vous dire ici que je préfère aujourd'hui qu'ils quittent le Kosovo pour pouvoir y venir demain plutôt que d'y mourir sur place comme ce fut le cas pour des dizaines de milliers d'autres en Bosnie, il y a quelques années.
Je voudrais vous dire que nous prenons la mesure de cette catastrophe humanitaire, mais à condition de bien dire à l'opinion européenne et aux Français qui nous écoutent, que cette catastrophe humanitaire est réversible à une seule condition : c'est que le conflit en cours ne se termine pas aux conditions de M. Milosevic, mais aux conditions fixées par les nations civilisées dans l'Europe de la fin du XXème siècle. Et c'est ainsi que ces centaines de milliers d'hommes et de femmes effectivement pourront revenir dans leur pays.
Alors, mesdames et messieurs les députés, je voudrais terminer en vous disant que nous sommes naturellement - le Gouvernement et le Président de la République - ouverts à toute issue politique qui pourrait se présenter puisque notre objectif, c'est une solution politique.
Nous avons regardé la mission effectuée par monsieur Primakov, hier, à Belgrade, et le compte-rendu qu'il en a fait et qui nous a été donné, et dont j'ai informé vos représentants ce matin, ne laisse pas ouverte une solution, puisque monsieur Milosevic fixe les conditions et demande l'arrêt des bombardements, sans prendre l'engagement de renoncer aux exactions et de retirer ses troupes pour qu'il accepte d'envisager un débat politique. Si dans le cadre de l'ONU, si dans le cadre d'une conférence des Balkans, si dans tout cadre politique disponible, une issue peut se présenter, nous le ferons. Mais nous pensons qu'il faut créer en même temps les conditions militaires, politiques et psychologiques pour que monsieur Milosevic renonce à sa politique de puissance ; pour que monsieur Milosevic renonce à sa politique de purification ethnique ; pour que cette fois, il soit obligé de céder, qu'il sorte de ce conflit en perdant, et que nous puissions alors bâtir les conditions d'une Europe, d'une Europe prospère, d'une Europe démocratique, et non pas d'une Europe tentée par le retour de la barbarie."
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 06 avril 1999)