Déclaration de M. Alain Olive, secrétaire général de l'UNSA, sur la crise économique et financière, la politique économique et la politique de l'emploi du gouvernement et la représentativité syndicale, Pau le 24 novembre 2009.

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Circonstance : 5ème congrès national de l'UNSA à Pau le 24 novembre 2009

Texte intégral


Mesdames et Messieurs, Cher(e)s ami(e)s, Cher(e)s camarades,
Nous tenons ce congrès alors qu'une crise économique et sociale d'une ampleur rarement atteinte nous a plongés dans une récession
que nous n'avions pas connue depuis les années 1930.
Cette crise frappe toutes les régions du monde.
Pour les pays les plus pauvres, notamment d'Afrique, l'insécurité alimentaire s'est encore aggravée. La FAO, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, estime que la faim touche maintenant plus d'un milliard de personnes dans le monde. En Europe centrale et orientale, des pays comme la Lettonie, la Hongrie et la Roumanie sont en quasi-faillite.
Chez nous en France, pour 2009 : baisse de la production de 2,5%, 300.000 destructions d'emplois dans le secteur marchand, un chômage proche de 10%, avec une situation encore aggravée par la suppression de 100 000 postes dans la fonction publique depuis 2007.
Une crise donc très dure et derrière de tels chiffres, beaucoup de souffrances silencieuses. Surendettement chronique de certains ménages, des jeunes, licenciés après leur période d'intérim ou de CDD ou qui peinent à trouver un premier emploi ; les fins de mois difficiles et la montée des travailleurs pauvres. Et toujours ce sentiment croissant que demain sera plus dur qu'aujourd'hui et cette sensation de « déclassement » qui frappe aujourd'hui toute une partie de la population.
La crise s'affiche aussi au journal de 20 heures. Ce sont les images de séquestrations de dirigeants et d'occupations d'entreprises. Les ingrédients de cette colère, il faut les rechercher dans le désespoir de perdre son emploi, mais aussi dans l'absence de tout dialogue social. Domine alors un sentiment d'abandon : à chaque perte d'emploi, on perd un métier, un enracinement dans un collectif de travail et dans un territoire. Bien sûr, ces actions radicales sont très minoritaires, mais ce sont elles qui marquent l'opinion parce que fortement médiatisées. Au même moment se déroulent d'autres conflits, par dizaines, aux méthodes d'action souvent moins radicales, mais parfois plus efficaces, avec cette obsession : conserver par tous les moyens le lien avec l'entreprise.
Cette année 2009 aura été aussi une année difficile pour nos camarades des départements d'Outre-mer où ont eut lieu des conflits parfois proches de l'insurrection, comme en Guadeloupe, où un syndicaliste a trouvé la mort. Dans le cas de ces départements, tout n'est pas à mettre sur le dos de la crise. Ils ont leur propre histoire marquée encore pour certains par l'empreinte coloniale ; mais la crise a joué un rôle d'accélérateur, principalement sur la question des prix et des salaires. Le conseil interministériel qui s'est tenu le 6 novembre à l'Elysée a pris un certain nombre de mesures. Seront-elles en capacité de ramener la sérénité ? Nous écouterons sur ce sujet ce que nous dirons nos camarades des départements d'outre-mer. Je voudrais profiter de ce congrès pour saluer l'action de nos camarades de l'UNSA de ces départements d'Outre Mer qui durant ces conflits se sont conduits de façon exemplaire et leur dire qu'ils ont le total soutien de ce congrès.
Avec cette énumération de conséquences de la crise, certains d'entre vous penseront peut être : il en fait trop. Le tableau n'est pas aussi sombre. Bien sûr, je sais comme vous qu'une grande partie de nos compatriotes ne souffre pas de la crise, en tout cas pas à un degré aussi élevé. Je sais aussi que notre pays, malgré toutes ses difficultés, a encore des ressources et qu'il figure parmi les grandes puissances économiques du monde. Reste que sans verser dans le catastrophisme, il est évident que la crise a amplifié les problèmes que nous avions déjà et que les questions sociales, qui sont devant nous, sont encore plus difficiles à régler.
Au coeur de cette crise, on trouve d'abord un système de développement fortement inégalitaire, aux Etats-Unis certes mais aussi en Europe et en France avec une forte pression sur les salaires exigée par les actionnaires. Depuis trente ans, on assiste à une distribution de plus en plus inégalitaire des revenus et à un déséquilibre en faveur des revenus du capital au détriment des revenus du travail. Et parmi les salarié(e)s, on constate une hausse des rémunérations des salariés les mieux payés et à l'autre bout de la chaîne, un tassement des salaires chez les moins bien lotis. Tant que ces inégalités persisteront, tant qu'on n'aura pas modifié un régime de croissance fortement déséquilibré, les causes profondes de la crise demeureront et nous serons toujours en sursis. Et c'est la question salariale qui revient en force à la fois dans le secteur privé et dans le secteur public.
Ce capitalisme financier qui exige toujours plus de rendement des capitaux investis provoque aussi des ravages dans la gestion des entreprises. Au nom de toujours plus de rentabilité, c'est la réorganisation permanente, les résistances qu'on brise sans états d'âme, la déshumanisation totale. Dans certaines entreprises, l'incompréhension entre le travail du salarié et le projet industriel est totale. Au bout de ces processus : du stress, de la souffrance et parfois des suicides comme chez Renault, ou chez France Telecom.
Il faut remettre du sens et de l'humain dans tout cela.
Il faut aller vers une nouvelle façon de gérer l'entreprise où les salarié(e)s et leurs syndicats doivent avoir toute leur place. Il faut que nous obtenions la possibilité de participer aux décisions stratégiques de l'entreprise. Il faut que nous puissions peser sur le partage des profits. Il faut que nous ayons un droit de regard sur les phénomènes d'externalisation et de sous-traitance. Nous devons pouvoir aussi discuter de la nature des contrats de travail pour favoriser les CDI au détriment des emplois précaires.
Je sais qu'il y a débat dans le syndicalisme et que certains refusent ce qu'ils comparent à une forme de co-gestion. Mais franchement, que préfère-on ? Que les syndicats jouent les ambulances à ramasser les morts et les blessés ou qu'ils évitent s'ils le peuvent ce carnage ?
Mais la question qui se pose aujourd'hui en ce 24 novembre 2009, un peu plus d'un an après l'éclatement de cette crise et les dévoiements financiers qui l'ont accompagnée est la suivante : est-ce que ceux qui nous ont mis dans cette situation désastreuse, ont bien compris la leçon ? Sont-ils devenus plus responsables, sinon plus vertueux, si ces mots ont encore un sens pour eux ? Les financiers sont-ils désormais prêts à accorder la priorité au financement de la production des biens et des services et non plus à la spéculation ? On peut en douter quand on voit ce qui se passe.
