Texte intégral
Q - Y a-t-il une internationale terroriste, qui serait l'ennemi commun, et une autre théorie, celle de M. Lavrov, selon laquelle les racines du terrorisme sont en Afghanistan ? Un consensus s'est-il dégagé à propos de ces théories ?
R - Un consensus s'est tout d'abord dégagé pour présenter à nos amis russes tout notre soutien, saluer leur détermination et aussi nous renseigner sur ce qui n'était pas tout à fait connu au moment où nous nous sommes réunis. Il semblerait que l'origine de ces attentats soit imprécise. Il n'y a pas eu de dénonciation particulière sur une source tchétchène ou une source précise dans la région. Il s'agit apparemment de deux femmes kamikazes qui ont frappé deux stations de métro, provoquant un nombre de morts qui maintenant s'est stabilisé à 38.
Il n'y a pas eu de discussion sur l'identification d'un terrorisme mondial à partir de l'Afghanistan. Mais nous avons eu une discussion très riche sur l'Afghanistan, la Somalie, le Yémen et sur Al Qaïda au Sahel.
Y a-t-il, au-delà de l'horreur de ces attentats, une source commune ? Nous n'avons pas dit cela. Il est très difficile de parler de cette nébuleuse terroriste en si peu de temps, entre personnes qui se connaissent si bien - les ministres des Affaires étrangères du G8 - et sur des évènements qui viennent de se passer. Ce sont des évènements qui nourrissent nos discussions mais qui nous laissent aussi avec des réflexions que nous menons chacun de notre côté. La Somalie par exemple : nous, Français, avons été les premiers à former 500 soldats et puis on en a formé 500 autres. Et puis les Etats-Unis, l'Italie et maintenant une décision de l'UE prévoit de former également des soldats pour le gouvernement somalien de Cheikh Cherif Ahmed qui, comme vous le savez, a été reconnu, après six mois de négociations à Djibouti, par la communauté internationale.
Les efforts sont-ils assez coordonnés ? "Pas assez" était la conclusion de ce soir. Comparons-nous nos expériences ? Pas assez. Suivons-nous la façon dont sont utilisés ces soldats ou les policiers qui sont formés ? Pas assez. Parce que si nous voulons y arriver, comme nous le voulons mon collègue italien et moi-même, il faut faire autre chose que de former des soldats. Le gouvernement de Cheikh Cherif Ahmed a annoncé qu'il allait reprendre certains quartiers de Mogadiscio grâce aux troupes que nous formions. Quand nous les formons, y a-t-il unité de formation ? Qui les arment ? Tous ces problèmes sont réglés, certes, mais de façon peu coordonnée.
Sur l'Afghanistan, comme je l'ai toujours demandé, il faudrait que les discussions à l'Otan soient faites avec la participation d'un représentant russe. Il est intéressant de comparer, même si cela peut être sinistre, comment la guerre soviétique en Afghanistan a été menée et comment les progrès ont maintenant été menés concernant les écoles, les dispensaires, les routes. Malgré tout, on se retrouve au coeur d'un problème qui comporte des éléments de culture, de civilisation.
Sur le Yémen et Al Qaïda au Sahel : n'attendons pas que ces problèmes se développent pour avoir une compréhension de la situation. Il y a des raisons qui tiennent à la misère, à l'absence de travail, d'idéal proposé, de modèle peut-être. Il y a une constance de la misère dans tous les pays dont je viens de parler : l'Afghanistan est l'un des pays les plus pauvres du monde. Il en va de même pour le Yémen, les pays du Sahel et la Somalie ; qui font tous partie des vingt pays les plus pauvres du monde. Il y a là un élément de préoccupation : des projets de développement doivent y être menés.
La lutte contre la piraterie est une initiative française et espagnole, une initiative européenne qui a rencontré l'accord de pratiquement tous les pays du monde maintenant. Mais tant qu'on ne s'attaque pas à la source de cette piraterie, à savoir la misère en Somalie et les influences diverses qui s'y exercent, y compris celle d'Al Qaïda, notre travail ne sera pas complet. Il faut le faire.
