Interview de M. Eric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à France Info le 8 janvier 2010, sur le débat sur l'identité nationale, l'immigration, le sentiment patriotique et les valeurs républicaines.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- Alors comme ça, vous n'allez pas dans le Nord, vous n'allez pas à Liévin ; il y avait un débat prévu avec Marine Le Pen ?
 
Non, ce n'est pas exactement ça. J'avais accepté le principe de l'invitation du préfet du Pas-de-Calais pour un débat sur l'identité nationale, où il devait y avoir D. Percheron et un certain nombre d'autres élus ou intellectuels. Et Marine Le Pen avait fait savoir - c'était bien son droit, elle est députée européenne du secteur - qu'elle s'y rendrait. Et puis, mercredi, le président de la République présente ses voeux aux parlementaires en présence du Gouvernement. J'ai donc décidé de rester à l'Elysée puisque...
 
Vous ne fuyez pas le débat avec Marine Le Pen ?
 
Mais puisque Marine Le Pen tient tant à débattre avec moi, qu'elle sache que j'ai accepté, elle le sait d'ailleurs, le principe que m'a proposé A. Chabot, de France 2, puisque je serai sur "A vous de juger" jeudi prochain. J'ai accepté de débattre successivement avec V. Peillon puis avec Marine Le Pen. Donc, vous voyez, il n'y a pas de problème particulier.
 
Ce n'est pas tout à fait pareil devant des caméras et dans une salle peut-être ?
 
Ca se voit moins devant des caméras, vous avez raison.
 
Non, mais c'est différent, la parole n'est peut-être pas la même ?
 
Je ne suis pas connu pour fuir le débat, avec qui que ce soit, où que ce soit. Je vais partout, partout où il est possible de dialoguer correctement, je ne fais pas une fixation sur Marine Le Pen. Ce n'est pas elle qui m'intéresse le plus dans ce débat, mais si elle tient à débattre avec moi, je débattrai avec elle.
 
Alors, puisqu'on parle du FN, l'identité nationale c'était quand même le grand thème de prédilection, je ne vous apprends rien, de J.-M. Le Pen. Il compte bien visiblement là-dessus...
 
Historiquement, c'est d'abord le thème de prédilection de tous les grands républicains, de gauche, puis de droite. C'est par une espèce d'ironie de l'histoire malencontreuse que vous pouvez faire ce lien entre identité nationale et FN. C'est justement ce que je veux essayer de casser, dans un petit livre que je viens de publier, "Pour la nation". J'explique justement que la nation me paraît être le lieu toujours d'exercice de la solidarité qu'en France nous appelons, vous le savez, "la solidarité nationale".
 
J'entends bien. Malgré tout, il compte visiblement là-dessus pour se remettre en selle et remettre en selle son parti aux élections régionales. Est-ce que justement vous n'avez pas l'impression de lui donner un petit coup de pouce en parlant d'identité nationale en ce moment ?
 
C'est curieux comme tous ceux qui prétendent vouloir lutter contre le FN - je ne dis pas que c'est votre cas, ça ne vous concerne pas directement en tant que journaliste - ne passent leur temps à parler du FN. Ce qui m'intéresse, c'est la France ; ce qui m'intéresse, c'est ce que ressentent les Français. Et lorsque je regarde ce qu'a fait TNS-Sofres, l'étude des 26.000 premières contributions du site "debatidentitenationale.fr", auquel je renvoie vos auditeurs, les choses sont claires : les Français ne sont pas polarisés sur les questions d'immigration. Ils disent leur attachement à un certain nombre de valeurs républicaines : le respect, le contrat, le respect mutuel ; ils disent, sur le sujet qu'on était en train d'aborder, qu'ils veulent rester une terre d'accueil, qu'ils sont prêts à accueillir, mais que ceux qui viennent sur notre sol doivent accepter aussi nos règles, nos coutumes, etc. Ils sont profondément républicains, attachés à leur art de vivre, attachés à la langue, attachés à la culture, à un certain nombre de valeurs fondamentales. C'est un débat pour rassembler.
 
J'entends bien vos arguments. Il se trouve que J.-M. Le Pen il y a deux jours a dit : "Je prends position, et je demande justement, à l'occasion sur l'identité nationale, un référendum sur l'immigration" !
 
Si vous voulez bien, je ne suis pas là pour venir commenter toutes les déclarations de J.-M. Le Pen et de sa fille ! Je suis là pour vous dire la politique que je mène, qui est celle du Gouvernement. C'est un débat pour unir, c'est un débat pour rassembler, je ne suis pas dans la revue de presse du FN.
 
Je peux vous poser la question et vous avez le droit de ne pas y répondre. L'immigration justement, on va en parler, puisque ça fait aussi partie des thèmes qui sont abordés quand on parle d'identité nationale, c'est un des mots cités dans les débats, je pense que vous n'allez pas me contredire, même si ça n'est pas forcément le premier. Le Monde visiblement a fait une contre-enquête, il n'est pas complètement d'accord avec vous sur les chiffres. Vous parlez quand même, je vous ai réécouté à plusieurs reprises ce matin, dans vos différentes interventions, d'islam laïcisé.
 
Oui, un islam français, un islam de France, un islam respectueux des valeurs de la république. Vous avez des personnes qui pensent que l'islam n'est pas compatible avec les règles de la République. Moi, je pense l'inverse, et je constate que dans tous les sondages européens, les musulmans de France sont ceux qui se disent les plus attachés aux institutions de leur pays, aux valeurs de leur pays. Et dans les valeurs de la République française, vous le savez, la laïcité est une valeur exigeante. Et les musulmans de France sont attachés à la laïcité, ça me rend optimiste sur notre capacité à favoriser l'émergence, le développement d'un islam de France, et donc à lutter contre un certain nombre de tentations qui peuvent être individualistes - rien à voir avec ceux dont nous parlons - et par ailleurs communautaristes.
 
