Texte intégral
Monsieur le Sénateur, Copenhague a été rêvé par les Européens sous la même forme que les accords et les engagements qu'ils ont conclus sous présidence française, au mois de décembre 2009, c'est-à-dire un système chiffré et contraignant, prévoyant l'intervention de juges et de pénalités.
Vous conviendrez qu'obtenir un tel accord de la part de 193 pays était une tâche extrêmement difficile et périlleuse. En effet, et c'est le fond du problème, un tel accord touche à la souveraineté nationale de chaque Etat. Loin de moi l'idée de rejeter le principe d'engagements garantis et automatiques ; toutefois, dans la perspective du prochain sommet sur le climat qui se tiendra à Cancun, au Mexique, et que nous préparons actuellement, nous devrions tirer les leçons de la difficulté culturelle que pose un tel accord mondial.
Comment avancer ? La France avait anticipé que la méthode onusienne serait délicate à mettre en oeuvre. C'est pour cette raison que le président de la République avait souhaité que les chefs d'Etat et de gouvernement soient présents ; cela n'avait jamais été le cas lors des précédentes conventions de l'ONU sur le climat, et ils sont tous venus.
Il est pour le moins étonnant, j'en conviens, que 130 chefs d'Etat s'invitent à une telle conférence, avec l'ambition et la volonté de bâtir un protocole, qui est désormais globalement achevé.
Je suis heureux de vous annoncer qu'à New Delhi, avant-hier, la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud viennent de confirmer leur volonté d'amplifier et de soutenir l'accord obtenu à Copenhague, dans la perspective du prochain sommet de Cancun, qui aura lieu dans un an.
(...)
Monsieur le Sénateur, l'ensemble des pays de l'Union européenne se sont réunis à Séville, la semaine dernière, pour définir une position commune.
Je ferai deux observations préalables.
En premier lieu, le monde industriel n'est responsable que d'une partie des émissions de gaz à effet de serre ; je suis également heureux de rappeler que ce secteur, grâce à la mise en place du dispositif des quotas d'émissions de gaz à effet de serre, qui a fait débat au sein du Conseil constitutionnel, est le seul à les avoir réduites. Aucun autre secteur d'activité n'en avait fait autant !
Le gouvernement est, bien sûr, très attentif à la compétitivité des entreprises. Or celles-ci n'étant à l'origine que du quart des émissions, si l'on décidait au niveau européen de fixer à 30 % l'objectif de réduction, ce serait à d'autres secteurs, comme le logement et les transports, de fournir des efforts supplémentaires.
En second lieu, il est faux de croire que la fixation par l'Europe d'un objectif de 30 % aura un effet de levier sur les autres Etats en les incitant à agir. Les Etats étant souverains, ils fixeront eux-mêmes cet objectif pour des raisons internes liées à leurs propres émissions et à la compétitivité de leurs entreprises.
L'important est de savoir s'il est bon que l'Europe fixe cet objectif à 30 %, non pas nécessairement selon les mêmes règles que celles du "paquet énergie-climat" ou celles prévues pour atteindre les 20 %, c'est-à-dire de manière dispersée. En tout état de cause, il nous faut rester attentif à la compétitivité.
La France défend l'idée que tous les pays qui participent au concert des nations devront avoir des quotas d'émissions ; à défaut, il faudra instaurer une taxe carbone aux frontières de l'Europe, sauf à voir notre compétitivité largement entachée.
Notre position est donc claire : nous avons la plus haute ambition pour la planète, tout en veillant à préserver la compétitivité de nos entreprises.
(...)
Monsieur le Sénateur, au risque d'être politiquement incorrect, permettez-moi de vous dire que je ne partage pas cette vision, largement répandue depuis la fin du mois de décembre, de la conférence de Copenhague.
En effet, une réunion s'analyse par rapport à la situation de la veille. Il s'agit de savoir, en réalité, si le schéma retenu pour la première phase du Protocole de Kyoto allant jusqu'à 2012 a avancé significativement. Auparavant, un financement international destiné à aider les pays les plus vulnérables avait-il été prévu ? Tel n'était pas le cas pour ce qui concerne la forêt et les énergies renouvelables. Lors de la conférence de Copenhague, une aide de 10 milliards de dollars par an, portée à 100 milliards de dollars à partir de 2012, a été retenue. Le problème est de mettre effectivement en place cette véritable révolution.