Dans tous ces pays, les progrès passeront par les femmes, par l'éducation, et donc par la "libération", même si ce mot est un mot imprécis, insuffisant, qui s'inscrit plus largement dans l'amélioration de la condition des femmes.
Q - Sur l'Afghanistan, Mme Clinton est-elle revenue sur la demande américaine d'un engagement plus important des alliés de l'OTAN ?
R - Pas du tout. Nous avons parlé des engagements généraux. Nous voyons le président Obama demain.
Q - Que pensez-vous du départ du Canada de l'Afghanistan en 2011 ?
R - Nous savons que la discussion est vive et légitime, et que 2011 est l'année où les Canadiens vont se désengager, de même que les Néerlandais.
Nous avons également parlé de Bosnie aujourd'hui. Les Canadiens se retirent aussi de Bosnie.
Q - Quelques mots sur la situation en Bosnie ?
R - La situation est très complexe en Bosnie. Nous en avons parlé, mais nous devons maintenir notre engagement. L'Europe est un peu lasse de s'y maintenir, de même que les Etats-Unis, sans parvenir à une solution. C'est tout de même la situation la plus compliquée dans les Balkans. Il n'empêche qu'il faut considérer les Balkans dans leur ensemble, car la situation de la Bosnie est liée à la situation de la Serbie, et la situation de la Serbie à celle du Kosovo.
Avant la tenue des élections, en octobre prochain, il faut que la présence européenne soit plus développée en Bosnie. Il faut s'engager auprès de la société civile et en particulier auprès des jeunes ; il ne faut pas qu'on distribue des visas d'un côté et que, de l'autre, certains groupes communautaires soient dans l'incapacité de voyager. Comme vous le savez, les gens de la Republika Srpksa vont à Belgrade pour retirer leurs visas pour l'Europe. Les gens qui sont liés à la Croatie dans la fédération croato-musulmane vont à Zagreb pour leurs visas. Et les Bosniaques, eux, n'ont pas de visas. De même, en Serbie, les gens de Serbie peuvent relativement voyager et pas ceux du Kosovo. Il faut arrêter ces déséquilibres. Si on veut que la présence soit positive, il faut absolument s'engager à porter des projets, en particulier pour les étudiants. Les élections en Bosnie sont donc en octobre. Avant cela, il y aura une visite de MM. Moratinos et Steinberg qui ont l'intention de proposer aux Bosniens un document d'engagement européen avant de se retrouver, avec les autres membres des Vingt-sept en Espagne. Ce qui n'exclurait pas une autre rencontre avec Mme Clinton à Sarajevo dont il est question depuis longtemps. Il n'est pas sûr que l'on pourra faire beaucoup avant les élections, mais il faut s'engager, être présents.
La grande question, dans le fond, est la suivante : la Bosnie, la Serbie, le Kosovo peuvent-ils rentrer dans l'Union européenne ? Ils pensent qu'il n'y a pas de pré-conditions et ils ont raison. Tous les pays des Balkans sont appelés - en tout cas c'est la position de la France - à entrer dans l'Union européenne. Peuvent-ils entrer avec des divisions et avec des germes de conflits à l'intérieur ? Je ne le crois pas. C'est là quelque chose de nouveau, que je suis d'ailleurs allé dire au Kosovo il y a trois semaines : il est hors de question de faire entrer un pays divisé. La Bosnie, tout comme la Serbie et le Kosovo, doivent prendre leurs responsabilités. Nous sommes déjà vingt-sept, c'est compliqué. On ne demande pas par exemple à la Serbie de reconnaître le Kosovo, on leur demande d'être sur le chemin d'un dialogue.
Nous ne pouvons pas nous retirer de cette région sans poursuivre notre effort. Il faut une présence légitime, constructive, donner des projets aux gens. Nous avons beaucoup parlé de cette question ce soir. Nous nous sommes globalement engagés, dans toutes les zones où l'Union européenne a pu jouer un rôle, notamment militaire, à poursuivre nos efforts, à ne pas abandonner au milieu du gué, pour affirmer autre chose qu'une présence militaire européenne, en partenariat avec nos amis américains et canadiens. Il ne faut pas abandonner des engagements sous prétexte que nous y avons connu des réussites.
