Texte intégral
Etait-ce la résultante dun parcours atypique qui, sans attendre la vieillesse, lui avait offert lexpérience et imposé la souffrance ? Etait-ce leffet des législatures successives qui lavaient vu combattre avec la même ardeur sur les bancs de la majorité et sur ceux de lopposition ? Ou nétait-ce pas tout cela à la fois et le mélange de sérénité et de distance que lui donnait son visage couronné de cheveux blancs plantés drus encadrant un regard volontiers ironique et souriant ? En tout cas, la réalité est celle-ci : Michel Péricard, qui nous a quittés le 2 février dernier, était dun bord à lautre de lhémicycle entouré dun respect mérité. Journaliste, gaulliste, parlementaire, élu local, il fut chacun des quatre et les quatre à la fois.
Grand professionnel de laudiovisuel et spécialiste de la communication, au Journal télévisé, à Cinq colonnes à la une, il avait pris rang, parmi les créateurs de lORTF. Cest dailleurs dabord dans les étranges lucarnes que les Français apprirent à le connaître en suivant une émission dune grande modernité de ton et de contenu, qui bien avant que la notion nen soit connue, sétait mise au service de lenvironnement. Faisant de lécologie sans que le concept en soit encore défini, il dénonçait, révélait, cherchait à empêcher que la France ne fût défigurée. Produisant aussi lHeure de Vérité ou retrouvant, en 1975, le quai Kennedy à la direction de linformation de Radio France, il était à la fois gaulliste et journaliste, journaliste et gaulliste. Cela ne lui valut pas que des amis. Lalliance dun métier et dun engagement était pour lui complémentarité et non contradiction. Tout naturellement lorsque lAssemblée nationale institua en 1992 une commission denquête sur les perpectives de la presse et de laudiovisuel et quil fût décidé que la présidence en reviendrait à lopposition, ce fut lui qui fut choisi. Apaiser les passions, diriger la discussion entre ses collègues, les professionnels et les meilleurs spécialistes, il y parvint et quand, en 1993, il fut élu à la tête de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, ce fut, là aussi, naturel. Sa vie durant, en observateur ou en acteur, Michel Péricard a ainsi parcouru tout le paysage audiovisuel. Il y était dans son jardin.
Militant, Michel Péricard létait dans la fidélité au Général de Gaulle, et dans lattachement à Jacques Chirac. Ce nétait pas un de ces barons météoriques que la proximité dun grand personnage aurait muni dune circonscription et dun mandat. Dès sa jeunesse estudiantine, à lUNEF avec son ami Bernard Pons, Michel Péricard avait fait de la politique. Par la suite, comprenant le caractère inéluctable de lindépendance de lAlgérie, il sétait opposé à lextrême droite et à lOAS. Gaulliste trempé dans lacier populaire de la Libération et de 1958, il croyait à la participation, à la grandeur, à lindépendance. Lancien scout, le jeune homme qui dès 1947 allait à la rencontre des plus démunis dun quartier délaissé de sa commune, fit ses premières armes à la jeunesse et aux sports dans le cabinet de François Missoffe, puis avec Yves Guéna, à linformation et aux PTT, ainsi quà lagriculture, avec Bernard Pons.
Elu local, il revendiquait ce statut à la tête de sa ville, Saint-Germain en Laye, tout autant que sil avait été le représentant dune collectivité rurale. Il était né dans cette ville, laimait et, la gérant depuis 1959, avait fini par faire corps avec elle. Cétait sa passion et une partie de sa raison dêtre. Bien sûr il y avait chez cet homme épris de modernité le désir que sa cité, berceau du Roi Soleil, vive dans son siècle et avec son siècle. Lancien président de la mission câble faisait découvrir au visiteur la salle des délibérations de sa mairie quil avait dotée des nouvelles technologies de la communication. Il agissait en permanence pour le cadre de vie et la protection dun centre piétonnier, la forêt, le patrimoine architectural. Humanité et proximité. Là étaient ses priorités et ses succès.