Par ailleurs, avant la conférence de Copenhague, les Chinois, les Brésiliens, les Indiens raisonnaient-ils en termes d'engagement, voire d'information ? La réponse est non. Désormais, ils se sont engagés, à compter du 31 janvier, à réduire l'intensité de leurs émissions de CO2 dues à leur croissance, position conforme aux engagements adoptés lors de la conférence de Bali.
Enfin, s'agit-il d'engagements contraignants à la mode européenne ? La réponse est non. En fait, c'est de notre propre projection culturelle sur la forme des accords que résulte notre propre déception ! Qui pouvait imaginer sérieusement que de grands pays auraient conclu des engagements sous la forme retenue par les pays européens, qui ont accepté, dans le cadre d'une Europe de la Paix, de reconnaître la souveraineté de l'Europe dans le domaine du climat ?
Pour relancer la mobilisation des citoyens, il faut des victoires et analyser la situation avec une parfaite lucidité.
(...)
Madame le Sénateur, le multilatéralisme n'est nullement remis en cause. Mais tel n'est pas le propos. En réalité, se pose un problème d'organisation. En effet, selon la mécanique organisationnelle actuelle, l'ONU délibère par consensus. Ce terme n'est d'ailleurs pas défini. Signifie-t-il unanimité ou large accord ? Cette instance est la seule à n'avoir pas défini juridiquement le consensus. Si l'unanimité est requise, la situation est quasiment bloquée.
La création de l'Organisation mondiale de l'Environnement a été proposée par la France. Nous y sommes très attachés. Il s'agit de mettre le monde en mouvement. Si la contrainte, par le biais de pénalités, demeure la règle, je ne suis pas sûr que le prochain Sommet de Cancun ait de meilleurs résultats que la Conférence de Copenhague du mois de décembre dernier. En revanche, il est indispensable que chaque continent sache ce que les autres font et que tous s'engagent sur la même voie, ce qui implique la création de l'organisation mondiale de l'environnement.
Sur l'invitation de la Chine, pays avec lequel notre partenariat est extrêmement efficace, je serai à Pékin lundi matin pour traiter de ce sujet.
Avant-hier, à New Delhi, les quatre grands pays émergents ont adopté une position globale et amplifiée de soutien à Copenhague ; ils ont demandé à la France de participer à une réunion traitant de la mise en place du "fast start", c'est-à-dire l'affectation des premiers dix milliards de dollars consacrés aux pays les plus vulnérables.
A un moment donné, l'Organisation mondiale de l'Environnement devra sinon contrebalancer, du moins être en parallèle avec l'Organisation mondiale du Commerce. Il faudra du temps. Y arriverons-nous d'ici au Sommet de Cancun ? Je ne sais pas. Quoi qu'il en soit, c'est indispensable.
Une telle évolution du monde est lourde, forcément un peu chaotique. Le plus important, selon moi, est de respecter la culture des autres.
(...)
Monsieur le Sénateur, à la lumière de la Conférence de Copenhague, on peut aujourd'hui mesurer à quel point l'accord européen conclu voilà un an, appelé en termes technocratiques le "paquet "énergie-climat"" par lequel chacun des pays d'Europe s'est engagé à une réduction des gaz à effet de serre vérifiable année par année, pays par pays, secteur par secteur, susceptible de sanctions par la Cour de justice et de pénalités, était une performance extraordinaire.
Pour autant, ce n'est pas parce que l'Union européenne s'est engagée à réduire de 30 % ses émissions de gaz à effet de serre qu'elle doit avoir l'obsession de reproduire à l'échelle mondiale le mode formel qu'elle s'est imposé et de considérer ce dernier comme universel. L'Europe a une culture occidentale du papier monastique ou notariale, qui n'est pas forcément commune au reste du monde. Par conséquent, elle doit accepter de ne pas imposer au monde entier la forme que nous nous sommes imposée.
Au reste, Monsieur le Sénateur, comme nous avons pu le constater au moment de la conclusion de l'accord européen, nombre de pays européens acceptent de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, mais sans contrainte formelle.
