Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "France Info" le 18 janvier 2010, sur la question de la coordination internationale des secours d'urgence en Haïti après le séisme et la situation en Afghanistan.

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Média : France Info

Texte intégral

Q - Bernard Kouchner, je vous ai vu opiner du chef à l'écoute de ce reportage. Il est vrai qu'il y a des difficultés d'acheminement. Il y a aussi du bricolage quand on essaye de porter de l'aide aux pays comme Haïti en ce moment. Y a-t-il, ou non, matière à polémiquer autour de cet acheminement ?
R - Si on a rien d'autre à faire... Oui. Mais cela ne me paraît pas la meilleure description possible de l'effort gigantesque de solidarité internationale. Cet effort n'a jamais été aussi important, il est normal que ce soit la pagaille.
J'opinais parce que l'explication est là : comment coordonner ? On fera mieux la prochaine fois, mais on ne connaît la prochaine fois. Il y a maintenant des équipes alors qu'il n'y en avait pas il y a 20 ou 30 ans. Pour ce qui nous concerne, il y a des services du ministère de la Défense, de la sécurité civile, des ONG, le Centre de crise du Quai d'Orsay qui sont très efficaces.
Pour ceux qui n'arrivent pas à passer avant les autres, je suis désolé de cette compétition, mais il est préférable d'avoir une compétition positive pour assister les victimes que de ne pas en avoir du tout.
J'ajoute que le pont aérien existe. Il n'y avait plus d'aéroport, plus d'électricité, une piste défoncée et les Haïtiens étaient partis. Il a fallu que les Haïtiens passent les consignes aux Nations unies, puis aux Etats-Unis ; je crois que maintenant cela fonctionne mieux. Mais cela ne peut pas bien fonctionner, ce serait contradictoire ; une catastrophe demeure une catastrophe et je ne pense pas que les gens qui protestent améliorent la situation.

Q - N'était-ce pas plutôt à l'ONU de prendre la situation en charge plutôt qu'aux Américains - c'est en tout cas ce que l'on a entendu de la part de certains Haïtiens sur place ?
R - L'ONU était décapitée, hélas. Ce sont mes amis, avec qui j'avais travaillé durant des années, qui sont morts. C'est évidemment à l'ONU de rester ; M. Ban Ki-moon était là hier. M. Holmes, qui est l'homme des situations d'urgence et Alain Le Roy, qui s'occupe du maintien de la paix, font ce qu'ils peuvent.
Nous nous sommes récemment entretenus, durant deux heures, avec les représentants de la communauté internationale, à l'occasion d'une conférence téléphonique. Les choses s'organisent au mieux, c'est-à-dire, évidemment, pas suffisamment bien. Mais pensons aux gens que l'on a essayé de sauver et à ceux que l'on a sauvé. Pensons également, dès maintenant, à la reconstruction. C'est ce que propose la France, avec une conférence internationale qui, je crois, se tiendra le 25 janvier, à Montréal. Il faut beaucoup d'argent pour reconstruire et c'est cela qui rendra l'espoir aux Haïtiens.
Il ne faut pas oublier les Haïtiens qui eux se félicitent de la façon dont l'aide est distribuée, cinq jours après la catastrophe.

Q - Il faut agir ensemble et non les uns contre les autres...
R - Evidemment ! Simplement, c'est facile à dire, surtout ici, mais là-bas sur place, c'est plus compliqué. En France, il y a une spécialité : c'est d'être négatif et de râler. Permettez-moi d'être un peu grave ; je regrette infiniment que l'on ne dise pas qu'il y a eu des choses positives. Nous avons eu - pas seulement les Français -, un engagement européen immense : il y a des hôpitaux mobiles, des sauveteurs très qualifiés... Tout le monde s'est précipité et quand on se précipite, eh bien on ne peut pas mettre un litre et demi dans un litre.

Q - La polémique avec Alain Joyandet était-elle malvenue ?
R - Sur place, on a toujours envie que ce soit d'abord son avion, avec les équipes que l'on juge efficaces et qui le sont extrêmement, qui atterrisse. Il a atterri après. Laissons tomber cette polémique, ce qui est important ce sont les Haïtiens, leur sort et leur avenir.

