Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'Union pour la Méditerrannée, le conflit israélo-palestinien, la situation au Yemen et sur la question du nucléaire iranien, Le caire le 6 janvier 2010.

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Circonstance : Déplacement en Egypte, point de presse conjoint avec M. Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe, au Caire le 6 janvier 2010

Texte intégral

Je tiens à remercier le Secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa qui est une haute personnalité et un bon ami. Comme Amr Moussa vient de vous le dire, nous avons parlé des questions régionales et en particulier du Yémen, de l'Iran et des nouveaux développements dans le Processus de paix au Proche-Orient, s'il en y a. Nous espérons que c'est le cas car depuis des années maintenant, nous partagerons nos efforts et nos espoirs et d'une certaine façon, nous ne constatons pas d'amélioration et les mêmes souffrent toujours. Bien entendu nous répondrons à vos questions sur les sujets régionaux comme la situation en Somalie, au Yémen, en Iran et en Irak.
Je suis venu hier au Caire pour rencontrer mes amis les ministres des Affaires étrangères égyptien, jordanien, tunisien et espagnol. Ce dernier, mon bon ami Miguel Angel Moratinos représente le pays qui assure la présidence de l'Union européenne. Nous avons parlé de l'Union pour la Méditerranée. Je pense que cette rencontre a été très importante et que grâce à elle, nous parviendrons sans doute le 12 janvier prochain à désigner une secrétaire général à l'Union pour la Méditerranée. Je voulais vous en faire part car c'était là un des objectifs de ma présence au Caire. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Q - En quoi la participation israélienne à l'UPM peut contribuer au Processus de paix ? Y a-t-il eu des difficultés concernant la désignation du secrétaire général et la coopération entre le ministre israélien et les ministres arabes des Affaires étrangères ?
R - Oui, et après ? Ce n'est pas facile. L'Union pour la Méditerranée regroupe et donne la même place à des pays de taille modeste, des grands pays, des pays arabes, européens, du Sud, du Nord et c'est un défi. Ne pensez-vous pas que l'on puisse tous se mettre d'accord d'un claquement de doigt. Alors, il reste des difficultés. Mais ce sont des questions politiques. Au niveau des experts et des représentants auprès de l'Union européenne, nous faisons avancer les choses même s'il reste des difficultés au niveau ministériel, entre certains ministres. Nous les surmonterons pas à pas. Comme nous en convenions hier, c'est ainsi que l'on parvient à un compromis.
Q - Vous êtes vous mis d'accord sur un candidat ?
R - Oui, je viens de vous le dire, il n'y a qu'un candidat mais le Secrétaire général de l'UPM n'est pas encore désigné. Nous y parviendrons sans doute le 12 janvier prochain à Bruxelles.
Q - Au sujet du Yémen, la situation est grave aujourd'hui. Les Européens et les Américains ont parlé d'Al Qaïda dans la péninsule arabique. Quels sont vos plans concernant les nouveaux développements là-bas ?
R - Je me suis rendu au Yémen et le Secrétaire général de la Ligue arabe également. Je connais ce pays et son président depuis longtemps. Bien sûr il y a des problèmes de sécurité, des confrontations entre communautés et des influences extérieures, c'est une situation très sensible. On doit agir par la prévention. Est-ce aujourd'hui possible ? Je ne le sais pas mais je l'espère. Le problème principal au Yémen est la pauvreté. Nous devons développer des projets avec les Yéménites. Je ne peux pas encore vous répondre plus précisément car cela sera à l'ordre du jour de la Conférence de Londres. Mais la France et l'Union européenne conduisent déjà des projets d'aide au développement et d'assistance technique.
Q - La réconciliation entre le gouvernement yéménite et les groupes séparatistes comme les Houtistes fera-t-elle partie de votre stratégie ?
R - J'insiste sur la prévention. Cela ne dépend pas que de nous les Européens ou de nos amis de la Ligue arabe. Pourquoi pas, bien sûr ?
Q - Quel est le devenir de la proposition franco-égyptienne de tenir un sommet pour la paix au Proche-Orient ? Cette proposition contredit-elle le plan de paix du président Obama ?
R - Non, il n'y a là absolument aucune contraction. Nous sommes très proches du président Obama. Nous ne faisons pas qu'échanger, nous agissons. La proposition française est une étape pour relancer le Processus de paix. Nous avons besoin d'un contenu. Cette rencontre doit être utile. Il ne s'agit pas d'une simple invitation à Paris. Ce n'est pas aisé. Nous sommes en accord avec les Américains de même qu'avec les Russes qui ont proposé une rencontre à Moscou. Nous sommes très proches également du président Medvedev et nous travaillons dans le même sens. Mais pour l'heure, les conditions ne sont pas encore réunies. Nous voulons encourager, appuyer et contribuer à la relance du Processus de paix. C'est l'esprit de la proposition française et nous la maintenons.
