Déclaration de M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, sur le débat sur l'identité nationale, Paris le 5 novembre 2009.

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Identité nationale ou de l'urgence d'en débattre.
Je devais avoir 13 ans. Pour la première fois de ma vie, j'allais franchir nos frontières et rejoindre un correspondant en Angleterre. Je me souviens de l'unique recommandation de mon père, que je respectai scrupuleusement une fois sur place : « Souviens-toi que tu seras là-bas l'image de la France : c'est elle qu'on jugera à travers toi ».
En me remémorant, bien des années après, ce précepte paternel, je me dis qu'il illustre assez bien la conception que nous, Français, nous faisons de l'identité nationale. Car la Nation n'est pas une entité abstraite, distante et froide, gardienne impérieuse du temps et de nos traditions. C'est une identité collective, qui transcende la personne et dont chacun d'entre nous, réciproquement, est une incarnation singulière comme dans ces tableaux flamands où un petit miroir reflète « en abyme » la scène dépeinte tout entière.
Cette coïncidence entre l'identité nationale et l'identité individuelle ne relèverait sans doute que de la pure spéculation si la France, à la différence d'autres pays, n'avait adopté une conception élective de la Nation. Si l'identité nationale est aussi la nôtre, c'est parce que nous avons la liberté - et la responsabilité - de définir ce qu'elle doit être : la Nation, écrivait Renan, est « un plébiscite de tous les jours ». Ainsi, par paradoxe, le Français réputé insoumis, insatisfait ou rebelle est cependant toujours français par volonté. D'où la nécessité de réfléchir, de débattre, de se rassembler autour d'une conception commune de ce que doit être la Nation.
Car le débat ne saurait se résumer à opposer schématiquement le droit du sol, tel que nous le pratiquons depuis la Révolution, au droit du sang qui prévaut dans certains autres pays. Patrick Weil a d'ailleurs démontré que ces oppositions sont factices et que notre droit a beaucoup fluctué depuis la Révolution française. Il n'en reste pas moins que cette conception a laissé une trace profonde dans nos mentalités, dans nos symboles et, peut-être aussi, dans nos modes de gouvernement. Si les idéologies, les systèmes totalitaires, ont eu moins de prise sur nous, c'est sans doute parce que l'identité française est une notion trop complexe pour se laisser réduire à un monopole de pensée ou d'organisation. Pour ceux qui ont la charge de gouverner un pays si divers, cette complexité est un gage de pluralisme, mais aussi l'assurance de débats sans fin, tant nous préférons parfois les questions aux réponses, la recherche de l'altérité aux diktats de l'unicité !
De ce va-et-vient continuel entre l'identité nationale et l'identité personnelle, résulte une forme de tension, une dialectique incessante entre l'universel et le particulier qui donne parfois le vertige. Notre pays ne voit aucun paradoxe à être tout à la fois champion des corporatismes et le berceau de valeurs universelles forgées au siècle des Lumières. Il y perçoit même une conséquence de cette « vocation française » à laquelle Victor Hugo donnait pour maxime « la fraternité pour base et le progrès pour cime ». Soit. Mais encore faut-il que nous soyons vigilants à ne pas laisser s'affaiblir les valeurs et les institutions qui permettent, justement, d'opérer l'alchimie entre nos actions individuelles et notre destin collectif : la famille, l'école, le travail, la culture, l'engagement associatif, syndical ou politique sont autant de moyens irremplaçables pour assurer la cohésion de la collectivité nationale.
Ces hauts lieux de cohésion sociale, sur lesquels repose l'équilibre de notre modèle social, font aujourd'hui l'objet d'un questionnement intense sous l'effet des mutations de notre économie et des évolutions de nos structures sociales. Dans cette période difficile, qui exige de nous beaucoup de sang froid, le danger le plus insidieux est peut-être celui du chacun pour soi qui se nourrit des difficultés économiques et de la détresse sociale. Dans nos quartiers, dans nos entreprises et parfois jusque dans nos cellules familiales, émerge parfois le sentiment de n'avoir que soi-même pour recours. Rien ne serait pire que de laisser se creuser l'écart entre les idéaux que portent nos discours politiques et les difficultés quotidiennes que rencontrent les Français : de cette distance se nourriraient les revendications identitaires, la concurrence des identités et des mémoires, la surenchère communautariste. Le rôle de l'Etat, en tel cas, n'est pas seulement de prendre les décisions qui s'imposent pour permettre le retour de la croissance, mais de permettre aussi aux Français de se rassembler autour de l'idée qu'ils se font de leur destin commun. Cela ne mérite-t-il pas qu'on en débatte ? Source http://www.debatidentitenationale.fr, le 6 novembre 2009