Je me souviens dun reportage, il y a peu de temps, le montrant au volant dune voiture électrique, notant là une imperfection de signalisation, faisant ici la morale à un imprudent en skate board, réfléchissant à un aménagement urbain. On retrouvait le sens de lintérêt général qui lui avait fait rénover lensemble des écoles primaires de sa circonscription, multiplier les crèches ou, sans prévenir, régulièrement visiter les malades de lhôpital. De cette sollicitude, chacun savait lauthenticité et, par ce jour dhiver où nous lavons accompagné une dernière fois, jai senti la population très émue qui sétait rassemblée en masse autour de léglise pour lui dire adieu malgré le froid. Michel Péricard avait émis, récemment, lidée que cette fonction municipale, dans laquelle il avait été largement confirmé en 1995, serait la dernière charge publique quil assumerait. Il la occupée jusquà la fin.
Parlementaire chevronné, chacun ici mesurait combien il létait et en particulier son groupe qui lui avait confié sa présidence à un moment déterminant. De 1995 à 1997, Michel Péricard à la tête de la plus importante formation parlementaire de la majorité, fit preuve de virtuosité réglementaire et de sagacité politique. Il confia un jour avec humour que ce poste envié lui permettait de se « faire engueuler en une seule journée par le Président de la République, le Premier ministre, le président de lAssemblée et 260 députés », ce qui est commun à plusieurs de ceux qui ont rempli cette fonction. Il nen perdait ni sa lucidité, ni sa simplicité. Ceux qui lobservaient et, alors à la tête du groupe socialiste jen étais, ceux qui lentouraient et lassistaient, les administrateurs et fonctionnaires de notre maison aussi, conservent le souvenir de ces moments où prenant la parole en conférence des présidents ou arpentant son bureau, il dressait avec esprit de synthèse un tableau des situations, indiquant les chausse-trappes à éviter, les coups à prendre et, parfois, à rendre. Cétait un homme politique qui utilisait des arguments politiques au service dune conviction politique. Sans concession sur le fond, mais toujours avec une grande courtoisie dexpression.
Il existe évidemment une dimension humaine fondamentale dans les responsabilités parlementaires : Michel Péricard, fils dun homme exceptionnel, héros de la grande guerre, ne loubliait jamais. Même si, de temps à autre, parti dans une colère, il vitupérait les inconscients, paresseux et autres incompétents, même si son humour pouvait être cinglant, il était surtout connu pour sa bienveillance, pour la manière presque sentimentale et familiale de conduire son groupe. Enfant dune nombreuse famille, dixième de sa fratrie, très attaché à celle-ci, la tendresse du grand frère lemportait toujours sur la rudesse du décideur. Le soin quil mit à accueillir les jeunes députés, vainqueurs de 1993, mais gamins pour le suffrage universel, frappa, je crois, chacun. Il leur rappelait les règles essentielles. Une question courte. Un propos précis. Une parole sans papier. Il faisait confiance à ses collaborateurs, adoptant un point de vue quand on lui avait expliqué et quil lui semblait juste, pour sen faire ensuite le défenseur ardent. Il ne portait pas darmure contre la maladie, il nen avait pas non plus pour le protéger des attaques ou des critiques. Ses proches savent quil en était atteint, ému ou bouleversé. Dans la transparence et lhonnêteté, nous étions sa vie et il la vivait au premier degré.
Michel Péricard savait sa santé chancelante. Certaines épreuves avaient failli lui être fatales. Il lui arrivait de plaisanter pour conjurer le sort ou rassurer ses amis sur son teint pâle ou sur son souffle court, la douleur aussi, avec lesquels il sétait fait habitude de vivre. Il ne se plaignait pas. Il ne se ménageait pas, soulignant que le mandat des citoyens, la vie politique et le débat public étaient ses seules préoccupations et que « pour le reste adviendrait ce qui devait advenir ». Cest ainsi quil avait encore accepté la lourde charge de vice-président de notre assemblée. Quelques jours avant sa disparition, comme un défi ou une prémonition, il avait choisi, pour lanthologie de poésie que nous réunissions, le texte où Charles Aznavour chante précisément « le temps trop court », « le temps dun jour », « le temps daimer et de disparaître ». Je lai reçu avec émotion. Nous le conservons comme un signe.