Nous avons aussi parlé d'engagements qui n'ont été encore qu'initiés. Le Yémen par exemple : nous avons attiré l'attention sur ce pays à la Conférence de Londres. Il y a eu des accords, le conflit dans le Nord du pays a été un peu apaisé, mais la situation est compliquée. Il y a beaucoup d'influences dans la région : Iran, Erythrée. Notre message principal ce soir, c'est qu'il faut de la persistance, voire de l'obstination dans la poursuite de notre engagement.
Q - Pouvez-nous nous parler de l'Iran ? Du Traité de non-prolifération ?
R - La vraie revue du TNP aura lieu à New York ainsi que le rendez-vous sur la sécurité des 12 et 13 avril. Nous en parlerons demain, les décisions seront prises à ce moment-là. Il est particulièrement intéressant de parler de l'Iran avec Sergeï Lavrov. La discussion avec nos amis russes n'est pas difficile. Pour autant, elle n'est pas terminée. Elle est à peine commencée avec les Chinois. Tout cela se passe à New York, avec une résolution du Conseil de sécurité et doit avancer, espérons-le, sous la Présidence japonaise à partir d'avril.
Les choses n'évoluent pas beaucoup sur le terrain. Leur diplomatie est très chaotique. Nous avions retrouvé de l'espoir avec les déclarations du chef de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique qui expliquait qu'ils n'avaient pas dit non à la proposition des Français et des Russes d'enrichir chez eux de l'uranium à 20 % pour le réacteur de recherche de Téhéran. Mais presque au même moment, M. Ahmadinejad a déclaré qu'ils enrichissaient l'uranium chez eux et l'on vient d'apprendre que l'on recherche les deux nouveaux sites de production qu'ils avaient évoqués il y a deux mois. C'est une diplomatie chaotique, incohérente, et très dangereuse.
Contrairement à la croyance générale, je pense que les Iraniens ne gagnent pas du temps ; ils en perdent terriblement par rapport à eux-mêmes. Pendant ce temps, le mouvement vert, et plus largement le mouvement de contestation, se développe et c'est très important, beaucoup plus dans le fond que toutes leurs rodomontades, leurs contradictions sur le nucléaire.
Maintenant, nous recherchons les deux nouveaux sites, comme ce qui c'était passé à Pittsburgh avec la découverte du site de Qom. C'est un jeu très dangereux, mais surtout très contradictoire et finalement assez incompréhensible.
La situation intérieure est beaucoup plus importante qu'on ne le croie. Il y a une espèce de fuite en avant du régime. Pour autant, nous, la France et tous nos alliés, voulons continuer à parler avec l'Iran. Il y a déjà eu trois résolutions avec sanctions. Il y en aura une quatrième. Il faut seulement un peu plus de temps cette fois-ci pour obtenir l'accord des Russes et des Chinois car la situation est plus compliquée. Nous sommes toujours partisans de parler avec les Iraniens et nous avons soutenu la politique d'ouverture du président Obama. Le problème, c'est qu'ils refusent de parler du problème de l'énergie nucléaire.
Q - Faut-il que cette résolution aux Nations unies soit unanime ?
R - Il ne faut pas qu'il y ait de veto et il faut neuf voix. Il faut qu'elle bénéficie d'un large soutien. Nous voulons continuer à parler mais force est de constater que les rencontres de Genève et de Vienne, n'ont abouti à rien.
Il existe un grand danger au Moyen-Orient : avec l'impasse du processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, l'armement du Hezbollah, l'attitude du Hamas, tout le monde peut être tenté de s'engager encore plus dans la confrontation et la situation est dangereuse. La situation est vraiment très tendue, les images qu'on a pu voir récemment ressemblent à celles des deux premières Intifada. Ce n'est vraiment pas le moment d'avoir un problème iranien. Nous avons toujours dit qu'ils avaient droit au nucléaire civil. A l'époque de M. El Baradeï, ils ne publiaient pas les documents annexes et nous n'étions pas très sûrs des réponses qu'ils avaient apportées ou pas. Maintenant, avec M. Amano, qui publie tout, les choses sont parfaitement claires : les Iraniens ne répondent pas aux questions de l'AIEA. Le site de Qom a été une grosse surprise.