Pourquoi veut-elle aller plus loin ? Tout simplement parce que l'adoption, par un vote solennel au Parlement, du Grenelle de l'environnement, après concertation avec les industriels, les organisations syndicales, les organisations non gouvernementales, les collectivités et les pouvoirs publics, allait dans l'intérêt de la France et des Français. Notre pays avait fait mutation intellectuelle et psychologique, voire sa psychanalyse.
De manière unilatérale, la France sera très au-delà de l'éventuel seuil de 30 % européen. Elle atteindra probablement 35 % ou 36 %.
Il est vrai que l'Europe doit parler d'une même voix. N'oubliez pas que plus de la moitié des pays européens n'ont pas respecté le Protocole de Kyoto, ce qui rend la situation difficile.
(...)
J'ai beaucoup de mal à comprendre ce principe de flagellation permanente, contraire à la mobilisation que vous souhaitez.
Ce n'est pas parce que vous répéterez dix fois que Copenhague a échoué ou que la position européenne était mauvaise que cela deviendra un début de vérité !
Monsieur Muller, la France, tout d'abord, respecte le Protocole de Kyoto, ce que font très peu de pays. Ensuite, elle s'est dotée d'un ensemble législatif et fiscal qui lui permet d'enregistrer aujourd'hui la plus importante baisse des émissions de gaz à effet de serre en Europe.
Enfin, la France a affirmé qu'elle voulait aller plus loin, et qu'elle en était capable. C'est elle qui a proposé le plan "justice-climat" entre les pays du Nord et ceux du Sud, c'est-à-dire une aide annuelle de dix milliards d'euros, qui sera portée graduellement à cent milliards d'euros en 2020, donc bien au-delà des trente milliards d'euros que vous évoquiez. Qui a imaginé le plan "énergies renouvelables-forêts" au profit des pays africains, du Bangladesh, du Cambodge et du Laos ? C'est la France !
Monsieur Muller, je comprends et respecte parfaitement les mouvements internes à notre pays. Toutefois, j'attire votre attention sur un point : attention à ne pas devenir le porte-parole de "l'à-quoi-bonisme", cette attitude qui consiste à se demander à quoi bon agir puisque les autres ne font pas le nécessaire, ne respectent pas les engagements, ne sont pas conscients de l'enjeu.
Monsieur Muller, je ne mets absolument pas en doute vos intentions : je sais que vous êtes un passionné de cette cause. Mais attention : nous devons conserver à celle-ci un peu de sa magie.
(...)
Monsieur le Sénateur, vous avez abordé deux aspects du problème.
Votre question porte tout d'abord sur la politique énergétique commune. Celle-ci est en marche, même s'il s'agit d'un processus difficile. Toutefois, vous savez que notre pays est attentif à ce que cette démarche ne se fasse pas au détriment du modèle français, qui est relativement intégré.
En effet, je me méfie comme de la peste de l'uniformisation des démantèlements européens ou d'une forme de concurrence qui, vous le savez, susciterait des augmentations de tarifs ou une faiblesse de l'investissement, ou du moins risquerait de le faire.
Je suis donc favorable à la mise en place d'un marché harmonisé et surtout à la création de capacités de transport communes et réversibles entre l'est et l'ouest du continent, mais, de grâce, restons prudents quant aux modalités de ce processus !
Monsieur le Sénateur, vous avez évoqué également le mécanisme d'inclusion carbone. Celui-ci est incontournable. Nous ne pouvons pas, d'une part, attribuer une valeur au carbone, lancer un "signal prix" et demander à nos industriels de réduire leurs émissions par l'application de quotas, et, d'autre part, accepter que des mécanismes similaires ne soient pas appliqués dans d'autres parties du monde, parfois aux mêmes entreprises internationales.
Autrement dit, si un grand groupe sidérurgique possède des usines à la fois en occident, où s'appliquent des quotas, et en Extrême-Orient, où aucun mécanisme semblable n'est en vigueur, ses investissements se dirigeront naturellement vers cette dernière région, et nous observerons ce que nous appelons une "fuite de carbone", c'est-à-dire des délocalisations.
D'ailleurs, comme vous l'aurez noté, Monsieur Bizet, de façon étrange - ou, plus exactement, selon une logique subtile ! -, ceux qui sont opposés à l'inclusion carbone, qui permet au fond une concurrence loyale, le sont également aux efforts de réduction de gaz à effet de serre, parce qu'un tel mécanisme est précisément ce qui rend possibles ces derniers !
