Interview de M. Eric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à Europe 1 le 25 janvier 2010, sur la situation d'immigrés clandestins arrivés en Corse et sur la polémique suscitée par le désistement de V. Peillon lors d'une émission de télévision sur l'identité nationale.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Les juges remettent en liberté des migrants clandestins pour "vice de procédure". Est-ce que ça veut dire que l'Etat est allé trop vite ?
 
L'Etat a surtout essayé de faire face à une situation très complexe et imprévue. Qu'est-ce que nous avons essayé de faire ? D'abord, avec le ministère de la Défense, vérifier qu'il n'y avait pas d'embarcations en mer de personnes qui devaient être secourues ; ensuite, bien traiter les étrangers, ça a été le cas dans le gymnase de Bonifacio, et ensuite dans les centres de rétention administrative où ils ont pu avoir l'accompagnement juridique...
 
Mais pourquoi dans les centres de rétention tout de suite et pas dans des centres d'accueil ?
 
Parce qu'il n'était pas possible à Bonifacio, dans ce gymnase, d'en faire un lieu où vous auriez eu des avocats, des policiers, etc. Et je veux ajouter une chose : tant que je serai à ce ministère, je ne laisserai pas d'équivalent de Sangate se créer où que ce soit ; c'est vrai dans le Calaisis c'est vrai à Paris, et c'est vrai en Corse.
 
Ce matin, il y a combien de migrants en liberté ?
 
Un mot, puisque vous le permettez, dernièrement il nous fallait aussi procéder aux auditions minimales pour obtenir des éléments sur l'enquête, parce que tout le monde se polarise à juste titre sur la situation humaine et humanitaire, moi aussi. Mais derrière, il y a un trafic très lourd : les passeurs dans cette affaire ont perçu à peu près 1 million d'euros pour faire leur sale travail ! Et donc, il est bien normal que les policiers cherchent aussi à obtenir des éléments d'enquête sur comment ils sont arrivés, qui les a encouragés à le faire ?
 
On va le voir. Combien sont-ils en liberté ce matin ?
 
Je crois de l'ordre de 90 ce matin, c'est-à-dire, qu'ils ont demandé l'asile. L'Etat les a pris en charge. J'entends des associations dire qu'elles les ont aidés à dormir hier soir. Non.
 
Ce sont elles qui les hébergent ou qui payent les chambres d'hôtel...
 
Non, non, non c'est l'Etat qui paye les chambres d'hôtel, c'est la loi d'ailleurs qui le veut, et nous avons passé une convention pour ce faire avec la Croix-Rouge. Donc, dès hier soir, elles ont été prises en charge par l'Etat.
 
Et que c'est l'OFPRA qui s'en occupe ?
 
Bien sûr.
 
Et est-ce que c'est en urgence ?
 
Non, ça n'est pas en urgence, c'est l'OFPRA parce que c'est un organisme indépendant qui va étudier au cas par cas chacun des dossiers. Et c'est à la personne de faire la preuve qu'elle est persécutée ou qu'elle est en situation de danger, et donc d'expliquer pourquoi elle demande le statut de réfugié.
 
Si l'OFPRA se prononce dans plusieurs mois, c'est l'Etat qui prend en charge tous les frais ?
 
Bien sûr, c'est la loi française. L'Etat est généreux, c'est pour ça que je regrette un certain nombre de déclarations absurdes et irresponsables que j'entends depuis hier. Quelle est la suggestion qui m'est faite au fond par certaines associations ? Que chaque fois qu'un groupe de 120 ou 125 personnes arrivent sur nos plages, instantanément, ils obtiennent le titre de séjour et le statut de réfugiés !
 
D'accord, mais ce qu'on souhaite éviter c'est que vous les renvoyiez d'un coup ! D'abord, est-ce que ceux-là, auront...
 
Jamais ils ne sont renvoyés d'un coup puisqu'ils ont droit systématiquement à l'examen individuel.
 
Est-ce que vous allez accorder à tous le droit d'asile ?
 