Plus on s'éloigne du traumatisme que fut la grande peur d'une faillite généralisée du système bancaire et financier, plus la moralisation du capitalisme et la volonté de régulation des gouvernements semblent faiblir. Et pourtant, cette crise nous coûte cher. D'après le FMI, la facture s'élèverait à 4 000 milliards de dollars pour le système financier mondial et donc en partie pour les contribuables. Et pourtant, les rémunérations faramineuses des dirigeants des établissements financiers et des traders qui ont tant scandalisé les opinions mondiales sont toujours d'actualité.
Rien n'y fait ; comme si les bonnes intentions affichées lors des G20 s'étaient volatilisées. Et malgré les « retenez-moi ou je fais un malheur » d'un Président de la République, nous avons le sentiment aujourd'hui que domine une forme de résignation et d'impuissance. Timides avancées sur la question des bonus et des paradis fiscaux qui n'émeuvent pas les financiers de la place, mais aucun contrôle des fonds spéculatifs. Une fois l'alerte passée, les fonds publics essorés, les pertes socialisées, ça repart comme avant. Ca repart comme avant dans les Bourses du monde entier où les titres les plus exposés et donc les plus spéculatifs voient leurs cours remonter en flèche. Ce qui repart, c'est tout simplement le pire de la finance, c'est la spéculation. Après avoir racketté les Etats et leur avoir fait les poches, les banquiers et les financiers ignorent ces mêmes Etats ; pire, ils les méprisent. Autant de cynisme ne doit pas nous laisser pantois mais exigeants, revendicatifs vis-à-vis de nos propres dirigeants économiques et politiques.
Ce monde de la finance est toujours aussi déconnecté du monde réel et va nous amener, si cela continue, à une autre crise ; peut-être encore plus profonde que celle dans laquelle nous nous débattons. A terme, si les pouvoirs publics, si les Etats se montrent toujours aussi incapables de réguler le système financier - mais aussi monétaire- et de mater des comportements irresponsables, cela posera à nos pays, non pas seulement un problème d'ordre économique, non pas seulement un problème social mais un problème démocratique. La légitimité de tout état démocratique à défendre et à protéger ses citoyens sera atteinte.
De cette crise, nous devons aussi tirer une leçon à l'échelle européenne.
Nous sommes convaincus que dans le monde tel qu'il se construit, l'avenir de nos nations passe par l'Europe. Tout ce qui affaiblit l'Europe, nous affaiblit. Or cette crise a démontré une chose : la dramatique impuissance de la gouvernance européenne. Le moins qu'on puisse dire, c'est que la Commission a manqué de réactivité. Elle a trop souvent été aux abonnés absents. On s'est souvent posé la question : mais où est l'Europe, que fait la Commission ? Où est la volonté politique des Etats et des gouvernements à jouer collectif ? Et c'est encore heureux que devant cette absence d'Europe, la présidence française de l'UE en octobre 2008 ait pris des initiatives.
Mais tout de même, quelle régression pour l'Europe depuis les années 1980 et la vision européenne qui était portée par un homme comme Jacques Delors ! Où était par exemple le plan de relance européen coordonné ? Les Britanniques ont donné la priorité à la relance de la consommation et à l'aide aux ménages en difficultés, les Allemands aux entreprises exportatrices, les Français aux infrastructures. Mais tout cela ne fait pas un plan de relance européen. Le manque de volonté politique est évident. Le manque de fibre sociale aussi.
Il faut se rappeler par exemple que sans notre action et l'action de la Confédération européenne des syndicats (CES), la très libérale directive sur les services (la directive Bolkestein) nous aurait été imposée par la Commission et les gouvernements de l'UE. Il faudra toujours se battre demain pour que ce qui a été mis à la porte ne revienne pas par la fenêtre. Pour nous, le projet européen ce ne sont pas seulement les libertés économiques, ce sont aussi les droits sociaux. L'un ne peut pas aller sans l'autre.
Pour l'UNSA, et je le rappelle ici aux plus jeunes, le combat pour l'Europe sociale est un combat fondateur. Je n'oublie pas que la première manifestation publique de l'UNSA, juste après sa création, eut lieu dans le cadre de la CES, le 2 avril 1993 à Strasbourg « Pour l'emploi et l'Europe Sociale ». Et sans vouloir rouvrir un débat qui a été vif entre nous au congrès de Nantes sur la question du Traité Constitutionnel, on peut dire a posteriori que notre position qui a consisté à approuver ce traité était la bonne, tant son rejet par la France a plongé l'Europe dans une paralysie institutionnelle qui dure encore. Il faut espérer que l'entrée en application du traité de Lisbonne nous sortira de cette ornière.
Mais l'Europe, c'est aussi l'Europe des grands projets industriels. Pourquoi sur l'exemple de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, ne pas construire une Europe de l'énergie ? Pourquoi ne pas lancer des projets communs dans le domaine du développement durable et des transports ? Pourquoi ne pas avoir une grande industrie automobile européenne au lieu d'attendre de savoir quelle sera la prochaine entreprise européenne -française, allemande ou italienne- qui sera appelée à disparaître ? A quand l'harmonisation d'une politique fiscale et sociale qui évitera le dumping social entre salarié(e)s européen(ne)s ? A quand un budget européen digne de ce nom ? Pourquoi ne pas avoir imaginé un grand emprunt européen ? Tout cela, c'est du concret. Tout cela aurait redonné du souffle à une Union Européenne qui ronronne alors qu'elle devrait rugir.
C'est aussi au niveau européen que nous devons affronter la révolution écologique et faire pression pour que le Sommet de Copenhague débouche sur des résultats et pas seulement sur de vagues intentions. Et aujourd'hui, c'est loin d'être le cas. Le paquet énergie climat adopté par 27 pays de l'Union affiche des objectifs ambitieux, mais nous sommes sceptiques sur la capacité de l'Europe à les atteindre. Lors de son Comité Exécutif du 21 octobre, la CES a pris des positions claires sur ces sujets. Nous les soutenons. Il faut effectivement une politique industrielle européenne à bas carbone et il faut mettre en place des règles internationales afin que les pays qui ne font pas d'effort sur les émissions de gaz à effets de serre ne bénéficient pas d'un avantage dans la compétition internationale. En ce qui nous concerne, et pour être logiques avec nous-mêmes, nous avons approuvé le principe général d'une taxe carbone à la française. Oui, cela fait débat ; oui, tout va dépendre de la façon dont cette mesure sera appliquée. Non, il ne faut pas qu'elle se transforme en une injustice sociale de plus. Mais ne rien faire devant la montée du réchauffement climatique serait criminel et pas question pour nous d'attendre pour cela le grand soir de la réforme fiscale en France dont on sait par expérience qu'elle est toujours reportée à plus tard !