Q - L'existence de ces deux sites n'est-elle pas soumise à caution ?
R - Non, des déclarations de M. Ahmadinejad datant d'il y a deux mois annonçaient deux centres d'enrichissement. A ma connaissance, nous n'en savons pas beaucoup plus pour le moment. Mais ils ont commencé à construire Qom en 2004 et nous ne l'avons su qu'en 2009.
La répartition entre un G8 qui serait plus politique et un G20 qui serait plus économique doit être encore précisée. En 2011, la France pourra aider à bien faire la séparation.
Q - Les Russes sont-ils très intégrés aujourd'hui ?
R - Cela dépend des Russes. Certains sont d'accord pour qu'il y ait des sanctions contre l'Iran, mais à New York c'était un peu difficile. C'était plus dur au Conseil de sécurité que dans les capitales. Mais on commence à y voir un peu plus clair. Il y a aussi eu une mission commune des Russes et des Chinois, il y a dix jours, pour aller proposer une solution pour l'uranium à 20 % du réacteur de recherche : sans succès non plus. On peut penser que les Iraniens, avec beaucoup d'habileté, jouent sur cette impasse. Mais je ne trouve pas que ce soit de l'habileté...
Le G20 a permis d'inclure des pays incontournables aujourd'hui, qui ne figuraient pas dans le G8, afin de pouvoir lutter contre la crise économique et tenter de réformer la finance mondiale.
Il y a aussi la question des Nations unies, qui reste le seul forum où se rencontrent 192 pays. L'ONU traverse actuellement une période très difficile dont il faut se sortir avec les propositions de réformes qui ont déjà été faites, en particulier par Kofi Annan et qui ont buté sur la question de la représentation par continent. Il faut poursuivre nos efforts en faveur des Nations unies ; le G8 ou même le G20, exclusivement économique, ne suffisent pas. On ne peut pas se passer d'une organisation multilatérale.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er avril 2010
R - Un consensus s'est tout d'abord dégagé pour présenter à nos amis russes tout notre soutien, saluer leur détermination et aussi nous renseigner sur ce qui n'était pas tout à fait connu au moment où nous nous sommes réunis. Il semblerait que l'origine de ces attentats soit imprécise. Il n'y a pas eu de dénonciation particulière sur une source tchétchène ou une source précise dans la région. Il s'agit apparemment de deux femmes kamikazes qui ont frappé deux stations de métro, provoquant un nombre de morts qui maintenant s'est stabilisé à 38.
Il n'y a pas eu de discussion sur l'identification d'un terrorisme mondial à partir de l'Afghanistan. Mais nous avons eu une discussion très riche sur l'Afghanistan, la Somalie, le Yémen et sur Al Qaïda au Sahel.
Y a-t-il, au-delà de l'horreur de ces attentats, une source commune ? Nous n'avons pas dit cela. Il est très difficile de parler de cette nébuleuse terroriste en si peu de temps, entre personnes qui se connaissent si bien - les ministres des Affaires étrangères du G8 - et sur des évènements qui viennent de se passer. Ce sont des évènements qui nourrissent nos discussions mais qui nous laissent aussi avec des réflexions que nous menons chacun de notre côté. La Somalie par exemple : nous, Français, avons été les premiers à former 500 soldats et puis on en a formé 500 autres. Et puis les Etats-Unis, l'Italie et maintenant une décision de l'UE prévoit de former également des soldats pour le gouvernement somalien de Cheikh Cherif Ahmed qui, comme vous le savez, a été reconnu, après six mois de négociations à Djibouti, par la communauté internationale.