La mort la surpris ainsi, courageux, désintéressé, ne voyant dans ses fonctions que loccasion de servir. Parce quil exprimait un modèle dhomme politique dont lépoque, souvent à tort, ne veut plus reconnaître lélévation et le sens des responsabilités, parce que nous pensons à la douleur des siens, au chagrin de ses amis, parce que sa voix au timbre si particulier ne sélèvera plus dans lhémicycle, parce que nous voulions lui rendre hommage devant son épouse, sa famille et ses proches, Michel Péricard, figure forte de notre Assemblée, nous manque profondément.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 07 avril 1999)
Grand professionnel de laudiovisuel et spécialiste de la communication, au Journal télévisé, à Cinq colonnes à la une, il avait pris rang, parmi les créateurs de lORTF. Cest dailleurs dabord dans les étranges lucarnes que les Français apprirent à le connaître en suivant une émission dune grande modernité de ton et de contenu, qui bien avant que la notion nen soit connue, sétait mise au service de lenvironnement. Faisant de lécologie sans que le concept en soit encore défini, il dénonçait, révélait, cherchait à empêcher que la France ne fût défigurée. Produisant aussi lHeure de Vérité ou retrouvant, en 1975, le quai Kennedy à la direction de linformation de Radio France, il était à la fois gaulliste et journaliste, journaliste et gaulliste. Cela ne lui valut pas que des amis. Lalliance dun métier et dun engagement était pour lui complémentarité et non contradiction. Tout naturellement lorsque lAssemblée nationale institua en 1992 une commission denquête sur les perpectives de la presse et de laudiovisuel et quil fût décidé que la présidence en reviendrait à lopposition, ce fut lui qui fut choisi. Apaiser les passions, diriger la discussion entre ses collègues, les professionnels et les meilleurs spécialistes, il y parvint et quand, en 1993, il fut élu à la tête de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, ce fut, là aussi, naturel. Sa vie durant, en observateur ou en acteur, Michel Péricard a ainsi parcouru tout le paysage audiovisuel. Il y était dans son jardin.
Militant, Michel Péricard létait dans la fidélité au Général de Gaulle, et dans lattachement à Jacques Chirac. Ce nétait pas un de ces barons météoriques que la proximité dun grand personnage aurait muni dune circonscription et dun mandat. Dès sa jeunesse estudiantine, à lUNEF avec son ami Bernard Pons, Michel Péricard avait fait de la politique. Par la suite, comprenant le caractère inéluctable de lindépendance de lAlgérie, il sétait opposé à lextrême droite et à lOAS. Gaulliste trempé dans lacier populaire de la Libération et de 1958, il croyait à la participation, à la grandeur, à lindépendance. Lancien scout, le jeune homme qui dès 1947 allait à la rencontre des plus démunis dun quartier délaissé de sa commune, fit ses premières armes à la jeunesse et aux sports dans le cabinet de François Missoffe, puis avec Yves Guéna, à linformation et aux PTT, ainsi quà lagriculture, avec Bernard Pons.
Elu local, il revendiquait ce statut à la tête de sa ville, Saint-Germain en Laye, tout autant que sil avait été le représentant dune collectivité rurale. Il était né dans cette ville, laimait et, la gérant depuis 1959, avait fini par faire corps avec elle. Cétait sa passion et une partie de sa raison dêtre. Bien sûr il y avait chez cet homme épris de modernité le désir que sa cité, berceau du Roi Soleil, vive dans son siècle et avec son siècle. Lancien président de la mission câble faisait découvrir au visiteur la salle des délibérations de sa mairie quil avait dotée des nouvelles technologies de la communication. Il agissait en permanence pour le cadre de vie et la protection dun centre piétonnier, la forêt, le patrimoine architectural. Humanité et proximité. Là étaient ses priorités et ses succès.
Je me souviens dun reportage, il y a peu de temps, le montrant au volant dune voiture électrique, notant là une imperfection de signalisation, faisant ici la morale à un imprudent en skate board, réfléchissant à un aménagement urbain. On retrouvait le sens de lintérêt général qui lui avait fait rénover lensemble des écoles primaires de sa circonscription, multiplier les crèches ou, sans prévenir, régulièrement visiter les malades de lhôpital. De cette sollicitude, chacun savait lauthenticité et, par ce jour dhiver où nous lavons accompagné une dernière fois, jai senti la population très émue qui sétait rassemblée en masse autour de léglise pour lui dire adieu malgré le froid. Michel Péricard avait émis, récemment, lidée que cette fonction municipale, dans laquelle il avait été largement confirmé en 1995, serait la dernière charge publique quil assumerait. Il la occupée jusquà la fin.