(...)
Madame la Sénatrice, vous avez posé deux questions.
J'aborderai tout d'abord les négociations internationales. Je le répète, Copenhague constitue une étape sur le chemin du post-Kyoto. Le week-end dernier, les représentants des grands pays émergeants réunis à New Delhi ont déclaré qu'ils soutiendraient et amplifieraient Copenhague.
Dans trois jours, à Addis-Abeba, cinquante-quatre pays africains, menés, vous le savez, par le Premier ministre éthiopien, M. Meles Zenawi, et le ministre de l'Environnement algérien, M. Chérif Rahmani, demanderont, du moins je l'espère et le pense, que le processus de Copenhague soit confirmé et amplifié.
Ainsi, en quelques semaines, avant le 31 janvier prochain, les pays souhaitant confirmer, soutenir et amplifier Copenhague seront passés de 28 à 130 ou 140 ! Notre problème, à présent, est d'engager des actions concrètes et de mettre en oeuvre, notamment, le plan "justice-climat".
J'en viens à la politique que nous menons dans le cadre national. Je vous remercie, Madame la Sénatrice, d'avoir évoqué brièvement la biomasse. Vous le savez, nous avons élaboré un plan ambitieux en la matière. La semaine dernière, nous avons d'ailleurs sélectionné, dans le cadre d'un appel d'offres, trente-deux centrales de biomasse.
Le point particulier que vous évoquez fait partie de nos contradictions, et celles-ci sont habituelles en pareille matière : nous devons concilier le développement de la biomasse avec les dispositions du plan "santé-environnement" relatives aux particules.
Vous le savez, les entreprises qui produisent plus de 5 mégawatts, et qui bénéficient donc de tarifs plus élevés, puisque ceux-ci ont été triplés conformément aux engagements, possèdent des filtres à particules. En dessous de ce seuil, elles n'en disposent pas. Or, pour l'instant, nous ne souhaitons pas un développement massif de la biomasse produite sans filtres à particules. Ce point fait partie des difficultés que nous rencontrons, mais j'espère que nous surmonterons bientôt cette contradiction./.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 février 2010
Vous conviendrez qu'obtenir un tel accord de la part de 193 pays était une tâche extrêmement difficile et périlleuse. En effet, et c'est le fond du problème, un tel accord touche à la souveraineté nationale de chaque Etat. Loin de moi l'idée de rejeter le principe d'engagements garantis et automatiques ; toutefois, dans la perspective du prochain sommet sur le climat qui se tiendra à Cancun, au Mexique, et que nous préparons actuellement, nous devrions tirer les leçons de la difficulté culturelle que pose un tel accord mondial.
Comment avancer ? La France avait anticipé que la méthode onusienne serait délicate à mettre en oeuvre. C'est pour cette raison que le président de la République avait souhaité que les chefs d'Etat et de gouvernement soient présents ; cela n'avait jamais été le cas lors des précédentes conventions de l'ONU sur le climat, et ils sont tous venus.
Il est pour le moins étonnant, j'en conviens, que 130 chefs d'Etat s'invitent à une telle conférence, avec l'ambition et la volonté de bâtir un protocole, qui est désormais globalement achevé.
Je suis heureux de vous annoncer qu'à New Delhi, avant-hier, la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud viennent de confirmer leur volonté d'amplifier et de soutenir l'accord obtenu à Copenhague, dans la perspective du prochain sommet de Cancun, qui aura lieu dans un an.
(...)
Monsieur le Sénateur, l'ensemble des pays de l'Union européenne se sont réunis à Séville, la semaine dernière, pour définir une position commune.
Je ferai deux observations préalables.
En premier lieu, le monde industriel n'est responsable que d'une partie des émissions de gaz à effet de serre ; je suis également heureux de rappeler que ce secteur, grâce à la mise en place du dispositif des quotas d'émissions de gaz à effet de serre, qui a fait débat au sein du Conseil constitutionnel, est le seul à les avoir réduites. Aucun autre secteur d'activité n'en avait fait autant !