Cette crise doit nous amener à tirer aussi des leçons sur le plan français.
Pendant la première année du quinquennat on a assisté à un feu d'artifice de réformes, comme rarement vu dans l'histoire de la Vème République. Nous n'étions pas surpris ; une grande partie de ces réformes étaient dans les cartons du candidat devenu président. Nous avons joué notre rôle de syndicat, respectueux du suffrage universel. Mais pas question non plus de jouer les muettes du sérail.
C'est avec détermination que nous nous sommes fait entendre sur la loi Tepa -j'y reviendrai-, sur le service minimum, sur les régimes spéciaux, sur le travail du dimanche et j'en passe. Et voilà qu'en quelques semaines, à l'automne 2008 avec l'arrivée de la crise, nous avons assisté à l'effondrement d'une pensée dominante. Certains appellent cela le pragmatisme et la capacité à s'adapter aux circonstances. Tous ceux qui ne juraient avant la crise que par les vertus du marché, sont devenus en quelques jours des fervents partisans de l'intervention de l'Etat. Notre modèle social qui hier était bon à jeter à la poubelle est devenu un amortisseur indispensable de cette même crise. L'exception française était même vantée comme un modèle à la une du très libéral Times. Ces conversions subites ne sont pas nécessairement durables. Elles ne vont pas sans contradictions. Et ces contradictions résident dans une question.
Comment en effet appliquer des promesses de campagne quand, suite à l'émergence de la crise, les conditions économiques et sociales qui ont vu naître ces promesses changent du tout au tout ?
Prenons l'exemple de la fonction publique.
Comment se proclamer de nouveau partisan de l'intervention de l'Etat, évoquer même le retour du colbertisme et continuer d'affaiblir ce même Etat en supprimant depuis trois ans près de cent mille postes de fonctionnaires ? Comment dire que la crise change tout pour la France et ne rien changer dans le pilotage de l'Etat ? Je vous le dis, il y a là, pour nous, un sujet de conflit permanent qui ne prendra fin qu'avec la suppression du dogme que constitue le non remplacement systématique d'un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite. Mais cette opposition catégorique ne nous interdira jamais, chaque fois que c'est opportun, de participer à des négociations et de conclure des accords. Pour nous, dans la Fonction publique comme ailleurs, il n'est pas question de pratiquer la politique de la chaise vide ou d'avoir une attitude d'opposition systématique.
C'est ainsi que l'UNSA Fonctionnaires a réussi à conclure un certain nombre d'accords, malgré ce contexte très difficile. Tout récemment, le 22 octobre, l'UNSA-Fonctionnaires a décidé de signer le protocole sur la « santé et la sécurité au travail dans la fonction publique » qui constitue un réel progrès pour tous les agents. En signant plusieurs relevés de conclusion, le 21 février 2008, avec le ministre de la Fonction publique, elle a permis des améliorations substantielles pour un nombre important d'agents en matière de carrière et d'indemnités, en matière de politique sociale ou encore pour la gestion du compte épargne-temps.
Sa signature, le 2 juin 2008, des accords dits « de Bercy » sur le dialogue social, lui a également permis d'être partie prenante des discussions visant à refonder le système de représentativité dans la Fonction publique. Un projet de loi sur cette question sera prochainement soumis au Parlement. A la clé, se jouera, selon la même logique que la loi du 20 août 2008 dans le privé, la capacité ou non à négocier le droit syndical qui l'accompagne. Cela impliquera que nos syndicats et fédérations de l'UNSA concernés dans la Fonction publique se mettent collectivement en ordre de bataille pour s'adapter à ce nouveau cadre.
Nous avons déjà commencé. Il faut amplifier et accélérer le mouvement. Mais la nécessité de se réorganiser ne découle pas que de cette loi. Elle tient aussi au remodelage en profondeur que le gouvernement fait subir à marche forcée à la Fonction publique. La révision générale des politiques publiques, en jargon la RGPP, la réorganisation de l'administration territoriale de l'Etat, toujours en jargon la REATE, dessinent, à coups de suppressions massives d'emplois, de fusions/restructurations de ministères et de services, une carte totalement nouvelle des services publics. Tout le monde le sait, nous ne sommes pas opposés à une modernisation de notre fonction publique, les faux procès en la matière ne déshonorent que leurs auteurs. Mais nous sommes résolument opposés à une nouvelle donne qui rétrécit le champ d'intervention des services publics.
Nous sommes résolument opposés à toutes les tentatives de casser le statut des personnels.
Menée au pas de charge, sans négociations véritables, avec des méthodes managériales ressemblant souvent, à bien des égards, à celles utilisées pour les plus détestables des restructurations d'entreprises, cette politique déstabilise les fonctionnaires qui vivent un mal-être professionnel croissant, pressurés par le manque d'effectifs, ne sachant plus parfois ce que l'on attend d'eux, doutant du sens même de leurs missions. Et comme dans certaines entreprises du secteur privé, cela provoque des drames. Je veux ici vous demander de prendre connaissance du témoignage oh combien douloureux mais si important de notre collègue Catherine Kozszka-Garbar, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse de Paris, membre de notre syndicat le SPJJ-UNSA (Syndicat de la Protection judiciaire de la Jeunesse). Ce témoignage lucide, courageux et émouvant sur la difficulté d'assurer ses missions, dans un tel contexte est intervenu après une tentative de suicide. Ce témoignage, Catherine a souhaité, comme elle l'écrit « ne pas l'enfouir », elle veut qu'il donne à réfléchir car au-delà de son cas personnel, il nous concerne toutes et tous. Derrière toutes ces réorganisations en cours, on peut se demander s'il n'y a pas la volonté de réduire les services publics et donc des services rendus à la population.
Parce qu'enfin, si l'Etat se désengage des services qui, jusqu'à présent, étaient rendus à tous comme par exemple, l'Education ou la Santé, mais alors qui les assurera ?
1ère réponse : personne.
2ème réponse : le privé, mais alors exclusivement sur des activités qu'il aura jugées rentables et seulement, bien entendu, pour celles et ceux qui pourront se les offrir.
3ème réponse : d'autres institutions publiques comme la région, le département ou la commune, auxquelles l'Etat refilerait gentiment le bébé.
Sur ce troisième scénario, on aurait envie de dire : après tout, pourquoi pas ? Nous voulons des services publics forts, au service de tous. Des services publics respectés, ambitieux et dotés des moyens nécessaires à leur mission. Ceci ne fait pas de nous des étatistes bornés.
Parce que, pour nous UNSA, la décentralisation peut aussi permettre plus de proximité et donc un service meilleur et plus efficace rendu aux usagers. Ca, c'est pour le premier acte.