Je viens de vous répondre : chaque dossier va être traité individuellement par l'OFPRA, et je voudrais que celles et ceux qui disent au fond qu'il faudrait donner un titre de séjour immédiat avec statut de réfugié, réfléchissent aux conséquences. L'Europe est face à un fléau majeur, et ce fléau majeur c'est celui du trafic, la traite des êtres humains ! Il faut que nous luttions !
 
Oui, mais alors pourquoi ne pas arrêter ceux qui trafiquent, les vrais coupables, ceux qui exploitent et qui emploient !
 
C'est ce que nous essayons de faire, et vous savez que la France est en pointe sur le sujet. Nous travaillons avec Chypre, Malte, la Grèce, l'Italie, qui sont en première ligne, et c'est sur la position française, que j'ai défendue, que le président de la République a défendue, que se fait le travail européen : renforcer nos frontières, des garde-frontières européens, une harmonisation progressive du droit d'asile.
 
Qu'est-ce que vous ferez de ceux des 124 qui n'auront pas ce statut de réfugiés ?
 
J'appliquerai la loi.
 
C'est-à-dire ?
 
La loi est très simple : soit on obtient le statut de réfugié, soit on opte pour ce qu'on appelle un retour volontaire. Si on n'obtient pas le statut de réfugié et on ne demande pas le retour volontaire, on est reconduit dans son pays d'origine.
 
Mais qu'est-ce qu'ils fuient ? Est-ce que vous le savez ?
 
Je ne le sais pas exactement, je veux vous indiquer que les auditions auxquelles les policiers ont procédé n'ont pas permis pour l'instant d'obtenir beaucoup d'éléments. Ce sont des personnes qui visiblement ont été préparées aux auditions, elles ne disent quasiment rien, elles ont fait disparaître tous leurs papiers d'identité, elles ont jeté leurs téléphones portables de façon à compliquer l'action des policiers de l'enquête. Ce qui prouve que c'est bien quelque chose de très structuré, d'organisé, et que nous sommes...
 
...Et contre lequel il faut lutter ?
 
Oui, et des mafias particulièrement bien organisées.
 
Voyons l'enquête. Selon Le Figaro, le sémaphore chargé de surveiller les côtes de Bonifacio n'a rien vu, il était en panne de radar. Rien ne marche quoi ?
 
Je ne suis pas sûr qu'il faille dire ça, mais pour tout vous dire je vais, à 10 heures à l'état-major de la marine, en accord avec H. Morin, pour faire le point. Je n'accuse personne, je sais simplement une chose : c'est que ces personnes sont arrivées par voie maritime directe, c'est-à-dire, sur la France...
 
Parce que par exemple, on dit que : un pêcheur aurait repéré un bateau ou une embarcation, est-ce que c'est vrai ?
 
Oui, c'est l'une des pistes de travail sur lesquelles travaillent les enquêteurs, d'une embarcation entre guillemets "légère" qui aurait déposé les personnes. Je vois une autre piste dans les journaux qui serait de dire : ils seraient arrivés classiquement dans un port et ensuite auraient été amenés sur la plage...
 
Mais votre version ce matin, c'est plutôt ?
 
Je ne suis pas enquêteur, je dis simplement qu'en toute hypothèse ils sont arrivés par la mer, avec des passeurs, avec donc des personnes qui les ont aidés à cette entrée irrégulière sur le sol français. Donc, il faut faire toute la lumière.
 
Est-ce qu'ils ont embarqué à Tunis ou en Tunisie ?
 
C'est vraisemblable. Dans leurs premières auditions, ils ont indiqué les tarifs qu'ils ont payés : entre 5.000 euros et 10.000 euros par personne. D'où le million d'euros que j'évoquais tout à l'heure. Et ils indiquent, effectivement, pour plusieurs d'entre eux, avoir traversé d'abord la Syrie jusqu'en Tunisie par la route, puis avoir embarqué dans un port tunisien, Tunis je crois.
 
Savez-vous qui sont et où sont les commanditaires ?
 