Parlementaire chevronné, chacun ici mesurait combien il létait et en particulier son groupe qui lui avait confié sa présidence à un moment déterminant. De 1995 à 1997, Michel Péricard à la tête de la plus importante formation parlementaire de la majorité, fit preuve de virtuosité réglementaire et de sagacité politique. Il confia un jour avec humour que ce poste envié lui permettait de se « faire engueuler en une seule journée par le Président de la République, le Premier ministre, le président de lAssemblée et 260 députés », ce qui est commun à plusieurs de ceux qui ont rempli cette fonction. Il nen perdait ni sa lucidité, ni sa simplicité. Ceux qui lobservaient et, alors à la tête du groupe socialiste jen étais, ceux qui lentouraient et lassistaient, les administrateurs et fonctionnaires de notre maison aussi, conservent le souvenir de ces moments où prenant la parole en conférence des présidents ou arpentant son bureau, il dressait avec esprit de synthèse un tableau des situations, indiquant les chausse-trappes à éviter, les coups à prendre et, parfois, à rendre. Cétait un homme politique qui utilisait des arguments politiques au service dune conviction politique. Sans concession sur le fond, mais toujours avec une grande courtoisie dexpression.
Il existe évidemment une dimension humaine fondamentale dans les responsabilités parlementaires : Michel Péricard, fils dun homme exceptionnel, héros de la grande guerre, ne loubliait jamais. Même si, de temps à autre, parti dans une colère, il vitupérait les inconscients, paresseux et autres incompétents, même si son humour pouvait être cinglant, il était surtout connu pour sa bienveillance, pour la manière presque sentimentale et familiale de conduire son groupe. Enfant dune nombreuse famille, dixième de sa fratrie, très attaché à celle-ci, la tendresse du grand frère lemportait toujours sur la rudesse du décideur. Le soin quil mit à accueillir les jeunes députés, vainqueurs de 1993, mais gamins pour le suffrage universel, frappa, je crois, chacun. Il leur rappelait les règles essentielles. Une question courte. Un propos précis. Une parole sans papier. Il faisait confiance à ses collaborateurs, adoptant un point de vue quand on lui avait expliqué et quil lui semblait juste, pour sen faire ensuite le défenseur ardent. Il ne portait pas darmure contre la maladie, il nen avait pas non plus pour le protéger des attaques ou des critiques. Ses proches savent quil en était atteint, ému ou bouleversé. Dans la transparence et lhonnêteté, nous étions sa vie et il la vivait au premier degré.
Michel Péricard savait sa santé chancelante. Certaines épreuves avaient failli lui être fatales. Il lui arrivait de plaisanter pour conjurer le sort ou rassurer ses amis sur son teint pâle ou sur son souffle court, la douleur aussi, avec lesquels il sétait fait habitude de vivre. Il ne se plaignait pas. Il ne se ménageait pas, soulignant que le mandat des citoyens, la vie politique et le débat public étaient ses seules préoccupations et que « pour le reste adviendrait ce qui devait advenir ». Cest ainsi quil avait encore accepté la lourde charge de vice-président de notre assemblée. Quelques jours avant sa disparition, comme un défi ou une prémonition, il avait choisi, pour lanthologie de poésie que nous réunissions, le texte où Charles Aznavour chante précisément « le temps trop court », « le temps dun jour », « le temps daimer et de disparaître ». Je lai reçu avec émotion. Nous le conservons comme un signe.
La mort la surpris ainsi, courageux, désintéressé, ne voyant dans ses fonctions que loccasion de servir. Parce quil exprimait un modèle dhomme politique dont lépoque, souvent à tort, ne veut plus reconnaître lélévation et le sens des responsabilités, parce que nous pensons à la douleur des siens, au chagrin de ses amis, parce que sa voix au timbre si particulier ne sélèvera plus dans lhémicycle, parce que nous voulions lui rendre hommage devant son épouse, sa famille et ses proches, Michel Péricard, figure forte de notre Assemblée, nous manque profondément.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 07 avril 1999)