Oui, mais voilà que se pointe déjà le deuxième acte avec le double projet en cours : réforme des collectivités territoriales et suppression de la taxe professionnelle. Je veux en dire un mot devant le congrès. Concernant la réforme des collectivités territoriales, savoir comment s'articuleront ou se substitueront régions et départements, savoir le nombre et la qualité des futurs conseillers élus, c'est une affaire sérieuse mais qui est en premier lieu du ressort des politiques et pas du syndicat. Là où nous avons, en revanche, notre mot à dire en tant que syndicat, c'est sur les missions qu'exercent aujourd'hui les régions et les départements.
Quel que soit le découpage administratif retenu, il est capital pour nous que ces missions soient correctement remplies. La politique de l'emploi, celle de la formation menées par les régions, la politique sociale, apanage des départements -je ne cite que ces quelques compétences mais il y en a d'autres- ces politiques ne sont pas quelques éléments négligeables dont on pourrait se passer sans problème !
Pour l'UNSA, elles sont fondamentales pour les salarié(e)s, fondamentales pour les jeunes, pour les citoyen(ne)s et il est hors de question qu'elles passent subrepticement dans la colonne des pertes et profits ! Quant à la taxe professionnelle, nul n'ignore qu'elle est aujourd'hui une composante essentielle des budgets des collectivités puisqu'elle les alimente à hauteur de 50 %. D'où l'inquiétude légitime des élus de tous les bords politiques de la voir disparaître sans garantie durable de compensation à l'identique. Là aussi, sur le plan syndical, nous avons notre mot à dire en attirant l'attention sur les conséquences d'une telle décision.
Je le dis avec une certaine gravité : pour nous, les services publics sont un facteur indispensable de cohésion sociale. Dans une société de plus en plus dure, ils remplissent un rôle indispensable.
Si l'on devait aller au bout d'une logique qui verrait leur affaiblissement, alors c'est une autre France que celle que nous connaissons qui en sortirait. Une France qui ne serait bonne ni pour les salarié(e)s, ni pour les citoyen(ne)s en général, une France d'inégalités accrues, là où, tout au contraire, la crise appellerait pourtant plus d'égalité et plus de solidarité. De cette perspective, l'UNSA n'en veut pas !
Et si je le dis avec toute la fermeté nécessaire, c'est parce que nous ne sommes plus là dans un dossier de la seule UNSA Fonctionnaires mais dans un dossier interprofessionnel qui concerne tou(te)s les salarié(e)s, et même, au-delà, tou(te)s les citoyen(ne)s.
Dans le secteur privé, les contradictions gouvernementales ne sont pas moindres.
Soyons précis : sous couvert de réhabiliter le travail, on a encouragé fiscalement la rente et découragé la création d'emplois et l'augmentation de salaires. Comment croire que la lutte pour l'emploi est la priorité du gouvernement quand celui-ci, détricote les 35 heures, et maintient la loi Tepa qui exonère et défiscalise les heures supplémentaires ? Par exemple est-il pensable que dans la même entreprise, on puisse supprimer les postes d'intérimaires et de CDD, souvent occupés par des jeunes et favoriser les heures supplémentaires ?
Plus aucun travail pour les uns et davantage de travail pour les autres. Où est la logique économique dans tout cela, où est la justice sociale ?
Pour le seul impôt sur le revenu, il existe 469 niches fiscales. Mais la seule nouveauté cette année, c'est de s'attaquer aux indemnités des accidentés du travail, en osant le faire au nom de la justice sociale. Allez dire à un accidenté du travail qu'au nom de la justice sociale, on ampute ses revenus pendant qu'on maintient le bouclier fiscal ! De façon générale, comment accepter que les déficits de l'Etat et des comptes sociaux s'envolent d'un côté et que le Président de la République veuille coûte que coûte maintenir le bouclier fiscal ? Si on ne touche pas au bouclier fiscal, qui va payer demain les dettes accumulées ? 140 milliards d'euros pour le déficit budgétaire en 2009, 24 milliards d'euros pour celui de la Sécurité Sociale.
On aurait pu espérer que la sagesse l'emporterait et que le projet de loi de finance pour 2010 tiendrait compte du contexte nouveau né de la crise. Non rien ! Pas une avancée. Si pardon une, la suppression de la taxe professionnelle dont j'ai parlé plus haut et qui va profiter aux entreprises !
Mais alors en contrepartie, n'est-il pas temps de faire le ménage dans les aides publiques accordées à ces mêmes entreprises ? Ne faudrait-il pas enfin faire la clarté sur ces aides, qu'un rapport de la Cour des Comptes avait chiffrées il y a quelques années à près de 4% du PIB soit environ 60 milliards d'euros. Pourquoi ne pas reprendre les conclusions d'un rapport du Conseil d'Orientation pour l'Emploi (COE) publié en 2006 ? Ne faudrait-il pas évaluer le dispositif et ne maintenir que les aides qui ont fait la preuve de leur efficacité ? Ne faudrait-il pas évaluer au préalable la mise en oeuvre de toute mesure ; conditionner les nouveaux allégements à une obligation de négociation salariale et de remboursement des aides en cas de délocalisation ? Voilà de bonnes propositions que l'UNSA voudrait voir mises en oeuvre.
Autre sujet de préoccupations : le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale.
Que constate-t-on ?
Déremboursement de médicaments, augmentation du forfait hospitalier journalier, fiscalisation des indemnités des accidents du travail, que j'ai déjà évoqués.
Drôle de façon de partager le fardeau en chargeant toujours les mêmes ! Cette politique, nous l'avons toujours dénoncée. L'UNSA a demandé que le forfait journalier hospitalier soit au moins plafonné mensuellement pour garantir l'accès aux soins des plus démunis.
De même, nous demandons au gouvernement de prendre enfin des mesures pour mettre fin aux dépassements d'honoraires. Pourquoi avoir cédé aux lobbys médicaux et refusé de traiter la question d'une meilleure répartition des médecins et de tous les acteurs libéraux de la santé sur l'ensemble du territoire ? Pour l'UNSA, faire confiance à la bonne volonté du corps médical dans ce domaine, c'est faire preuve soit d'une trop grande naïveté, soit d'une trop grande complaisance. Les deux attitudes sont coupables.
Soyons sérieux. Il faut que l'Etat penne ses responsabilités et que la Sécurité Sociale ne conventionne plus les médecins qui iront s'installer dans des zones déjà surdotées. Nous sommes conscients qu'il faut, sur ce sujet aussi, organiser le maximum de convergences pour accentuer la pression.
C'est pourquoi l'UNSA organisera, la semaine prochaine, le 2 décembre, avec les 5 autres organisations syndicales interprofessionnelles et la Mutualité, un grand débat sur le droit à la santé qui devra examiner à la fois les problèmes de financement, de régulation, ainsi que d'accès aux soins et à la prévention.
Concernant les retraites, et comme nous l'avions pressenti, rien n'est réglé.