Les efforts sont-ils assez coordonnés ? "Pas assez" était la conclusion de ce soir. Comparons-nous nos expériences ? Pas assez. Suivons-nous la façon dont sont utilisés ces soldats ou les policiers qui sont formés ? Pas assez. Parce que si nous voulons y arriver, comme nous le voulons mon collègue italien et moi-même, il faut faire autre chose que de former des soldats. Le gouvernement de Cheikh Cherif Ahmed a annoncé qu'il allait reprendre certains quartiers de Mogadiscio grâce aux troupes que nous formions. Quand nous les formons, y a-t-il unité de formation ? Qui les arment ? Tous ces problèmes sont réglés, certes, mais de façon peu coordonnée.
Sur l'Afghanistan, comme je l'ai toujours demandé, il faudrait que les discussions à l'Otan soient faites avec la participation d'un représentant russe. Il est intéressant de comparer, même si cela peut être sinistre, comment la guerre soviétique en Afghanistan a été menée et comment les progrès ont maintenant été menés concernant les écoles, les dispensaires, les routes. Malgré tout, on se retrouve au coeur d'un problème qui comporte des éléments de culture, de civilisation.
Sur le Yémen et Al Qaïda au Sahel : n'attendons pas que ces problèmes se développent pour avoir une compréhension de la situation. Il y a des raisons qui tiennent à la misère, à l'absence de travail, d'idéal proposé, de modèle peut-être. Il y a une constance de la misère dans tous les pays dont je viens de parler : l'Afghanistan est l'un des pays les plus pauvres du monde. Il en va de même pour le Yémen, les pays du Sahel et la Somalie ; qui font tous partie des vingt pays les plus pauvres du monde. Il y a là un élément de préoccupation : des projets de développement doivent y être menés.
La lutte contre la piraterie est une initiative française et espagnole, une initiative européenne qui a rencontré l'accord de pratiquement tous les pays du monde maintenant. Mais tant qu'on ne s'attaque pas à la source de cette piraterie, à savoir la misère en Somalie et les influences diverses qui s'y exercent, y compris celle d'Al Qaïda, notre travail ne sera pas complet. Il faut le faire.
Dans tous ces pays, les progrès passeront par les femmes, par l'éducation, et donc par la "libération", même si ce mot est un mot imprécis, insuffisant, qui s'inscrit plus largement dans l'amélioration de la condition des femmes.
Q - Sur l'Afghanistan, Mme Clinton est-elle revenue sur la demande américaine d'un engagement plus important des alliés de l'OTAN ?
R - Pas du tout. Nous avons parlé des engagements généraux. Nous voyons le président Obama demain.
Q - Que pensez-vous du départ du Canada de l'Afghanistan en 2011 ?
R - Nous savons que la discussion est vive et légitime, et que 2011 est l'année où les Canadiens vont se désengager, de même que les Néerlandais.
Nous avons également parlé de Bosnie aujourd'hui. Les Canadiens se retirent aussi de Bosnie.
Q - Quelques mots sur la situation en Bosnie ?
R - La situation est très complexe en Bosnie. Nous en avons parlé, mais nous devons maintenir notre engagement. L'Europe est un peu lasse de s'y maintenir, de même que les Etats-Unis, sans parvenir à une solution. C'est tout de même la situation la plus compliquée dans les Balkans. Il n'empêche qu'il faut considérer les Balkans dans leur ensemble, car la situation de la Bosnie est liée à la situation de la Serbie, et la situation de la Serbie à celle du Kosovo.
Avant la tenue des élections, en octobre prochain, il faut que la présence européenne soit plus développée en Bosnie. Il faut s'engager auprès de la société civile et en particulier auprès des jeunes ; il ne faut pas qu'on distribue des visas d'un côté et que, de l'autre, certains groupes communautaires soient dans l'incapacité de voyager. Comme vous le savez, les gens de la Republika Srpksa vont à Belgrade pour retirer leurs visas pour l'Europe. Les gens qui sont liés à la Croatie dans la fédération croato-musulmane vont à Zagreb pour leurs visas. Et les Bosniaques, eux, n'ont pas de visas. De même, en Serbie, les gens de Serbie peuvent relativement voyager et pas ceux du Kosovo. Il faut arrêter ces déséquilibres. Si on veut que la présence soit positive, il faut absolument s'engager à porter des projets, en particulier pour les étudiants. Les élections en Bosnie sont donc en octobre. Avant cela, il y aura une visite de MM. Moratinos et Steinberg qui ont l'intention de proposer aux Bosniens un document d'engagement européen avant de se retrouver, avec les autres membres des Vingt-sept en Espagne. Ce qui n'exclurait pas une autre rencontre avec Mme Clinton à Sarajevo dont il est question depuis longtemps. Il n'est pas sûr que l'on pourra faire beaucoup avant les élections, mais il faut s'engager, être présents.