Le gouvernement est, bien sûr, très attentif à la compétitivité des entreprises. Or celles-ci n'étant à l'origine que du quart des émissions, si l'on décidait au niveau européen de fixer à 30 % l'objectif de réduction, ce serait à d'autres secteurs, comme le logement et les transports, de fournir des efforts supplémentaires.
En second lieu, il est faux de croire que la fixation par l'Europe d'un objectif de 30 % aura un effet de levier sur les autres Etats en les incitant à agir. Les Etats étant souverains, ils fixeront eux-mêmes cet objectif pour des raisons internes liées à leurs propres émissions et à la compétitivité de leurs entreprises.
L'important est de savoir s'il est bon que l'Europe fixe cet objectif à 30 %, non pas nécessairement selon les mêmes règles que celles du "paquet énergie-climat" ou celles prévues pour atteindre les 20 %, c'est-à-dire de manière dispersée. En tout état de cause, il nous faut rester attentif à la compétitivité.
La France défend l'idée que tous les pays qui participent au concert des nations devront avoir des quotas d'émissions ; à défaut, il faudra instaurer une taxe carbone aux frontières de l'Europe, sauf à voir notre compétitivité largement entachée.
Notre position est donc claire : nous avons la plus haute ambition pour la planète, tout en veillant à préserver la compétitivité de nos entreprises.
(...)
Monsieur le Sénateur, au risque d'être politiquement incorrect, permettez-moi de vous dire que je ne partage pas cette vision, largement répandue depuis la fin du mois de décembre, de la conférence de Copenhague.
En effet, une réunion s'analyse par rapport à la situation de la veille. Il s'agit de savoir, en réalité, si le schéma retenu pour la première phase du Protocole de Kyoto allant jusqu'à 2012 a avancé significativement. Auparavant, un financement international destiné à aider les pays les plus vulnérables avait-il été prévu ? Tel n'était pas le cas pour ce qui concerne la forêt et les énergies renouvelables. Lors de la conférence de Copenhague, une aide de 10 milliards de dollars par an, portée à 100 milliards de dollars à partir de 2012, a été retenue. Le problème est de mettre effectivement en place cette véritable révolution.
Par ailleurs, avant la conférence de Copenhague, les Chinois, les Brésiliens, les Indiens raisonnaient-ils en termes d'engagement, voire d'information ? La réponse est non. Désormais, ils se sont engagés, à compter du 31 janvier, à réduire l'intensité de leurs émissions de CO2 dues à leur croissance, position conforme aux engagements adoptés lors de la conférence de Bali.
Enfin, s'agit-il d'engagements contraignants à la mode européenne ? La réponse est non. En fait, c'est de notre propre projection culturelle sur la forme des accords que résulte notre propre déception ! Qui pouvait imaginer sérieusement que de grands pays auraient conclu des engagements sous la forme retenue par les pays européens, qui ont accepté, dans le cadre d'une Europe de la Paix, de reconnaître la souveraineté de l'Europe dans le domaine du climat ?
Pour relancer la mobilisation des citoyens, il faut des victoires et analyser la situation avec une parfaite lucidité.
(...)
Madame le Sénateur, le multilatéralisme n'est nullement remis en cause. Mais tel n'est pas le propos. En réalité, se pose un problème d'organisation. En effet, selon la mécanique organisationnelle actuelle, l'ONU délibère par consensus. Ce terme n'est d'ailleurs pas défini. Signifie-t-il unanimité ou large accord ? Cette instance est la seule à n'avoir pas défini juridiquement le consensus. Si l'unanimité est requise, la situation est quasiment bloquée.
La création de l'Organisation mondiale de l'Environnement a été proposée par la France. Nous y sommes très attachés. Il s'agit de mettre le monde en mouvement. Si la contrainte, par le biais de pénalités, demeure la règle, je ne suis pas sûr que le prochain Sommet de Cancun ait de meilleurs résultats que la Conférence de Copenhague du mois de décembre dernier. En revanche, il est indispensable que chaque continent sache ce que les autres font et que tous s'engagent sur la même voie, ce qui implique la création de l'organisation mondiale de l'environnement.
Sur l'invitation de la Chine, pays avec lequel notre partenariat est extrêmement efficace, je serai à Pékin lundi matin pour traiter de ce sujet.