D'ici 2013, la seule CNAV enregistrera un déficit cumulé de 60 milliards d'euros ! Les régimes complémentaires, Arrco et Agirc, annoncent un retour des déficits de long terme : déjà 5 milliards d'euros pour les seules années 2009 et 2010. Face à cette situation, le gouvernement a programmé, pour le deuxième semestre 2010, un nouveau rendez-vous sur les retraites. Il a déjà ouvert quelques pistes.
La première consiste à basculer, d'un système par années de cotisation à un système par points, le calcul de la retraite de base. Cette proposition préserverait le principe de la retraite par répartition auquel nous sommes viscéralement attachés car il préserve les solidarités entre actifs et retraités, jeunes et vieux. Mais il nous faudra examiner de près cette proposition dont les conséquences dépassent le simple changement de mode de calcul. Autre sujet de discussion, l'alignement complet du système de retraites de la fonction publique sur celui du secteur privé qui provoquerait une baisse des pensions de près de 10%.
Pour nous, il est exclu d'accepter cette régression car nous estimons que le taux de remplacement de 75% accordé aux fonctionnaires n'a rien de scandaleux.
La solution, ce n'est pas de baisser ce taux de remplacement, c'est de tirer vers le haut le taux de remplacement des salariés du privé. Quoi qu'il en soit, ces deux sujets exigent des études approfondies qui ne peuvent aboutir en quelques semaines. La question de l'âge de départ en retraite sera également sur la table après les déclarations, cet été, du Président de la République. Reporter l'âge de la retraite, c'est contraindre celles et ceux qui ont commencé à travailler très tôt à travailler encore plus. Dans les circonstances actuelles, c'est aussi programmer une nouvelle diminution des pensions, du fait de l'écart entre l'âge de fin d'activité et l'âge de la retraite.
C'est pourquoi l'UNSA demande, en préalable, que soient réglés les problèmes de l'emploi des seniors et la question de la pénibilité que le Medef ne cesse de repousser.
Nous demandons enfin que l'aspect des recettes soit également mis en débat, notamment concernant l'assiette des cotisations et la CSG.
Je propose au Congrès, une fois que nous aurons pris connaissance du rapport du Conseil d'Orientation des Retraites (COR), que nous organisions au printemps 2010 une grande réflexion collective sur les retraites avec l'appui des meilleurs experts pour y voir clair sur les évolutions à venir.
Qu'en est-il de la situation des retraités aujourd'hui ?
L'érosion du pouvoir d'achat des 13 millions de retraité(e)s est une réalité. La fin de l'indexation des pensions sur les salaires des actifs, depuis 1993 pour les salarié(e)s du privé, et depuis 2003 pour les fonctionnaires, ainsi que les nouveaux modes de calcul des pensions, suite aux réformes Balladur et Fillon, ont entraîné un recul du pouvoir d'achat des retraité(e)s. Récemment encore, le report de la revalorisation au 1er avril 2009, au lieu du 1er janvier a fait perdre aux retraité(e)s trois mois de revalorisation. Face à cette situation, l'UNSA a soutenu l'action de l'UNSA Retraités qui, avec les autres organisations syndicales de retraités a organisé les mobilisations du 6 mars et du 19 octobre. Nous continuerons dans cette voie et je vous demande, partout ou vous le pourrez dans les régions et les départements de renforcer l'UNSA Retraités, qui s'affirme de jour en jour.
Je voudrais évoquer maintenant devant vous toute une série de sujets qui concernent le syndicalisme et la place que l'UNSA doit occuper dans le paysage syndical qui se dessine sous nos yeux.
Un préalable tout d'abord : nous sommes toutes et tous convaincus que, dans une vraie démocratie, la démocratie politique et la démocratie sociale ne s'opposent pas mais qu'elles se complètent. Or il ne peut pas y avoir de démocratie sociale vivante sans syndicats forts et puissants. Quand on observe l'évolution générale de notre société et en faisant preuve d'un peu de lucidité, on voit bien que cet avenir est loin d'être assuré, et que beaucoup d'incertitudes pèsent sur la place que le syndicalisme va occuper demain dans notre pays.
Mais avant de traiter des évolutions du syndicalisme, posons une question que les salarié(e)s se posent aussi.
Pendant cette crise avons-nous correctement assumé nos responsabilités syndicales ? Pour ma part, je pense que oui.
Nous avons correctement assumé nos responsabilités en nous faisant l'écho, par nos actions et nos mobilisations, celle du 29 janvier, celle du 19 mars, des difficultés rencontrées par toute une partie des salarié(e)s et au-delà par toute une partie de nos concitoyens qui nous ont fait et nous font encore confiance, comme le prouvent toutes les études d'opinion. Alors, avons-nous bien fait durant cette première année de crise ce que nous avions à faire ? Avons-nous fait correctement notre travail de syndicalistes au quotidien ? La réponse est toujours oui.
Dans les entreprises d'abord, en dénonçant tous ces patrons qui voient dans la crise un effet d'aubaine et qui en ont profité pour licencier et réduire la masse salariale, alors que leur santé financière ne l'exigeait pas. En nous opposant à ces plans sociaux sans justification nous avons permis, dans bien des cas, d'éviter nombre de licenciements. Et puis il y a toutes les entreprises, qui devant la chute vertigineuse de leurs carnets de commande, ont été obligées de licencier. Dans ce cas, nous avons discuté pied à pied les plans sociaux, pour réduire les licenciements.
Ce travail ingrat mené par nos syndicats a permis de sauver des milliers d'emplois.
Au niveau national ont été construits des outils pour aider les salarié(e)s frappés par la crise à se maintenir dans l'emploi, notamment par des mesures de chômage partiel de longue durée ou par l'amélioration de la formation. La création du FISO, du fonds d'investissement social, lors du Sommet Social du 18 février 2009 est une bonne mesure que nous soutenons, même si sa mise en musique se révèle parfois compliquée. Car nous sommes convaincus que durant cette crise et pour passer ce cap extrêmement difficile, il faut à tout prix maintenir le lien entre l'entreprise et le salarié. La formation professionnelle tout au long de la vie peut jouer ici un rôle essentiel. La nouvelle loi institue un fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels qui vise à favoriser l'accès à la formation des salarié(e)s et des demandeur(euse)s d'emplois les moins qualifié(e)s. Cela est positif et nous l'avons dit. Nous regrettons par contre que cette loi ait laissé de côté l'indispensable articulation entre la formation initiale et la formation continue. Il y a là une occasion manquée d'instituer un droit à la formation différée qui aurait permis de compenser les insuffisances du parcours scolaire.
Au niveau national toujours, les allégements fiscaux destinés aux petits revenus sont de bonnes mesures, comme la prime de 200 euros pour les plus modestes.
Dans un autre domaine, l'UNSA a eu raison de soutenir très tôt la mise en oeuvre du RSA.