Non, je ne le sais pas. L'enquête est en cours, mais on sait où sont les pays dans le monde où il y en a les plus nombreux. C'est pourquoi je vous dis que la France est en pointe pour lutter contre les filières de l'immigration clandestine, et que j'aimerais que dans notre pays, on se rende compte que c'est un fléau majeur. Et que nous travaillons là-dessus en accord avec les pays du Sud. Pas contre, en accord.
 
Justement, quand on dit que des groupes clandestins arrivent à Bonifacio, la loi est inadaptée, et vous êtes en train de le montrer. Vous dites que vous allez la changer, dans quel sens ?
 
Oui, je vous annonce que dans le projet de loi que je vais défendre en Conseil des ministres dans le cours de ce premier trimestre, je vais changer la loi sur plusieurs points. D'abord, pour qu'elle soit adaptée aux situations d'urgence, à l'afflux massif, inopiné, ponctuel, premier élément...
 
...Que vous redoutez, parce que vous pensez qu'il y aura... qu'il pourrait y avoir d'autres cas en Corse, ou ailleurs en Méditerranée ?
 
On fera tout pour que ce ne soit pas le cas, mais l'expérience vient de prouver que ça peut nous arriver et nos procédures ne sont pas adaptées. Deuxièmement, je veux que nous ayons une interdiction d'entrée sur le territoire européen automatique pour toute personne reconduite dans son pays. Autrement dit, lorsqu'on a été reconduit, on ne peut pas revenir pendant trois ans, quatre ans, cinq ans ; il faudra le déterminer avec le Parlement, mais on ne peut pas revenir dans l'espace Schengen, dans l'espace européen. La troisième chose, je veux que les employeurs utilisant des personnes en situation irrégulière soient davantage sanctionnés ; il y aura des sanctions aggravées. Et je veux essayer de clarifier les compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire en matière de rétention. Pour l'instant, il y a un enchevêtrement et une difficulté...
 
Ca veut dire que chaque migrant n'aura pas aussitôt son avocat, comme aujourd'hui ?
 
Non, non, non, les droits de la personne seront scrupuleusement respectés. Simplement, nous allons mettre de l'ordre dans nos procédures administratives.
 
C'est-à-dire, un arsenal plus répressif ?
 
C'est un arsenal à la fois plus répressif, vous avez raison, sur le plan de la lutte contre l'immigration irrégulière et contre les mafias, qui sera respectueux des droits de l'homme parce que c'est notre tradition républicaine et nous la respecterons. Mais en même temps, qui va simplifier et clarifier nos procédures.
 
Un mot sur l'interview donnée au journal Le Monde par V. Peillon. Il trouve que les patrons de FranceTélévisions ont dessiné une émission sur mesure pour E. Besson, quand vous l'avez faite. Il les traite de "serviles" ; P. de Carolis s'est expliqué tout à l'heure avec Marc-Olivier. Et F. Mitterrand est sorti du silence pour dire qu'il était indigné et choqué par les propos de V. Peillon. Est-ce vous...
 
Moi aussi !
 
Est-ce que vous êtes prêt à rencontrer V. Peillon pour un autre débat ?
 
Moi aussi, je partage l'indignation de F. Mitterrand. Non seulement, V. Peillon a menti, il s'est "dégonflé" si vous me permettez l'expression, il a donné 42 versions de ce qui s'était passé, et en plus il continue à donner des leçons de morale. Maintenant, il rajoute un cran en parlant de "servilité".
 
Vous seriez prêt à faire un débat avec lui ?
 
Si vous me permettez une métaphore sportive, moi j'étais sur la pelouse, je l'attendais, il n'est pas venu au stade ! Il a déclaré forfait, et une fois qu'il a déclaré forfait, maintenant il dit : "Je veux un autre match".
 
Avec un autre socialiste, pas lui ?
 
On verra, mais en général ce n'est pas celui qui ne se présente pas au stade qui a le droit de réclamer l'heure et les modalités du prochain match.
 
Est-ce que ce soir le président de la République met un terme au débat sur l'identité nationale, qui divise ?
 
Je ne le pense pas. D'abord, il se poursuivra. En revanche, il est probable qu'il dira selon quelles modalités il veut en tirer une première synthèse.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 25 janvier 2010