Avant-hier, à New Delhi, les quatre grands pays émergents ont adopté une position globale et amplifiée de soutien à Copenhague ; ils ont demandé à la France de participer à une réunion traitant de la mise en place du "fast start", c'est-à-dire l'affectation des premiers dix milliards de dollars consacrés aux pays les plus vulnérables.
A un moment donné, l'Organisation mondiale de l'Environnement devra sinon contrebalancer, du moins être en parallèle avec l'Organisation mondiale du Commerce. Il faudra du temps. Y arriverons-nous d'ici au Sommet de Cancun ? Je ne sais pas. Quoi qu'il en soit, c'est indispensable.
Une telle évolution du monde est lourde, forcément un peu chaotique. Le plus important, selon moi, est de respecter la culture des autres.
(...)
Monsieur le Sénateur, à la lumière de la Conférence de Copenhague, on peut aujourd'hui mesurer à quel point l'accord européen conclu voilà un an, appelé en termes technocratiques le "paquet "énergie-climat"" par lequel chacun des pays d'Europe s'est engagé à une réduction des gaz à effet de serre vérifiable année par année, pays par pays, secteur par secteur, susceptible de sanctions par la Cour de justice et de pénalités, était une performance extraordinaire.
Pour autant, ce n'est pas parce que l'Union européenne s'est engagée à réduire de 30 % ses émissions de gaz à effet de serre qu'elle doit avoir l'obsession de reproduire à l'échelle mondiale le mode formel qu'elle s'est imposé et de considérer ce dernier comme universel. L'Europe a une culture occidentale du papier monastique ou notariale, qui n'est pas forcément commune au reste du monde. Par conséquent, elle doit accepter de ne pas imposer au monde entier la forme que nous nous sommes imposée.
Au reste, Monsieur le Sénateur, comme nous avons pu le constater au moment de la conclusion de l'accord européen, nombre de pays européens acceptent de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, mais sans contrainte formelle.
Pourquoi veut-elle aller plus loin ? Tout simplement parce que l'adoption, par un vote solennel au Parlement, du Grenelle de l'environnement, après concertation avec les industriels, les organisations syndicales, les organisations non gouvernementales, les collectivités et les pouvoirs publics, allait dans l'intérêt de la France et des Français. Notre pays avait fait mutation intellectuelle et psychologique, voire sa psychanalyse.
De manière unilatérale, la France sera très au-delà de l'éventuel seuil de 30 % européen. Elle atteindra probablement 35 % ou 36 %.
Il est vrai que l'Europe doit parler d'une même voix. N'oubliez pas que plus de la moitié des pays européens n'ont pas respecté le Protocole de Kyoto, ce qui rend la situation difficile.
(...)
J'ai beaucoup de mal à comprendre ce principe de flagellation permanente, contraire à la mobilisation que vous souhaitez.
Ce n'est pas parce que vous répéterez dix fois que Copenhague a échoué ou que la position européenne était mauvaise que cela deviendra un début de vérité !
Monsieur Muller, la France, tout d'abord, respecte le Protocole de Kyoto, ce que font très peu de pays. Ensuite, elle s'est dotée d'un ensemble législatif et fiscal qui lui permet d'enregistrer aujourd'hui la plus importante baisse des émissions de gaz à effet de serre en Europe.
Enfin, la France a affirmé qu'elle voulait aller plus loin, et qu'elle en était capable. C'est elle qui a proposé le plan "justice-climat" entre les pays du Nord et ceux du Sud, c'est-à-dire une aide annuelle de dix milliards d'euros, qui sera portée graduellement à cent milliards d'euros en 2020, donc bien au-delà des trente milliards d'euros que vous évoquiez. Qui a imaginé le plan "énergies renouvelables-forêts" au profit des pays africains, du Bangladesh, du Cambodge et du Laos ? C'est la France !
Monsieur Muller, je comprends et respecte parfaitement les mouvements internes à notre pays. Toutefois, j'attire votre attention sur un point : attention à ne pas devenir le porte-parole de "l'à-quoi-bonisme", cette attitude qui consiste à se demander à quoi bon agir puisque les autres ne font pas le nécessaire, ne respectent pas les engagements, ne sont pas conscients de l'enjeu.