La religion n'est donc pas un problème au sein de l'identité nationale ?
 
Je ne le crois pas, à condition que, un, la France respecte ses valeurs, la laïcité, et deux, que celles et ceux qui nous rejoignent sur le sol français ou qui accèdent à la nationalité française, acceptent eux aussi de respecter nos règles, nos coutumes, nos traditions.
 
Parmi les idées que vous avez envisagées, justement, en recueillant tout ce qui remonte des différents débats, d'Internet, mais aussi des réunions publiques qui se sont tenues et qui continuent de se tenir, il y a cette idée sur la Marseillaise. On est pourtant censés quand même tous la connaître.
 
Franchement, ce n'est pas la plus importante, il y a des choses que j'essaie de plaider, qui me paraissent plus importantes...
 
Comme le serment d'allégeance, par exemple ?
 
Le serment ce n'est pas une idée qui vient de moi mais qui vient effectivement des débats et du site, qui est intéressante, qui est au fond empruntée aux Américains, aux Canadiens, etc., et qui consiste à dire...
 
C'est exacerber le sentiment patriotique ?
 
Non, c'est... enfin, d'abord exacerber le sentiment patriotique ça ne serait pas un défaut en soi, si vous dites bien "patriotisme" et pas "nationalisme". Mais ça veut dire quoi ? Que les jeunes qui accèdent à la majorité pourraient prêter serment à la République, comme les étrangers qui accèdent à la nationalité française, ça se fait dans d'autres pays. Je ne dis pas d'ailleurs que ce sera une des mesures retenues. Mais quand je propose par exemple "un parrainage républicain", c'est-à-dire que des Français et des Françaises, sur une base volontaire et bénévole, accueillent les étrangers qui arrivent sur notre sol, ça me paraît de nature à faciliter l'intégration. Lorsque je propose, par exemple que, j'allais dire, "une initiation à la citoyenneté", des cours de civisme pour les adultes comme pour les enfants, ça me paraît des mesures plus importantes. Maintenant, je ne veux pas esquiver. Oui, il est important que les enfants connaissent la Marseillaise, et notamment comprennent le...
 
Mais c'est prévu depuis très longtemps dans les programmes de l'Education nationale...
 
C'est prévu, ça se fait, ça se fait probablement insuffisamment. Pourquoi c'est important ? D'abord, parce que c'est notre hymne national, et puis parce que la Marseillaise comporte des paroles qui, en 2010, pourraient être jugées controversées ou discutables : "Qu'un sang impur abreuve nos sillons", c'est un chant de liberté contre ceux qui voulaient abattre la Révolution française. En 2010, "qu'un sang impur abreuve nos sillons" ça peut être mal interprété. D'où l'importance d'expliquer aux enfants, mais aussi aux adultes dans quel contexte est née la Marseillaise et ce qu'elle représentait comme valeurs.
 
Dites-moi, E. Besson, pourquoi ne pas avoir justement fait porter dès le départ, quand on a ouvert ce débat sur l'identité nationale, le débat sur les valeurs républicaines, plutôt que de l'axer vers la religion, vers l'intégration... ?
 
Jamais, jamais !
 
C'est en tout cas de cela dont on a parlé !
 
Quand je dis quelque chose, il y a des commentaires ou il y a carrément des mensonges, du type de ceux de M. Aubry, qui dit justement ce que vous venez de dire : ça a été conçu pour stigmatiser l'étranger, le musulman, le Français d'origine étrangère. Où, quand, comment, quels sont les discours ? Ecoutez ce qu'a dit le président de la République, pas simplement hier...
 
Oui, hier soir.
 
...mais dans le Vercors ; F. Fillon, le 4 décembre, devant l'Institut Montaigne ; moi-même depuis deux mois et demi ; c'est un débat conçu pour unir, pour rassembler.
 
Débat de civilisation.
 
Oui, oui, c'est un débat de civilisation. Quelle est la question qui a été posée : "Pour vous, qu'est-ce qu'être Français ?", "quelles sont les valeurs fondamentales ?" Et c'est ce que je vous disais tout à l'heure. Je prends un seul exemple : la grande leçon du site, c'est que des Français sont farouchement attachés à la langue française, pas simplement en instrument de communication comme nous le faisons actuellement, mais comme façon de penser, comme façon de structurer. Et que les étrangers, notamment les francophones, sont au moins aussi attachés que nous à la langue française.
 
Autre débat venu se greffer justement à celui sur l'identité nationale, celui sur la burqa. J.-F. Copé a choisi de présenter quand même son projet de loi, il évoque la possibilité d'une sanction sous forme d'une amende, 750 euros. C'est une proposition qui vous semble bonne ?
 
Je ne sais pas, il y a une discussion actuellement à l'intérieur du groupe majoritaire à l'Assemblée....
 
Vous êtes favorable à cette loi ?
 
Moi, je suis favorable à l'interdiction de la burqa, il me semble...
 
Et à la loi ?
 
Je suis en train d'y venir, il me semble que ça doit toucher, y compris l'espace public. Donc ça veut dire que je me rallie plutôt à l'idée d'une résolution parlementaire qui pourrait, qui pourrait, être complétée à terme par la loi et par des règlements. Mais puisqu'il y a une discussion en cours entre le Gouvernement et le Parlement, pas la peine que je crée des interférences.
  Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 8 janvier 2010