La grande question, dans le fond, est la suivante : la Bosnie, la Serbie, le Kosovo peuvent-ils rentrer dans l'Union européenne ? Ils pensent qu'il n'y a pas de pré-conditions et ils ont raison. Tous les pays des Balkans sont appelés - en tout cas c'est la position de la France - à entrer dans l'Union européenne. Peuvent-ils entrer avec des divisions et avec des germes de conflits à l'intérieur ? Je ne le crois pas. C'est là quelque chose de nouveau, que je suis d'ailleurs allé dire au Kosovo il y a trois semaines : il est hors de question de faire entrer un pays divisé. La Bosnie, tout comme la Serbie et le Kosovo, doivent prendre leurs responsabilités. Nous sommes déjà vingt-sept, c'est compliqué. On ne demande pas par exemple à la Serbie de reconnaître le Kosovo, on leur demande d'être sur le chemin d'un dialogue.
Nous ne pouvons pas nous retirer de cette région sans poursuivre notre effort. Il faut une présence légitime, constructive, donner des projets aux gens. Nous avons beaucoup parlé de cette question ce soir. Nous nous sommes globalement engagés, dans toutes les zones où l'Union européenne a pu jouer un rôle, notamment militaire, à poursuivre nos efforts, à ne pas abandonner au milieu du gué, pour affirmer autre chose qu'une présence militaire européenne, en partenariat avec nos amis américains et canadiens. Il ne faut pas abandonner des engagements sous prétexte que nous y avons connu des réussites.
Nous avons aussi parlé d'engagements qui n'ont été encore qu'initiés. Le Yémen par exemple : nous avons attiré l'attention sur ce pays à la Conférence de Londres. Il y a eu des accords, le conflit dans le Nord du pays a été un peu apaisé, mais la situation est compliquée. Il y a beaucoup d'influences dans la région : Iran, Erythrée. Notre message principal ce soir, c'est qu'il faut de la persistance, voire de l'obstination dans la poursuite de notre engagement.
Q - Pouvez-nous nous parler de l'Iran ? Du Traité de non-prolifération ?
R - La vraie revue du TNP aura lieu à New York ainsi que le rendez-vous sur la sécurité des 12 et 13 avril. Nous en parlerons demain, les décisions seront prises à ce moment-là. Il est particulièrement intéressant de parler de l'Iran avec Sergeï Lavrov. La discussion avec nos amis russes n'est pas difficile. Pour autant, elle n'est pas terminée. Elle est à peine commencée avec les Chinois. Tout cela se passe à New York, avec une résolution du Conseil de sécurité et doit avancer, espérons-le, sous la Présidence japonaise à partir d'avril.
Les choses n'évoluent pas beaucoup sur le terrain. Leur diplomatie est très chaotique. Nous avions retrouvé de l'espoir avec les déclarations du chef de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique qui expliquait qu'ils n'avaient pas dit non à la proposition des Français et des Russes d'enrichir chez eux de l'uranium à 20 % pour le réacteur de recherche de Téhéran. Mais presque au même moment, M. Ahmadinejad a déclaré qu'ils enrichissaient l'uranium chez eux et l'on vient d'apprendre que l'on recherche les deux nouveaux sites de production qu'ils avaient évoqués il y a deux mois. C'est une diplomatie chaotique, incohérente, et très dangereuse.
Contrairement à la croyance générale, je pense que les Iraniens ne gagnent pas du temps ; ils en perdent terriblement par rapport à eux-mêmes. Pendant ce temps, le mouvement vert, et plus largement le mouvement de contestation, se développe et c'est très important, beaucoup plus dans le fond que toutes leurs rodomontades, leurs contradictions sur le nucléaire.