Monsieur Muller, je ne mets absolument pas en doute vos intentions : je sais que vous êtes un passionné de cette cause. Mais attention : nous devons conserver à celle-ci un peu de sa magie.
(...)
Monsieur le Sénateur, vous avez abordé deux aspects du problème.
Votre question porte tout d'abord sur la politique énergétique commune. Celle-ci est en marche, même s'il s'agit d'un processus difficile. Toutefois, vous savez que notre pays est attentif à ce que cette démarche ne se fasse pas au détriment du modèle français, qui est relativement intégré.
En effet, je me méfie comme de la peste de l'uniformisation des démantèlements européens ou d'une forme de concurrence qui, vous le savez, susciterait des augmentations de tarifs ou une faiblesse de l'investissement, ou du moins risquerait de le faire.
Je suis donc favorable à la mise en place d'un marché harmonisé et surtout à la création de capacités de transport communes et réversibles entre l'est et l'ouest du continent, mais, de grâce, restons prudents quant aux modalités de ce processus !
Monsieur le Sénateur, vous avez évoqué également le mécanisme d'inclusion carbone. Celui-ci est incontournable. Nous ne pouvons pas, d'une part, attribuer une valeur au carbone, lancer un "signal prix" et demander à nos industriels de réduire leurs émissions par l'application de quotas, et, d'autre part, accepter que des mécanismes similaires ne soient pas appliqués dans d'autres parties du monde, parfois aux mêmes entreprises internationales.
Autrement dit, si un grand groupe sidérurgique possède des usines à la fois en occident, où s'appliquent des quotas, et en Extrême-Orient, où aucun mécanisme semblable n'est en vigueur, ses investissements se dirigeront naturellement vers cette dernière région, et nous observerons ce que nous appelons une "fuite de carbone", c'est-à-dire des délocalisations.
D'ailleurs, comme vous l'aurez noté, Monsieur Bizet, de façon étrange - ou, plus exactement, selon une logique subtile ! -, ceux qui sont opposés à l'inclusion carbone, qui permet au fond une concurrence loyale, le sont également aux efforts de réduction de gaz à effet de serre, parce qu'un tel mécanisme est précisément ce qui rend possibles ces derniers !
(...)
Madame la Sénatrice, vous avez posé deux questions.
J'aborderai tout d'abord les négociations internationales. Je le répète, Copenhague constitue une étape sur le chemin du post-Kyoto. Le week-end dernier, les représentants des grands pays émergeants réunis à New Delhi ont déclaré qu'ils soutiendraient et amplifieraient Copenhague.
Dans trois jours, à Addis-Abeba, cinquante-quatre pays africains, menés, vous le savez, par le Premier ministre éthiopien, M. Meles Zenawi, et le ministre de l'Environnement algérien, M. Chérif Rahmani, demanderont, du moins je l'espère et le pense, que le processus de Copenhague soit confirmé et amplifié.
Ainsi, en quelques semaines, avant le 31 janvier prochain, les pays souhaitant confirmer, soutenir et amplifier Copenhague seront passés de 28 à 130 ou 140 ! Notre problème, à présent, est d'engager des actions concrètes et de mettre en oeuvre, notamment, le plan "justice-climat".
J'en viens à la politique que nous menons dans le cadre national. Je vous remercie, Madame la Sénatrice, d'avoir évoqué brièvement la biomasse. Vous le savez, nous avons élaboré un plan ambitieux en la matière. La semaine dernière, nous avons d'ailleurs sélectionné, dans le cadre d'un appel d'offres, trente-deux centrales de biomasse.
Le point particulier que vous évoquez fait partie de nos contradictions, et celles-ci sont habituelles en pareille matière : nous devons concilier le développement de la biomasse avec les dispositions du plan "santé-environnement" relatives aux particules.
Vous le savez, les entreprises qui produisent plus de 5 mégawatts, et qui bénéficient donc de tarifs plus élevés, puisque ceux-ci ont été triplés conformément aux engagements, possèdent des filtres à particules. En dessous de ce seuil, elles n'en disposent pas. Or, pour l'instant, nous ne souhaitons pas un développement massif de la biomasse produite sans filtres à particules. Ce point fait partie des difficultés que nous rencontrons, mais j'espère que nous surmonterons bientôt cette contradiction./.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 février 2010