Q - Monsieur le Ministre, la France a une place à part dans le monde arabe. Malgré cela et en dépit de la nouvelle approche du président Obama, l'Occident continue toujours, et d'une façon flagrante, à adopter une politique de deux poids deux mesures. En témoignent, les 200 têtes nucléaires dont dispose Israël, l'occupation israélienne des territoires arabes qui persiste, les deux guerres qu'Israël a menées pendant les deux dernières années et les violations israéliennes du droit international. Cette attitude nourrit un sentiment d'amertume auprès des populations arabes et ouvre la voie au terrorisme. La France est le pays de l'égalité et de la justice. Quand pourrons-nous avoir une position juste de la part de l'Occident ?
R - Nous attendons et nous travaillons à la paix, à la paix au Moyen-Orient avec l'établissement d'un Etat palestinien. La position de la France est très claire, aussi bien sur la question des colonisations, que le statut de Jérusalem. Il est évident que nous avons besoin d'un Etat palestinien viable, démocratique et indépendant. Nous sommes pressés, nous faisons face à d'importants risques dans cette région, plus encore qu'auparavant. Commençons par le commencement en diminuant les tensions, ce qui permettra certainement d'établir un Etat palestinien.
Q - Monsieur Kouchner, la naissance de l'Union pour la Méditerranée a été accompagnée par une grande campagne menée par la France en faveur de ce projet. Mais il y a des doutes arabes quant à l'utilité de cette Union. Les obstacles entravant la libre circulation ou l'émigration du Sud vers le Nord persistent. La France se montre hostile au voile qui est un symbole de l'islam. Le voile constitue-t-il un danger pour la France et la civilisation occidentale ?
R - C'est la raison pour laquelle il faut travailler ensemble, pour développer les échanges entre les peuples, les communautés, les travailleurs, pour encourager le développement mais aussi pour vivre différemment nos relations entre le Nord et le Sud des rives de la Méditerranée, notre héritage culturel commun, mais aussi nos différences entre pays riches et pays en développement. C'est la raison pour laquelle c'était et cela continue d'être une grande idée, mais nous avons besoin d'une entente politique. Quand bien même, nous développons des projets dans le domaine de l'énergie (notamment solaire), de l'économie (banque) qui fonctionnent très bien, nous ne sommes pas toujours en parfait accord pour des raisons politiques.
Q - Dans le contexte actuel à Gaza, pensez-vous que l'Egypte a le droit de prendre les mesures qu'elle est en train d'appliquer concernant l'accès des convois humanitaires à Gaza ? Quel est votre commentaire sur la polémique en cours entre les autorités égyptiennes et les ONG internationales à ce sujet ?
R - Comme je vous l'ai dit, je soutiens cette déclaration mais cela n'est pas suffisant. Il y a des problèmes concernant l'accès humanitaire, le soutien et la solidarité à l'égard de ces populations. Vous savez, j'ai été médecin à Gaza où j'ai passé beaucoup de temps, je connais la région et nous agissions nous, les Français, mais aussi les Européens. Il y a trois semaines, nous avons signé un document qui prévoit la reconstruction de l'hôpital Al Quds, c'est un exemple parmi d'autres. Par ailleurs, nous avons envoyé des hôpitaux de campagne, des produits de première nécessité. C'est un devoir de solidarité Nous avons condamné l'usage disproportionné de la force par l'armée israélienne. Nous avons été fermes et nous le demeurons, nous ne sommes pas prêts à recevoir de leçons. Ce qui demeure inchangé est notre solidarité envers le peuple palestinien !
Q - Je voudrais seulement vous poser une question concernant l'Iran. Comment allez-vous négocier prochainement avec ce pays, en particulier dans le contexte régional qui n'a pas besoin de guerres, de confrontations ou de conflits. Merci.
R - Vous avez tout à fait raison. Je voudrais seulement dire quelques mots à ce sujet. Nous, les Français et les autres membres du groupe 5+1, ne cessons de parler, d'écouter le peuple et le gouvernement iraniens. Nous avons eu l'occasion de les recevoir, de leur parler mais hélas sans succès parce qu'ils ne veulent pas accepter de parler du coeur du problème, à savoir la question du nucléaire militaire. Sur les autres thèmes, nous parlons et nous les rencontrerons certainement à Davos.
Actuellement, il y a d'importantes manifestations, de courageuses manifestations de milliers de personnes qui n'acceptent pas les résultats des dernières élections. Je ne suis pas iranien, seulement témoin, nous sommes tous témoins de ce gigantesque mouvement contre le gouvernement. Il s'agit d'une question interne au pays, nous demeurons dans une position neutre en continuant à leur parler. Ils n'ont pas accepté de la part de la communauté internationale que soit enrichi leur uranium hors du pays. Nous avons négocié des mois, nous avons proposé d'organiser une conférence avant le 31 décembre pour discuter de la proposition russe et française. Nous étions sérieux, or eux, en échange nous ont fixé un ultimatum ! Nous leur proposions pour un usage médical et des raisons humanitaires, mais ils n'ont pas accepté. Ce n'est pas sérieux, c'est juste un jeu diplomatique, hélas ! Lors des négociations de Genève, ils n'ont pas pour autant suggéré de nouvelles propositions, nous attendons encore.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 janvier 2010