Maintenant, nous recherchons les deux nouveaux sites, comme ce qui c'était passé à Pittsburgh avec la découverte du site de Qom. C'est un jeu très dangereux, mais surtout très contradictoire et finalement assez incompréhensible.
La situation intérieure est beaucoup plus importante qu'on ne le croie. Il y a une espèce de fuite en avant du régime. Pour autant, nous, la France et tous nos alliés, voulons continuer à parler avec l'Iran. Il y a déjà eu trois résolutions avec sanctions. Il y en aura une quatrième. Il faut seulement un peu plus de temps cette fois-ci pour obtenir l'accord des Russes et des Chinois car la situation est plus compliquée. Nous sommes toujours partisans de parler avec les Iraniens et nous avons soutenu la politique d'ouverture du président Obama. Le problème, c'est qu'ils refusent de parler du problème de l'énergie nucléaire.
Q - Faut-il que cette résolution aux Nations unies soit unanime ?
R - Il ne faut pas qu'il y ait de veto et il faut neuf voix. Il faut qu'elle bénéficie d'un large soutien. Nous voulons continuer à parler mais force est de constater que les rencontres de Genève et de Vienne, n'ont abouti à rien.
Il existe un grand danger au Moyen-Orient : avec l'impasse du processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, l'armement du Hezbollah, l'attitude du Hamas, tout le monde peut être tenté de s'engager encore plus dans la confrontation et la situation est dangereuse. La situation est vraiment très tendue, les images qu'on a pu voir récemment ressemblent à celles des deux premières Intifada. Ce n'est vraiment pas le moment d'avoir un problème iranien. Nous avons toujours dit qu'ils avaient droit au nucléaire civil. A l'époque de M. El Baradeï, ils ne publiaient pas les documents annexes et nous n'étions pas très sûrs des réponses qu'ils avaient apportées ou pas. Maintenant, avec M. Amano, qui publie tout, les choses sont parfaitement claires : les Iraniens ne répondent pas aux questions de l'AIEA. Le site de Qom a été une grosse surprise.
Q - L'existence de ces deux sites n'est-elle pas soumise à caution ?
R - Non, des déclarations de M. Ahmadinejad datant d'il y a deux mois annonçaient deux centres d'enrichissement. A ma connaissance, nous n'en savons pas beaucoup plus pour le moment. Mais ils ont commencé à construire Qom en 2004 et nous ne l'avons su qu'en 2009.
La répartition entre un G8 qui serait plus politique et un G20 qui serait plus économique doit être encore précisée. En 2011, la France pourra aider à bien faire la séparation.
Q - Les Russes sont-ils très intégrés aujourd'hui ?
R - Cela dépend des Russes. Certains sont d'accord pour qu'il y ait des sanctions contre l'Iran, mais à New York c'était un peu difficile. C'était plus dur au Conseil de sécurité que dans les capitales. Mais on commence à y voir un peu plus clair. Il y a aussi eu une mission commune des Russes et des Chinois, il y a dix jours, pour aller proposer une solution pour l'uranium à 20 % du réacteur de recherche : sans succès non plus. On peut penser que les Iraniens, avec beaucoup d'habileté, jouent sur cette impasse. Mais je ne trouve pas que ce soit de l'habileté...
Le G20 a permis d'inclure des pays incontournables aujourd'hui, qui ne figuraient pas dans le G8, afin de pouvoir lutter contre la crise économique et tenter de réformer la finance mondiale.
Il y a aussi la question des Nations unies, qui reste le seul forum où se rencontrent 192 pays. L'ONU traverse actuellement une période très difficile dont il faut se sortir avec les propositions de réformes qui ont déjà été faites, en particulier par Kofi Annan et qui ont buté sur la question de la représentation par continent. Il faut poursuivre nos efforts en faveur des Nations unies ; le G8 ou même le G20, exclusivement économique, ne suffisent pas. On ne peut pas se passer d'une organisation multilatérale.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er avril 2010