Q - Des efforts vont aussi être menés par l'Union européenne. A Bruxelles, les 27 se réunissent aujourd'hui. On parle de 100 millions d'euros...
R - Oui, cela a déjà été dit. On va faire un premier bilan. Mme Ashton, désormais la Haute représentante des Affaires étrangères de l'Union européenne, avec Miguel Moratinos - l'Espagne assurant la Présidence du Conseil de l'Union européenne en ce moment -, vont aller voir M. Ban Ki-moon et Hillary Clinton. On va essayer de mieux se coordonner encore. Néanmoins, je vous le dis, depuis nos premiers contacts téléphoniques, entre Hillary Clinton et moi-même mais également entre le président Obama et le président Sarkozy, tout a été coordonné. Le "situation center" de Washington, le Centre de crise du Quai d'Orsay, tout a été coordonné. Je le répète, la sécurité civile et les équipes du ministère de la Défense sont formidables.

Q - Vous avez eu hier sous vos fenêtres, au Quai d'Orsay, plusieurs familles françaises qui demandaient le rapatriement des enfants...
R - Encore une façon de protester...

Q - C'est une façon de protester, il y avait par exemple des familles qui disaient : "les Néerlandais ont essayé de rapatrier les enfants"...
R - Ils ont essayé mais ils n'ont pas pu. Les enfants haïtiens nous préoccupent. Non seulement la situation des enfants haïtiens adoptés ou en voie d'adoption nous préoccupe mais la situation de l'ensemble des enfants haïtiens avec leurs mamans nous préoccupe. Bien sûr, quand il y avait un centre d'hébergement, ou une crèche signalée, nous nous précipitions. Et puis nous en avons évacué quand ils étaient blessés. Il y a eu plus de 600 personnes évacuées dont des étrangers, pas seulement des Français. Aujourd'hui il y a 610 Français sur place, un poste médical avancé et un hôpital installé au Lycée français.
Nous avons sorti des décombres, il me semble 12 ou 13 survivants. Cela paraît dérisoire par rapport aux chiffres qui seront connus plus tard. Cependant, ne croyez pas les chiffres actuels, personne ne sait ce qui s'est passé. Nous verrons bien pour le bilan. Nous avons fait ce que nous avons pu, nous entendons les critiques et comme disait votre interlocuteur : "est-ce que l'on doit dire : nous ferons mieux la prochaine fois ?"

Q - En espérant qu'il n'y ait évidemment pas de prochaine fois. Bernard Kouchner, je voudrais que l'on parle de ce qui se passe en Afghanistan.
R - Oui, en ce moment.

Q - En ce moment.
R - L'attaque est forte sur plusieurs points.

Q - 20 kamikazes ont été lancés, des attaques donc en direction du palais présidentiel et des ministères autour de Kaboul.
R - Oui, notamment contre le ministère des Affaires étrangères semble-t-il. Il y a des attaques de Taliban en plein coeur de Kaboul et la situation est grave, comme elle l'est, hélas, depuis longtemps. Ce qui veut dire beaucoup de choses, la Conférence de Londres, prévue le 28 janvier, doit être préparée de façon très attentive avec des solutions pratiques, c'est-à-dire qu'il faut se rapprocher des Afghans plus encore que ce que nous avons fait. Ce sont les Afghans eux-mêmes qui doivent déterminer leur futur, qui doivent décider, nous l'avons toujours dit. Enfin pour le moment, il faut penser à cette attaque et à nos amis sur place.

Q - Puisque l'on parle de l'Afghanistan, un mot des deux journalistes français qui sont toujours retenus en otage là-bas. Partagez-vous le sentiment de Claude Guéant, quand il dit que finalement les journalistes ont fait preuve d'une imprudence coupable, visiblement ce sont les termes employés par le chef de l'Etat ?
R - Je sais que dans certains métiers, le journalisme en particulier - et les humanitaires, si c'est un métier mais cela le devient de plus en plus - on doit prendre des risques. S'agissant de ce dossier, nous en parlerons quand ils seront sortis. Mais on les avait particulièrement prévenu, ils ont voulu prendre leurs risques, maintenant c'est nous qui les prenons pour les sortir, et c'est normal.

Q - L'actualité Bernard Kouchner, et ce sera le mot de la fin, c'est aussi le Chili ce matin. Le Chili avec un coup de barre à droite, la droite est de retour au pouvoir, Sebastian Pinera ayant été élu.
R - Chacun son tour, je crois que Mme Bachelet se prépare pendant quelques années, elle est encore jeune. C'est la démocratie : la gauche pendant 20 ans, maintenant la droite, à plus tard la gauche.

Q - Merci Bernard Kouchner d'avoir été en direct avec nous ce matin.
R - Merci à vous.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 janvier 2010