Tout cela est insuffisant certes, mais comme le dit la sagesse populaire, ce qui est pris n'est plus à prendre.
Il reste encore beaucoup de choses à obtenir comme une meilleure égalité hommes/femmes quand on sait que dans les entreprises de 10 salarié(e)s et plus, la rémunération des femmes était inférieure de 27% à celles des hommes en 2006. Il reste aussi à conquérir une meilleure indemnisation des chômeurs, particulièrement ceux de longue durée, de meilleures conditions de vie pour les jeunes qu'ils soient étudiants, salariés ou chômeurs.
Oui cent fois oui, les chantiers devant nous sont immenses.
Mais de grâce, quand nous obtenons des avancées, disons-le ! N'en soyons pas honteux !
Valorisons-les !
Depuis le début de cette crise, les organisations syndicales ont été en première ligne, souvent seules, et nous n'avons pas à rougir du travail que nous avons effectué et que nous continuons à accomplir. Et franchement, sur ce terrain-là, nous n'avons de leçons à recevoir de personne. Qu'un leader de parti d'extrême-gauche par exemple veuille tirer électoralement parti de certaines radicalisations qui ont lieu dans les entreprises, c'est de bonne guerre. Mais que ce leader tente de disqualifier le mouvement syndical dans son ensemble relève d'une vision datée des rapports entre syndicats et partis politiques. Autant les syndicats ne sont pas et ne doivent pas être les substituts des partis politiques, de même les partis politiques ne sont pas des syndicats par procuration. Ils n'ont aucune légitimité pour cela. Pour l'UNSA, l'autonomie, l'indépendance du syndicat par rapport aux partis politiques, est une donnée essentielle de notre syndicalisme, que, quoiqu'il arrive, nous devons maintenir. Discutons, débattons avec tous les partis politiques démocratiques mais refusons toute connivence qui deviendrait très vite instrumentalisation. Dire cela ne signifie pas que nous ayons une vision étroite et étriquée de notre rôle, bien au contraire.
Comme syndicalistes, nous ne sommes pas seulement dans les entreprises, pas seulement dans les administrations et les services publics mais aussi dans la société.
Et dans notre vision du syndicalisme, tous les sujets de sociétés nous intéressent, notamment quand ils portent sur les droits et les libertés.
Oui par exemple, nous sommes dans notre rôle de syndicalistes, quand nous appelons le 22 avril 2002 à faire battre au second tour de l'élection présidentielle un candidat porteur de racisme, de xénophobie et d'antisémitisme.
Oui, nous sommes dans notre rôle de syndicalistes quand nous rejetons la constitution de fichiers qui portent atteinte à la vie privée des personnes et aux libertés individuelles.
Et nous avons raison de rappeler à cette occasion que l'Etat doit toujours trouver un juste équilibre entre deux de ses missions essentielles : assurer la sécurité des citoyens et garantir leurs libertés
individuelles.
Oui, nous sommes toujours dans notre rôle de syndicalistes quand nous réclamons que les étrangers en situation régulière puissent voter aux élections locales.
Oui, nous sommes dans notre rôle de syndicalistes quand nous demandons que des femmes et des hommes sans papiers, mais qui travaillent dur dans ce pays et y paient leurs impôts puissent y vivre dignement avec leur famille et cela en toute légalité.
Oui, nous sommes dans notre rôle de syndicalistes quand nous nous opposons aux expulsions d'enfants et d'élèves en situation irrégulière dont le seul tort à nos yeux est d'apprendre notre langue et de l'aimer.
Vous l'avez compris, être dans la société exige que sur les sujets fondamentaux qui touchent à tout ce qui fait la dignité humaine, nous nous imposions une obligation : celle de ne pas être silencieux et de dénoncer ce qui nous apparaît comme inacceptable. Car toujours, qui ne dit mot consent. Et il y a des choses auxquelles nous ne consentirons jamais.
C'est cela aussi notre syndicalisme.
Les avancées que nous avons obtenues et dont je vous parlais à l'instant, ne sont pas tombées du ciel. Il a fallu les arracher une à une à un Président de la République plus que réticent dont la seule réponse à la crise s'appelait plan de relance et pour le reste, « circulez, y a rien à voir ». Il a fallu les arracher à un Medef, qui nous ressasse à longueur de journée qu'il faut abaisser les coûts et faire baisser les charges ; seules comptent pour lui les mesures anti-crise qui ne seraient que des mesures pro-entreprises.
C'est donc au mouvement syndical et à lui seul que revient le mérite de toute une série de progrès.
Il a fallu pour cela - fait unique dans l'histoire de nos relations sociales- que nous soyons en capacité dans le cadre du pluralisme syndical français d'élaborer une réponse globale sur le fond et unitaire dans la forme. Et cela s'incarne dans l'intersyndicale. L'unité d'action a permis les manifestations massives de janvier et de mars qui ont fait bouger le gouvernement et le patronat. C'est vrai qu'ensuite les appels à manifester furent moins suivis notamment lors de la journée du 13 juin.
Et alors ? Faut- il en conclure, comme l'ont fait certains, que l'appel à manifester ne faisant pas recette, la grève générale interprofessionnelle serait, elle, une réussite. A force de toujours vouloir surfer sur ce mythe, on tombe dans le populisme. En voulant lancer une telle grève dont on sait que les conditions de son succès ne sont pas réunies, autant vouloir menacer le pouvoir et le patronat avec un couteau sans lame.
La grève, pour quoi faire ? Voilà ce que nous demandent les salarié(e)s. Pour nous, elle reste une arme indispensable de l'action syndicale, mais plus que jamais nous devons l'utiliser à bon escient, parce qu'elle ne doit jamais être galvaudée. Bien sûr, c'est autre chose, si on veut faire de l'appel à la grève une simple posture ou plus piteusement, un prétexte à quitter une intersyndicale dans laquelle on serait rentrés à reculons. La grève alors est instrumentalisée, elle n'a plus de contenu réel. En faisant cela, on se sert des salarié(e)s plutôt que de les servir. Il est vrai que pour certains, l'unité n'est pas un combat, c'est au contraire un long et douloureux supplice.
Mais à quoi bon épiloguer là-dessus ... Revenons à l'intersyndicale.
Ce fut la plate-forme commune du 5 janvier, modifiée à plusieurs reprises et enrichie. Loin d'être un simple catalogue de bonnes intentions, cette plate-forme avait du contenu et du sens. Oui, ces textes sont toujours des compromis entre des organisations réformistes et d'autres plus protestataires. Un compromis, ce n'est jamais parfait, mais c'est toujours plus efficace que de rester chacun dans son coin. Pour l'UNSA, il est important que ce travail commun continue et nous ferons tous les efforts pour l'inscrire dans la durée. Et c'est aussi parce que nous revendiquons cette unité d'action la plus large, que nous pouvons mieux être conscients des désaccords qui subsistent entre nous.
Il est heureux que certains des vieux clivages qui ont durant des décennies structuré le syndicalisme français ne soient plus d'actualité.
Nous en avons terminé avec le Yalta syndical de l'après- guerre qui donnait lieu à des affrontements idéologiques d'une grande dureté. Au moment où nous venons de célébrer le XXème anniversaire de la chute du mur de Berlin, ce qui fut pour nous un formidable événement, aucune organisation importante ne se réclame aujourd'hui en France du syndicalisme révolutionnaire. Mais, il est vrai aussi, qu'on n'abolit pas comme cela, soixante ans d'histoire, et il reste dans le mouvement syndical des pratiques et des conceptions marquées par cette histoire.
Dans le cadre du pluralisme syndical français, il y a toujours une ligne de partage qui sépare les organisations à dominante protestataire et les organisations à dominante réformiste.
Les organisations syndicales réformistes, dont l'UNSA, ont pour objectif premier de faire avancer les dossiers et d'élaborer des compromis, soit avec le gouvernement, soit avec le patronat en n'oubliant jamais de s'appuyer sur un rapport de force. Or reconnaissons que c'est ce rapport de force que nous avons souvent du mal à construire. Nos organisations réformistes ne vivent que si elles se sentent utiles et efficaces au quotidien. C'est cela que demandent nos adhérent(e)s et les salarié(e)s que nous représentons.
Faisons le constat que, face à ce gouvernement et à ce patronat, aucune organisation seule ne peut imposer vraiment ses propositions. Tirons-en les conclusions.
Les organisations qui partagent la même philosophie réformiste, ne devraient-elles pas mieux travailler ensemble, mieux se coordonner, mieux coopérer pour aboutir à des propositions communes sur l'emploi, l'assurance-maladie, les retraites, la dépendance, la fonction publique, le développement durable ?
Le syndicalisme réformiste, s'il veut être ambitieux, doit avoir une perspective de très large rassemblement. Parce que tout se joue, à la fin dans la réalité des avancées pour les salarié(e)s. Je vous le dis, l'UNSA doit y être prête et nous devons avoir ce débat dans ce congrès.
Face à la crise que nous traversons, à l'explosion des déficits quand il s'agira pour le gouvernement de nous faire « passer à la caisse », le temps n'est-il pas venu de jeter nos rancunes à la rivière, de mettre en sourdine nos patriotismes d'appareils et de faire prévaloir les seuls intérêts qui comptent vraiment, ceux des salarié(e)s.
Et là se pose une question qu'on ne peut ignorer tant elle pèse sur ce débat : la loi du 20 août 2008 sur la représentativité syndicale vient-elle accélérer ce processus ou le compliquer ?
Difficile aujourd'hui d'avoir un avis tranché.
Devant les grands bouleversements en cours du paysage syndical à la suite de cette loi et de celle annoncée pour la fonction publique, pouvons- nous, nous l'UNSA, être un des acteurs positifs de ces changements ? Quels choix devons-nous faire pour défendre le mieux possible les salarié(e)s et pas seulement les organisations syndicales et leurs appareils ?
L'UNSA peut-elle continuer à être un élément de rassemblement d'un pôle réformiste comme nos textes fondateurs nous y invitent ?
Mais pour que notre voix porte au-delà de cette salle, pour compter dans ce paysage mouvant qu'est devenu le syndicalisme français, nous devons être forts, toujours plus forts. Voilà pourquoi la résolution générale de ce congrès est centrée autour de notre développement, ce qui ne signifie pas que nous nous désintéressions des questions revendicatives, bien au contraire et cette intervention le prouve.
Pour nous, les mandats du congrès de Nantes sur les droits sociaux fondamentaux sont toujours d'actualité.
Sur la question du développement, je veux simplement vous dire que nous progressons quasiment partout. Lors de élections prud'homales, lors des élections professionnelles et cela dans quasiment tous les secteurs.
Bien sûr, certaines élections sont ont un plus grand retentissement que d'autres ; je pense notamment à celles de la SNCF qui ont été fortement médiatisées. Et je salue par la même occasion nos camarades de l'UNSA-Cheminots pour leur brillante deuxième place.
Mais prenons garde, de la même façon qu'ont disparu à la SNCF certaines confédérations dites représentatives, nous disparaîtrons aussi de certains secteurs où nous sommes représentatifs aujourd'hui si nous nous endormons sur nos lauriers et si nous ne méritons plus la confiance des salarié(e)s par notre travail.
Cette progression de l'UNSA, cette affirmation de notre organisation n'est pas incompatible, dans notre esprit, bien au contraire, avec la volonté de coopération intersyndicale qui nous anime. Tout simplement parce que c'est comme cela que nous sommes faits ; c'est comme cela que nous nous sommes construits en 1993, du rassemblement de cinq organisations.
Notre ADN syndical nous pousse aux rassemblements, aux coopérations.
Le repli identitaire et frileux n'est pas dans notre nature. Je dirais même que tout repli identitaire nous est étranger et en contradiction avec les valeurs et les pratiques que nous défendons.
Tout le monde ici connaît nos positions sur la loi de 2008. Nous avons fait entendre, haut et fort, nos désaccords et nos réticences. Mais sur un point essentiel, cette loi va dans le sens que nous avons souhaité : faire de l'élection le coeur de la légitimité syndicale. Passer d'une légitimité octroyée, par un arrêté, celui de 1966, à une légitimité démocratiquement vérifiée est une avancée considérable. Cette loi nous permet aussi de rentrer dans des entreprises qui jusqu'à présent, nous étaient interdites. Et cela reconnaissons-le, ce n'est pas rien. De toute façon, la loi est votée ; elle s'applique et il n'est plus temps de pleurer sur le lait versé.
Ce qui nous importe désormais, ce sont ses conséquences sur le paysage syndical et surtout cette question : cette loi va-t-elle renforcer le syndicalisme ou l'affaiblir ?
Les salarié(e)s vont-ils avoir à leur disposition demain des outils syndicaux plus forts et plus efficaces à leur service ? Ce dont nous sommes persuadés c'est que nous devons retrouver une légitimité de terrain plus forte. C'est dans ce cadre que nous nous posons la question de notre devenir. Etre ou ne pas être après 2013 ?
A la différence des organisations syndicales représentatives inscrites à l'ancien arrêté de 1966, cette question n'a pas surgi pour nous avec la loi de 2008, nous nous la posons depuis ...1993. Certains découvrent seulement aujourd'hui, avec effroi qu'ils sont mortels. Bienvenue au club mes camarades ! Nous, nous vivons avec cette idée depuis notre naissance. Quant à ceux qui évoquent aujourd'hui le risque que la loi de 2008 fait courir au pluralisme syndical, pourquoi s'indigner seulement maintenant ? Leur indignation serait plus crédible s'il l'avait manifesté quand l'arrêté de 1966 était toujours en vigueur et quand les militants de l'UNSA étaient victimes de leur acharnement à nous poursuivre devant les tribunaux. En fait, si le devenir de l'UNSA nous intéresse et nous importe, c'est en relation directe étroite avec le devenir du syndicalisme dans notre pays.
Car au-delà de savoir qui sera représentatif en 2013 ou 2014, la vraie question est : représentatif mais pour quoi faire ?
Etre une organisation syndicale de témoignage ne nous intéresse pas. Nous voulons compter avoir une influence réelle, faire aboutir ce en quoi nous croyons. C'est la raison pour laquelle nous avons été les premiers à essayer de faire bouger les lignes en ébauchant un rapprochement avec la CFE-CGC, qui d'ailleurs, d'après ce que je peux voir ici ou là, a donné des idées à d'autres. Cette tentative de rapprochement a provoqué en notre sein des débats animés et même des oppositions tranchées. Certains nous ont accusés d'avoir bouclé ce rapprochement avant d'en avoir débattu dans nos instances. D'autres nous ont accusés de brader l'UNSA, nous qui la portons à bout de bras depuis 1993. Mais dans une organisation comme la nôtre où nous tirons notre force de la liberté des débats, tous les arguments peuvent s'exprimer, même quand ils paraissent injustes, et il faut les entendre. Reste que je ne regrette rien, que nous ne regrettons rien. Car ces débats se sont déroulés dans nos instances dans le respect scrupuleux de nos statuts.
Mais je vous demande de réfléchir. Nous glosons à longueur de journée sur la faiblesse de notre syndicalisme et ses divisions qui en seraient la première des causes et il faudrait s'interdire de gommer ses divisions quand l'occasion se présente ? Tout cela n'est pas conséquent. Tout cela n'est pas cohérent. Il ne faut pas se tromper ; l'échec - pour l'instant - de cette démarche ne signe pas l'échec de toute tentative de rassemblement d'un pôle réformiste.
Et puisque l'occasion m'en est donnée, je voudrais à nouveau saluer le courage de Bernard Van Craeynest dans sa volonté de faire évoluer son organisation.
Et j'espère, mon cher Bernard, en t'adressant ce compliment, ne pas trop te compromettre, aux yeux de ceux qui chez toi rêvent d'une CGC exclusivement catégorielle, défendant uniquement l'encadrement, comme ceux qui rêvaient hier encore d'une UNSA exclusivement composée de fonctionnaires.
Ne soyons pas dupes ; derrière ce débat sur la défense du catégoriel ou des corporatismes divers et variés, il y a des bureaucraties qui se sentent menacées, qui veulent conserver leurs avantages et leurs rentes et qui se protègent. Il y a des conservateurs et des archaïques incapables de penser le syndicalisme dans la société de demain.
Cela nous conduit aussi à nous interroger sur les valeurs que notre syndicalisme doit porter.
Nous sommes au clair sur les nôtres. La solidarité interprofessionnelle d'abord qui unit salarié(e)s du privé et salarié(e)s du public et qui doit trouver un compromis harmonieux entre la défense du métier et la prise en compte de l'intérêt général.
La laïcité ensuite qui est un élément déterminant de notre identité syndicale. En vous parlant de laïcité aujourd'hui, je ne cherche pas à agiter une vieille lune. Au-delà des approches philosophiques et spirituelles diverses de nos membres, la laïcité est une valeur qui fonde notre République. C'est la laïcité qui permet notre liberté de conscience, c'est elle qui autorise que s'expriment dans la plus grande harmonie les croyances et les opinions. En ce sens, elle refuse toute exclusion, tout rejet. Chaque culture, chaque croyance qui respecte les règles de la République doit avoir sa place dans notre pays. En vous parlant de laïcité, je vous parle aussi des salarié(e)s que vous côtoyez au quotidien ; je vous parle de la société dans laquelle vous vivez ; je vous parle de notre société contemporaine faite de brassages et de mixités.
Bref, je vous parle de la modernité de ce début de XXIème siècle, où la mondialisation accélère et accélèrera comme jamais, l'émergence de populations aux apports multiples et croisés ; je vous parle aussi de femmes et d'hommes qui dans de nombreux pays souffrent de la confusion qui existe entre le religieux et le politique. Le « vivre ensemble » nouveau qu'il faut consolider ne peut procéder d'un renvoi de chacune et chacun à ses origines et à ses cultures, mais il ne peut davantage passer par leur négation. Faire en sorte que l'universel face bon ménage avec le particulier, là réside la modernité de la laïcité offrant ce cadre positif où l'on allie diversité et communauté citoyenne. C'est donc tout simplement de cette nouvelle société démocratique moderne à consolider dont je vous parle en évoquant la laïcité, cette démocratie à laquelle nous sommes tant attachés parce qu'elle conditionne notre pleine existence d'organisation syndicale. Alors, au moment où certains se lancent dans des débats fumeux et dangereux sur notre identité nationale, comprenez que ce rappel vaut avertissement.
Autre valeur qui est pour nous un marqueur identitaire : la lutte contre les discriminations.
J'ai donné il y a quelques instants des exemples de nos engagements contre toutes les doctrines qui prônent l'exclusion, les discriminations sous toutes ses formes, le racisme et l'antisémitisme.
Et parmi les discriminations il y en a une - non pas qu'elle soit plus insupportable qu'une autre, il n'y a pas de hiérarchie à faire dans les discriminations - c'est celle qui concerne les personnes en situation de handicap, qui nous touche particulièrement et mobilise nombre de nos militantes et de militants. Ici même à Pau hier soir, un grand débat sur ce sujet a réuni plusieurs centaines de militantes et de militants que je voudrais encore une fois remercier pour leur engagement.
En conclusion de cette intervention qui ouvre notre Vème congrès, je voudrais exprimer un souhait, et je suis sûr que vous le partagez ; c'est de faire en sorte que ce congrès soit utile. Que ce cinquième congrès de l'UNSA soit utile aux salarié(e)s, utile au syndicalisme, utile à l'idée que nous nous faisons de la démocratie sociale et de la démocratie tout court.
Nous n'avons plus de temps à perdre et la crise que nous traversons nous presse d'agir, de prendre nos responsabilités. Nous le savons toutes et tous ; cette crise sera longue ; elle sera dure et va provoquer des déchirures profondes dans notre tissu social et accentuer encore les inégalités et les injustices sociales.
Dans notre rôle de syndicalistes, nous devons y faire face et relever ensemble les défis qui sont devant nous avec clairvoyance, courage et audace.
La parole désormais vous appartient !
Source http://www.unsa.org, le 26 novembre 2009